Barcelone : Ada Colau défend son bilan et propose une alliance au PSC et à ERC

Barcelona en Comú, après avoir gouverné la capitale catalane pendant huit ans (Ada Colau étant maire), se retrouve en troisième place aux élections municipales. Devant un morcellement des forces en présence, les négociations pour le « gouvernement » municipal n’ont abouti à aucune alliance. En Comú a fait barrage à Xavier Trias (Junts, indépendantistes de droite), faisant élire maire Jaume Collboni (PSC) mais sans accord de gouvernement ; Ada Colau, dans son discours après l’investiture du maire, a plaidé qu’une alliance de gauche est encore possible. Elle permettrait de sauvegarder le travail réalisé à Barcelone par le mouvement citoyen né dans la lignée de la lutte des Indignés.

Ada Colau, maire de Barcelone (au centre). Photo d’archives.

Les élections municipales à Barcelone, le 28 mai dernier, ont donné, comme les précédentes, un résultat très fragmentaire, attendu, compte tenu des forces en présence mais aussi du mode de scrutin, proportionnel (à la différence de la France, où la liste arrivée en tête au second tour obtient automatiquement la majorité absolue des sièges).

Les résultats : Junts per Catalunya 11 sièges de conseillers ; PSC (Parti socialiste catalan) 10 ; Barcelona en Comú 9 ; ERC (Esquerra republicana de Catalunya, indépendantistes de gauche) 5 ; PP (Parti populaire, droite) 4 ; Vox (extrême droite) 2. Soit 41 sièges, la majorité étant à 21.

Avant l’élection du maire, qui avait lieu le 17 juin, les négociations pour former une majorité municipale sont allées bon train mais n’ont pas abouti.

Les indépendantistes (Junts et ERC) auraient voulu prendre la tête de la mairie mais une alliance était impossible avec le PSC ou le PP, anti-indépendantistes, ou avec Barcelona en Comú, qui considère Junts trop à droite.

Barcelona en Comú a proposé une alliance « de gauche » au PSC et à ERC, mais elle n’a pas abouti.

Au moment du vote, le 17, Xavier Trias, bien que représentant le parti arrivé en tête, n’a pas obtenu la majorité, se faisant dépasser par Jaume Collboni, élu avec les voix de Barcelona en Comú et du PP. Mais quelle va être la suite ? Le discours d’Ada Colau, lors de la cérémonie d’investiture du maire, en donne une idée.

Pas de normalisation de l’extrême droite

La maire sortante a tout d’abord noté l’entrée de l’extrême droite (Vox) pour la première fois au conseil municipal de Barcelone : « Ils ont le droit d’être ici, ils ont été élus », a-t-elle dit, « mais nous n’avons pas l’intention de normaliser leur présence et encore moins leur discours de haine et leurs politiques qui attentent aux droits humains, au droit des femmes, des LGBTI et des personnes migrantes. »

« Nous avions la responsabilité d’éviter un gouvernement de Junts »

Elle s’est ensuite adressée à Xavier Trias, expliquant pourquoi Barcelona en Comú ne pouvait pas le laisser élire maire : « Vous avez eu le plus grand nombre de voix, et je le respecte, mais nous avons deux modèles de ville opposés (…) Vous vouliez défaire ce que nous avons fait ; nous avions la responsabilité d’éviter un gouvernement de Junts mené par vous, Junts qui s’est opposé à nous dans le mandat précédent. »

Ada Colau rappelle que lorsqu’il a été maire, de 2011 à 2015 (pour Convergència i Unió, la coalition indépendantiste d’alors), Xavier Trias avait « lâché la bride à la spéculation, au tourisme de masse », avait fait preuve d’inaction en matière de transports publics, de quartiers populaires, « et votre parti a voté contre la régulation des loyers qui est l’une des choses dont la ville de Barcelone a le plus besoin aujourd’hui. »

Elle ajoute : « Seules les élites de la ville ont voté pour Junts per Catalunya. »

A Collboni : « Vous ne pourrez pas gouverner Barcelone avec 10 conseillers. Faisons un pacte de gauche »

Ada Colau s’adresse ensuite à Ernest Maragall, la tête de liste d’ERC : « Je regrette beaucoup la façon dont vous avez travaillé à faire échouer un pacte de gauche. »

Elle poursuit : « Nous avons voté Collboni sans enthousiasme, pour le moindre mal. Nous continuerons à nous battre pour un pacte de gauche qui représente la majorité des citoyens de cette ville. » Rappelons que Barcelona en Comú avait proposé une alliance avec le PSC et ERC où le poste de maire aurait été exercé à tour de rôle par les trois tendances. Le PSC avait répondu : « A Barcelone, les gens ont voté pour le changement ; le PSC est l’unique force qui peut espérer rassembler une large majorité. »

« Notre vote » (pour Collboni contre Trias), précise ensuite Ada Colau, « n’est pas un vote anti-indépendantiste ; nous avons aussi de nombreux indépendantistes à Barcelona en Comú. Notre vote vise à construire la ville, les quartiers (…) et des politiques concrètes. »

Puis elle se tourne vers Jaume Collboni : « Vous avez proposé un pacte de coalition secret, en comptant sur les voix du PP ; nous avons refusé. » (En votant pour vous sans accord) « nous ne vous avons pas offert nos votes ; avec 10 conseillers il est impossible de gouverner Barcelone (…) Nous voulons un pacte de gauche. »

Elle définit les « politiques concrètes » que pourrait mener à bien « un gouvernement (municipal) progressiste », dans la droite ligne des deux mandats précédents : investissement dans les écoles publiques, pacification des rues, poursuite du développement du logement social, des coopératives d’habitat, de l’économie sociale et coopérative, plan quartiers (la municipalité précédente a multiplié par trois les investissements en faveur des quartiers populaires), politique de soins, politiques féministes. « Nous avons eu le courage d’affronter les fonds vautours, de nous opposer à la massification touristique », précise Ada Colau qui conclut : « C’est ce que nous défendons ; la seule majorité progressiste possible (pour mener cette politique) c’est avec l’ERC, le PSC et Barcelona en Comú. Nous sommes disponibles. »

La balle est dans le camp des socialistes catalans et d’ERC. Qu’est-ce qui va primer pour eux, les intérêts de parti et personnels ou la poursuite d’une gestion municipale dans l’intérêt des habitants ?

Ph.C.

Voir la vidéo du discours d’Ada Colau (en catalan) :

Gilets jaunes : Qui sont-ils ? Que veulent-ils?

La mobilisation en vue d’un blocage national le 17 novembre prend de l’ampleur. De quoi s’agit-il ?

Le rassemblement, ce dimanche matin à Narbonne.

Ce matin dimanche 4 novembre avait lieu à Narbonne devant Décathlon l’un des rassemblements préparatoires au blocage du 17 novembre. L’appel avait été lancé sur facebook par Quentin Bnclh auteur de la page « Blocage national 17 novembre – Narbonne ».

Sur place, environ une centaine de personnes : des jeunes, des gens d’âge mûr hommes et femmes, quelques cheveux blancs, des motards… dans l’ensemble des gens simples.

Quentin, qui est pizzaiolo de son métier, et motard, est monté sur le toit d’un fourgon pour se faire entendre. Il a expliqué le mouvement : il a, dit-il, pris l’initiative au niveau local avec deux ou trois copains puis le groupe s’est élargi peu à peu. Il y a un autre groupe comme cela à Narbonne et un à Sigean. L’initiative semble tout à fait spontanée, en tout cas pour celle-là.

Le mot d’ordre, c’est d’abord le refus de la hausse des carburants mais Quentin précise tout de suite qu’il faut élargir à tout ce qui porte atteinte au pouvoir d’achat. Il cite les retraités, qui en ont pris pour leur grade, et puis n’en dit pas plus. Il n’a pas préparé un long discours. Dans la foule, certains citent le gaz, la santé, les taxes…

Ce qui est affirmé nettement c’est que le mouvement se fait en dehors des partis politiques et des syndicats, il se veut un mouvement de citoyens. Quentin précise : « les syndicats nous en aurons peut-être besoin plus tard pour la partie législative. »

Il ouvre le débat mais il n’y en aura pas, il n’a tout simplement pas été organisé et chacun parle avec son voisin.

Les organisateurs semblent surtout préoccupés par l’organisation des blocages : ils ne veulent pas de violences, pas de casse, et entendent éviter d’être en porte-à-faux sur les questions de légalité pour éviter de donner prise aux verbalisations. Ils ont l’intention de durer bien au-delà d’une journée. Quentin précise qu’il espère l’appui des petits patrons du transport et des BTP : on rejoint donc la préoccupation principale du coût du carburant ou des taxes, de façon peu définie.

Les participants font des photos puis montent dans les voitures pour défiler en ville, comme première manifestation.

Le prochain rendez-vous est fixé à dimanche 11 novembre à 10 h au même endroit. Le but, c’est de faire monter la pression et, ce jour-là, d’annoncer les points de blocage pour le 17.

Que dire de ce mouvement ? Plus précisément de ce groupe-là, les autres n’ont pas forcément les mêmes dynamiques. Ce qui est clair, c’est qu’il rassemble des gens comme vous et moi, pas des fascistes comme certains en ont émis la crainte sur les réseaux sociaux ou dans la presse. Ce qui ressort, c’est le ras-le-bol face à ce qui est considéré comme des attaques au pouvoir d’achat. Le carburant sert de catalyseur mais il n’est pas l’unique motif.

L’initiative semble bel et bien spontanée. Quentin a parfois des accents un peu autoritaires : « je veux vous voir tous en gilets jaunes », mais cela semble avant tout un souci de mener à bien l’organisation dont il se sent responsable. Ce qui est clair c’est que l’on ne se perd pas en débat et en analyses, on s’appuie sur un sentiment partagé de colère.

Il est difficile de dire comment le mouvement va évoluer. Pourra-t-il se structurer ? Les revendications seront-elles claires et audibles ? On va le voir dans les jours et semaines qui viennent. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement ne semble pas avoir saisi l’ampleur du mécontentement et que cela risque de lui retomber dessus s’il ne réagit pas.

Ph.C.

Gazoduc Step : la connexion au marché européen de l’énergie

Une concertation « avec garant » a démarré fin novembre autour du projet de gazoduc Step, entre le Perthus et Barbaira. Ce gazoduc renforce la connexion franco-espagnole des réseaux et, au-delà, s’insère dans la politique européenne de grand marché de l’énergie.

Pose de conduite dans le Bordelais (photo TIGF).

(Voir actualisation en fin d’article)

Avec le feu vert du président Macron, TIGF se prépare à lancer le projet Step, nouvelle interconnexion, prévue pour 2022, des réseaux de transport de gaz français et espagnol avec la réalisation du tronçon Hostalric (province de Girona)-Barbaira (Aude).

Au préalable a lieu une concertation « avec garant » agréé par la Commission nationale du débat public (CNDP) (1). La concertation est menée par TIGF depuis le 21/11/2017 jusqu’au 23/01/2018 (voir les dates en fin d’article). L’enquête publique devrait suivre en 2020.

Dans sa partie française, STEP (South Transit East Pyrenees, Trajet Sud par l’Est des Pyrénées) donnera lieu à la construction, à partir de 2021, d’une canalisation enterrée (1 m de profondeur minimum) d’un diamètre de 90 cm pour relier la station de compression existante de Barbaira (Aude) à la frontière espagnole, soit 120 km environ jalonnés par sept à huit « postes de sectionnement« , qui servent à la surveillance et à la maintenance du réseau (ils peuvent aussi permettre la connexion à une nouvelle conduite).

TIGF note que si Step (et l’interconnexion avec l’Espagne) n’aboutissait pas, des travaux seraient nécessaires pour renforcer le réseau régional Aude/Pyrénées-Orientales, qui à terme aura du mal à répondre aux besoins.

L’un des objets de la concertation portera sur le tracé. Une aire d’étude de 2 800 km² a été pré-établie ; elle va de la région du Perthus à Barbaira par la région de Thuir et de Baixas, Tautavel-Opoul, les Basses Corbières (entre Durban, Fitou, Portel, Saint-André-de-Roquelongue, Boutenac et Ferrals) et le nord de l’Alaric. Avant d’établir cette aire d’étude, sept zones d’exclusion ont été identifiées : la partie la plus accidentée du massif des Corbières, la montagne d’Alaric, le massif de Fontfroide, la zone littorale incluant l’agglomération narbonnaise, l’agglomération perpignanaise, la partie la plus accidentée du massif pyrénéen et le Haut-Vallespir.

L’aire d’étude de Step (Illustration TIGF).

A partir de l’aire d’étude seront définies successivement des zones de plus en plus précises, jusqu’à la sélection d’un ou plusieurs fuseaux de 1 km de large. La concertation publique commence à partir de ce niveau.

TIGF assure prendre en compte au maximum la protection de l’environnement naturel et de la biodiversité. La phase des travaux est celle susceptible d’apporter le plus de dérangements. Les préjudices causés aux agriculteurs seront indemnisés selon un barème « établi avec les chambres d’agriculture« . Après travaux, le sol est remis en place et « la nature et les cultures reprennent leurs droits« . Il reste une bande de servitude de 10 m sur laquelle ne peuvent pas être replantés des arbres de haute futaie.

L’investissement de TIGF est estimé à 290 M€. A la suite de la concertation, TIGF ouvrira un dossier de demande de subvention à l’Union européenne (la sélection du projet comme Projet d’Intérêt Commun européen ouvre droit à ce financement) et à l’Etat. Les collectivités locales ne participent pas au financement.

Au nom de la sécurité d’approvisionnement et de la concurrence

Dans sa présentation du projet, TIGF note que, selon la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, la consommation de gaz naturel devrait baisser en France métropolitaine de 16 % entre 2012 et 2013. Mais, poursuit-il, « le gaz naturel reste l’énergie fossile la moins émettrice de CO2 » et devrait donc avoir « un rôle important à jouer dans la transition énergétique« . Il cite l’exemple de l’hiver 2016-2017, au cours duquel « la production d’électricité grâce au gaz naturel est venue compenser l’arrêt simultané de plusieurs centrales nucléaires françaises.« 

Il ajoute : « La production d’électricité grâce au gaz naturel« , plus souple, « permet aussi d’accompagner le développement des énergies renouvelables : les centrales électriques fonctionnant au gaz naturel peuvent prendre le relais des installations éoliennes ou photovoltaïques lorsqu’il n’y a pas de vent ou de soleil.« 

TIGF souligne aussi que « à l’avenir, le réseau de transport de gaz accueillera de plus en plus de gaz d’origine renouvelable. La loi de transition énergétique pour une croissance verte fixe un objectif d’injection de biométhane dans les réseaux de gaz de 8 térawatt-heure en 2023. Notre pays souhaite également atteindre une part de 10 % de la consommation de gaz couverte par une production de gaz renouvelable à l’horizon 2030. Le gaz participera de la même façon au développement d’une mobilité durable avec l’apparition du bio-GNV (gaz naturel véhicule) en tant que nouveau carburant écologique.« 

Les arguments de TIGF reprennent le discours officiel. Les objectifs de Step s’inscrivent dans la politique européenne visant à construire un marché intérieur de l’énergie et c’est à ce titre que Step a obtenu le statut PIC (Projet d’Intérêt Commun) auprès de la Commission européenne.

Cette politique européenne s’appuie officiellement sur la sécurité d’approvisionnement, sur la mise en compétition des expéditeurs gaziers censée assurer de meilleurs prix aux consommateurs (entreprises et particuliers) et sur l’intégration des énergies renouvelables.

Step, concrètement, reliera la France au réseau espagnol et donc potentiellement au gaz algérien qui arrive par le gazoduc sous-marin MedGaz à Almeria (en provenant de Beni Saf), mais aussi aux terminaux portuaires espagnols (Barcelona, Sagunt et Cartagena), où arrive du GNL (gaz naturel liquéfié) provenant du Qatar, du Nigeria et de Trinidad et Tobago.

Carte des réseaux TIGF/Enagas (illustration TIGF).

L’Espagne est également reliée au Maroc par le gazoduc sous-marin Tanger-Tarifa, qui traverse le nord du Maroc et est également connecté aux champs gaziers algériens.

Mais jusqu’à présent l’actuelle connexion inter-frontalière par l’Ouest des Pyrénées a été utilisée uniquement dans le sens France-Espagne, pour les importations espagnoles.

Comme la connexion THT (très haute tension) entre la France et l’Espagne par le Perthus, la connexion gazière participe de la mise en place du grand marché européen de l’énergie impulsé par l’Union européenne. Elle a commencé, à partir de 2004, par l’ouverture du marché de l’électricité et du gaz aux entreprises puis aux particuliers, c’est-à-dire par le début de la fin du service public.

L’UE met en avant l’intérêt de la « mutualisation » de l’énergie entre ses États membres. En réalité, le « marché européen de l’énergie » n’est autre que l’ouverture au marché mondial, qui facilite l’approvisionnement en énergies fossiles venant de Russie, du Proche et du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et au-delà. Un marché qui n’est plus contrôlé par les grandes entreprises d’État mais par des opérateurs privés (producteurs, fournisseurs, courtiers, transporteurs, distributeurs).

Dans un article du Monde Diplomatique d’octobre 2011, « Enquête sur une industrie contestée. L’ouverture du marché de l’électricité ou l’impossible victoire du dogme libéral« , le journaliste Tristan Coloma dresse un constat qui peut aussi s’appliquer au marché du gaz. Il estime que la libéralisation du marché européen de l’électricité, contrairement à ses promesses, n’a pas fait baisser les prix à la consommation, au contraire. Certes, elle a favorisé la concurrence entre les sociétés de production mais avec un effet pervers, qui est la forte concentration de ces entreprises, par fusion et acquisition, ce qui tend à créer une situation de monopole.

Ainsi, tout en participant par ses États membres aux objectifs de l’Accord de Paris Cop21, sur un discours de transition énergétique, l’Europe poursuit dans les faits le développement du marché des énergies fossiles. Step, qui est présenté comme indépendant du grand projet MidCat (lire ci-dessous), se situe pourtant dans la logique de l’Union européenne qui est de perpétuer l’exploitation des énergies fossiles parce que c’est elle, pour l’heure, qui représente la plus grande opportunité de profit pour les multinationales de l’énergie.

Ph.C.

1) Cette concertation préalable, non obligatoire, répond à la nouvelle ordonnance de 2017. TIGF a choisi de saisir la CNDP pour qu’elle lui permettre d’organiser cette concertation avec garant. Ce garant remettra un rapport à la CNDP. Comme pour le débat public ses conclusions ne sont pas contraignantes en matière de validation du projet mais elles peuvent comporter des engagements de la part du maître d’ouvrage.

En savoir plus :

. Dossier de concertation TIGF.

. Dossier des Amis de la Terre.

. Lire, sur ce blog, « THT Baixas-Bescanó : sous la ligne il y a des hommes ».

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Dates et lieux des réunions publiques

Elles ont lieu, chaque fois à 18 h, à Thuir (MJC, 27/11), Rivesaltes (Salle des Dômes, 28/11), La Palme (Salle Jean Moulin, 29/11), Saint-Jean-Pla-de-Corts (salle socio-culturelle, 30/11), Estagel (Salle Arago, 12/12), Fabrezan (salle des fêtes, 13/12), Tuchan (Foyer Jean Jaurès, 14/12).

Réunions de clôture à Perpignan le 22 janvier à 18 h (Palais des Congrès) et à Narbonne le 23 janvier à 18 h (Montplaisir, salle des foudres).

La concertation en ligne est ouverte sur http://www.step-tigf.fr, rubrique « concertation ».

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TIGF et Enagas

Le projet de connexion franco-espagnole est porté par deux maîtres d’ouvrages, l’un côté français, TIGF (récemment rebaptisée Teréga), l’autre côté espagnol, Enagas, première société espagnole de transport de gaz naturel, responsable de la gestion du réseau gazier.

TIGF (Transport et Infrastructures Gaz de France), gestionnaire d’infrastructures de transport et de stockage de gaz dans le grand Sud-Ouest et sur l’ensemble du massif pyrénéen, est une ancienne filiale de Total, créée en 2005 par ce groupe pour reprendre les activités précédemment assurées par le service transport de Gaz de France. Total l’a cédée en 2013 à un consortium constitué par l’opérateur italien Snam (45 %), le fonds de l’État de Singapour GIC (35 %) et EDF (20 %).

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Mobilisation des opposants en Espagne…

En Espagne, la construction en 2011 du gazoduc MidCat (avec lequel Step va se connecter) entre Martorell, près de Barcelona, et Hostalric (au sud de Girona), a soulevé l’opposition d’associations locales. Elles se sont récemment fédérées dans la Plateforme de Riposte au MidCat (Plataforma Resposta al MidCat). Elles font valoir que, dans le Vallés (à l’ouest de Barcelona), les travaux du gazoduc ont créé « de sévères dégâts à l’environnement » et que le plan de revégétalisation prévu n’est pas appliqué.

Une mobilisation coordonnée en Espagne.

Ces opposants soulignent aussi que la fracturation hydraulique est légale en Algérie depuis 2013 et que du gaz issu de fracturation hydraulique arrive des États-Unis en Espagne sous forme de GNL.

Pour leur part, « Ecologistas en acción », membres du Réseau (franco-espagnol) de Soutien Mutuel en Réponse aux Mégaprojets Énergétiques, s’oppose « à l’Union énergétique (européenne) à cause du modèle énergétique qu’elle défend, hyper-centralisé et obsolète, et à cause de ses objectifs et conséquences : un marché unique sans régulation adéquate et aux mains des grands groupes, qui perpétue le modèle basé sur les combustibles fossiles et nucléaire.« 

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…et en France

Une plateforme de vigilance sur le projet MidCat-Step, le « Collectif contre le gazoduc transfrontalier », s’est constituée le 11 décembre à Perpignan ; elle regroupe les associations de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, opposées au projet (Alternatiba, Amis de la Terre, Attac). Contact : vigilance.midcatstep@gmail.com

Le collectif met en avant le fait que la concertation préalable, à la différence d’un débat public, n’entraîne pas la nécessité d’une analyse d’impact environnemental et ne permet pas de discuter de la réelle opportunité du projet. Il considère aussi que la concertation manque de rigueur, du fait notamment de l’absence de débat contradictoire (rencontres séparées de TIGF avec différents groupes de population ou avec les élus).

Le collectif demande donc à la garante de la concertation d’organiser le débat sur l’intérêt même de Step du point de vue de la politique énergétique. Il demande que l’on privilégie la production d’énergies renouvelables au plus près des consommateurs sur chaque territoire, que Step soit annulé et que l’on cesse de financer les énergies fossiles et les infrastructures qui s’y rapportent.

Par ailleurs, les opposants au projet soulignent l’importance des fuites lors de l’extraction du gaz et sa forte nocivité en matière d’effet de serre.

Voir le manifeste du collectif : Manifeste contre le gazoduc transfrontalier 2

A noter que le Conseil Départemental des Pyrénées-Orientales a émis un avis défavorable au projet. Lire sa motion : Motion CD 10118-1

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Un rapport met en doute l’utilité du projet

(Mise à jour le 26/04/2018)

Un rapport du cabinet finlandais Pöyry, demandé par la Commission européenne, rédigé en novembre 2017 mais non rendu public jusqu’ici, met le doute sur la rentabilité économique du projet Step. C’est ce que révèle la revue mensuelle espagnole La Marea dans un article du 18/04/2018.

Pöyry a analysé les coûts et les bénéfices du projet. Selon son analyse, le gazoduc ne serait rentable que si trois circonstances se produisaient en même temps : une baisse des livraisons de gaz algérien (qui amènerait l’Espagne à importer davantage de gaz par la France), une faible demande au niveau européen (qui permettrait de livrer davantage à l’Espagne) et une augmentation des prix du Gaz naturel liquéfié (qui entraînerait une hausse des importations de GNL par les terminaux portuaires espagnols, devenues plus compétitives par rapport au débouché asiatique).

Le rapport contredit en même temps l’argument de sécurisation énergétique prêté à Step. Les flux de gaz, dans tous les cas, n’iraient pas dans le sens Espagne-France mais seulement dans le sens contraire et de façon marginale par rapport à la situation actuelle.

Le cabinet d’études, poursuit La Marea, a simulé les réactions du système gazier européen dans différentes situations critiques, y compris celle de l’arrêt complet des flux de gaz de Russie ou du Maghreb vers l’Europe en période hivernale. Le rapport conclut que, dans ces situations, Step n’apporte aucun bénéfice additionnel.

Ces conclusions pourraient conforter la position de la Commission française de Régulation de l’Energie, qui avait déjà émis des doutes sur le bien fondé de Step.

Voir le rapport : Informe-gasoducto-La-Marea

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Michel Boche (TIGF) : « Step est individualisé par rapport à MidCat« 

Pour Michel Boche, responsable à TIGF du projet Step, ce projet a été « individualisé » par rapport à MidCat : en 2015 avait eu lieu une rencontre entre les gouvernements français et espagnol pour renforcer la sécurité énergétique de l’Europe, faciliter la fluidité des échanges et la compétitivité sur le marché de l’énergie. Un programme global, dénommé MidCat, d’un montant de 3 milliards d’euros dont 2 pour la France et 1 pour l’Espagne, avait été évoqué. Il prévoyait un ensemble de projets comme la nouvelle interconnexion entre l’Espagne et la France par l’est des Pyrénées, le renforcement de la compression en France, le projet Eridan dans la Vallée du Rhône…

En France, la Commission de Régulation de l’Énergie, dans son rapport de juin 2016, estimait que le bien fondé du projet de connexion gazière restait à démontrer, au regard de son coût élevé ; elle soulignait la surcapacité existant sur le marché du gaz et craignait un surcoût pour le consommateur du fait de la construction de ces infrastructures.

Pour Michel Boche, à ce jour « il n’y a pas de lien automatique entre MidCat et Step« . Eridan, notamment, a été pour l’heure repoussé, du fait de l’opposition des élus de la Vallée du Rhône (1). Step (South Transit East Pyrenees, Trajet Sud par l’Est des Pyrénées) vit donc sa vie de son côté, avec l’aval de la Commission européenne. Son budget s’élève à 442 M€, dont 290 pour la partie française et 152 pour la partie espagnole. Pour les opposants, par contre, Step se situe bien dans la logique de MidCat même si celui-ci a été découpé en plusieurs petits projets.

TIGF, pour la partie française, a lancé fin novembre le long processus qui doit aboutir en 2020 à l’enquête publique : concertation préalable, bilan du garant (qui sera rendu public), prise en compte des éléments de la concertation par TIGF pour faire évoluer le projet, poursuite du dialogue et recherche d’accords amiables avec les personnes impactées (comme les agriculteurs), puis ouverture de l’enquête publique.

Les travaux en zone agricole, ici en Guyenne (Photo TIGF).

Michel Boche insiste par ailleurs sur l’aspect volontaire de la concertation : « elle serait obligatoire à partir de 200 km de réseau, on en est très loin. Nous avons saisi la CNDP pour donner du crédit à l’information sur le projet ; c’est vraiment une saisine volontaire (…) Nous avons une volonté de discuter très en amont du projet avec les parties prenantes, les gens concernés du territoire pour recueillir toutes les demandes d’information, les inquiétudes, et y répondre (…) Nous le faisons toujours. Nous obtenons toujours 90 % d’accords de servitude à l’amiable avant le dépôt du dossier. Nous sommes dans une méthode de concertation pour identifier tous les enjeux et les éviter.« 

La concertation, poursuit-il, « retiendra l’option de passage la moins impactante puis sera suivie d’études très détaillées, faunistiques, floristiques pendant quatre saisons, études domaniales, géotechniques, sur la problématique de l’eau…« 

Les principaux critères d’évitement (des effets impactants du passage du gazoduc) sont, pour TIGF, « l’environnement, les facteurs humains et sociétaux, la sécurité, l’urbanisation, les paysages, les facteurs techniques (dévers, types de roche), mais il n’y a pas de critère économique.« 

Concernant la construction, elle est interdite sur la bande de servitude de 10 mètres (5 m de chaque côté de la canalisation) mais il n’y a aucune contrainte au-delà de ces 10 mètres. Les cultures peuvent être replantées après la fermeture de la tranchée ; pour les vignes et les vergers, on évite que des pieds se situent à la verticale de la canalisation, celle-ci passera plutôt au milieu du rang ; le tuyau est de toutes façons protégé par un revêtement polypropylène ou polyéthylène de 8 mm et l’épaisseur de la canalisation, en acier, est comprise entre 9 et 20 mm.

Pour le passage des ruisseaux, « selon leur taille, leur débit et le risque de crues, la canalisation passe en forage dirigé sous le lit du ruisseau, assez profondément pour ne pas créer d’impact sur les berges.« 

Nous avons par ailleurs demandé à Michel Boche si Step sera susceptible de transporter du gaz de schiste algérien : « La prospection de gaz de schiste en Algérie », dit-il, « est à peine en cours de lancement. Quoi qu’il en soit, la consommation de l’Algérie en gaz est très forte et réduit sa capacité d’exportation. Step n’a pas vocation à faire remonter du gaz algérien vers la France, ni du gaz de schiste : l’Espagne a besoin de gaz et le gaz algérien ne suffit pas ; par ailleurs, le GNL est cher en Europe, les bateaux préfèrent livrer l’Asie, qui a une grosse demande. Que se passera-t-il dans 30 ans je ne le sais pas et je n’ai aucune idée de ce que sera alors la réglementation. »

Autre question sur le biométhane : TIGF met en avant la compatibilité de Step avec le développement de cette source d’énergie et se dit prêt à l’encourager. Nous avons demandé des précisions à Michel Boche : « Nous avons lancé« , dit-il, « au printemps 2017 une étude sur la méthanisation avec l’association Solagro. Il s’agit d’identifier, dans l’Aude et les PO, les potentiels de gisements de méthanisation pour injecter du biométhane dans le réseau. Quand l’option de passage (la validation du projet Step) sera choisie, on pourra se rapprocher des agriculteurs pour voir s’ils sont favorables à créer des unités de méthanisation. Nous pourrons alors intervenir, comme nous l’avons fait par exemple dans les Pyrénées-Atlantiques avec le collectif d’agriculteurs Methalayou, pour faciliter le montage financier du dossier et la réalisation de l’unité d’injection. Et de manière générale nous faciliterons les possibilités de raccordement.

1) L’annulation, le 16/10/2018, par le Tribunal Administratif de Grenoble du permis de construire d’Eridan (qui peut toutefois donner lieu à appel) pourrait avoir des retombées sur le projet Step dans la mesure où Eridan est un élément (certes pas le seul), de l’interconnexion du réseau vers le nord de la France.

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Réaction : Miser sur les ressources locales

Nous publions intégralement cette réaction d’Albert Cormary, qui apporte un bon complément d’analyse :

« Décidément, nous vivons une époque où se télescopent les contradictions ! D’un côté, nous apprenons que le projet d’interconnexion des réseaux gaziers européens suit son cours avec le volet franchissement des Pyrénées, à travers le massif des Corbières. De l’autre, les projets locaux de méthanisation émergent et nous commençons à entrevoir la production locale d’hydrogène susceptible d’être injectée dans le réseau de gaz.

L’interconnexion est une idée séduisante à première vue puisqu’elle permet une certaine sécurisation des approvisionnements. Cependant, elle repose sur le postulat que les approvisionnements sont issus de grands pays producteurs. Pays producteurs exploitant des ressources conventionnelles ou non (par exemple gaz de schistes en Algérie) ayant le caractère rédhibitoire d’être fossiles.

De l’autre côté, la méthanisation des ressources locales : déchets ménagers, distilleries, stations d’épuration, etc. est une réalité dans de nombreux pays avancés et peine à émerger chez nous. Un projet de centre de recherche sur le site Lambert à Narbonne doit être regardé comme un encouragement sur la voie à suivre.

Autre ressource locale potentielle : l’hydrogène. La conversion de l’énergie éolienne en gaz est un procédé industriel qui arrive à maturité et est très prometteur pour l’avenir. Cela sur plusieurs voies dont la dilution dans le gaz « de ville » à hauteur de 10 %.

Ces deux ressources sont décentralisées et donc à l’opposé du postulat énoncé au début.

Dans sa plaquette de présentation, TIGF ne s’y est pas trompé et affirme que son projet va faciliter ceux sur les énergies renouvelables promettant même à travers lui de participer au financement de leur raccordement (chantage ?).
La filière gaz est importante pour préparer la transition énergétique. L’énergie fossile la moins émettrice de gaz à effet de serre aura un avenir pour le XXIe siècle comme le montre le scénario Negawatt, à condition que sa production décarbonée progresse significativement. Ainsi, les probablement 300 millions qui seront consacrés au projet d’interconnexion seraient assurément plus utiles, investis dans la recherche sur la méthanisation sèche ou les procédés d’électrolyse par exemple. Quant aux coûts actuels de ces énergies renouvelables, qui aurait parié, il y a 20 ans, que le coût de production de l’éolien serait comparable à celui (officiel) du nucléaire ?

Les promoteurs d’une Europe de l’énergie ont libéralisé le marché de l’électricité en misant sur les interconnexions et ses fantasmes : L’Espagne manque d’électricité, la Suède va lui en vendre proclamait leur slogan. Sauf qu’un MW injecté dans le réseau par la Suède a peu de chances d’arriver en Espagne. Moralité, c’est à l’Espagne de définir ses besoins et adapter sa production avant d’aller acheter ailleurs ce qui passe par les THT honnies.
Ici, c’est un peu la même chose. Nous avons besoin de gaz ? C’est à nous à définir ce que nous voulons et adapter notre production sans aller chercher du gaz de schiste en Algérie !

Cet article a abordé la dépendance aux grands groupes mais il faut y ajouter les enjeux géopolitiques. C’est la dépendance et le coup de main que nous donnons à de riants pays comme l’Azerbaïdjan, le Qatar, etc.

Sur le volet impact environnemental, le gazoduc actuel est une balafre dans le paysage des garrigues. Ce sont des centaines d’ha de pelouses sèches qui ont disparu. Vous en avez un aperçu au nord de Salses. Parfaitement visible depuis l’autoroute ou l’ex RN9. Donc, le maître d’ouvrage a peu de crédibilité là dessus quand il dit que c’est sans incidence… »

Albert Cormary

* * * * *

DERNIÈRE MINUTE (23/01/2019) :

Avis défavorable de la CRE et de la CNMC

La Commission de Régulation de l’Énergie a rejeté, le 17 janvier 2019, la demande d’investissement de Terega (ex-TIGF) et d’Enagas concernant le gazoduc Step et sa connexion avec le réseau espagnol. Une décision conjointe avec la CNMC, l’autorité de régulation espagnole.

« La CRE et la CNMC », dit la délibération, « sont convenues que le projet STEP, dans sa configuration et ses capacités actuelles, ne répond pas aux besoins du marché et ne présente pas une maturité suffisante pour pouvoir faire l’objet d’une décision favorable des régulateurs et, a fortiori, pour faire l’objet d’une décision de répartition transfrontalière des coûts conformément à l’article 12, paragraphe 3, du Règlement. »

Plus précisément, la CRE et la CNMC avancent les arguments suivants :

. Les GRT n’ont pas soumis de projet offrant une capacité d’interconnexion ferme.

. Le marché n’a manifesté aucun intérêt commercial pour de nouvelles capacités d’interconnexion.

. La capacité actuelle d’interconnexion gazière entre la France et l’Espagne n’est pas saturée.

. Le coût du projet est élevé par rapport aux moyennes européennes.

. Le projet ne garantit pas l’alignement des prix entre les marchés gaziers en France et la péninsule ibérique.

. L’analyse coûts-bénéfices du projet ne montre pas clairement que ses bénéfices dépassent ses coûts dans les scénarios les plus crédibles.

Pour conclure, les deux autorités « recommandent aux GRT d’effectuer d’autres évaluations concernant ce PIC afin de déterminer si le projet fournirait un rapport coûts-bénéfices clair et positif à l’avenir », compte-tenu essentiellement de l’éventuelle évolution du marché du gaz.

La Commission européenne retire le projet de sa liste PIC

La Commission européenne a retiré le projet Midcat-Step de sa liste des projets d’intérêt commun (PIC), comme l’a confirmé la médiatrice européenne au collectif Stop Midcat-Step, fin décembre 2019.
« C’est une belle victoire pour le Collectif, pour le Territoire et pour le climat », dit le collectif. « Nous avons réussi à arrêter un projet d’énergie fossile sur notre territoire, a bloquer les subventions publiques correspondantes pour ce projet.(illustrant ainsi notre objectif zéro subvention publique pour les énergies fossiles). Il nous faut maintenant œuvrer pour y substituer un projet d’EnR. »
« Une victoire frustrante tout de même, car la Commission européenne s’est empressée de retirer le projet de la liste PIC à l’ouverture de l’instruction de notre plainte. La médiatrice a clos la plainte puisque notre demande était satisfaite. Voilà un moyen efficace de clore une enquête sans faire la lumière sur tous les dysfonctionnements. »
« Et maintenant ? Lançons un appel à Terega lui indiquant que nous sommes prêts à discuter avec eux des conditions de déploiement d’un projet d’EnR en remplacement de cette infrastructure de l’ancien monde. »

« Mutuelles communales » : une solution très partielle

Suivant l’exemple d’autres communes, la municipalité de Narbonne a mis en place une « mutuelle communale », pour favoriser l’accès des citoyens à l’assurance complémentaire santé. – Comment ça marche ? – Pour la Mutualité Française, ces mutuelles sont une réponse très partielle aux problèmes d’accès aux soins.

En 2012 en France, selon la Mutualité Française, 3,3 millions de personnes ont renoncé à avoir une assurance complémentaire santé (500 000 de plus qu’en 2010). En même temps, de nombreuses personnes (comme 29 % de celles ayant répondu à l’étude Cecop/CSA menée pour la Mutualité Française en mai 2015) renoncent à des soins pour des raisons financières, et en l’absence de complémentaire santé le renoncement est deux fois plus élevé. Avec, selon la CPAM de l’Aude, 36% de personnes qui « se détournent durablement du système de soins« , ce département bat tous les records.

C’est dans ce contexte qu’un certain nombre de communes ont réfléchi à la mise en place de « mutuelles communales ». 1 750 communes françaises couvrent ainsi, indirectement, environ 20 000 personnes, dont une part importante âgée de plus de 60 ans.

A Narbonne, le conseil municipal a constaté, notamment par le biais du Centre communal d’action sociale, la présence « d’un nombre important de concitoyens en situation de précarité« . Ce qui l’a amené a décider, lors du conseil municipal du 21/09/2017, la création de la Mutuelle des Narbonnais (voir L’Indépendant du 25/09/2017).

Pour ce faire, la municipalité a lancé un appel d’offres, remporté par Mutualia, qui gérera cette assurance complémentaire santé. Celle-ci est ouverte à tous les Narbonnais (habitant la commune) et à tous les employés de la mairie, quels que soient leur âge et leur revenu ; il n’y a pas de conditions de santé pour adhérer (pas de questionnaire médical).

L’offre s’échelonne sur quatre niveaux de tarifs et de garanties. Par exemple, si l’on prend le tarif Viva 1 (tarif de base) pour une personne de 18 à 39 ans, la cotisation est de 20,93 € par mois ; pour les 60-69 ans, 42,67 € ; pour les 80 ans et plus, 61,45 €. A ce tarif, les garanties sont très voisines de celles proposées par les mutuelles concurrentes dans leur premier tarif. On peut se demander alors ce qu’apporte de plus la Mutuelle des Narbonnais. Il est vrai toutefois que si nombre de mutuelles affichent un tarif d’entrée du même ordre, certaines rechignent souvent à le vendre réellement.

Quant aux autres niveaux de garanties de la Mutuelle des Narbonnais ils sont, par exemple pour les 60-69 ans, de 65,73 € pour Viva 2, 80,77€ pour Viva 3 et 94,92 € pour Viva 4.

Pour avoir de plus amples renseignements sur cette offre, contacter Mutualia, tél. 06 80 91 37 60, Facebook.

Mutualia est en train d’enregistrer les adhésions. Elles avaient atteint le nombre de 66 au 5 octobre et de 207 au 24 octobre. Un objectif de 350 adhérents pour la première année est fixé : à partir de ce niveau d’adhésion, les tarifs seront bloqués pendant trois ans, nous dit Anaïs Laverré, l’animatrice commerciale de Mutualia pour ce contrat.

Mutualité Occitanie : « avis réservé »

Face à ce mouvement de création de « mutuelles communales », Pierre-Jean Gracia, le président de la Mutualité Occitanie (échelon régional de la Mutualité Française) est « réservé ».

Il note que le terme de « mutuelle communale » est impropre : « Même si elles s’adressent à la population de la commune, la commune n’intervient pas financièrement. Et le terme de mutuelle n’est pas approprié : il s’agit d’une assurance complémentaire santé.« 

Cette offre, poursuit-il, concerne une petite partie de la population, surtout des personnes à la retraite ou sans emploi, les salariés du privé et fonctionnaires étant couverts par une complémentaire santé obligatoire. « 95 % de la population est couverte soit par une complémentaire, soit par la CMU-C (couverture maladie universelle complémentaire), soit par l’ACS (aide à l’acquisition d’une couverture maladie complémentaire, qui prend en charge une partie de la cotisation). Il reste très peu de personnes non couvertes. Il faut voir si ces personnes ne peuvent pas rentrer dans le droit commun. » Autrement dit les informer de leurs droits et des aides existantes. Une partie des personnes qui se tournent vers les « mutuelles communales » ne sont pas informées des possibilités qui s’offrent à elles.

Pierre-Jean Gracia, président de la Mutualité Occitanie : « Si l’on veut s’attaquer au problème de l’accès aux soins, il faut le considérer plus globalement et en particulier jouer sur le coût de l’offre de soins. » (Photo Mutualité Occitanie)

Il reste toutefois ceux qui estiment trop coûteux de souscrire à une complémentaire santé : l’effet de seuil exclut certaines personnes des aides ; le plafond de ressource pour l’accès à l’ACS est par exemple de 11 776 € par an pour une personne seule. Sur un revenu mensuel d’environ 980 €, consacrer 20 à 40 € par mois, selon l’âge, à une complémentaire santé peut ne pas être considéré comme une priorité.

La Mutualité Française propose une réforme de fond pour que tout le monde soit couvert, « avec une large mutualisation du risque et une véritable solidarité intergénérationnelle« . Elle propose notamment de supprimer la segmentation des tarifs selon le statut de l’individu (dont l’âge) et d’accompagner les individus durant toute leur vie, quel que soit leur parcours (y compris pendant les périodes de non-emploi).

Des prix cassés… et après ?

Pierre-Jean Gracia voit un biais dans les « mutuelles communales » : « Si l’on ne s’adresse qu’aux personnes en situation précaire, on est au cœur du « mauvais risque » « . D’une part, ces personnes sont susceptibles d’avoir des problèmes de santé plus élevés ; d’autre part, la mutualisation (la répartition des cotisations et des risques) se fait difficilement : « On a l’expérience d’échecs dans les premières complémentaires communales mises en place ; elles lancent au départ des tarifs défiant toute concurrence, puis au bout d’un an, comme elles n’ont pas atteint leurs objectifs, elles augmentent les tarifs.« 

Il cite l’exemple de la Communauté de communes Rhôny-Vistre-Vidourle, dans le Gard, où les adhérents se sont vus imposer par la Mutuelle Générale de Santé une augmentation de tarif de 50 % quelques mois après la souscription (une solution un peu moins désavantageuse a finalement été trouvée avec un autre opérateur).

Par ailleurs, il déplore que « au-delà de la santé, certains de ces organismes tentent de caser à ces personnes d’autres produits d’assurance IARD (incendie, accident, risques divers) ou de prévoyance (invalidité, arrêts de travail, décès, frais d’obsèques…) alors qu’il s’agit de personnes fragiles » et à faible revenu. « C’est un marché qui s’ouvre et qui attire des opérateurs.« 

Pierre-Jean Gracia estime qu’aujourd’hui « le dispositif des « mutuelles communales » relève avant tout du marketing politique qui vogue sur la problématique réelle de l’accès aux soins. Mais dans l’accès aux soins il y a certes la couverture par le régime obligatoire et par les complémentaires mais fondamentalement il y a l’offre de soins. N’agir que sur les complémentaires est une erreur totale. » L’offre de soins, ce sont les tarifs pratiqués par les professionnels de santé (avec ou sans dépassement d’honoraires), par les établissements hospitaliers (dont certains frais « hôteliers »), le prix de l’optique, de l’audioprothèse, du dentaire… Elle doit, dit P.-J. Gracia, « rentrer dans le droit commun du reste à charge maîtrisé » pour le patient. « Le rapport de la Cour des Comptes met en évidence le fait que plus une mutuelle rembourse, plus l’offre surenchérit ses tarifs. La solution de la Mutualité Française, c’est la mise en œuvre d’un réseau de soins (optique, audioprothèse, dentaire) et la contractualisation avec les professionnels de santé.« 

Alors, inutiles les « mutuelles communales » ? Pas tout à fait dans la mesure où une petite frange de la population n’est pas prise en compte par les dispositifs sociaux existants et peut être à la recherche d’une complémentaire peu coûteuse. Mais il faut rappeler qu’il peut exister des tarifs comparables à ceux proposés par les « mutuelles communales » chez les autres mutuelles. Et il y a le risque d’augmentation des tarifs pour des mutuelles communales qui n’atteindraient pas leur seuil de rentabilité.

Certes, en cas d’augmentation de tarifs, l’assuré peut résilier le contrat, à condition de respecter le délai de résiliation, ce qui demande d’être bien informé.

Ph.C.

Additif : en septembre 2018, la Mutuelle des Narbonnais a atteint le millier d’adhérents.

* * * * *

Quelques précisions de Pierre-Jean Gracia

. « En optique, audioprothèse et dentaire, le régime principal, c’est la mutuelle : la sécurité sociale a abandonné ces secteurs » (et ne rembourse pas grand-chose).

. Sur 100 € de cotisations à une complémentaire santé, 6,27 % vont au Fonds CMU : c’est l’ensemble des mutuelles complémentaires qui financent la CMU-C.

Et 7 % sont constitués de taxes : sur un contrat complémentaire santé, l’assuré paie en moyenne 76 € par an de taxes à l’État ! Quelle logique y a-t-il à payer des taxes pour avoir le droit d’assurer ses dépenses de santé ?

. Les mutuelles sont imposées. La Sécurité Sociale ne l’est pas, ce qui est logique, mais il serait aussi logique que l’assurance complémentaire santé qui, tout autant que la Sécu, gère l’accès à un bien public (la santé), ne soit pas non plus imposée.

. « A la différence de la Sécurité Sociale, nous ne pouvons pas reporter les déficits sur les générations futures » : la Sécu doit 130 milliards d’euros à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale).

Désertification médicale… Quelle politique de santé ?

Dans certains départements, comme l’Aude, de nombreux villages voient partir leur médecin à la retraite sans qu’il soit remplacé. Les jeunes médecins sont moins attirés par le milieu rural et démarrent en majorité leur activité comme salariés. Ils n’entendent pas exercer leur métier comme le faisaient leurs aînés. Est-ce un échec de notre politique de santé qui accablerait les médecins libéraux de charges et de paperasse ? Ou la recherche, chez les jeunes médecins, d’un nouveau mode de vie ? Comment pallier la désertification médicale : Par des incitations à l’installation en milieu rural ? En imposant des sortes de quotas d’installation par secteur géographique, comme pour les pharmacies et les infirmier.es ? En créant des maisons libérales de santé ou encore des centres de santé gérés par les collectivités locales ? Et si, comme au Royaume-Uni, on rémunérait les médecins généralistes au forfait ? Des pistes dans ce dossier.

Tout d’abord, en matière de déserts médicaux, il faut relativiser les choses. Si l’on regarde la moyenne nationale, la France a 338 médecins pour 100 000 habitants, soit moitié moins que le premier de la classe, Cuba (672 med./100 000 hbts) mais beaucoup plus que le Burkina Faso (5 med./100 000 hbts) (1).

Il n’en est pas moins vrai que certains habitants du milieu rural doivent faire un certain nombre de kilomètres pour aller chez leur médecin généraliste, attendre des semaines pour obtenir un rendez-vous, ou patienter longtemps dans la salle d’attente.

Car la moyenne nationale cache une répartition très inégale des médecins, généralistes et spécialistes. Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins (2), en 2016 le Languedoc-Roussillon comptait 314 médecins pour 100 000 habitants (+ 2 % en neuf ans) mais l’Aude n’en comptait que 248 pour 100 000, en diminution (- 6 %). Quant aux médecins généralistes, si la région LR en compte 143 pour 100 000 habitants, l’Aude en compte 127, ce qui reste une densité moyenne (131 pour la moyenne française). Mais ces médecins généralistes sont très inégalement répartis sur le territoire départemental, avec des zones à densité moyenne (le littoral, une partie du Minervois et des Corbières) et des zones à densité faible (tout le reste du département). Le déséquilibre prévaut aussi à l’intérieur des villes : à Narbonne, par exemple, sur 40 généralistes, aucun n’exerce dans le quartier Ouest, qui compte près de 7 000 habitants (13 % de la population).

Pour ce qui est des spécialistes, la moyenne régionale est proche de la moyenne française mais l’Aude fait partie des départements mal lotis. Il faut souvent des mois pour avoir rendez-vous chez un ophtalmo ou un gynécologue, par exemple ; quant aux cardiologues, cancérologues, chirurgiens et autres, il faut aller à Perpignan, à Montpellier ou à Toulouse.

La tendance pour les années à venir ne devrait pas changer fondamentalement la donne. Certes au niveau national en 2014 les entrants (inscriptions au tableau de l’Ordre des médecins) toutes spécialisations confondues (7 525 médecins) étaient plus nombreux que les sortants (6 130 départs à la retraite, dont la moitié conservant une activité. A noter que 47 % des généralistes, en France, sont âgés de plus de 55 ans.)

La plupart des photos de ce dossier n’ont pas de lien direct avec le texte. Elles rappellent seulement que la médecine a pour mission de soigner les humains. Copyright : http://www.photo-libre.fr/

Cette augmentation des inscrits s’explique pour une part importante par la progression du nombre de retraités actifs et l’arrivée de médecins à diplômes européens ou extra-européens.

Mais, dans le bilan entrées-sorties, le nombre de médecins généralistes est en diminution : de 10 % au niveau national, de 7 % en Languedoc-Roussillon, de 14 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur, de 10 % en Midi-Pyrénées.

Le déséquilibre au niveau local devrait s’accentuer : dans l’Aude, où 71 médecins généralistes avaient plus de 64 ans en 2015, on prévoit le départ à la retraite d’ici 2020 de 36 % des généralistes audois, avec très peu de renouvellement (deux ou trois installations par an, tous dans des communes urbaines). Mais l’Aude est loin d’être un cas isolé.

Autre tendance de la démographie médicale, le choix du salariat pour 61 % des nouveaux inscrits toutes spécialisations confondues (contre 20 % de remplaçants et 15 % en libéral ou mixte). Et, pour les nouveaux inscrits en médecine générale, 38 % de remplaçants, 30 % de salariés, 22 % en libéral ou mixte. Toutefois on observe chez les généralistes une rapide évolution avec, cinq ans après l’installation, 39 % en médecine libérale ou mixte, 37 % de salariés et 13 % de remplaçants.

A noter aussi la forte féminisation du métier : 62 % des nouveaux inscrits sont des femmes.

On a souvent cité le « numerus clausus » comme cause de l’insuffisance du nombre de médecins. Ce dispositif, qui limite le nombre d’étudiants à la fin de la première année de Médecine, a été récemment réévalué, mais l’effet de cette réévaluation se produit avec retard du fait du nombre d’années d’études avant l’entrée dans la vie active.

On soulève aussi le fait que les étudiants arrivant en fin d’études avaient tendance à préférer les spécialisations autres que la médecine générale. C’était vrai mais ça ne l’est plus. En 2005, à l’issue des ECN (les épreuves classantes nationales qui, en fonction de la note obtenue, donnent un rang de classement et donc de priorité dans les choix possibles), environ la moitié des étudiants n’ayant pas une note suffisante pour prétendre à une spécialisation préféraient redoubler pour retenter leur chance plutôt que d’accepter la médecine générale. Par contre, en 2014, 94 % des postes de généralistes étaient pourvus. C’est certainement l’effet d’une réforme des ECN, qui limite la possibilité de redoublement, mais aussi un changement d’approche des étudiants en médecine vis-à-vis de la médecine générale.

Il reste que les jeunes qui s’installent ont tendance à bouder le milieu rural. Pourquoi ?

Les médecins acceptent de moins en moins d’être disponibles 24 h/24

Pour Rémi Pénavaire, médecin généraliste à Lézignan-Corbières, « la désaffection pour le milieu rural est une idée reçue ; une partie des jeunes médecins ont envie d’être généralistes mais le mode d’exercice professionnel n’est plus adapté à leurs désirs. » Étienne M. (c’est un pseudonyme), médecin généraliste à Céret (en cabinet de quatre généralistes libéraux) dit la même chose : « Il y a un problème de désertification tout court, qui concerne l’ensemble des services et des commerces ; les médecins et leur famille, qu’il faut aussi prendre en compte, rechignent à s’installer dans des coins reculés, sans services.« 

Tous les médecins interrogés s’accordent pour dire que l’exercice de la médecine généraliste en libéral est devenu très difficile pour un médecin isolé. Pour Étienne M., « il y a un problème d’attractivité qui n’est pas nouveau, cela date de vingt ans environ, avec une surcharge administrative, un manque de revalorisation qui va bien au-delà du revenu (le tarif conventionnel de la consultation vient de passer de 23 à 25 €) et concerne les contraintes quotidiennes : travail administratif, relations avec les caisses, parcours de soin, ententes préalables…« 

« Les jeunes ne veulent plus faire comme l’ancienne génération qui continue à exercer comme au siècle dernier, tout seul, sans secrétaire, en étant disponible du matin au soir. Mais quand un cabinet est disponible, bien équipé en matériel, avec un secrétariat, il trouve plus facilement preneur ; les jeunes qui viennent en stage se voient bien travailler dans ces conditions. Pour les localités plus éloignées, je suis plus pessimiste, les jeunes ne viendront pas facilement s’installer et cela va passer plutôt par la création de maisons médicales.« 

Emmanuelle Pineau, médecin généraliste salariée au Centre Municipal de Santé de Capestang (voir plus loin), a exercé vingt ans en libéral : « Nous savons le prix du libéral : sans secrétariat ou télésecrétariat, sans femme de ménage, on a des horaires pas possibles ; impossible de prendre des vacances au-delà de deux semaines par an ; il y a aussi l’absence d’indemnités journalières maladie et maternité (sauf après un délai de carence de 90 jours), à moins de payer une assurance supplémentaire très onéreuse.« 

« Se regrouper avec d’autres médecins n’est pas évident, j’ai vu beaucoup de conflits. Et le regroupement oblige à avoir un secteur de garde important, avec des patients que l’on ne connaît pas.« 

Vincent Desprairies, généraliste salarié au Centre Municipal de Santé de Port-la-Nouvelle (voir plus loin) était auparavant généraliste libéral en milieu rural (Ille-et-Vilaine) : « La situation des médecins est partout difficile, avec de plus en plus de contraintes : quand on connaît tout le monde, il est difficile de mettre des barrières, on se fait de plus en plus manger, les gens viennent vous chercher à la maison, y compris le dimanche. Nous avions envie d’avoir plus de temps pour nous et de voir un autre horizon… » Il note toutefois que « les mentalités sont en train de changer« , les patients commencent à accepter que le médecin ne soit pas disponible 24 heures sur 24.

« Se regrouper à plusieurs pour travailler en complémentarité »

Étudiante en 4e année de médecine, Manon n’a pas encore d’idée arrêtée sur son choix entre la médecine générale ou une autre spécialisation : « Il y a des bons points dans les deux, le généraliste est beaucoup plus proche du patient, ce qui permet d’avoir un suivi qu’on n’a pas quand on est spécialiste ou à l’hôpital ; le spécialiste peut sauver la vie du patient mais il ne connaît pas sa vie de tous les jours. Être généraliste, peut-être mais ça dépend où : il y a des endroits où c’est compliqué de travailler, s’il n’y a pas de laboratoire, de cabinet infirmier, de spécialistes.« 

Quant à choisir entre le libéral et le salariat, elle aimerait surtout « commencer à l’hôpital (plutôt qu’en clinique), pour avoir de bonnes bases. » Elle note qu’il est proposé aux étudiants de percevoir une bourse de 1 200 € par mois dès la 4e année de médecine dans le cadre d’un Contrat d’engagement de service public (CESP). La contrepartie est de s’engager à exercer dans un désert médical, dans le lieu de son choix, quel que soit son classement. Mais « c’est tôt, on nous demande très jeunes de nous engager alors que nous n’avons pas encore fait le tour des différentes facettes du métier.« 

Manon pense aussi que « la grande majorité des jeunes qui choisissent la médecine le font par passion et ne sont pas freinés par l’idée de devoir travailler beaucoup. » Ce qui est plus important pour elle c’est de pouvoir se regrouper à plusieurs pour ne pas exercer tout seul dans son coin.

Marie, pour sa part, est plus proche de l’installation : elle est en fin d’internat (en 8e année) et devrait passer sa thèse de doctorat dans un an. Marie souhaite être médecin généraliste : « Les structures hospitalières ne me conviennent pas comme cadre de vie ; mon père et ma mère sont généralistes, je constate qu’ils voient des gens et des choses très divers tous les jours, cela évite la redondance ; dans la médecine générale, il y a énormément de choses à faire, de façons de pratiquer, cela permet de s’adapter à ce que l’on aime. » Elle préférerait s’installer « en semi-rural« , dans une ville de taille moyenne « pour avoir accès aux laboratoires d’analyse, aux centres d’imagerie et autres structures ; pas besoin d’aller dans une grande ville, ce qu’il faut au minimum c’est avoir à proximité des kinés, des infirmier.es.« 

Marie a cinq ami.es internes qui envisagent de s’installer dans une structure commune en libéral, en ville. « Cela leur permettra d’avoir un quotidien plus facile, pas que pour les congés, aussi pour avoir l’avis des confrères, travailler en complémentarité. Pour ma part, je n’envisage pas de m’installer toute seule, plutôt à deux ou trois, c’est le projet de tous ceux de ma génération.« 

Des incitations qui ne règlent pas la question de fond

Diverses incitations, nationales ou locales, visent à encourager les étudiants et les jeunes médecins à envisager une installation dans les zones à faible densité en médecins généralistes. C’est le cas du CESP (Contrat d’engagement de service public) qui octroie une bourse de 1 200 € par mois aux étudiants en médecine qui s’engagent à exercer dans un territoire défavorisé.

Le contrat de PTMG (Praticien territorial de médecine générale) s’adresse aux jeunes médecins qui s’installent en zones déficitaires et fragiles : il leur garantit une rémunération de 6 900 € bruts (sous réserve d’un minimum de 165 consultations par mois).

On table, dans l’Aude, sur six à huit CESP ou PTMG par an, ce qui reste modeste.

Le Conseil départemental de l’Aude, par ailleurs, incite les futurs médecins à effectuer un stage en milieu rural, à travers plusieurs actions : aide à la recherche de logement (en soutien aux communes), prise en charge de la caution et du premier mois de loyer au titre du fonds unique logement lorsque la seule solution est un logement locatif ; allocation forfaitaire de 200 € destinée à prendre partiellement en charge un éventuel loyer ; aide au déplacement de 400 € par mois.

Il se peut que ces incitations aient quelques résultats. La réponse des futurs médecins généralistes dépendra plus certainement de la possibilité de trouver des conditions d’exercice qui leur conviennent.

La Convention médicale 2016 a mis en place un Contrat national d’aide à l’installation des médecins dans les zones sous-dotées (CAIM). Ce contrat prévoit une aide d’un montant de 50 000 € et un engagement du médecin à exercer cinq ans dans une zone sous-dotée.

Mais pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui a publié le 21 février 2017 un rapport sur les diverses initiatives et expériences, les incitations financières ne fonctionnent pas pour attirer les médecins dans les déserts médicaux. Le CAIM, dit-il, est insuffisant pour les nouveaux professionnels, qui estiment pour la plupart que cette somme ne peut servir qu’à payer les locaux, le matériel, une secrétaire, et n’enlève rien à la réalité du métier : horaires lourds, pas de vacances…

Le Conseil de l’Ordre attache davantage d’intérêt aux solutions expérimentées par les médecins libéraux eux-mêmes qui consistent à se regrouper pour mettre en commun les moyens et à travailler en lien étroit avec l’hôpital : ils peuvent ainsi soigner dans leurs cabinets les pathologies bénignes et continuer à l’hôpital pour des soins plus spécialisés.

Autre piste pour résorber les déserts médicaux : accentuer la contrainte d’installation en fonction des besoins. Mais elle n’est pas à l’ordre du jour. Le Conseil national de l’Ordre des médecins ne va pas vraiment dans ce sens lorsqu’il propose de créer un « numerus clausus » régionalisé et de transformer les ECN en Épreuves classantes inter-régionales sur cinq grandes inter-régions : les places disponibles seraient définies pour chaque grande inter-région et pour chaque spécialité, en fonction des besoins démographiques régionaux. Or, le déséquilibre, plus qu’entre régions, se trouve à l’intérieur des régions et des départements eux-mêmes.

En même temps, le Conseil de l’ordre propose de maintenir le système actuel de « solidarité » (l’assurance maladie), de libre choix du patient dans son parcours de soin et de garantie d’indépendance de la profession médicale.

Ph.C.

1) Source Wikipédia. Concernant le Burkina, il faut noter la difficulté d’accès aux soins liée au faible pouvoir d’achat mais aussi le poids important des médecines traditionnelles, celui-ci étant peut-être davantage la conséquence de celle-là que sa cause.

2) Voir les données de l’Atlas de la Démographie Médicale en France (2015). Télécharger l’Atlas.

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« Il y a suffisamment de médecins ; on leur demande de faire quelque chose de totalement inutile »

La charge de travail des médecins généralistes, estime Michel J. (pseudonyme), lui-même généraliste dans un village de l’arrière-pays varois, est alimentée artificiellement par le système de rémunération : « Il y a suffisamment de médecins« , dit-il, « mais on leur demande de faire quelque chose de totalement inutile« . Il propose de se tourner vers une rémunération des médecins généralistes au forfait par patient, à l’image du système britannique.

En France, « l’activité libérale« , rappelle-t-il, « est financée par l’argent public, c’est un système bâtard. Les médecins pensent être libéraux mais ils n’ont d’activité que dans la mesure où les soins sont pratiquement gratuits pour les patients. Mon idée c’est qu’il faudrait que les médecins soient forfaitisés, qu’ils n’aient pas intérêt à ce que les gens viennent souvent, des fois pour rien.« 

Il précise sa pensée : « Les médecins généralistes libéraux ont des charges importantes. Après l’Impôt sur le Revenu, il reste 30 % du chiffre d’affaires qui constituent le salaire réellement perçu. Soit, pour un chiffre d’affaires de 20 à 23 000 €, un salaire de 6 à 7 000 €. Si le chiffre d’affaires augmente, les charges aussi, il faut savoir se limiter et c’est difficile. On est tenté de générer un certain flux pour éponger les charges.« 

« Il est très facile de multiplier les actes. Je peux par exemple m’organiser un circuit de visites à domicile de personnes âgées ; en passant une fois par semaine chez vingt personnes, je pourrais générer un chiffre d’affaires annuel confortable. Il y a beaucoup d’actes fictifs dans les maisons de retraite. Ou chez les kinés qui font faire trois pas au patient et s’en vont, on appelle ça la trottino-thérapie ; les taxis-ambulances qui groupent les patients tout en facturant individuellement les transports ; les infirmiers avec des actes fictifs, etc. Quant à la garde en maison médicale le week-end, 10 à 20 % des consultations sont justifiées.« 

« La majorité des médecins n’ont certainement pas envie d’être plafonnés dans leurs gains, je suppose, mais l’idéal à mon avis serait que la Sécurité Sociale donne tant par an par patient.« 

« Ainsi le médecin pourrait amener ses patients à ne venir le voir que pour de vrais problèmes de santé : Il n’est pas normal de facturer 23 € pour soigner un rhume. S’il était payé au forfait, le médecin pourrait expliquer à son patient que le nez qui coule, ça passe tout seul, qu’il est normal de tousser quand on est enrhumé, qu’il y a une évolution normale du rhume et qu’il faut le temps pour que ça s’arrête. Il est toujours temps d’agir s’il y a surinfection, dont on connaît les symptômes qui sont la fièvre et la perte d’appétit.« 

Il y a aussi les patients « qui ont du cholestérol et qui veulent continuer à manger du fromage et de la charcuterie. De ce fait, ils prennent des médicaments assez toxiques.« 

« 90 % des consultations ne servent strictement à rien. De plus en plus de liberté est laissée aux infirmier.es, c’est une très bonne chose : j’ai réussi à diviser par quatre mes visites à domicile en m’appuyant sur les infirmier.es ; dans la mesure où (ils)elles passent tous les jours, (ils)elles peuvent repérer d’éventuels problèmes qui nécessitent la visite du médecin.« 

« Il y a de vrais malades, le rôle du généraliste est de les repérer. Pour le reste, mon but est de voir les patients le moins souvent possible. Pour cela, il faut leur expliquer un certain nombre de choses ; l’éducation à la santé devrait commencer dès l’école.« 

Michel J. constate une évolution du système français de santé vers quelque chose qui ressemble à de la forfaitisation de la rémunération des médecins : « Dans le cadre du parcours de soins, le médecin perçoit 5 € par patient par an ; il perçoit 40 €/an par patient en ALD (affection de longue durée) ; les consultations des patients âgés de plus de 85 ans, dans le respect de certains critères, sont à 33 € ; il y a aussi la ROSP (rémunération sur objectif de santé publique)… J’ai l’impression qu’on est en train de substituer le paiement à l’acte par le forfait, tout doucement. Mais il manque le courage politique pour le faire ouvertement : Le prix de la consultation n’avait pas été augmenté depuis 6 ans, il vient de passer de 23 à 25 € juste avant les élections présidentielles (effectif au 1er mai 2017) ; or, les divers paiements forfaitaires constituaient déjà une augmentation indirecte de la consultation.« 

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Port-la-Nouvelle : un Centre Municipal de Santé avec des médecins salariés

La première dans la région, la mairie de Port-la-Nouvelle a décidé d’agir pour améliorer l’accès aux soins en ouvrant un Centre Municipal de Santé. Les médecins salariés découvrent des conditions d’exercice de leur métier qu’ils n’osaient pas imaginer.

Le Centre Municipal de Santé (et Maison Pluridisciplinaire de Santé) de Port-la-Nouvelle.

Cela fait déjà quelque temps que la municipalité de Port-la-Nouvelle s’est inquiétée de la tendance au non-remplacement des médecins généralistes partant à la retraite. Elle a donc pris l’initiative de financer les locaux d’une Maison de Santé Pluridisciplinaire comme cadre d’accueil de médecins généralistes libéraux. La MSP a ouvert en 2011, avec un médecin généraliste et un certain nombre d’autres professionnels de santé (infirmier.es, kinés, etc.). Puis, le nombre de généralistes restant insuffisant pour la population de Port-la-Nouvelle, le maire, Henri Martin (3), a demandé à ses services d’étudier la formule d’un Centre Municipal de Santé, avec des médecins salariés.

Des contacts ont été pris avec la Fédération Nationale des Centres de Santé, l’Agence Régionale de Santé et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Un projet de santé a été déposé à l’ARS (avec un volet prévention-santé publique). Et le Centre Municipal de Santé a ouvert en juillet 2013, avec des médecins généralistes salariés, aujourd’hui au nombre de trois.

Le CMS est situé dans les mêmes locaux que la MSP : le médecin libéral et les médecins salariés cohabitent (pour la première fois en France) et travaillent de façon complémentaire, malgré leur différence de statut. Le médecin libéral s’acquitte d’un loyer et gère son cabinet tout en bénéficiant de l’accueil commun. L’ouverture du CMS a dynamisé la MSP et a permis l’installation d’autres professionnels de santé (4).

La commune, à travers le CMS, rémunère les médecins généralistes salariés et encaisse les consultations (en pratiquant le tiers-payant et les tarifs conventionnés). Le centre est doté d’un numéro Finess (Fichier national des établissements sanitaires et sociaux, l’équivalent du numéro Adeli des médecins libéraux), ce qui lui permet de se faire rembourser par la CPAM.

Le Centre est ouvert le matin sans rendez-vous, l’après-midi sur rendez-vous, du lundi au vendredi de 8 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 19 h, le samedi de 8 h à 12 h. Trois salarié.es sont chargés de l’accueil, du traitement administratif (tiers-payant) et de l’entretien des locaux.

« Ces trois années d’activité« , explique Eric Lallemand, directeur général des services de la mairie, « montrent que le centre répond aux besoins« . Pour ce qui est du budget, « c’était un risque calculé, l’activité s’équilibre globalement, d’un côté le coût de fonctionnement et les salaires, de l’autre les recettes » (les remboursements) ; « il est difficile de quantifier l’amortissement des locaux ; nous sommes presque à l’équilibre. Quoi qu’il en soit, comme le dit Henri Martin, il y a des services publics, une piscine par exemple, qui coûtent beaucoup plus cher qu’un centre de santé. Nous regardons l’équilibre tout en estimant que l’offre de soins n’a pas de prix.« 

Aujourd’hui, l’accès aux soins à Port-la-Nouvelle s’est nettement amélioré. On compte cinq généralistes soit pas loin du taux habituellement souhaité de 1 médecin/1 000 habitants (Port-la-Nouvelle compte 5 600 habitants en hiver mais 35 000 en été : là, on compte sur le renfort d’un médecin libéral). « Si un libéral de plus avait la bonne idée de s’installer, ce serait encore mieux ; nous n’avons pas vocation à couvrir toute l’offre médicale avec le CMS« , conclut Eric Lallemand.

Travail en équipe et vision globale

Les médecins généralistes du Centre Municipal de Santé travaillent en étroite collaboration entre eux et avec les autres professionnels de la MSP, explique le Dr Véronique Davis-Bergès, qui coordonne le CMS et qui était auparavant médecin coordonnateur de la PMI (Protection Maternelle et Infantile) au Conseil départemental de l’Aude : « Nous avons une réunion médicale commune une fois par mois mais le fait d’être côte à côte favorise la coopération et permet de se voir sur les dossiers qui nécessitent une coordination. Cette concertation pluridisciplinaire, avec l’accord du patient, permet de trouver les meilleures solutions dans les dimensions médicale et sociale (par exemple concernant les dossiers de maintien à domicile ou d’allocation personnalisée d’autonomie).« 

L’accueil.

Le médecin libéral de la MSP a une convention de partenariat avec le CMS ; ainsi, le parcours de soin des patients n’est pas rompu (un patient peut être soigné, s’il le souhaite, par l’un ou l’autre médecin ; en cas d’absence de l’un, l’autre prend le relais avec le dossier informatisé commun).

Autre exemple de l’intérêt du regroupement, les prises de sang sont faites au centre, ce qui est une facilité.

Les médecins du CMS ont aussi une activité à l’extérieur : le Dr Davis-Bergès veille sur la santé des enfants accueillis en structure d’accueil collective (crèche). Le Dr Philippe San Juan est coordinateur à mi-temps de l’EHPAD (la maison de retraite) et du Centre Hospitalier Francis Vals, situés à côté du CMS (5). Le Centre Hospitalier dispose d’un service de soins de suite réadaptation et d’une petite unité Alzheimer. Tout cela permet une prise en charge médicale coordonnée.

Le projet de santé du CMS est caractérisé par une approche globale des soins et de la prévention. Il comprend en particulier un programme de lutte contre l’obésité infantile (LECODE) et une participation au programme Audiab (diabète type 2 ou « diabète gras des personnes âgées »).

LECODE organise des actions avec les crèches et les écoles maternelles et primaires, dépistage et proposition de prise en charge.

Au centre, il y a des consultations nutrition pour les adultes : le CMS a adhéré au réseau Audiab de prise en charge des patients diabétiques de type 2 et organise des séances collectives d’éducation thérapeutique, ce qui permet de mieux accompagner les patients dans la prise en charge de leur diabète. Cette action s’articule avec le service de diabétologie du Centre hospitalier de Narbonne.

« A Port-la-Nouvelle comme sur tout le pourtour méditerranéen« , commente Véronique Davis-Bergès, « on constate des taux élevés d’obésité. Jusqu’aux environs de 2002, l’alimentation méditerranéenne, très bonne pour la santé, dominait encore mais petit à petit nous nous sommes américanisés : pas de repas à table, snacking (« prêt à manger »), excès de produits gras et sucrés.« 

Le centre a aussi un partenariat avec l’association Manger Bouger 11 : prise en charge de l’obésité infantile avec gratuité d’accès aux consultations de diététicien, psychologue et médecin.

« Tout cela, sans le centre, serait moins facile« , dit le Dr Davis-Bergès. « Il y aurait d’autres choses à faire comme travailler sur le risque de chute des personnes âgées à domicile, mais nous n’avons pas le temps.« 

Au niveau de l’accès aux soins, qu’apporte le centre ? Pour Véronique Davis-Bergès il n’y a pas d’hésitation : « Les patients semblent satisfaits. Ils peuvent voir un médecin immédiatement en venant le matin, avec certes une attente surtout en début de matinée. Il y a au moins deux ou trois médecins tous les jours. Les trois généralistes salariés assurent un samedi chacun. Pour les rendez-vous le délai va du jour-même à sept jours, selon la demande et les « épidémies » saisonnières. Certains patients choisissent leur médecin ; ceux qui n’ont pas de médecin attitré peuvent voir tous les médecins du centre voire l’un des six médecins de Sigean avec qui nous échangeons mutuellement selon les disponibilités.« 

Des locaux agréables.

« Un médecin en plus ce serait bien, qu’il soit libéral ou salarié« , ajoute Véronique Davis-Bergès. « Il faudrait aussi une permanence de neurologue un jour par mois. En raison du prochain départ à la retraite de l’ophtalmologiste situé en ville, nous avons aussi réfléchi à accueillir le futur ophtalmo ici. Mais avec 22 professionnels maintenant les locaux sont pleins. Nous gardons un bureau pour un médecin. Sinon, il faudrait aussi une salle de réunion. Peut-on agrandir le centre ? Cela a un coût.« 

Un travail de médecin à 100 % du temps

. Pour vous personnellement, qu’apporte le statut de médecin salarié ?

. Véronique Davis-Bergès : « J’étais déjà fonctionnaire. Je ne me serais pas lancée dans le libéral à cause de l’incertitude actuelle liée aux difficultés de gestion, à la difficulté de se faire remplacer ; Le temps consacré à la gestion et à l’administratif est trop important en médecine libérale. Les différents gouvernements ont été très insécurisants par rapport aux médecins libéraux. Par exemple, en raison des charges avec report N+1, il est difficile d’arrêter du jour au lendemain, il faut économiser pour les payer. Et puis personne n’a envie de s’installer, surtout quand on est seul, avec des horaires de 7 h à 23 h, sans RTT, sans congés, sans vie de famille. C’est un cercle infernal. Je n’étais pas prête à ça.« 

« Ici, au CMS, les médecins ne sont que médecins : tout leur travail consiste à faire de la médecine, pas de la gestion administrative. Nous avons des horaires fixes, un jour de repos, 35 heures de consultations ; il y a bien sûr ensuite les courriers, les biologies, la coordination de soins… Par ailleurs, il y a l’avantage de ne pas être tout seul.« 

« Et quand je suis de repos, je sais que les patients seront pris en charge.« 

Vincent Desprairies, le 3e médecin généraliste du CMS, a travaillé en libéral pendant 26 ans dans un village d’Ille-et-Vilaine. Avec son épouse, il avait envie de changer d’air, surtout pour échapper au rythme infernal de travail des libéraux en milieu rural : « Avec ma femme, nous nous posions la question de partir. Nous avons quatre enfants, dont trois dans le Sud. Des annonces recherchant des généralistes libéraux, il y en a des myriades, mais c’est dans les mêmes conditions de travail. Je m’étais plutôt orienté vers un poste de collaborateur médical, pour lesquels il y a beaucoup de propositions : c’est un contrat, à temps plein ou à temps partiel, avec un médecin installé, on ne s’occupe pas de la gestion du cabinet ; les candidats choisissent souvent ce statut pour un temps partiel, les femmes notamment, ou en fin de carrière pour lever le pied. Et puis j’ai vu l’annonce du CMS de Port-la-Nouvelle, qui m’a intéressé.« 

« Ici, l’exercice de la médecine générale n’a aucune différence avec le libéral si ce n’est qu’il n’y a pas la paperasserie de gestion du cabinet ; c’est très confortable. Tout est bien organisé, il y a des horaires sur lesquels on déborde peu. On peut prendre ses vacances sans être à la merci d’un remplaçant qui annule au dernier moment parce qu’il a peur des contraintes du cabinet. Il y a une équipe, des locaux très agréables, une mairie qui nous laisse tranquilles : je n’ai jamais senti la moindre pression, la moindre réflexion sur notre façon de travailler.« 

« Du point de vue de la vie personnelle, c’est énorme, quand je rentre à la maison je n’ai pas 15 dossiers que j’ai ramenés. En début de carrière, le rythme de travail ne nous paraissait pas pesant, il l’est devenu ; cette fin de carrière nous convient. Je ne pensais jamais être salarié en fin de carrière.« 

« On peut se demander si cette formule peut intéresser les jeunes médecins ; je pense qu’elle peut être très attractive pour eux, à part peut-être concernant le revenu : un jeune peut avoir envie de construire une maison, d’emprunter, d’avoir des enfants…« 

Les professionnels de santé para-médicaux de la MSP, pour leur part, louent un bureau à la mairie et s’organisent pour leur secrétariat. Ils apprécient, comme l’exprime Lorraine Maurice, orthophoniste, la proximité avec les médecins prescripteurs : « Je leur fournis les bilans, j’ai l’ordonnance tout de suite, je peux échanger avec eux, avec le psychologue et l’ergothérapeute lorsque nous avons des patients en commun. » Mme Maurice apprécie aussi les locaux, « lumineux, sympathiques », et la bonne ambiance humaine.

Capestang : le succès rapide du CMS

Le Centre Municipal de Santé de Capestang.

La municipalité de Capestang (Hérault) a ouvert un Centre Municipal de Santé, en octobre 2016, avec deux médecins généralistes salariés. Il a pris place à côté d’une Maison Pluridisciplinaire de Santé dont les locaux appartiennent à la mairie et qui abrite des infirmier.es, un kiné, une pédicure-podologue, une orthophoniste.

Le CMS a déjà atteint une fréquentation correcte. Il s’agissait, pour la mairie, d’anticiper le départ à la retraite de l’un des trois généralistes libéraux de la commune. Il y aura donc quatre médecins pour un bassin de vie de 4 000 habitants (Capestang, Poilhes, Montels).

Pour l’un des deux médecins du CMS, le Dr Emmanuelle Pineau, le statut de salarié en CMS est intéressant : « Nous travaillons par demi-journées, avec un samedi matin sur deux ; cela fait environ 23 consultations par jour. Il n’y a pas de fatigue. La secrétaire gère les rendez-vous et les papiers, ce qui permet aux médecins de se consacrer aux patients. Nous avons des vacances, le droit à des congés-formation. Nous sommes très bien installés. C’est le jour et la nuit avec le libéral, j’ai l’impression d’être pratiquement en vacances.« 

Elle nuance : « Cela correspond peut-être à certains besoins, qui peuvent varier selon les différents âges de la vie. Je ne crois pas que cela puisse intéresser des jeunes médecins, pour qui le salaire peut être insuffisant (6). Pour quelqu’un qui a fait des études à environ Bac + 10 et avec la responsabilité que nous avons, c’est peu. Un kiné ou un.e infirmier.e en libéral, qui fait du chiffre, atteint 3 500 €, avec trois ans d’études.« 

Pour le Dr Pineau, le CMS est un succès, les patients l’apprécient. Il vient même des gens de Béziers (qui est à une demie-heure de voiture). « La maison peut rapidement devenir étroite.« 

Ph.C.

3) Divers droite.

4) Aujourd’hui 7 infirmier.es, 3 kinés, 1 sage-femme, et des permanences de pédicure podologue, psychologue, psychothérapeute/hypnothérapeute, dermatologue, endocrinologue, sophrologue, ergothérapeute, orthophoniste et diététicienne.

5) Plus exactement, c’est la Maison Pluridisciplinaire de Santé et le Centre Municipal de Santé qui ont été construits à côté du Centre Hospitalier Francis Vals et de l’EHPAD, préexistants, pour mettre à profit cette proximité.

6) Les CMS rémunèrent souvent leurs médecins généralistes selon la grille de praticien hospitalier, soit environ 4 500 € bruts par mois.

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R. Pénavaire : « s’organiser autour de l’hôpital public »

Les centres territoriaux de santé sont, pour Rémi Pénavaire, une réponse aux besoins de la population. Ils doivent être conçus en lien étroit avec l’hôpital public, auquel doivent être redonnés des moyens. Il dénonce la privatisation de la santé sous prétexte d’austérité.

Rémi Pénavaire : « En réponse aux jeunes médecins, il faut ouvrir des perspectives d’organisation de leur mode de fonctionnement. Mais aussi rendre attractif le territoire (autour de) trois piliers : repenser la sécurité sociale, donner le pouvoir aux élus d’infléchir les décisions, s’organiser autour de l’hôpital public. »

« Une partie des jeunes médecins ont envie de faire une médecine généraliste avec un vrai engagement. Ce qui manque c’est un mode d’exercice professionnel adapté à leurs désirs« , estime Rémi Pénavaire. Médecin généraliste à Lézignan-Corbières, il est conseiller municipal et secrétaire de la section locale du PCF.

« En réponse aux jeunes médecins« , poursuit-il, « il faut ouvrir des perspectives d’organisation de leur mode de fonctionnement. Mais aussi rendre attractif le territoire tout en favorisant l’égalité devant la santé. Pour cela il y a trois piliers : repenser la sécurité sociale, donner le pouvoir aux élus d’infléchir les décisions, s’organiser autour de l’hôpital public.« 

Il préconise « un nouveau mode d’organisation des soins primaires, avec des médecins salariés à côté des libéraux, sur des projets de territoire portés par les collectivités locales, la mutualité, en association avec l’hôpital. Autour d’un lieu, avec un secrétariat, on peut organiser une sorte de médecine foraine en multipliant les points de consultation sur le territoire. Ici, on peut très bien partir d’un lieu central comme Lézignan et avoir des cabinets à Saint-Laurent, Mouthoumet, Fabrezan, Ferrals… avec un secrétariat commun. On aurait ainsi une médecine organisée, où on ne travaille pas seul, avec des médecins salariés pouvant avoir un plan de carrière et tous les acquis sociaux, en particulier les droits liés à la maternité et la retraite.« 

« Les collectivités locales peuvent proposer des centres de santé qui soient l’émanation de tous les professionnels de santé, d’un territoire, de la mutualité, etc. L’hôpital public n’est plus capable de le faire parce qu’on lui a enlevé son sens ; il faut refonder l’hôpital public.« 

R. Pénavaire critique la « vision comptable » de l’Agence Régionale de Santé « qui tend uniquement à nous culpabiliser et à dire qu’il y a des gens qui ne méritent pas d’être soignés« . Il regrette que l’on favorise le privé : « A la Communauté de communes de Lézignan, j’ai longtemps été seul à dire ce que sont les Maisons Pluridisciplinaires de Santé, jusqu’ici le seul mode de fonctionnement reconnu par le Conseil régional et l’ARS. On en a ouvert des quantités, par exemple à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, qui n’ont servi à rien et qui ont coûté des centaines de milliers d’euros ; bientôt il n’y aura plus de médecins, ils ne veulent pas venir.« 

L’élu lézignanais rappelle l’antécédent des Centres de santé mutualistes, promus par le PCF (dans les villes dirigées par ce parti) et la CGT, centres dont beaucoup ont fermé parce que, dit-il, le PCF a perdu des municipalités et que les syndicalistes « n’ont pas pu résister aux pressions financières et au exigences de libéralisme financier« . Depuis un certain temps des centres de santé recommencent à voir le jour, sous l’impulsion de la Fédération Nationale des Centres de Santé. R. Pénavaire souligne le rôle des députés communistes dans la législation qui permet le développement de Centres municipaux ou intercommunaux de Santé (7) avec « l’inscription dans la loi de décembre 2016 des Centres de Santé à égalité avec les Maisons Pluridisciplinaires de Santé, lesquelles étaient l’horizon indépassable du Conseil régional et de l’ARS.« 

Rémi Pénavaire n’est pas étranger à la création du Centre Municipal de Santé de Port-la-Nouvelle, au sujet duquel il a été consulté. Le Conseil communautaire de la région lézignanaise, Corbières et Minervois (8) a décidé le 13 avril 2017 la création d’un Centre de Santé territorial avec trois médecins salariés.

Le nouveau dispositif de la Région Occitanie

Jusqu’en 2016, les Régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées apportaient une aide à la création des Maisons de Santé Pluridisciplinaires (libérales) : 91 en tout ont été financées, pour un montant total de 9,5 M€. La Région Occitanie a décidé en février 2017 d’élargir l’aide aux centres de santé gérés par les collectivités locales : l’aide est désormais, pour les MSP, de 20 % de l’investissement (plafond de l’investissement, 650 000 € ; plafond de l’aide, 130 000 €) et, pour les Centres municipaux ou intercommunaux de santé, de 30 % (plafond de l’investissement, 650 000 € ; plafond de l’aide, 195 000 €). L’enveloppe annuelle prévue est de 1,5 M€, ce qui devrait permettre de financer environ 8 structures par an.

Marie Piqué (élue PCF du Lot, groupe régional Nouveau Monde en Commun), vice-présidente de la Région Occitanie en charge des Solidarités et des Services publics, est intervenue pour valoriser les Centres de santé en proposant une aide supérieure à celle des Maisons de santé.

« Il faut un hôpital public fort et refondé »

Rémi Pénavaire poursuit sa réflexion sur la politique de santé : « Il y a« , dit-il, « une cohabitation entre deux sortes de médecine, libérale et publique, celle qui est considérée comme rentable et celle qui ne l’est pas. » Il donne l’exemple de la future nouvelle polyclinique de Narbonne (sur la commune de Montredon-des-Corbières), « un des plus grands chantiers de France, subventionné par la Communauté d’agglomération du Grand Narbonne (9) à hauteur de 72 M€, bien qu’il s’agisse de médecine privée. Qui va en profiter sinon un grand groupe capitaliste médical et le secteur de l’immobilier ? L’ARS a permis cela ; c’est utilisé pour affaiblir l’hôpital public ; grâce au bon travail des médecins et des para-médicaux libéraux, on va alimenter les caisses des actionnaires ; les politiques diront « nous avons agi » alors que l’on a appauvri le service public.« 

« Il faut un hôpital public fort et refondé. On ne peut pas, comme l’ont fait nos députés, soutenir l’austérité au Parlement et ici dire « on ne peut rien faire pour vous ». L’hôpital doit avoir des moyens et les collectivités aussi ; M. Valls et E. Macron ont réduit les dotations des collectivités locales.« 

« On entend dire : « on ne peut que laisser la santé au privé, le public coûte cher ; en réalité, c’est le privé qui coûte cher.« 

Rémi Pénavaire critique la légitimité de l’ARS : « Les communes ont été dessaisies de leur pouvoir dans la gestion des hôpitaux. Quand on veut casser un système qu’est-ce qu’on fait ? On lance une campagne idéologique dénigrant la proximité, on ferme les maternités, les urgences, on dit « ça coûte cher, on n’a plus les moyens de payer » et on crée une institution, l’ARS ; on lui donne une feuille de route correspondant à l’austérité imposée par l’Union européenne. Et on supprime les pouvoirs des maires aux conseils d’administration des hôpitaux, qui deviennent consultatifs.« 

« On a aussi modifié l’accès aux emprunts. Les hôpitaux sont exsangues du fait des contraintes financières qu’on leur impose et de la dette, tout a été fait pour que cela devienne une rente pour les capitalistes : les hôpitaux peuvent emprunter sur le marché financier, ils peuvent contracter des emprunts toxiques… Tout cela pour faire passer une politique de privatisation forcée. Il faut désendetter l’hospitalisation publique ; l’hôpital mérite un meilleur traitement, pour mieux payer ses personnels, pour embaucher (il y a un manque cruel de personnel), pour construire un projet de santé territorial. Je ne suis pas contre l’hospitalisation privée, mais elle ne doit pas être prédominante. Une logique de marché ne peut pas rendre attractif le territoire rural, elle crée un désert.« 

« Il faut faire de l’hôpital public un lieu où l’on puisse dire que les gens sont bien soignés, que le personnel a le temps de s’occuper des patients, que l’encadrement n’a pas pour seule préoccupation de réaliser des économies, que les services sont ouverts à la population ; ça, ce serait attractif, ce serait quelque chose de construit sur quoi les médecins ruraux pourraient s’appuyer.« 

Ph.C.

7) Voir l’article L-6323-1 du Code de la Santé Publique, modifié par la Loi de Santé du 26/01/2016, et l’accord national du 08/07/2015 qui organise les relations entre les Centres de santé et l’Assurance maladie.

8) Présidée par un élu PS.

9) Présidée par un élu PS.

PORT-VENDRES : le 3e quai refait surface

Quel bénéfice (augmentation de trafic ?) et quels impacts (pollution…) ? Des failles techniques ?

Le projet de port, à l’arrêt depuis 2011, resurgit. La nouvelle enquête publique vient de s’achever. Ce projet suscite des adhésions, au nom de l’emploi et du développement économique, et des oppositions, qui soulignent l’accroissement de la pollution mais aussi des « impossibilités techniques ».

Les quais Dezoums (au fond à gauche), de la République (au premier plan à droite) et de la Presqu’ïle (entre les deux).

L’enquête publique pour la « requalification du quai Dezoums », à Port-Vendres, vient de se dérouler, du 8 février au 10 mars. Ce projet, dont les débuts remontent à vingt ans, avait été provisoirement enterré, ou plutôt ennoyé, par l’annulation en 2011 par le Tribunal administratif de l’arrêté préfectoral du 27/03/2009, qui autorisait sous conditions la réalisation des travaux. Annulation ensuite confirmée par le Conseil d’État.

L’affaire repart donc aujourd’hui à zéro, sous l’impulsion du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales. A noter que l’étude d’impact diffusée lors de l’enquête publique est celle du premier projet, avec quelques actualisations.

Le projet vise à augmenter le trafic du port en adaptant ses installations, jugées obsolètes : selon les explications du dossier d’enquête publique, le quai Dezoums (3e quai), avec ses 90 m de long, ne permet plus d’accueillir les navires récents, de plus en plus longs ; il est fermé depuis 2005. La rampe Ro-Ro du quai de la Presqu’Île, destinée à accueillir les « rouliers » (navires transportant des véhicules, ici essentiellement des camions de fruits et légumes), n’est pas assez large pour les nouveaux navires et les bâtiments de ce quai sont trop proches du bord, gênant la manœuvre.

Les travaux, qui dureraient deux ans, consisteraient à porter le quai Dezoums à 170 m de long et à draguer ses abords. Il pourrait ainsi accueillir des navires de 155 m de long, jusqu’à 27 m de large et 8 m de tirant d’eau. C’est le maximum pour le port de Port-Vendres, dont l’étroitesse ne permettrait pas la manœuvre de plus gros navires.

Il est prévu d’aménager, en arrière du quai, un terre-plein de 10 700 m², qui comblerait l’anse des Tamarins, avec deux options pour l’ancien Hôtel des Tamarins : sa rénovation ou sa démolition. Les bâtiments frigorifiques du quai Dezoums doivent être démolis et reconstruits. Les travaux permettraient aussi l’extension des parkings à camions. La rampe Ro-Ro du quai de la Presqu’Île serait refaite.

Les nombreuses contributions à l’enquête publique montrent que l’aménagement du 3e quai ne laisse pas les Port-Vendrais indifférents. Il est, d’une part, salué par un nombre important de personnes et entreprises qui mettent en avant l’espérance d’emplois nouveaux. D’autre part, il amène chez d’autres personnes et associations locales, tout aussi nombreuses, un certain nombre de réserves. Sont mis en cause le bien fondé économique du projet, les dégâts des travaux sur l’environnement, les conséquences sur l’agitation du port et la pollution sonore et atmosphérique liée au stationnement des navires.

Quelle réalité pour une augmentation de trafic ?

Port-Vendres, dont l’activité a tendance à stagner (230 000 t en 2015) après un recul dans la dernière décennie, accueille avant tout un trafic spécialisé saisonnier d’importation de fruits et légumes d’Afrique qui partent ensuite en camion vers le marché international du Grand Saint-Charles (Perpignan), d’où ils sont redistribués, toujours par camion, vers toute la France et l’Europe du nord. Il s’agit de bananes et ananas d’Afrique centrale et de l’Ouest (Cameroun, Côte d’Ivoire) et de tomates et agrumes du Maroc.

Deux compagnies maritimes se partagent ce trafic, la Compagnie Fruitière (à travers ses filiales Africa Express Lines et Transit Fruits) et CMA CGM. Il est effectué par des navires « conteneurs reefers », avec chambres froides et conteneurs réfrigérés. Ce type de navires permet une diversification des origines et des clients, un seul opérateur n’étant pas à même de remplir un cargo.

Les promoteurs du projet d’extension du port estiment que le transport maritime fruits et légumes est destiné à se développer, aux dépens de la route, impactée par une hausse prévisible du prix des carburants et par des restrictions réglementaires. Toutefois, ils n’étayent pas cette thèse.

Port-Vendres accueille par ailleurs des navires de croisière dans l’esprit « ports de charme », c’est-à-dire haut de gamme, avec des navires de taille moyenne (en raison des limites du port) et l’organisation de visites culturelles vers l’arrière-pays.

L’étude d’impact présente deux scénarios de prévision de trafic : un scénario pessimiste avec une augmentation modérée du trafic (il passerait à 407 000 t en 2033 et 522 000 t en 2045/65) et un scénario optimiste avec respectivement 602 000 et 919 000 t. Cette augmentation proviendrait quasi-exclusivement de la croissance du trafic fruits et légumes (surtout en provenance du Maroc), avec un maintien de la croisière.

La vérification du réalisme de ces prévisions n’est pas aisée. Nous avons questionné les principaux transporteurs (Transit Fruits, CMA CGM) ainsi que des expéditeurs, sans parvenir à obtenir une réponse de leur part.

Une dizaine d’expéditeurs ont déposé, à titre d’observation à l’enquête publique, une lettre type expliquant que « la plate-forme (de Port-Vendres) ne pourra maintenir et accroître son attractivité que par la réalisation de tels investissements« . La reprise mot pour mot des mêmes termes par tous les expéditeurs est peu convaincante : ils n’expliquent pas concrètement en quoi la situation actuelle du port est limitante pour eux et en quoi sa rénovation leur permet d’envisager une hausse de trafic.

L’association Port-Vendres et les Port-Vendrais estime pour sa part que les quais ne sont actuellement utilisés qu’à 20 % de leur capacité.

Seul le transitaire Guanter, que nous avons joint au téléphone, nous a donné des explications précises : José Rodriguez, le responsable de cette entreprise qui met en relation les expéditeurs et les transporteurs pour le Maroc, explique que « aujourd’hui nous avons besoin de quais plus solides, renforcés, pour permettre l’évolution de plusieurs grues de déchargement des conteneurs et pouvoir ainsi recevoir plusieurs navires simultanément.« 

Pour lui l’hypothèse du rétablissement de la connexion ferroviaire n’a pas de sens : « Le train est intéressant au-dessus de 500 ou 1 000 km ; une liaison vers Perpignan serait trop coûteuse« .

Quant à savoir si le trafic du port peut s’accroître, José Rodriguez précise : « Cela dépend des lignes. Si les compagnies maritimes mettent des lignes en place, les clients peuvent charger sur ces lignes. Il est difficile de prévoir si les uns et les autres seront au rendez-vous mais la mise à niveau du quai serait favorable à ce développement.« 

Elément plus concret, l’observation portée à l’enquête publique par le syndicat mixte de la plateforme multimodale MP2, qui regroupe six sites logistiques des Pyrénées Orientales (1), estime qu’un « potentiel conséquent de trafics aujourd’hui effectués par la route pourrait être basculé vers le maritime. Un projet a été étudié en ce sens avec l’armateur Suardiaz, entre Almeria et l’Europe du Nord via Port-Vendres et le terminal de Perpignan, mais a dû être mis en stand-by récemment du fait des capacités insuffisantes des infrastructures du port…« .

A noter que l’étude d’impact de l’enquête publique aborde un aspect du chantier quelque peu inquiétant : selon l’étude, les travaux pourraient entraîner une congestion du port et une diminution du trafic fruitier pendant un certain temps ainsi qu’un arrêt du trafic croisières (dû à l’environnement de chantier, peu attractif) ; l’étude estime qu’il faudrait cinq ans pour retrouver le niveau d’activité antérieur !

Pour conclure sur le plan économique, ce dossier suscite une interrogation. Peut-on investir de l’ordre de 36 M€ d’argent public sur l’espoir de voir le trafic du port se développer, sans aucune garantie ? Cet investissement consiste à réaliser des aménagements pour présenter une offre de services à la disposition d’entreprises privées dont le comportement est lié au fonctionnement du marché ; qui, par conséquent et en toute logique, utiliseront ou pas le port en fonction de leur strict intérêt d’entreprise et en fonction de la conjoncture. Ne serait-il pas plus judicieux d’établir un partenariat public-privé, où l’investissement public serait lié à l’engagement d’utilisateurs ? On aurait ainsi la certitude que l’investissement collerait aux besoins et serait réellement utilisé.

Le diesel marine 100 fois plus nocif que le diesel auto

Au-delà de l’hypothétique bien fondé économique du projet, les opposants mettent en avant son impact en terme de pollution sonore et surtout atmosphérique.

Le port de Port-Vendres est disposé de telle façon que les navires à quai se trouvent à une courte distance de la plupart des quartiers de la ville. Certes, le déplacement du centre de gravité du port vers le quai Dezoums éloignerait les navires du centre-ville et en particulier du quartier de l’Horloge et du quai Forgas, qui sont des quartiers plus denses, pour les rapprocher de l’anse des Tamarins, moins urbanisée, avec toutefois des projets d’urbanisation.

Le port de Port-Vendres est situé au coeur de la ville.

En phase d’exploitation (après la fin des travaux), le niveau sonore pourrait augmenter de 9 dB(A) (décibels pondérés) le jour et de 15 dB(A) la nuit dans l’anse des Tamarins. Il diminuerait de 9 dB(A) aux quartiers de l’Horloge et quai Forgas.

Pour réduire les nuisances sonores, le maître d’ouvrage (le Conseil Départemental) devrait, dit le dossier d’enquête publique, s’engager à interdire le stationnement des navires la nuit sur le quai Dezoums, à l’exception des navires équipés pour se raccorder électriquement au quai.

Par ailleurs, le maître d’ouvrage prévoit d’équiper la grue mobile existante (qui a un moteur thermique) d’un moteur électrique. Une option dont Port-Vendres et les Port-Vendrais doute de la sincérité : la grue a été achetée récemment ; pourquoi n’a t-elle pas, dès le départ, été équipée d’un moteur électrique ?

La pollution sonore est certes problématique (et elle peut éventuellement être réduite) mais l’accroissement du risque de pollution atmosphérique est autrement plus inquiétant. Cette pollution, à Port-Vendres comme dans les autres ports, n’est pas nouvelle, mais on en connaît mieux aujourd’hui l’ampleur et les risques. Une étude récente de France Nature Environnement menée avec l’ONG allemande Nabu sur le port de Marseille montre que l’impact des navires sur la qualité de l’air dans les ports est considérable. Il se traduit par des teneurs élevées en particules fines et ultra-fines, oxydes de soufre et oxydes d’azote.

Le carburant utilisé par les navires au port (diesel marine) est cent fois plus polluant que le diesel automobile (Photo FNE).

FNE indique que « l’université (allemande) de Rostock et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholzzentrum Munich ont établi un lien sans équivoque entre les gaz d’échappement des cargos et certaines maladies graves (…) comme des cancers des poumons et des maladies cardiovasculaires.« 

Cette pollution provient surtout de la très forte teneur en soufre des carburants utilisés par les navires : diesel marine et plus encore fuel lourd (avec des teneurs en soufre jusqu’à 3 500 fois plus élevées que le diesel automobile).

Dans les ports de Méditerranée, les navires à quai ne peuvent utiliser le fuel lourd, ils doivent tourner au diesel marine, qui reste toutefois très polluant (100 fois plus que le carburant diesel automobile).

Des solutions sont envisagées pour réduire cette pollution, comme l’installation de filtres à particules et l’utilisation de carburants à moindre teneur en soufre. Mais la réglementation internationale évolue lentement. La convention Marpol prévoit des réductions des teneurs en soufre d’ici 2020 ou 2025 mais… cette obligation ne concernera pas la Méditerranée dans l’immédiat.

Par ailleurs, au niveau européen, l’État français n’est pas en avance en la matière. Il est poursuivi à la fois par des particuliers et des associations, mais également par la Commission européenne pour non-respect de la réglementation sur les particules fines PM 10 et le dioxyde d’azote (NO2), et pour n’avoir pas transposé la directive européenne sur les émissions de soufre des navires.

A défaut de pouvoir compter sur les pouvoirs publics, il est difficile d’attendre des armateurs qu’ils prennent les devants. Leur calcul est avant tout économique et les écarts de prix entre les différents carburants est très important. FNE déplore que, contrairement au carburant routier, le carburant maritime ne soit pas taxé.

A Port-Vendres, le maître d’ouvrage prévoit d’établir des réservations de gaines pour une installation ultérieure du courant de quai… lorsque les navires seront équipés.

Le courant de quai permet d’alimenter les générateurs électriques des bateaux. Mais à l’heure actuelle ceux-ci n’en sont pas équipés ; ils utilisent des générateurs thermiques (au diesel marine) qui produisent l’électricité nécessaire à l’activité de bord et aux manœuvres. L’équipement des navires anciens est possible, mais coûteux, et les navires neufs, pour l’instant, continuent à tourner au diesel marine. Seuls quelques navires commencent à être équipés en générateurs électriques, comme les ferries de La Méridionale qui font escale dans le port de Marseille : « Le coût de l’investissement« , nous dit un capitaine connaisseur du sujet, « n’est justifiable que si un navire fait souvent escale et reste un certain temps à quai, comme c’est le cas des ferries de la Méridionale » (en moyenne 12 heures par jour à quai). « Le calcul se fait alors sur le différentiel entre le prix de l’électricité et le prix de l’énergie produite à bord par un générateur thermique« .

L’équipement de trois ferries par La Méridionale a coûté à la compagnie 3 M€ (dont 477 000 € de subventions). Le Grand Port de Marseille a dépensé 1,7 M€ pour équiper trois postes (on estime que cet équipement a supprimé l’équivalent de pollution de 6 000 voitures par jour sur le trajet Aix-Marseille).

Autant dire qu’envisager l’utilisation du courant de quai par les navires accostant à Port-Vendres est peu réaliste et que la réhabilitation du quai Dezoums s’accompagnera forcément d’une augmentation de la pollution autour du port.

Risque pour les espèces sous-marines

Les travaux du 3e quai comportent un inconvénient non négligeable sur le plan environnemental, avec des risques d’atteinte aux espèces sous-marines, notamment Posidonies et Grandes Nacres, et la destruction, avec le comblement de l’anse des Tamarins, d’une zone d’accueil des juvéniles de poissons et d’invertébrés marins.

Le dossier fait l’objet d’une demande de dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées, marines et terrestres. Cette demande comprend des mesures d’atténuation (transfert des Grandes Nacres), de compensation et d’accompagnement en phase travaux.

Pour Frene 66 (Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales, membre de France Nature Environnement), la destruction de la plage des Tamarins est contraire à la Loi Littoral. Et cette fédération ne croit pas aux mesures d’évitement pour réduire l’impact des travaux sur les espèces protégées ; en particulier « le caractère strictement expérimental » de la transplantation des Grandes Nacres « ne permet pas de garantir la survie des transplantés » ; il en va de même pour l’herbier de Posidonies.

Agitation du port : Port-Vendres et les Port-Vendrais dénonce « un faux »

Autre préoccupation des opposants, le risque de renforcement de l’agitation dans le port du fait de la suppression de la zone d’amortissement que représente l’anse des Tamarins.

L’étude d’agitation évoquée dans l’étude d’impact estime que les conséquences de l’aménagement en termes de houle sont limitées : de l’ordre de moins 5 à plus 25 cm, localisés surtout dans le port de pêche, avec des houles équivalentes à celles des tempêtes de 2003 et 2008 (périodes de retour de 1 à 10 ans). Mais rien n’est dit sur la possibilité de pics d’agitation plus importants lors de tempêtes plus intenses.

L’aménagement du quai Dezoums selon la technique de quai sur pieux, avec talus en enrochements en pente, est censé réduire le risque d’agitation.

Le président de l’association Port-Vendres et les Port-Vendrais, Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien, fait part, dans son observation à l’enquête publique, de son grand scepticisme sur ce sujet.

Il souligne le fait qu’en décembre 2016 le préfet et la Dreal notaient l’absence d’étude d’agitation dans le dossier initial, ce qui n’empêche pas la Dreal de publier un avis sans émettre de réserves concernant l’agitation. Par ailleurs, J.-C. Bisconte conteste l’étude d’agitation de 2013 annexée au dossier tel qu’il est diffusé dans le cadre de l’enquête publique : cette étude, dit-il, est basée sur une carte bathymétrique (2) fausse car elle « prend pour hypothèse de calcul un port recreusé partout à 10 m au moins et à 15 m au plus« , ce qui supposerait que le port soit entièrement dragué alors qu’il est prévu de draguer « seulement » 22 000 m³ de matériaux divers (draguer tout le port représenterait 200 000 à 500 000 m³). L’étude d’agitation surestimerait donc la profondeur réelle du port et minimiserait ainsi le risque. J.-C. Bisconte n’hésite pas à parler de « faux » : « Le port est envasé depuis longtemps, il a une profondeur moyenne de 6 à 7 m. Depuis le début on sait qu’il n’y a pas de solution à l’agitation sauf de creuser. Pourquoi (les autorités) mentent-elles ? C’est un scandale.« 

Cette carte, sortie de l’étude d’agitation, montre que la plus grande partie du port a une profondeur de 10 à 15 m (bleu turquoise). En réalité, selon Port-Vendres et les Port-Vendrais, la profondeur moyenne du port est de 6 m.

Pour lui, le lissage opéré dans le mode de calcul revient par ailleurs à noyer dans une moyenne les jours de tempête et donc à les minimiser. Il rappelle que des vagues de plus de 4 m ont été constatées dans l’avant-port en 2008. L’augmentation, par la modification du quai Dezoums, de l’agitation dans le bassin fait que ce projet de quai, dit-il, « n’est tout simplement pas possible techniquement« .

Il aborde un autre élément qui selon lui rend aussi impossible la viabilité technique du port, c’est l’étroitesse du chenal. Celle-ci, en particulier à hauteur du possible futur nouveau quai Dezoums, réduit fortement la capacité de manœuvre des navires, rendue délicate par fort vent de nord-ouest. Et J.-C. Bisconte déplore que le dossier d’enquête publique ne comporte pas d’étude de navigation.

Il conclut que le dossier actuel d’enquête comporte les mêmes défauts que celui rejeté en 2011 par le tribunal administratif et il lui prédit donc le même sort.

Pour sa part, Franck Huette, responsable communication d’EELV (3), estime que les études contenues dans le dossier d’enquête publique « ne sont ni sérieuses ni complètes notamment sur les volets économique et environnemental (qualité de l’air en particulier). » Les projections sur le transit (lui) « semblent incomplètes et détachées d’une réalité qui a évolué depuis le dernier dépôt du dossier en 2009. » Il considère que le projet ne prend pas en compte le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer et qu’il contribue à l’aggravation des risques.

Plusieurs observations à cette enquête publique mettent l’accent sur l’incompatibilité, selon leurs auteurs, entre l’agrandissement du port et l’activité de plaisance. Ils souhaiteraient plutôt que priorité soit donnée à cette dernière.

Perspectives économiques non étayées et donc peu convaincantes, accroissement de la pollution atmosphérique avec de graves conséquences prévisibles sur la santé des habitants, atteinte à l’environnement sous-marin, doutes sur l’étude d’agitation et sur la navigation dans le port… Ce projet semble bien fragile.

Ph.C.

1) MP2 regroupe six sites : l’aéroport de Perpignan, le Grand Saint-Charles, le port de Port-Vendres, l’Espace Entreprises Méditerranée de Rivesaltes, le Distriport du Boulou et la gare de Cerbère.

2) La bathymétrie est l’étude des profondeurs d’eau.

3) EELV : Europe Écologie Les Verts. Franck Huette est aussi le candidat de ce parti aux prochaines élections législatives sur la 4e circonscription des Pyrénées-Orientales.

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En savoir plus : Dossier d’enquête publique.

Voir l’étude d’agitation : 9-quai Dezoums_dossierEP_annexe_étude d’agitation

Voir l’avis de Port-Vendres et les Port-Vendrais sur l’étude d’agitation : Bisconte agitation Contributions- le 23 février 2017

Lire aussi, sur ce blog, « Ports du Languedoc-Roussillon : des projets qui ignorent la réalité économique. »

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Avis favorable du commissaire enquêteur

Le commissaire enquêteur a remis son rapport le 7 avril. Il donne « un avis favorable au projet du Conseil départemental, avis accompagné des réserves suivantes :

. Réaliser toutes les mesures d’accompagnement terrestres proposées dans le dossier et dans le mémoire en réponse, ainsi que celles demandées par les organismes sollicités.

. Organiser les mesures de suivi des milieux marins durant les travaux et pendant l’exploitation du quai en relation avec les divers services et organismes compétents en respectant les conditions et les durées déterminées.

Voir le rapport et les conclusions du commissaire enquêteur.

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02/08/2017 : le préfet autorise le projet

Par arrêté du 2 août, le préfet des Pyrénées-Orientales vient d’autoriser le projet d’extension du port de Port-Vendres. Lire l’arrêté.

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LE GNL : une solution à la pollution ?

CMA CGM vient d’opter pour l’équipement de ses porte-conteneurs géants au GNL (gaz naturel liquéfié), beaucoup moins polluant que le gazole. C’est ce qu’annonce Le Monde dans son cahier « Économie & Entreprises » du 08/11/2017 (« Les navires géants de CMA CGM seront les premiers à utiliser le gaz »).

Le GNL, par rapport à un navire fonctionnant au fioul, permet en effet de réduire « de 99 % les émissions de soufre et de particules fines, de 85 % celles d’oxyde d’azote et de 25 % celles de CO2 ».

D’autres compagnies réfléchissent à cette reconversion de leur source d’énergie pour des conteneurs, des ferries ou encore des paquebots. Il semble que ce carburant soit aussi adapté pour les petits bateaux que pour les plus grands. Les facteurs qui incitent les compagnies à aller dans ce sens malgré le coût supérieur du GNL sont la hausse du prix du pétrole, le renforcement de la réglementation mais aussi le fait que la technologie soit désormais au point.

Verra-t-on dans quelques années accoster à Port-Vendres des navires propulsés au GNL ? Cela dépend de la décision des compagnies à investir dans des navires adaptés mais aussi de la possibilité de s’approvisionner en GNL sur place.

Areva Malvési TDN : dépollution des effluents, quel risque ?

Dans le cadre d’un processus de réduction ou d’élimination des déchets de la conversion de l’uranium, Areva NC a demandé une autorisation d’exploiter pour son projet TDN, qui vise le traitement des effluents liquides. Les associations locales qualifient ce procédé d' »usine à gaz » et s’inquiètent des retombées possibles pour la santé et l’environnement.

Malvési vu du ciel (du sud vers le nord).

Malvési vu du ciel (du sud vers le nord).

(VOIR ACTUALISATION EN FIN DE DOSSIER)

L’enquête publique pour autorisation d’exploiter du projet TDN (traitement des nitrates) de l’usine Areva NC, à Malvési (Narbonne) a eu lieu du 5 septembre au 5 octobre 2016 et s’est conclue par un avis favorable du commissaire enquêteur. La procédure pourrait donc aboutir prochainement à une autorisation d’exploiter. Ce projet suscite néanmoins de fortes réticences de la société civile, en particulier de l’association Rubresus (1), qui souligne ce qu’elle considère comme un risque élevé de pollution à partir de la future installation. Eccla (2) conteste également la méthode utilisée et demande une tierce expertise. Le réseau Sortir du Nucléaire est aussi mobilisé contre ce projet.

TDN vise à éliminer les effluents liquides issus de l’activité de conversion de l’uranium depuis 58 ans.

Areva NC (anciennement Comurhex), filiale d’Areva, traite en effet, depuis 1958, sur son site narbonnais de Malvési (route de Moussan), tout l’uranium qui rentre en France pour, d’une part, alimenter les centrales nucléaires françaises, d’autre part servir des clients à l’exportation (environ 40 % du total). A Malvési, le minerai d’uranium, qui arrive sous forme de concentré d’uranium (yellow cake), est transformé en UF4 (tétra-fluorure d’uranium) au moyen d’opérations chimiques qui mettent en œuvre notamment de l’acide nitrique et de l’acide fluorhydrique.

Cette activité de traitement génère des déchets, sous formes de boues et d’effluents liquides qui jusqu’à présent n’ont pas été retraités et ont simplement été stockés dans des bassins de décantation et des bassins d’évaporation. Cet « entreposage« , selon Areva, ressemblait jusqu’à présent à un choix de longue durée et souligne le fait que l’élimination des déchets de la filière nucléaire reste un problème non résolu. TDN pourrait être un début de solution, en tout cas pour les 350 000 m³ d’effluents liquides. Mais il ne concerne pas les déchets solides, pour lesquels il n’y a pas à ce jour d’autre solution que le stockage.

Des déchets pas seulement chimiques

Les déchets solides de la conversion de l’uranium à Malvési étaient pendant longtemps présentés comme étant constitués essentiellement de « boues nitratées », or la rupture, en 2004 suite à de fortes pluies, d’une digue des bassins B1 et B2 a provoqué le déversement, dans la plaine voisine, de 30 000 m³ de boues et liquides. Les analyses de la Criirad (3), en 2006, ont révélé que ce qui était présenté comme des « boues nitratées » contenait aussi du plutonium et autres descendants de l’uranium : thorium 230, radium 226, plomb 210, américium 241, cela à des doses très concentrées. Ce qui s’explique par le fait que Malvési a traité, de 1960 à 1984, des déchets de combustibles usés, issus du cœur de réacteurs nucléaires.

L’absence d’élimination des déchets, liée à l’absence de solution technique, a été pendant longtemps occultée par le fait que Malvési était classé site Seveso « seuil haut » (risque chimique) alors qu’il aurait dû être classé INB (Installation nucléaire de base).

L’État et l’ASN (l’autorité de sûreté nucléaire) ont demandé récemment (2013) le classement en INB des seuls bassins B1 et B2. Ce classement est réalisé depuis 2015 (INB Écrin : « Entreposage Confiné des Résidus Issus de la Conversion). La Criirad, Sortir du Nucléaire et Eccla demandaient le classement en INB du site de Malvési dans son intégralité afin que les normes réglementaires de la radioprotection soient appliquées à tout le site avec donc une meilleure sécurisation, notamment au niveau du confinement de l’ensemble des bassins de boues.

Plan d'ensemble du site de Malvési. L'installation TDN est indiquée en jaune en bas à gauche (le plan n'est pas orienté vers le nord). En allant vers la droite, les bâtiments actuels, puis les anciens bassins B1 et B2 et les bassins en activité B5 et B6 ; les bassins B7 à B12 sont au-dessus.

Plan d’ensemble du site de Malvési. L’installation TDN est indiquée en jaune en bas à gauche (le plan n’est pas orienté vers le nord). En allant vers la droite, les bâtiments actuels, puis les anciens bassins B1 et B2 et les bassins en activité B5 et B6 ; les bassins B7 à B12 sont au-dessus.

Dans le cadre de la création en 2015 de l’INB Écrin, l’ASN autorise Areva NC à entreposer pendant 30 ans des déchets radioactifs, cela pour un volume limité à 400 000 m³. A l’issue de cette période, l’entreprise « devra avoir initié la reprise (de ces déchets) en vue de leur gestion définitive selon des modalités qui doivent d’ores-et-déjà être envisagées par Areva NC.« 

Les déchets radioactifs pouvant être entreposés dans l’installation Écrin sont « les résidus solides et les produits issus de leur traitement déjà contenus dans l’installation antérieure » ainsi que « les résidus solides issus de la vidange des bassins B5 et B6 » (bassins de décantation des effluents qui ont remplacé les bassins B1 et B2). Les boues issues des bassins B5 et B6 seront donc entreposées dans une alvéole étanche aménagée dans l’ancien bassin B2.

Areva NC prévoit par ailleurs de « modifier le procédé de l’usine pour réduire les volumes des boues à venir (l’information du public aura lieu lorsque le projet sera plus avancé)« , nous précise le service communication. Pour en savoir plus, voir le dossier « Gestion à long terme des déchets à produire du procédé de conversion », diffusé dans le cadre de l’enquête publique de TDN : PDF GESTION LONG TERME

TDN : quel impact ?

La gestion des déchets solides et celle des déchets liquides participent d’une même démarche d’Areva NC, incitée par l’ASN, qui vise à éliminer les déchets lorsque les techniques le permettent et, à défaut, à réduire leur volume pour les acheminer vers la filière TFA (déchets radioactifs de très faible activité, traités par le centre Cires de l’Andra – voir note 4) ou, s’ils ne sont pas acceptés par cette filière, pour pouvoir continuer à les stocker sur place.

Le projet Comurhex II, en cours de mise en œuvre, prévoit en effet d’augmenter la capacité du site de Malvési, qui passerait de 14 000 t d’uranium par an à 15 000 puis 21 000 t. Ce qui augmentera le volume de déchets.

C’est dans ce contexte que se situe le projet TDN de traitement des effluents liquides provenant des bassins B7 à B12, qui permettrait de réduire le volume de ces déchets au rythme d’environ 20 000 m³ d’effluents traités par an. Mais ce traitement produirait 12 000 t de déchets solides par an, qui, en tant que TFA, seraient acheminés vers le Cires, ce qui semble nécessiter à terme une extension de ce centre. Le traitement rejetterait par ailleurs 40 000 m³ de fumées par heure, soit un ratio de 16 000 m³ de fumée pour 1 tonne de déchets traités.

La maquette de l'usine TDN.

La maquette de l’usine TDN.

De plus, selon Rubresus, si l’on prend en compte la capacité de traitement de l’installation TDN et la production en cours des effluents, le déstockage effectif des bassins prendrait 30 à 35 années.

Le projet TDN présenté par Areva NC à l’enquête publique s’appuie sur le procédé THOR (THermal Organic Reduction, réduction organique thermique) mis au point par la société américaine Studsvik. Le choix de ce procédé, souligne Areva NC, est issu de plusieurs années de recherche et développement (depuis le début des années 1990).

Il consiste « en un traitement thermique et chimique de l’effluent en milieu réducteur » qui vise « trois objectifs : la destruction des nitrates (par transformation en azote), la vaporisation de l’eau contenue et la fixation des métaux et des traces de radionucléides dans une matrice minérale.« 

Rubresus, qui est rentrée dans la partie technique du dossier, émet un certain nombre de griefs.

. Incinérateur ou pas ?

Contrairement à Areva NC, l’association Rubresus estime que le procédé THOR s’apparente au fonctionnement d’un incinérateur et que les rejets atmosphériques du traitement sous forme de fumées présentent un profil en constituants analogue à celui d’incinérateurs. Elle s’appuie sur la définition de l’arrêté du 20 septembre 2002 pour considérer que TDN est un incinérateur. « Or, dans la demande d’autorisation d’exploitation, l’installation TDN n’est pas classée comme incinérateur mais se réfère à une réglementation générale des ICPE de 1998. » Problème : « Les valeurs limites des rejets atmosphériques des incinérateurs sont bien plus contraignantes que celles des ICPE.« 

. Test pilote et test grandeur nature ?

Rubresus note que « l’installation TDN a été définie à partir de données expérimentales obtenues en test pilote réalisé aux USA par la société Studsvik à partir d’une solution synthétique et non d’un effluent industriel de bassin d’évaporation de Malvési. Un test sur effluent industriel n’a été réalisé qu’à petite échelle (bench scale laboratoire) non équipé pour mesure des gaz.« 

Areva NC dit pour sa part que : « Les essais réalisés entre 2008 et 2012 dans les locaux de la société Studsvik ont été réalisés à plusieurs échelles : la première campagne de pilotage à l’échelle 1/16e réalisée en 2008 a concerné 43 m³ d’effluents synthétiques et avait pour but de vérifier l’adéquation du procédé avec le besoin ; elle a été suivie en 2011 d’un essai à plus petite échelle sur des effluents réels provenant de Malvési, puis en 2012 par une deuxième campagne pilote sur effluents synthétiques qui a permis de qualifier l’ensemble des paramètres de fonctionnement de l’installation TDN.« 

Areva NC poursuit : « Le retour d’expérience de Studsvik sur deux autres installations existantes : traitement d’effluents nitratés contenant du sodium à Idaho Falls (USA) et destruction de résines échangeuses d’ions à Erwin (Tennessee, USA) ne rendait en effet pas nécessaire le pilotage complet du procédé sur des effluents réels de Malvési.« 

. Émission de NOx : quel niveau ?

Rubresus pointe ensuite l’émission, par la cheminée des installations TDN, d’importantes quantités de rejets atmosphériques toxiques, notamment d’oxydes d’azote (NOx) et de dioxines mais aussi de SO2 (dioxyde de soufre), COV (composés organiques volatils), acides, métaux, radionucléides, furanes, hydrocarbures aromatiques polycycliques…

Pour ce qui est des NOx, selon Areva NC, l’installation TDN fait appel « à un système de traitement des NOx par un catalyseur à l’ammoniaque (DeNOx catalytique), procédé largement répandu et référencé parmi les meilleures technologies disponibles (MTD). La concentration en sortie de cheminée sera comprise entre 250 et 500 mg/Nm³, donc inférieure aux seuils réglementaires (500 mg/Nm³ ), et la valeur de 400 mg/Nm³ a été retenue pour l’étude des impacts potentiels dans le dossier soumis à enquête publique.« 

Rubresus souligne que la norme de rejet des incinérateurs donne la limite de 200 à 350 mg/m³, bien moins que la prévision pour TDN. L’association note aussi que le rejet d’un m³ de NOx équivaut à l’émission d’un véhicule diesel parcourant un kilomètre ; TDN rejetterait donc, à raison de 12 000 m³/heure, l’équivalent de la pollution émise chaque jour par 48 000 véhicules diesel effectuant chacun 6 km, ou l’équivalent d’un tronçon du périphérique parisien.

. Émission de dioxines ?

Selon Areva NC, TDN n’émettra pas de dioxines parce-qu’elles seront piégées par de l’argile et/ou des charbons activés. Selon Rubresus, « le charbon utilisé pour brûler le nitrate à 850°C est totalement transformé en composés gazeux (CO2, H2, CO) et ne donne pas du charbon actif. Les chlorures sont présents dans les gaz de combustion et le gaz rejeté (50 mg/m³). Cette concentration en chlore est très largement suffisante pour la formation des dioxines en postcombustion. Donc l’argile ne supprime pas la formation de dioxines. Les dioxines sont stables à ces températures et ne sont pas dégradées.« 

Pour Areva NC, « Les dioxines et furanes sont générés à haute température par la combustion ou l’incinération en milieu oxydant de produits chlorés. Or le procédé THOR n’est pas une combustion oxydante ou une incinération classique, mais un traitement thermique en milieu réducteur, faisant appel à la réaction de reformage à la vapeur (dite réaction du gaz à l’eau) qui génère de l’hydrogène naissant (d’où le milieu très réducteur), non susceptible de conduire à la formation de ces composés chimiques. »

« L’absence effective de dioxines ou furanes a été vérifiée dans les gaz rejetés lors des essais pilotes réalisés entre 2008 et 2012. Ces résultats, confirmés par le retour d’expérience du bailleur de procédé Studsvik, s’expliquent également par le fait que les éléments chlorés (et les métaux) sont intégrés à la matrice minérale formée à haute température (par réaction de l’argile ajoutée avec les composés du calcium).« 

Pour Rubresus, « l’argile fixe une partie des chlorures des effluents mais pas en totalité. Pour preuve, les gaz en sortie cheminée contiennent 50 mg de chlorure d’hydrogène/m³. Les gaz contiennent donc des vapeurs chlorées susceptibles de réagir avec les produits de combustion du charbon pour former des dioxines. Ces taux de chlore sont suffisamment élevés pour la formation des dioxines à des teneurs de l’ordre d’une fraction de nanogramme/m³. »

« Les dioxines se forment en aval du foyer lors du traitement des fumées par réaction des produits de combustion (hydrocarbures aromatiques, …) et cendres carbonées (Ineris). »

« L’EPA (agence américaine de protection de l’environnement) précise dans son rapport AP-42 les taux d’émissions en dioxines et furanes par combustion de charbon bitumineux. »

« Le charbon bitumineux est totalement consumé par le traitement TDN et Areva NC ne mentionne pas de résidus de charbon parmi les déchets. Les dioxines se forment en post-combustion. Elles ne peuvent être piégées par le charbon dans le four DMR (denitration mineralizating reformer, ou four à charbon), première étape du traitement TDN, charbon qui de toute façon est brûlé. »

« Parmi les méthodes de traitement des dioxines, il y a l’adsorption par charbon actif qui s’effectue sur les gaz avant rejet atmosphérique avec des colonnes remplies de charbon actif. Le traitement TDN n’a pas ce type de traitement de dioxines, alors que des incinérateurs en sont équipés. »

L'emplacement des futures installations TDN, au nord-ouest du site.

L’emplacement des futures installations TDN, au nord-ouest du site.

. Pire que l’incinérateur de Lunel-Viel ?

Rubresus a réalisé une comparaison des émissions atmosphériques de TDN, « qui traitera 20 000 m3 d’effluents nitratés dans un four en brûlant 5 700 t de charbon« , à celles de l’incinérateur de Lunel-Viel, au nord de Montpellier, traitant 120 000 t d’ordures ménagères provenant de plus de 200 000 habitants.

Il en ressort, dit Rubresus, que « les rejets atmosphériques de l’installation TDN seront quantitativement supérieurs en flux et en concentration«  à ceux de l’incinérateur de Lunel-Viel : en effet, « les quantités annuelles d’oxydes d’azote et de dioxyde de soufre rejetées par l’installation TDN seront supérieures à celles de l’incinérateur, respectivement de 33 % et 470 % ; les rejets d’acide fluorhydrique et poussières seront également 4,7 et 7,7 fois plus élevés pour l’installation TDN. » Quant aux concentrations en éléments polluants, celles des rejets TDN « seront de 5 à 10 fois supérieures à celles de l’incinérateur, par exemple 500 mg NOx/m³ gaz pour TDN contre moins de 71 mg/m³ pour l’incinérateur.« 

L’usine TDN produirait donc des rejets bien plus importants et bien plus polluants que ceux de l’incinérateur de Lunel-Viel qui traite les ordures ménagères de plus de 200 000 habitants « et dont les impacts sanitaires font l’objet des plus grandes craintes« .

« C’est comme si l’on installait à la place de TDN un incinérateur traitant les ordures ménagères du département de l’Aude« , conclut Rubresus.

. Rejets d’éléments radioactifs ?

On peut aussi se poser la question de l’éventuel rejet, dans les fumées d’une part, dans les déchets solides d’autre part, d’éléments radioactifs puisque les effluents des bassins d’évaporation en contiennent.

Areva NC dit à ce sujet : « Les éléments radioactifs présents dans les boues des bassins de décantation n’entrent pas dans le procédé THOR. Les seuls radionucléides présents dans les effluents liquides qui sont traités par le procédé THOR sont le radium, des traces d’uranium et le technétium. Ces radionucléides sont piégés dans le déchet solide qui sort du four TDN et sont envoyés dans la filière de stockage ultime de déchets très faiblement actifs (TFA) gérée par l’Andra. Une des raisons du choix du procédé THOR est son retour d’expérience sur la rétention des traces de radionucléides dont le technétium dans la matrice solide d’alumino-silicates générée par le procédé.« 

. Une consommation importante de ressources naturelles :

Rubresus et Eccla mettent en évidence le haut niveau de consommation annuelle, par le projet TDN, de ressources naturelles : 80 000 m³ d’eau (la consommation d’une commune de 1 500 habitants), 5 700 t de charbon, 2 000 t de gaz naturel, 10 000 Mwh d’électricité… Et par ailleurs l’émission de gaz à effet de serre qui aggraverait de 40 % l’empreinte environnementale de Malvési.

L'entrée d'Areva NC Malvési.

L’entrée d’Areva NC Malvési.

Chercher d’autres solutions ?

Autant de raisons, selon Rubresus, pour rechercher un procédé de traitement plus respectueux de l’environnement. Eccla, pour sa part, a donné un avis favorable au projet, mettant en avant l’intérêt de commencer à réduire les déchets, mais conteste aussi le procédé choisi, en raison de sa forte consommation de ressources et de l’importance des rejets et demande également que soient étudiées d’autres méthodes.

Dans le dossier d’enquête publique, Areva NC signale que « de nombreuses voies de traitement ont été examinées, soit sous forme de recherche bibliographique, soit sur la base d’essais. Parmi les diverses voies examinées on peut citer :« 

« La destruction thermique par atomisation du type isoflash (dénitration thermique) mais ce procédé s’est révélé difficilement applicable compte tenu de la présence de nitrates d’ammonium et de sodium ; »

« Un procédé d’électrolyse à membrane conduisant à une récupération d’acide nitrique. Ce procédé a été abandonné à cause de la présence de calcium et de l’impossibilité de recycler l’acide (présence de Tc) ; »

« Un procédé de traitement biologique dont les performances étaient limitées par la présence de calcium et des concentrations élevées en nitrates ; »

« Un procédé de cimentation (mélange des effluents avec un liant) mais qui conduisait à des volumes très importants de résidus solidifiés ; » (6)

« L’extraction liquide-liquide qui conduisait à l’obtention d’un résidu solide en grande quantité et d’un rejet liquide et posait le problème de l’acceptabilité de ce rejet au milieu environnant ; »

« La valorisation des solutions en tant qu’engrais mais nécessitant d’extraire le technétium et abandonnée compte tenu de l’impossibilité légale et du risque médiatique.« 

Le procédé THOR de reformage à la vapeur, poursuit Areva NC, « présentait par rapport aux autres procédés examinés certains avantages : Pas d’effluent liquide de procédé, Quantité de déchet limitée, Déchet solide, peu lixiviable, Peu de production d’oxydes d’azote, Procédé déjà utilisé sur d’autres installations et essais réalisés prometteurs.« 

Pour Rubresus et Eccla, Areva NC ne fournit pas d’analyse réelle des alternatives, ce qui est pourtant exigé dans toute étude d’impact. Eccla demande aussi une tierce expertise et « que le dossier ne soit pas soumis au Coderst sans ces éléments d’information indispensables pour se forger une opinion en toute connaissance de cause.« 

Compte-tenu de l’histoire du nucléaire en France, l’opinion publique n’est pas encline à faire aveuglément confiance à la filière nucléaire et aux pouvoirs publics. Dans ce dossier très technique, l’intervention d’une tierce expertise qui évaluerait le projet de façon neutre permettrait d’y voir plus clair.

Ph.C.

1) Rubresus : association de protection et sauvegarde de l’environnement des Basses Plaines de l’Aude.

2) Eccla : Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois.

3) Criirad : Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité.

4) Les déchets radioactifs TFA (de très faible activité) sont traités par un centre de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), le Cires (Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage), à Morvilliers (Aube).

5) ICPE : Installation classée pour la protection de l’environnement.

6) Notons que les résidus solidifiés résultant de ce traitement sont susceptibles de contenir des éléments radioactifs, ce qui pose le problème du traitement de ces éléments.

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En savoir plus : Dossier de l’enquête publique TDN (faire défiler en bas de la page web pour voir les dossiers détaillés).

L’association Rubresus détaille son argumentation sur son site.

ECCLA fait le point sur les avancées récentes du dossier.

Lire aussi, sur ce blog, « Areva Malvési (Narbonne) : que se passe-t-il à l’amont de la filière nucléaire ?« .

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Une analyse d’ECCLA

Dans un document (17/02/2017), ECCLA fait le point sur les différentes voies pour éliminer les déchets de Malvési. Elle se demande si la solution la moins pire pourrait être de stocker sur place les déchets issus du traitement à venir des nitrates comme le sont déjà les déchets issus des bassins B1 et B2. Mais comment traiter ces déchets ? L’une des options, la cimentation, semble présenter l’inconvénient de produire d’importantes quantités d’oxydes d’azote. Cette option nécessite donc une étude approfondie.

L’association compare par ailleurs les concentrations (teneurs au m3) et les flux (volumes totaux) des rejets du projet TDN, de l’incinérateur de Lunel-Viel mais aussi de l’usine Areva de Malvési telle qu’elle fonctionne actuellement. Elle note que TDN émettrait des rejets comparables à ceux de l’incinérateur de Lunel-Viel et que, par rapport à l’usine actuelle, TDN émettrait un peu moins de particules fines et ultra-fines, autant d’oxydes d’azote et beaucoup plus d’oxydes de soufre, d’acide chlorhydrique et d’acide fluorhydrique. Ce qui souligne l’importance des rejets actuels de l’usine.

Par ailleurs, on apprend que les rejets de la cimenterie Lafarge de Port-la-Nouvelle sont comparables, en concentration, à ceux de TDN, mais de dix à trente fois supérieurs en flux selon le type de rejet !

Pas de solution miracle

Au-delà de l’analyse d’Eccla, on peut poser ainsi la question des déchets de Malvési : d’un côté il ne semble pas y avoir de procédé de traitement idéal qui n’émettrait aucun rejet atmosphérique, jusqu’à preuve du contraire ; d’un autre côté, ne pas traiter les déchets, en connaissant leur toxicité, pose le risque de dissémination dans l’environnement, à la faveur, par exemple, de forts orages et d’une rupture de digue. Quel est le risque le plus grave ? Augmenter la pollution atmosphérique est inacceptable pour la santé de la population du Narbonnais. Réduire le risque que représentent les bassins d’effluents serait une bonne chose, toutefois le procédé TDN n’y parviendrait que sur le long terme (une vingtaine d’années).

Pour certains anti-nucléaires, tout cela concorde pour souligner l’importance du risque lié à l’usine de Malvési (déchets toxiques, radioactivité, pollution atmosphérique) et justifierait sa fermeture. Problème, Malvési est la porte d’entrée du combustible nucléaire ; sa fermeture ne peut donc être envisageable qu’après la fermeture de la dernière centrale nucléaire française (à moins de déplacer ailleurs le traitement de l’uranium, mais ce serait juste déplacer le problème).

Ph.C.

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TCN : une analyse des eaux de la Mayral

L’association TCN (Transparence des Canaux de la Narbonnaise) a réalisé à l’été 2017 des analyses de la qualité des eaux de la Mayral, ruisseau qui fait suite au canal du Tauran (provenant de Malvési) et qui se jette dans la Robine quai de Lorraine. Cette eau est en effet suspectée de contenir des contaminants radioactifs et/ou chimiques. Areva, pour sa part, déclare surveiller régulièrement les eaux du canal du Tauran, comme la réglementation l’y oblige. Après avoir demandé en vain aux pouvoirs publics une analyse indépendante d’Areva, TCN a commandé sa propre analyse, à ses frais, à la Criirad. Les résultats ont été publiés le 12/10/2017.

Manifestation à l’initiative du Covidem, le 25 mars à Moussan.

Un Collectif de Vigilance

Un Collectif de Vigilance sur les Déchets de Malvési (CoViDeM) a été créé début 2017 (Contact : covidem@gmx.fr). Il a tenu une réunion publique le jeudi 16 février 2017 à la Médiathèque de Narbonne, en présence de quelque 300 personnes.

Par ailleurs, le préfet de l’Aude a annoncé début février un sursis à statuer jusqu’au 9 mai, donnant un temps à la concertation, notamment autour des procédés alternatifs. Le sursis à statuer a ensuite été prorogé jusqu’au 9 août puis jusqu’au 9 novembre. Le CODERST (Conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques) départemental, réuni le 13 octobre, a donné un avis (consultatif) favorable au projet (12 voix pour, 6 contre, 5 abstentions).

Le Covidem a multiplié les actions pour faire valoir son opposition au projet : rencontre avec les élus, pétition, et une manifestation, le 25 mars à Moussan, qui a réuni environ 300 personnes.

De son côté le collectif Les Familles Papillons a réuni à plusieurs reprises plusieurs centaines de personnes dans des actions médiatiques (comme une fresque humaine en forme de papillon avec plus de 1 000 personnes sur la Place de l’Hôtel de Ville à Narbonne).

L’action des opposants, à travers notamment une sensibilisation des élus, a abouti à une nouvelle décision du préfet qui a annoncé, le 17 juillet 2017, la nomination de deux experts « indépendants » (la décision du préfet devra également tenir compte de leur avis, qui n’a toutefois aucun caractère contraignant).

L’un d’eux, spécialiste en génie chimique, ancien du CNRS, est chargé d’analyser le procédé Thor et de le comparer aux autres procédés possibles. L’autre, membre de l’IRSN, est chargé, en liaison avec l’ARS, d’évaluer l’impact sanitaire dès émissions atmosphériques. Ils devront remettre leur rapport d’ici septembre. Le Covidem et Les Familles Papillons contestent l’indépendance de ces experts et demande des expertises « contradictoires », incluant un débat avec la société civile.

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Le préfet autorise TDN

Par un arrêté du 8 novembre 2017, le préfet de l’Aude a autorisé la réalisation de l’unité de traitement des nitrates (TDN). Selon lui, des « garanties » sont apportées à la population par la mise en place autour de Malvési « d’un dispositif de surveillance renforcé » et par la décision de confier à un organisme qui pourrait être l’IRSN (Institut de radio-protection et de sûreté nucléaire) la tâche de mesurer régulièrement (tous les six mois) les substances émises par TDN dans l’environnement. Les résultats, dit le préfet, seront présentés à un Observatoire regroupant élus, associations et riverains.

Lire l’arrêté (à partir de ce lien, cliquer sur RAA SPECIAL N°6 ; l’arrêté en question débute à la page 15).

L’association TCNA a annoncé le 7 mars 2018 qu’elle avait chargé un avocat d’étudier un recours contre l’arrêté. Par ailleurs, l’association Rubresus et le collectif Colère (Collectif pour l’environnement des riverains élisyques à Narbonne) ont déposé le 8 mars un recours en annulation de l’arrêté auprès du Tribunal Administratif de Montpellier puis, par la suite, un recours contre le permis de construire. TCNA, à son tour, a annoncé son intention de déposer un recours contre le permis de construire

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Covidem : des raisons de contester l’arrêté préfectoral

Le Covidem a tenu le 24 mars 2018, en présence de 250 personnes, une réunion publique pour marquer sa volonté de poursuivre la lutte contre TDN. Hervé Loquais et Albert Cormary ont rappelé les grandes lignes du projet. Mariette Gerber et Hervé Loquais (pour Stéphane Payan, malade) ont énoncé quelques unes des raisons d’intenter un recours contre l’arrêté préfectoral d’autorisation. Le recours est porté par TCNA, Colère et Rubresus, le Covidem n’étant pas une personne morale mais un collectif.

Stéphane Payan note que l’arrêté s’appuie sur les rapports d’expertise demandés par le préfet, « rapports qui comportent des manques sur de nombreux points » : sûreté du procédé, émission de perturbateurs endocriniens, risques liés à l’accumulation de faibles doses radioactives, non prise en compte du principe de précaution. Par ailleurs, le préfet n’a pas pris en compte les avis des experts indépendants commandés par le CIVL.

Autre grief à cet arrêté : il comprend des annexes « confidentielles non communicables« .

Stéphane Payan met ensuite l’accent sur le fait que l’activité de TDN ne videra pas les bassins à court terme et ne supprimera pas non plus les déchets, l’évaporation des effluents laissant un important volume de déchets solides.

De plus, dit-il, le précédé Thor est expérimental, ce qui laisse planer de nombreuses inconnues, en particulier sur la nature et le volume des rejets.

Mariette Gerber a étudié de manière détaillée cet aspect. Elle fait ressortir que l’arrêté ne prévoit pas de dispositions pour éviter certains rejets toxiques (SO2, CIH, NH3), donne des garanties insuffisantes sur les rejets d’éléments contenant des métaux ou sur la réduction de composés organiques volatils (dont le benzène), ne prend pas en compte la durée de fonctionnement de Thor au sujet des métaux lourds, ne mentionne pas la capacité du cadmium à se comporter comme un perturbateur endocrinien, ne mentionne pas le DEHP (phtalate) cela en contradiction avec la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens mise en place par le gouvernement, ignore l’ozone, n’exige pas la mesure des particules extra-fines.

Par ailleurs, un règlement récent impose l’analyse radiologique d’un site s’il doit abriter une installation source de radioactivité, ce qui aurait dû être fait à Malvesi ; cela n’est pas relevé par l’IRSN.

Mariette Gerber ajoute en conclusion : « L’étude de l’impact sanitaire par Areva a évacué tous les risques potentiels » (pour la santé humaine) « soit en les minimisant, soit par ignorance » ; aucune réunion publique ou de concertation n’a permis une bonne information des élus et du public à ce sujet.

Elle fait remarquer qu’un arrêté préfectoral a été annulé (Cergy -Pontoise, 2018) pour concertation préalable insuffisante et pour étude d’impact irrégulière et insuffisante . Des constats qui, dit-elle, peuvent être appliqués à Thor.

Voir l’intervention de Stéphane Payan : Stéphane Payan – arrêté prefectoral

Voir l’intervention de Mariette Gerber : impact sanitaire24.3

Podemos : de la rue aux institutions

« Nous avons décidé d’aller dans les institutions, au risque de se perdre, quelle autre solution avions-nous ? », dit Alberto Arricruz, expliquant la stratégie de Podemos. Ce mouvement a choisi de prolonger la mobilisation des Espagnols dans la rue depuis le 15 mai 2011 par un processus de conquête des institutions. Apparaît alors le risque que Podemos devienne un parti politique comme les autres…

Alberto Arricruz.

Alberto Arricruz.

Lire la suite sur le blog des Ami.es de François de Ravignan

Sigean : une piste cyclable espérée

Se rendre en vélo de Sigean à Port-la-Nouvelle, et vice-versa, est une aventure périlleuse, en raison de la circulation automobile sur la voie rapide qui relie les deux villes. Une piste cyclable existe, mais s’arrête à mi-parcours. Son prolongement serait à l’étude.

Nous évoquions récemment le danger auquel sont exposés les cyclistes, à la suite d’un accident mortel survenu à Narbonne et signalé par l’association VéloCité (voir l’article), qui associe ce danger au manque d’aménagements.

A Sigean, Albert Cormary fait remarquer qu’il y a « une vingtaine d’années, une trentaine de Sigeanais travaillant à Port-la-Nouvelle s’y rendaient en vélo. Aujourd’hui, il n’y en a plus un seul. Ce n’est pas qu’ils soient devenus fainéants mais parce que c’est trop dangereux.« 

Une piste cyclable existe toutefois, de l’entrée de Port-La-Nouvelle vers la cimenterie Lafarge puis elle s’arrête au lieu-dit Col du Maçon, à la limite du Domaine de Frescati (propriété du Conservatoire du Littoral) pour devenir un sentier réservé aux adeptes très avertis du VTT. La partie manquante jusqu’à Sigean, estime Albert Cormary, serait beaucoup plus simple à réaliser, « sans qu’il soit nécessaire d’avoir une vision piste cyclable plaquée or à je ne sais combien de millions d’euros« .

Jérôme Hirigoyen, chargé de mission à la Délégation Languedoc-Roussillon du Conservatoire du Littoral, que nous avons questionné sur la faisabilité d’un tel projet, explique que, « pour des raisons écologiques et paysagères, nous évitons que les terrains du Conservatoire du Littoral soient le support de pistes cyclables bitumées et équipées de signalisation routière. Cependant, l’aménagement d’une piste en terre, praticable avec des vélos de route, peut souvent être étudié à condition que la piste emprunte des chemin déjà existants.« 

Il poursuit : « A Frescati, il faudrait que le maître d’ouvrage intéressé par la réalisation de cet aménagement communique au Conservatoire du Littoral le tracé envisagé, les équipements prévus, etc. Sur la base de la description du projet on pourrait identifier avec le gestionnaire du site (la Commune de Port-la-Nouvelle) si des enjeux écologiques seraient mis en péril, si des notices d’incidences et des autorisations administratives seraient nécessaires, etc.« 

M. Claude Roquelaure, directeur de cabinet du maire de Port-la-Nouvelle, nous précise que la piste existante avait été réalisée il y a deux ans, à l’initiative de la ville de Port-la-Nouvelle, avec l’appui du Grand Narbonne, maître d’ouvrage.

Au Grand Narbonne, on explique que des voies cyclables sont en cours d’aménagement, dans le cadre d’un maillage complet du territoire pour relier le littoral au Canal du Midi. Ce réseau est connecté à la grande voie cyclable EuroVélo 8, qui doit traverser toute la Méditerranée du nord, de Cadix à Chypre. Le tronçon Port-la-Nouvelle/Narbonne est déjà réalisé ; il longe les anciens salins vers Sainte-Lucie et poursuit sur le chemin de halage de la Robine.

Une piste Port-la-Nouvelle/Sigean se situerait en lisière de ce parcours et permettrait d’y accéder toute en permettant également de relier Sigean à Port-la-Nouvelle. La mairie de Sigean déclare que « le prolongement de la piste cyclable est à l’étude ».

Ph.C.

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Additif

M. Claude Roquelaure précise (en date du 24/11/2016) : « Effectivement cette piste peut encore être améliorée pour un usage « moins sportif ». Cependant je doute que l’on puisse franchir le Col du Maçon (partie bitumée) avec un vélo classique sauf à marcher quelques instants.

Souhaitons qu’elle soit un jour « adoucie » pour un usage polyvalent mais il y a encore de nombreux points à traiter dans le Grand Narbonne dans ce domaine, alors je crois qu’il faudra patienter un peu. Mais nous gardons cela à l’esprit et le rappellerons au Grand Narbonne de temps à autre… »

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A Narbonne, VéloCité, à l’occasion de sa « Vélorution » du 5 novembre, a mis en évidence l’inadaptation de l’aménagement urbain à Narbonne et la présence de points noirs. Elle prépare un « Livre blanc pour les déplacements doux », qu’elle présentera dans quelques mois aux élus, dans l’espoir de voir se mettre en place un plan d’ensemble à long terme d’aménagement.

Voir le site d’EuroVélo 8.

« De l’activisme au municipalisme : l’expérience de Barcelona en Comú »

L’équipe d’Ada Colau à la tête de la municipalité de Barcelone a-t-elle changé la manière de faire de la politique ou est-ce le système qui l’a changée ? Dans son mémoire de Master 2 Affaires publiques/Administration du politique, Laurent Rosello s’efforce de répondre à cette question.

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Le laps de temps d’un an pour dresser un bilan de la gestion de la nouvelle municipalité de Barcelone s’avère limitant, tant la réalité de la gestion municipale se conçoit sur un temps plus long. Laurent Rosello donne toutefois des tendances intéressantes dans son mémoire de Master 2 Affaires publiques/Administration du politique , « De l’activisme au municipalisme – l’expérience de Barcelona en Comú – « , qu’il a soutenu récemment (UFR 11 de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

Il rappelle que l’arrivée au pouvoir municipal de l’équipe de Barcelona en Comú se situe dans la lignée notamment des mouvements sociaux de la PAH (lutte contre les expulsions de propriétaires par les banques suite à la crise immobilière) et du 15-M (les Indignés). Et qu’elle représente un réel bouleversement politique, qui a mis fin, au moins provisoirement, à la domination des partis traditionnels. Ce mouvement résulte du choix de changer la politique en s’appuyant largement sur les habitants et leurs besoins concrets, hors de toute attitude politicienne.

L’auteur rappelle aussi les attentes fortes de la population : la nouvelle équipe a été élue sur un programme clair, consistant principalement à changer le modèle économique de la ville de Barcelone pour redistribuer les richesses de manière plus équitable.

Ce mémoire met en évidence l’habileté politique de la nouvelle maire et de l’ensemble de son équipe, en particulier face à la nécessité de gérer la ville avec 11 élus sur 41 et donc de faire alliance avec d’autres mouvements pour conserver la majorité de 21 voix. Cette majorité avait été atteinte, lors de la mise en place de la municipalité, grâce à l’appui d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) de la CUP (Candidatura d’Unitat Popular) et du PSC (Parti Socialiste Catalan).

Lors du vote du budget, contenant en particulier un certain nombre de mesures sociales du programme de Barcelona en Comú, ce mouvement a dû négocier avec ses alliés : le PSC a demandé des assurances concernant la couverture d’une des artères de la ville ; ERC a demandé l’élargissement des tarifs réduits pour les transports en commun aux mineurs de 14 à 16 ans ; la CUP avait demandé la prise en compte de mesures sociales et la dissolution de la brigade anti-émeute de la police municipale. Ada Colau a enlevé tout pouvoir à la brigade anti-émeute, sans pour autant la dissoudre, d’où un vote de la CUP s’opposant au budget, qui a donc été rejeté. Ada Colau a alors accepté de dissoudre la brigade anti-émeute et de pousser plus loin le programme de re-municipalisation (en prévoyant la fin de certaines délégations de services publics), ce qui a permis le vote du budget.

Tout en continuant à jouer l’indispensable union Barcelona en Comú-ERC-CUP-PSC, l’équipe d’Ada Colau s’est rapprochée du PSC, semble-t-il sans faire de concessions, faute de pouvoir resserrer davantage les liens avec ERC ou la CUP, qui ont tendance à jouer la surenchère.

Ada Colau et son équipe, en centrant leur politique sur la priorité économique et sociale, gardent leurs distances avec les indépendantistes tout en ayant travaillé à la reconnaissance du droit au référendum sur l’indépendance.

L’autre défi pour la nouvelle équipe était de satisfaire les électeurs. Le bilan d’une année de mandat est loin d’être négligeable : actions pour l’emploi et baisse du chômage (certes, dans une conjoncture favorable) ; récupération de 200 logements de la Sareb (la banque en charge de la liquidation des logements expropriés par les banques), pour les reconvertir en logements sociaux ; arrêt de 653 procédures d’expulsion ; sanction à l’encontre des propriétaires de logements touristiques illégaux (696 logements objets de sanctions) ; mise en place de la re-municipalisation des crèches ; aides sociales accrues…

Toutefois, certaines associations représentatives de la population critiquent la lenteur du système administratif municipal. Elles critiquent aussi la gestion de certains dossiers, comme ceux du comportement de la police municipale, de la grève des transports publics ou encore des « manteros » (les vendeurs ambulants).

L’équipe d’Ada Colau doit donc, d’ici la fin de son mandat, dans trois ans, d’une part maintenir l’équilibre d’une majorité au conseil municipal, d’autre part, réussir à mettre largement en œuvre son programme pour ne pas décevoir les habitants de Barcelone.

Ph.C.

Lire le mémoire : memoire-colau-de-lactivisme-au-municipalisme-1

Lire, sur ce blog : « Barcelona en Comú, une gestion municipale alternative qui s’appuie sur les habitants ».

Et « Barcelone en Commun : demandez le programme ! »

 Sur la stratégie de Podemos, lire : « Podemos : de la rue aux institutions ».

DOMAINE DES 2 ÂNES : la sécheresse, en vigne, c’est relatif

L’année 2016 a été celle d’une sécheresse record, avec de fortes baisses de récolte pour la viticulture en Languedoc-Roussillon. Au Domaine des 2 Ânes, où l’on cultive en biodynamie, le rendement n’a diminué que de 10 % par rapport à une année moyenne. La vigne supporte mieux le stress hydrique avec un bon enracinement, un sol vivant et des cépages adaptés.

Magali Roux : "Lorsque je me suis installée, je cherchais des parcelles avec des cépages locaux, qui résistent bien à la sécheresse".

Magali Roux : « Lorsque je me suis installée, je cherchais des parcelles avec des cépages locaux, qui résistent bien à la sécheresse ».

Les relevés du poste météo Inra-Agroclim (Pech Rouge, Gruissan) montrent que 2016 est, depuis 1990, l’année la moins arrosée et avec la plus forte évapo-transpiration (1). L’année, donc, soumise à la plus grande sécheresse depuis vingt-six ans (source Inra Pech Rouge, Hernán Ojeda). En même temps, l’indice de sécheresse montre un bilan hydrique défavorable tous les ans depuis 2000 à des degrés divers.

Cette manifestation locale du réchauffement climatique conforte les vignerons qui voient dans l’irrigation LA solution à la sécheresse qui pourrait s’accentuer dans les années à venir.

A Peyriac-de-Mer (Aude), Magali Roux (Domaine des 2 Ânes) voit les choses différemment. Pour ces vendanges 2016, le domaine a rentré une récolte inférieure de 10 % à la normale, là où des vignerons voisins ont enregistré des coups de ciseau de l’ordre de 40 %. Le rendement moyen du domaine, situé intégralement en appellation Corbières, est cette année de 37 hl/ha, sa moyenne variant selon les années de 35 à 45 hl/ha (en AOP Corbières, le rendement maximum autorisé est de 50 hl/ha).

Le terroir des 2 Ânes est argilo-calcaire avec deux types de parcelles. Celles autour de la cave ont un sol moins profond ; par contre, celles à la périphérie ont de l’eau en profondeur comme l’indique le nom du tènement (Les Fontanilles). Celles-ci ont fait, cette année, un bon rendement.

Magali Roux met l’accent sur l’enracinement de la vigne : « En viticulture biologique, on favorise un enracinement profond soit par le labour soit par l’enherbement. La charrue coupe les radicelles que la vigne produit tout le temps ; ainsi on amène la racine principale à plonger dans le sol. Avec l’enherbement c’est pareil ; l’herbe concurrence la vigne, alors ses racines plongent. Quand on laisse l’herbe, on la tond pour éviter trop de concurrence. »

« Ici on a tout essayé, ce qui marche le mieux c’est de labourer l’inter-rang intégralement deux à quatre fois par an, de mars au début de l’été ; sur le rang, on passe l’inter-ceps une fois sur deux ou sur trois ; et on finit à la pioche. En hiver, on laisse l’herbe pour réduire le tassement des sols et permettre plus de vie dans les sols. »

La vie des sols est en effet un autre élément important vis-à-vis de la résistance à la sécheresse. En bio, pas de désherbage chimique (qui stérilise le sol). Au Domaine des 2 Ânes, pour éviter le tassement des sols la mécanisation est réduite aux labours et aux traitements ; les vendanges sont manuelles. « L’idéal ce serait le cheval, mais il faudrait vendre la bouteille de 20 à 40 € ; il faut trouver un compromis. »

Autre moyen de favoriser la vie des sols, l’épandage une fois par an de compost végétal ou de fumier de brebis : « mieux vaut un petit apport chaque année, sans trop, pour éviter un excès de vigueur de la vigne. » Des sols plus riches en matière organique sont plus vivants, la terre plus souple, ils gardent mieux l’humidité. Toute cela favorise l’équilibre de la plante.

Une parcelle de Grenache.

Une parcelle de Grenache.

Quant aux cépages, ils sont un élément primordial face à la sécheresse. En s’installant à Peyriac-de-Mer, Magali Roux a veillé à acquérir des parcelles avec des cépages locaux, qui résistent bien à la sécheresse. Les replantations ont aussi été faites majoritairement avec des cépages autochtones. Il y a d’abord beaucoup de Carignan : « Cette année, ça a été magique. Le Carignan donne toujours, qu’il fasse sec, pas sec, chaud, froid, du vent ; c’est le plus adapté. »

Il y a du Grenache, « qui résiste bien à la sécheresse mais coule facilement ; et il est sensible au mildiou (ça n’est pas important car nous avons de bonnes armes contre le mildiou)« , du Mourvèdre et du Cinsault, également résistants à la sécheresse.

Et de la Syrah, seul cépage non autochtone sur le domaine : « A Fontanilles elle a été magnifique, nous l’avons plantée sur une exposition nord et sur des sols profonds, ce qui lui va bien ; devant la maison (avec un sol moins profond) elle a été jolie mais avec de petits grains ; c’est une vigne jeune, aux racines pas très profondes et qui auparavant a été cultivée en chimique, elle a un peu de mal à s’implanter. Les jeunes vignes, des années comme ça elles souffrent de toutes façons.«  Au 12 octobre, on trouvait toutefois peu de feuilles sèches même dans cette parcelle.

Magali Roux considère « qu’avec les cépages locaux il n’est pas nécessaire d’irriguer. C’est un raisonnement que n’ont pas beaucoup de vignerons qui sont là depuis longtemps. La vigne est une plante qui pousse dans le sec, sauf si elle est mal implantée ou que l’on veut produire 80 à 150 hl/ha. On a planté des Merlot, des Chardonnay, qui n’ont rien à voir avec la région et qui rencontrent des problèmes. Ce faisant, on fait un choix purement économique » (sans tenir compte de la plante et du terroir).

La parcelle de Syrah "la moins belle", près de la cave.

La parcelle de Syrah « la moins belle », près de la cave (photo prise le 12/10/2016).

Mais la qualité des vins ? « Le Carignan n’est pas trop classé comme cépage qualitatif parce qu’il est aussi capable de produire beaucoup. Taillé long, avec des engrais, il donne de hauts rendements, il a du mal à atteindre une bonne maturité et cela donne des vins rustiques, pas intéressants. Il est aussi, souvent, ramassé trop tôt alors qu’il faut attendre la maturité phénolique (de la peau et des pépins), pas que le taux de sucre ; pour cela, pas besoin d’analyse, il faut goûter, si c’est bon à manger cela fera du bon vin. A 50 hl/ha, avec un Carignan sain, on atteint sans problème la bonne maturité. La pluie ne le fait pas pourrir, sauf si le raisin est déjà abîmé, par le ver de la grappe par exemple, ou s’il est trop entassé parce qu’il y a trop de charge. »

« N’importe quel cépage, si on produit trop, ne donne pas de bons vins. On dit que les vieilles vignes de Carignan font de bons vins, mais les jeunes aussi, elles peuvent faire de très bons vins de fruit si on maîtrise le rendement. »

« Ce qui vaut pour la sécheresse vaut aussi les années où il pleut beaucoup : l’important, c’est l’équilibre en général, les pratiques qui permettent à la vigne de compenser, de se réguler d’elle-même. Nous, nous ne faisons pas plus 15 % quand il pleut beaucoup, la production est plus régulière. »

Et puis il y a la biodynamie. « Les préparations biodynamiques aident à tout ça. Elles favorisent la vie des sols, elles boostent la vie micro-bactérienne, favorisent une meilleure décomposition. En bio, les sols sont souples, en biodynamie ils sont souples et plus aérés. Il n’y a pas de gros changements, c’est une addition de petites choses. »

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Une partie du travail se fait en fonction des cycles de la lune (mieux vaut tailler en lune descendante, par exemple). « Pour le travail de cave, c’est plus facile parce qu’on peut plus facilement le programmer. Pour la vigne, ce n’est pas à 100 % pour des raisons pratiques. »

Le résultat « se voit sur la plante : le but c’est qu’elle se défende mieux. En bio, il y a beaucoup de traitements, mais avec la biodynamie on arrive à sous-doser, de moitié à trois quarts de dose selon la pression. Et les traitements de fond favorisent la bonne santé de la plante et des sols, la plante se défend mieux, c’est comme nous, si on mange équilibré on a moins de maladies. »

1) L’évapo-transpiration est la quantité d’eau qui s’en va vers l’atmosphère par évaporation au niveau du sol et par la transpiration des plantes, sous l’effet de la température élevée.

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Les ânes participent au pré-taillage

Magali Roux s’est d’abord installée en viticulture en Beaujolais, d’où elle est originaire, avant de venir dans le Midi en 2000. Elle s’occupe surtout de la cave et de la commercialisation ; son compagnon, Dominique Terrier, de la vigne et « un peu de tout ». Il y a aussi un salarié pour la vigne.

Le Domaine des 2 Ânes compte 21 ha. Le vin est vendu tout en bouteilles, à l’export, pour environ la moitié, et chez des cavistes, un peu au caveau.

Les ânes qui ont donné leur nom au domaine sont là avant tout pour le plaisir. Ils participent aux travaux en pré-taillant une partie des vignes, de décembre à mars : l’âne aime bien tout ce qui est ligneux, dont les sarments ; il mange le bout, sans aller trop loin, ce qui convient parfaitement.

Voir le site du domaine.

Les deux ânes, qui en ce moment sont trois, participent au pré-taillage en mangeant le bout des sarments.

Les deux ânes, qui en ce moment sont trois, participent au pré-taillage en mangeant le bout des sarments.

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Réchauffement climatique : des réponses diverses

Les effets avérés du réchauffement climatique renforcent le discours du monde agricole, viticole en particulier, qui, dans notre région, réclame davantage de moyens en irrigation, qui sont pour lui la solution pour maintenir des rendements économiquement viables et pour assurer la qualité du raisin. Les études ont en effet montré qu’un apport d’eau minimal en été, par la pluie et, à défaut, par l’irrigation, permet au raisin d’atteindre la maturité sans encombre, en évitant un stress hydrique excessif. Autrefois considéré comme un gage de qualité, le stress hydrique, s’il atteint des sommets, peut en effet bloquer la maturation et nuire à l’équilibre des vins et à leur expression aromatique.

Si il y a quelques années, la profession viticole mettait surtout en avant les aspects qualitatifs du manque d’eau, elle ne craint plus aujourd’hui de souligner aussi l’aspect quantitatif. Une baisse excessive de rendement, en diminuant la récolte, peut en effet amener les recettes en dessous des coûts d’exploitation.

On a, en Languedoc, la mémoire des années de surproduction et on sait qu’un choix économique de l’irrigation poussé à l’extrême pourrait amener le retour à de forts rendements, défavorables à la qualité mais aussi à l’équilibre des marchés.

La recherche de solutions moins mécanistes (cépages résistants à la sécheresse, bon enracinement, vie des sols…) est une autre voie, même si elle ne répond pas entièrement à toutes les situations. Elle offre aussi l’avantage de limiter les lourds investissements dans les retenues et les réseaux d’irrigation et de préserver la ressource en eau.

Ph.C.

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Louis Fabre : le sol y fait beaucoup

Pour le vigneron du Château de Luc (Luc-sur-Orbieu), qui cultive en agriculture biologique, l’enracinement de la vigne est un facteur important de résistance à la sécheresse. Il en souligne toutefois certaines limites.

« Les jeunes vignes, même de Carignan, craignent la sécheresse ». Et, y compris pour les vignes plus âgées, « il y a des sols plus exposés à la sécheresse : les sols superficiels et ceux où les racines ne descendent pas parce que dessous il y a du rocher, de l’eau ou encore, comme c’est le cas sur certaines de mes parcelles, du gravier. L’Inao (2) dira que ces zones ne sont pas des terres à vigne, mais tu y fais du très bon vin si tu peux apporter un petit peu d’eau du 14 juillet au 15 août. »

L’irrigation au goutte-à-goutte, poursuit-il, favorise la formation d’un bulbe là où l’eau sort, au détriment d’un enracinement profond. Pour éviter cela, dans les parcelles équipées de goutte-à-goutte, il pratique un apport d’eau non pas continu mais espacé, équivalent à de petites pluies ; là, l’enracinement est meilleur.

Les cépages sont plus ou moins résistants à la sécheresse, « mais le clone joue aussi ». « Et le vent a son importance : les vignes plantées dans le sens du vent sèchent plus que celles plantées en travers du vent. »

« Les pratiques culturales accompagnent la résistance à la sécheresse, mais le sol y fait beaucoup », conclut Louis Fabre.

2) Institut national de l’origine et de la qualité.

Voir le site de la Famille Fabre.

Conseils citoyens politique de la ville : nouveau départ ?

Ayant pris acte de la diminution du nombre de participants des Forums citoyens de Narbonne (conseils citoyens politique de la ville), les pouvoirs publics ont décidé de les relancer. Ils organisaient, ce 19 octobre à la Médiathèque, une réunion d’information destinée à faire appel aux personnes intéressées, en présence de représentants du Grand Narbonne, de la Ville et de la Sous-préfecture.

Rappelons qu’au départ les Forums citoyens ont été constitués par tirage au sort des habitants sur listes électorales et par tirage au sort des associations ou acteurs locaux (commerçants par exemple) candidats. Désormais, toute personne intéressée pourra faire partie des Forums. C’était une revendication du milieu associatif notamment.

Les personnes souhaitant participer aux Forums citoyens sont donc invitées à une réunion de présentation le jeudi 3 novembre à 17 h 30 dans les locaux d’In’ess, 30, Av. Pompidor.

On peut voir, sur le SIG de la politique de la ville, le périmètre des quartiers politique de la ville. Il semble toutefois que les personnes n’habitant pas dans un quartier politique de la ville ne seront pas mises dehors ; peut-être n’auront-elle pas le droit de vote lors des décisions de ces Forums (puisque leur objet est de donner un avis sur la « politique de la ville »).

Même si certains d’entre eux ont été plus ou moins en sommeil, les Forums ont travaillé. Ils ont notamment émis des propositions pour le Contrat de Ville de Narbonne. Leurs membres reconnaissent que c’est un travail de longue haleine mais avec déjà des résultats. C’est aussi le cas à Lézignan-Corbières, signale Irène Poutier, déléguée du préfet pour la politique de la ville à Narbonne et Lézignan : « Il y a un travail intéressant, discret mais très concret. Là comme ailleurs, rien n’est parfait mais il faut bien que l’on parte de quelque part. »

« Les initiatives des habitants sont nombreuses à Narbonne, comme les Tables de quartier, le projet Futur Narbona, le travail des associations, tous les gens qui se mobilisent, il faut trouver moyen de les mettre en synergie », dit Christian Rieussec. « Les conseils (forums) citoyens peuvent aussi être le relais de tout cela, de tous les habitants », ajoute Marie Rennes. Alex Bullich rappelle que les conseils citoyens politique de la ville ont été mis en place à la demande des gens des quartiers : « Même si ça ne marche pas partout, il y a des quartiers et des villes où ça marche. Il faut se retrousser les manches. »

L’ouverture des Forums citoyens semble réelle. Ceux qui jusqu’ici s’en sentaient exclus ont, semble-t-il, une opportunité de les rejoindre et de les faire leurs, avec ceux qui sont là depuis le début.

Ph.C.

En savoir plus sur les conseils citoyens politique de la ville :

. Conseils citoyens, mise en place laborieuse.

. Pas sans nous : faire de ce slogan une réalité.

Piétons et cyclistes à Narbonne : un accident mortel qui illustre l’absence d’aménagements

Communiqué de l’association Vélocité Narbonne (28 septembre 2016 ) :

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« Chaque année, de très nombreux piétons et cyclistes sont blessés ou tués à Narbonne.

À chaque fois on entend des commentaires «quelle malchance !», «comment est-ce possible ?» ou «incompréhensible…», comme dans l’article de L’Indépendant du jour.

Les responsabilités sont pourtant claires :

D’abord, c’est la circulation automobile, et souvent le non-respect des règles du code de la route (vitesse excessive, non-respect des passages piétons etc…) qui est la principale responsable de ces blessés et de ces morts.

Ensuite, c’est l’absence, depuis des décennies, d’une politique d’aménagement pour les piétons et les cyclistes, situation qui oblige les piétons et les cyclistes à se battre au quotidien pour faire respecter leurs droits.

Des quartiers résidentiels, des centres commerciaux, des zones artisanales ont été construits sans que jamais la circulation des piétons et des cyclistes n’ait été prévue ni même envisagée.

Trop c’est trop !

Comment continuer à fermer les yeux devant le mépris ressenti au quotidien par les habitants des Hauts de Narbonne, de Rochegrise, de Baliste ou de Razimbaud qui ne peuvent accéder au centre ville à vélo par des voies réservées.

Pourquoi doit-on mettre sa vie en péril pour aller acheter à vélo un clou ou un marteau au centre commercial, alors qu’il n’y a même plus de quincaillerie en centre ville ?

Combien d’enfants et de jeunes pourraient utiliser le vélo pour se rendre à l’école, au collège, au lycée si ils pouvaient faire ces trajets en sécurité.

Narbonne a un retard considérable dans l’aménagement de pistes cyclables séparées sur les grands axes, dans l’apaisement de la circulation en centre ville, dans le respect des trottoirs et passages piétons.

L’association Vélocité Narbonne propose depuis deux ans une autre politique.

Notre association prépare un livre blanc pour les déplacements doux.

Les solutions existent, qui permettraient un développement considérable de l’utilisation du vélo au quotidien, en toute sécurité. Plus de vélos, ce serait aussi un moyen de résoudre les problèmes de circulation dans notre ville.

Seule la volonté des élus de Narbonne et du Grand Narbonne fait défaut pour l’instant.

Nous ne pouvons continuer à nous taire.

Ces accidents ne sont pas la faute à pas de chance.

Que ce nouvel accident soit enfin le départ d’une prise de conscience : la ville et ses voies de circulation doivent être partagées par tous les usagers.

Agissons tous ensemble et vite… « 

Martin Guillemot

Président de Vélocité Narbonne

le blog: velocitenarbonne.wordpress.com

Facebook : www.facebook.com/velocitenarbonne

Mail : velocitenarbonne@gmail.com

Grand Narbonne : les transports publics réorganisés

Depuis le 1er septembre, la nouvelle organisation des transports publics du Grand Narbonne est en place. Elle met en avant un réseau élargi, avec des bus plus fréquents, plus rapides et des prix constants. Le service reste assuré par Keolis, dont la délégation de service public (DSP) a été renouvelée pour huit ans.

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Le Grand Narbonne a profité du renouvellement de la DSP des transports publics pour revoir l’offre, en l’adaptant au périmètre actuel de l’agglo, passé en huit ans (la précédente DSP avait été signée en 2008) de 18 communes à 39. C’est ce qu’ont expliqué, le 31 août, les représentants du Grand Narbonne et ceux de Keolis, qui présentaient la nouvelle situation.

La nouvelle offre, disent-ils, issue d’une concertation des élus et des techniciens au sein d’un comité de pilotage, est davantage harmonisée sur l’ensemble du territoire de l’agglo. Elle prend en compte non seulement les scolaires mais aussi les autres usagers, par exemple pour le trajet domicile-travail, avec aussi une desserte permanente des villages, y compris hors périodes de vacances scolaires.

Cette réorganisation permet de proposer des bus plus fréquents, plus directs (avec des trajets plus courts), à des prix pour les usagers inchangés dans l’ensemble.

A Narbonne, les « nouveaux » quartiers sont mieux desservis : Saint-Germain (face à Plaisance), Réveillon, La Coupe, Crabit, avec de nouveaux arrêts et des passages plus fréquents. Certaines lignes sont plus directes et certains temps de parcours réduits (avec suppression de huit arrêts quasiment inutilisés, remplacés par huit arrêts mieux placés).

La navette gratuite au cœur de ville, la Citadine, est maintenue.

Dans les villages, le nombre de trajets a été augmenté vers certaines communes (Ginestacois, canton de Sigean). Sigean devient une plate-forme d’échanges (correspondance pour les communes les plus éloignées de Narbonne), qui permet de raccourcir les temps de parcours.

Globalement, la nouvelle offre comporte « 18 % de kilomètres en plus ». Cela pour une enveloppe (versée par l’Agglo à Keolis) « ayant augmenté dans une proportion moindre » (8 %).

Ce réseau transporte actuellement 5 millions de passagers par an (soit en moyenne 14 000 par jour). L’objectif est une augmentation de la fréquentation de 15 % d’ici 2024.

La communication sur cette offre sera améliorée, avec un site internet plus informatif et le lancement d’une application pour mobiles en 2017.

Quant aux tarifs, le Grand Narbonne « a tenu compte du niveau de vie » de la population de son territoire. Seuls augmentent les tickets à l’unité (1,20 € au lieu de 1 €) et par carnet de dix (9 € au lieu de 7 €), ce qui concerne en fait peu de monde. Par contre, les cartes d’abonnement n’augmentent pas. 20 € par exemple pour l’abonnement mensuel et 120 € pour l’abonnement annuel ; des prix bas si on les compare à la moyenne de 154 autres réseaux (30 € pour l’abonnement mensuel et 300 € pour l’abonnement annuel).

Pour les moins de 26 ans, l’abonnement annuel est à 84 €.

Et les cartes collégiens, dont le prix annuel s’échelonnait de 21 à 84 € selon le transporteur (jusqu’à présent, le territoire de l’agglo était desservi par quatre transporteurs différents), seront progressivement proposées à un tarif unique de 63 € par an.

Les abonnements gratuits sont maintenus pour certains seniors (sous conditions de revenu), les demandeurs d’emploi (avec un revenu ne dépassant pas 90 % du Smic), les personnes justifiant d’un taux d’invalidité d’au moins 80 %, les titulaires du RSA (sous conditions).

Un transport largement à charge de l’Agglo

Avant d’accorder à nouveau une délégation de service public à Keolis, le 30 juin dernier, le conseil communautaire a, selon son président Jacques Bascou, « demandé à un cabinet d’études d’étudier toutes les hypothèses. L’enquête a montré que la DSP est la solution la plus intéressante. C’est leur métier (aux entreprises de transport). Il y a eu un débat avant la décision. »

« Le conseil communautaire du Grand Narbonne », dit le vice-président du Grand Narbonne délégué aux Transports et à l’Intermodalité (par ailleurs maire de Coursan), « a pris en compte beaucoup d’éléments pour se prononcer pour une DSP » (versus Régie publique) : « Les experts disent que la DSP coûte moins cher que la régie. Il peut y avoir DSP avec une SEM (société d’économie mixte), mais c’est compliqué, la SEM se trouvant en concurrence avec le privé, et elle ne fait pas forcément mieux. »

« Il y a aussi l’économie d’échelle, favorable au privé » : quand Keolis achète un bus, il a un rapport de forces supérieur à celui d’une régie. « Pour les réparations, l’ingénierie, le savoir-faire métier, le privé est aussi mieux placé ».

Pour le directeur général France de Keolis, Frédéric Baverez, « l’expérience montre que la DSP coûte moins cher. En France, il existe peu de régies pour les transport publics (19 % des services). »

Quatre sociétés ont postulé pour la DSP lors du premier tour de table : Vectalia, Verdier, Transdev et Keolis. Les deux dernières ont finalement déposé un dossier complet. Keolis a été retenue « pour un meilleur service, la qualité de l’offre réseau et une meilleure utilisation du kilomètre ; avec une amélioration dans un budget contraint », dit Edouard Rocher.

La nouvelle DSP court donc jusqu’en 2024. Il s’agit d’une DSP unique. A cette occasion, le Conseil Départemental a passé le relais de certaines lignes au Grand Narbonne et les transporteurs partenaires, Rubio, Capdeville, ABC Taxis, dont certains avaient des DSP, sont tous devenus sous-traitants de Keolis. La complémentarité de ces entreprises, explique Frédéric Baverez, permet plus de flexibilité, en cas de surcroît d’activités par exemple, ou pour réduire la distance par rapport au dépôt des bus, ou encore en pouvant disposer de véhicules de différentes tailles, selon la demande.

L'inauguration de la nouvelle offre de transport du Grand Narbonne, le 31 août, avec Jacques Bascou, président de l'Agglo, qui tient le ruban ; à sa droite, Frédéric Baverez, PDG de Keolis ; à sa gauche, Edouard Rocher, vice-président de l'Agglo ; 2e à gauche, Didier Mouly, maire de Narbonne.

L’inauguration de la nouvelle offre de transport du Grand Narbonne, le 31 août, avec Jacques Bascou, président de l’Agglo, qui tient le ruban ; à sa droite, Frédéric Baverez, PDG de Keolis ; à sa gauche, Edouard Rocher, vice-président de l’Agglo ; 2e à gauche, Didier Mouly, maire de Narbonne.

Le contrat de la DSP s’élève à 10,1 M€ par an au lieu de 9,3 M€ précédemment. C’est la somme que l’Agglo verse à Keolis, qui encaisse aussi les recettes, soit 1,3 M€ par an (1). On voit donc que les transports publics du Grand Narbonne sont largement supportés par la collectivité, la part acquittée par les usagers étant minime : en moyenne 0,26 € par trajet sur un coût moyen du trajet de 2,28 €. Ce qui illustre la réalité du service rendu au public.

L’autre aspect de la question c’est que le coût pour l’Agglo de ce transport public représente une somme conséquente. Une régie publique permettrait-elle de l’abaisser ? Ce n’est pas l’avis du Grand Narbonne.

Edouard Rocher fait remarquer que le budget transports de l’Agglo (qui est un budget annexe) est équilibré : les dépenses sont celles relatives au paiement de la DSP ; les recettes sont une compensation du Conseil Départemental et le prélèvement transport. Cette taxe transport, qui s’applique aux entreprises de plus de 9 salariés, vient de passer à un seuil de 11 salariés, ce qui engendrera une perte de recettes, à ce jour non évaluée.

Est-il possible de faire mieux ?

Si l’on part du principe qu’il faut renforcer les transports publics dans le Grand Narbonne, cela pour améliorer le service au public et pour lutter contre le réchauffement climatique (en réduisant la circulation automobile), cela pose plusieurs questions : le transport scolaire, qui constitue une part importante du transport public, semble déjà répondre à peu près à ces exigences ; l’empreinte carbone et la consommation de carburant des bus urbains sont plus faibles que celles de la voiture particulière mais les performances du tram sont nettement supérieures : construire un réseau de tram au centre-ville de Narbonne serait-il techniquement réalisable et à quel coût ? Il semble que cette option ne soit pas réaliste, compte-tenu de la configuration urbaine de Narbonne et pour une raison d’échelle (rapport population/investissement) ; la circulation automobile dans Narbonne reste relativement fluide, en comparaison avec Montpellier ou Toulouse, ce qui n’incite pas à prendre les transports en commun (voir ci-dessous la question des couloirs de bus). On peut aussi se demander si le coût de bus plus fréquents en ville serait compensé par une hausse de la fréquentation.

Ph.C.

1) Ce sont les transporteurs, Keolis et les sous-traitants, qui investissent dans le parc de véhicules, avec au total 21 bus urbains et 91 cars.

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Christophe Garreta : des interrogations sur la DSP

L’Union locale CGT de Narbonne avait, il y a quelques mois, soulevé la question des transports publics, en faisant notamment venir à Narbonne le président de la Setram (société d’économie mixte des transports en commun du Mans Métropole), Jean-François Soulard. La Setram a une DSP de la métropole.

« Une régie publique ne coûte pas plus cher et rend de meilleurs services aux usagers », dit Christophe Garreta, le secrétaire général de l’UL. « Nous avons beaucoup d’interrogations sur la DSP du Grand Narbonne à Keolis : huit ans, c’est plutôt long ; l’offre, avec de faibles fréquences, ne correspond pas aux attentes et mériterait une mise à plat, il semble que cela n’ait pas été fait ; la part versée à Keolis, qui va à Keolis France, représente beaucoup d’argent public qui serait mieux utilisé dans une régie publique. »

Les couloirs de bus ne sont plus réservés aux bus

Le temps de trajet des bus urbains est réduit lorsque les bus bénéficient de voies de circulation exclusives. A Narbonne, où des couloirs de bus sont en place sur les grands boulevards, la municipalité a supprimé l’exclusivité dont bénéficiaient les bus, permettant désormais aux voitures de les emprunter.

Nous avons demandé à la mairie la raison de cette décision et voici sa réponse :

« Les schémas de mobilité et de déplacements urbains prévoient que les bus et les voitures circulent désormais en espace partagé et non plus réservé, comme cela se pratiquait auparavant, pour optimiser au maximum le trafic sur chacune des voies concernées. »

« A cet égard, un calcul simple permet d’étayer ce principe. Sur les grands boulevards de Narbonne, et selon les comptages réalisés par les services techniques de la Ville, le trafic moyen sur une voie de circulation est de 700 voitures/heure. A raison de deux personnes à bord, quelque 1 400 personnes se déplacent ainsi à l’heure. A bord d’un bus (capacité moyenne de 50 passagers et cadencement d’un bus tous les quarts d’heure), le nombre de personnes transportées est de… 200. »

« Enfin, le retour au double sens de circulation sur certains de ces boulevards, qui a entraîné la suppression de certains couloirs de bus, au début de l’été, répond également à une impérieuse nécessité de fluidification du trafic urbain, fortement perturbé depuis la fermeture, par l’État, du pont de Carcassonne. Les effets positifs de cette décision ont été observés très rapidement, en particulier aux heures de pointe. »

L’usure du macadam

Les désaccords entre le Grand Narbonne et la Ville de Narbonne ne se limitent pas aux couloirs de bus. La Ville a demandé à l’Agglo (le dernier courrier, qui est une relance, date du 29/02/2016) une subvention dont elle fixe le montant à 500 000 € par an pour « participer à l’entretien des chaussées » en raison de l’usure provoquée par les pneus de bus urbains et interurbains.

Le Grand Narbonne a répondu négativement, le 16/03/2016, s’appuyant sur le Code de la voirie routière qui attribue aux communes de façon indissociable à la fois la voirie et la police de la circulation. Et par ailleurs sur le Code des collectivités territoriales, qui dit que ces dépenses font partie des dépenses obligatoires des communes.

Ports du Languedoc-Roussillon : …………Des projets qui ignorent la réalité économique

Quel est l’avenir des ports du Languedoc-Roussillon ? Les projets d’extension à Port-la-Nouvelle, Sète ou Port-Vendres ne s’appuient pas sur la réalité. C’est l’activité économique qui fait le port et pas le contraire. Or, celle de notre région, même après la fusion avec Midi-Pyrénées, est trop faible pour justifier un projet pharaonique comme celui du « Grand Port » de Port-la-Nouvelle.

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Malgré de lourds investissements des pouvoirs publics, régionaux et départementaux (1) (500 M€ en dix-quinze ans), la réalité s’impose : les ports du Languedoc-Roussillon ont perdu 20 % de leur trafic en vingt ans.

Il n’y a pas, dans notre région, malgré les projets à Sète ou Port-la-Nouvelle, la place pour un grand port pour plusieurs raisons : nos trois ports sont trop proches les uns des autres, trop nombreux, en eaux peu profondes, ils subissent la concurrence de Marseille et de Barcelone qui mordent sur leur zone économique et qui se sont placés sur le principal marché en développement, celui des conteneurs. Un marché qui suit la logique de la mondialisation, celle de bateaux toujours plus gros et de la concentration des services portuaires sur des sites très importants.

Il y a certainement, pour les ports régionaux, des solutions mais elles sont plus modestes. Rien en tout cas ne justifie d’investir 300, 500, voire 800 M€, d’argent public dans le projet de Grand Port à Port-la-Nouvelle.

Ces constats sont ceux de l’étude économique, technique et environnementale publiée en mars 2016 par Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien « Les ports de commerce du Languedoc-Roussillon en crise ».

Jean-Claude Bisconte, universitaire, président de l’association Port-Vendres et les Port-Vendrais, a participé activement à la lutte de cette association contre les incohérences dans la gestion du port de Port-Vendres et avec d’autres associations locales ils ont obtenu l’annulation du projet de 3e quai (voir plus loin).

Une activité fatalement en déclin ?

L’étude de Jean-Claude Bisconte souligne que l’activité des ports de Sète, La Nouvelle et Port-Vendres était en 1995 respectivement de 4 Mt, 3 Mt et 250 000 t, soit au total 7,2 Mt. Elle est passée, en 2015, à 3,4 Mt, 1,5 Mt et 230 000 t, soit au total 5,2 Mt. Ce tonnage régional est très modeste si on le compare à celui des régions voisines : 82 Mt pour Provence-Alpes-Côte d’Azur, 93 Mt pour la Catalogne sud et 22 Mt pour l’Aquitaine. C’est aussi, pour notre région, à peine 1,5 % du total des ports français métropolitains.

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Le port de Sète est le plus polyvalent : vracs, liquides pétroliers, fret roulant, plaisance, pêche, trafic passagers (150 000 voyageurs par an). Mais il a presque complètement perdu son activité de conteneurs et le terminal fruitier, qui a coûté 40 M€, a fermé à la suite du dépôt de bilan de son principal client, l’exportateur israélien Agrexco (voir plus bas à ce sujet la rectification de Port Sud de France).

Port-la-Nouvelle a une activité réduite au sein du port lui-même (0,6 Mt), l’essentiel du volume étant réalisé par le sealine (débouché en mer) pétrolier. La pêche y est en recul, la plaisance marginale, il n’y a pas d’activité passagers ou de croisière et le tonnage des vracs solides a été divisé par trois en vingt ans. Une activité pourrait être liée au futur parc d’éoliennes offshore, mais pas avant 2020 pour quatre éoliennes expérimentales (l’exploitation industrielle pourrait démarrer en 2022) ; ce qui ne justifie pas un projet de port qui semble démesuré.

Port-Vendres a perdu la quasi-totalité de ses activités : la pêche (partie à Port-la-Nouvelle), les lignes de passagers et de rouliers (fermées avant 2010) et la croisière est très réduite, faute de quais adaptés ; il ne lui reste pratiquement que l’importation fruitière, qui se maintient (avec le soutien du financement public) mais aurait du mal à se développer : le marché est étroit et la concurrence élevée ; et la plaisance, menacée par la forte agitation du port lors de tempêtes. Depuis 1995, 200 emplois (sur 300 à l’époque) ont disparu.

Jean-Claude Bisconte explique cette situation ainsi : ces ports sont trop proches et trop nombreux ; la logique actuelle est d’avoir des grands ports séparés d’environ 350 km, comme c’est le cas entre Barcelone et Marseille. Nos ports se concurrencent entre eux sur un petit territoire et ils ont du mal à rivaliser avec ces grands ports où d’importants investissements privés ont été réalisés pour favoriser l’accès des grands navires porte-conteneurs. Les ports de notre région ne peuvent pas s’appuyer sur une région économique prospère ; au contraire, Marseille et Barcelone marchent sur leurs plate-bandes. De plus, la politique mondialisée des transports, en favorisant la route, nuit aux petits ports : avec le marché Saint-Charles et la nouvelle plate-forme de Logis Empordá, près de Figueres, le camion est mieux placé (et le train commence à prendre une part du trafic).

Nos ports sont aussi handicapés par une côte sableuse, peu profonde, qui réduit la possibilité d’aménagement de bassins profonds et le rend très coûteux. Le tirant d’eau maximal admis est actuellement de 13 m à Sète et de 8 m à Port-la-Nouvelle et Port-Vendres. Or, sur le marché en développement, celui des conteneurs, la norme est de 14 m de tirant d’eau pour les dix ans à venir ; mais les navires de 24 m de tirant d’eau prendront vite le dessus.

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Alors, quel avenir ? Par malchance, le Languedoc-Roussillon est la seule région côtière française à ne pas avoir de « grand port maritime » (GPM). Les GPM sont gérés par l’État, avec une vision globale au niveau national et des financements nationaux et européens. « Georges Frêche aurait dû faire le choix de demander le Grand Port Maritime pour Sète », dit J.-C. Bisconte, « mais il a préféré décentraliser. »

Dans ce panorama, le port de Sète plus que les autres a peut-être sa chance. Il pourrait être le site d’un recentrage régional même s’il manque d’espace et a un tirant d’eau insuffisant. Sa situation géographique, plus centrale, et sa proximité de Montpellier, principale zone économique de la région, sont des atouts. Ce recentrage pourrait se faire en partenariat avec les ports de Marseille et Barcelone. Il pourrait s’appuyer sur une activité polyvalente et sur le nouveau quai à conteneurs qui peut accueillir des bateaux de 13,50 m de tirant d’eau… à condition que le projet de Port-la-Nouvelle ne vienne pas le concurrencer.

La Région Languedoc-Roussillon avait, pour ses ports, parié sur le cabotage (Short sea shipping : navigation à courte distance). Ce trafic de redistribution est opéré par de petits bateaux pouvant se satisfaire de faibles profondeurs ; les navires rouliers, qui emportent des camions et leurs conducteurs ou les petits conteneurs, n’ont besoin que de 9 ou 10 m de tirant d’eau. Ce souhait s’est avéré sans suite, vraisemblablement en raison de distances trop faibles pour couvrir le coût de la rupture de charge. En fait, seule Barcelone exploite le cabotage, avec succès, avec l’Italie (donc avec des distances supérieures).

En tout cas, la solution contenue dans le projet « Grand Port » de Port-la-Nouvelle, d’augmenter le tirant d’eau du port, ne peut pas être une réponse satisfaisante, faute d’avoir été anticipée. Ce genre de travaux demande une dizaine d’années pour être réalisé, et pendant ce temps la taille des bateaux ne cesse d’évoluer. De toutes façons, on l’a vu, il ne suffit pas d’agrandir le port de Port-la-Nouvelle pour attirer le trafic.

Port-la-Nouvelle : une extension plus grande qu’annoncé ?

Le projet d’extension du port de Port-la-Nouvelle, à l’initiative de la Région, était lié au départ (2011) à la possible implantation d’une usine d’huile de palme par la multinationale Sime-Darby (originaire de Malaisie). Après l’abandon de ce projet de « très grand port », la Région a repris à son compte le projet d’extension, sur fonds publics. Ce qui a donné lieu à un débat public organisé par la Commission Nationale du Débat Public (décembre 2012 à avril 2013).

Voir les conclusions de la CNDP (portlanouvelle-bilan-cndp) – page 11 – et le Dossier du Maître d’ouvrage (portlanouvelle-dossier-mo) ou sa synthèse (portlanouvelle-synthese-dossier-mo).

Port-la-Nouvelle

Port-la-Nouvelle

Le projet présenté au débat public comprend une zone d’activités portuaires à terre de 100 ha, dont la première tranche est en travaux depuis quelques mois (l’enquête publique a eu lieu au printemps 2015), et, dans un deuxième temps, l’agrandissement des jetées et des bassins. Ce projet (dénommé 3C), tel qu’il a été présenté par la Région (maître d’ouvrage), prévoit 3 000 mètres de digues nouvelles pour accueillir des bateaux de 225 m de long et de 12,50 m de tirant d’eau (« pouvant atteindre, sur certains postes, 14,50 m »). Le tout pour un coût de 310 M€.

Mais, fait remarquer Jean-Claude Bisconte, il y a une anomalie au sujet du tirant d’eau. Il souligne la différence entre hauteur d’eau (la profondeur de la passe) et tirant d’eau (la hauteur de la partie immergée du bateau, qui varie en fonction de la charge). Par sécurité, le tirant d’eau acceptable est inférieur de 10 à 20 % à la hauteur d’eau. Compte tenu des dimensions des jetées présentées dans le projet d’extension du port de Port-la-Nouvelle, l’entrée de la passe se situerait à une profondeur de 13,50 m, ce qui donnerait un tirant d’eau de 10,80 m. On est loin de 14,50 m… à moins que la Région ait un projet non avoué de placer la passe d’entrée plus loin, sur un fond de 17,50 m, comme le signale, selon Jean-Claude Bisconte, un document du cabinet d’étude Egis Eau daté de 2015.

Le coût du projet serait alors bien différent. Il pourrait atteindre 500 M€, chiffre cité en mars 2016 par Bernard Fourcade, président de la Chambre régionale de commerce. Voire 600 à 800 M€ selon une estimation de Jean-Claude Bisconte, du fait de jetées bien plus longues, d’un bassin à creuser plus étendu, de la nécessité d’aménager des quais plus larges pour accueillir les grands porte-conteneurs (puisque l’on parle de 17,50 m de hauteur d’eau, ce qui donne 14 m de tirant d’eau) et des équipements adéquats.

Dans ces conditions, ce projet paraît complètement disproportionné à Jean-Claude Bisconte. Sans s’appuyer sur une étude de marché ni sur une étude d’impact, il coûterait très cher tout en étant déjà dépassé compte tenu du marché et de la concurrence ; en sachant aussi qu’il concurrencerait le port de Sète sur l’activité conteneurs.

Impact négatif sur le trait de côte et risque d’ensablement

Les jetées actuelles du port de La Nouvelle sont à l’origine d’une modification du trait de côte : sous l’effet des courants marins, contrariés par les jetées, la plage s’étend vers le large au sud du port et recule au nord. L’extension du port, estime Jean-Claude Bisconte, avec des jetées plus avancées en mer, ne peut qu’accentuer ce phénomène. Le résultat pourrait être une ouverture plus grande et permanente du grau de la Vieille Nouvelle, avec pour conséquence la perturbation de l’équilibre de l’Étang de l’Ayrolle.

Par ailleurs, le projet d’extension 3C prévoit une passe orientée dans le sens du vent dominant (pour faciliter les manœuvres des bateaux). Avec la faiblesse du fond marin, on peut craindre, lors des tempêtes, la formation de bancs sableux à l’entrée du port. A la nécessité de draguer la passe régulièrement (ce qui représente un coût important) s’ajouterait le risque d’interruption temporaire du trafic.

La montée du niveau de la mer due au réchauffement climatique accentuerait ces deux tendances (érosion du trait de côte et ensablement).

Autant de raisons, économiques et environnementales, qui font dire à J.-C. Bisconte que le site de Port-la-Nouvelle ne convient pas à un port profond.

Mise à jour (18/11/2017) : la Région Occitanie a inauguré, le 17 novembre 2017, la plate-forme Nord de Port-la-Nouvelle (24 ha) et a annoncé que les travaux d’agrandissement du port (partie quais et jetées) débuteraient à l’automne 2018, après l’enquête publique prévue pour début 2018. La Région va investir dans un premier temps 210 M€ sur le port, puis 100 M€ de plus, notamment pour agrandir la plate-forme logistique jusqu’à 80 ha. Il a été confirmé que le port doit accueillir des navires allant jusqu’à 14,50 m de tirant d’eau.

Mise à jour (15/04/2018) : l’enquête d’utilité publique est ouverte du 16 avril au 16 mai. Accéder au dossier.

Port-Vendres : après l’échec du 3e quai, un plan B

Prospère à l’époque coloniale du fait de sa proximité avec l’Afrique du Nord, le port de Port-Vendres n’a plus qu’une activité principale fragile, celle de l’importation de fruits tropicaux (notamment bananes, par la Compagnie Fruitière) et de légumes (tomates du Maroc). Il est aujourd’hui inadapté parce que trop petit, pas assez profond, sans connexion ferroviaire ou fluviale, éloigné des centres de consommation du nord de l’Europe. Il est aussi handicapé par sa situation au cœur de la ville de Port-Vendres qui, en raison du bruit, entraîne l’impossibilité d’activité la nuit et le week-end.

Port-Vendres.

Port-Vendres.

Les gestionnaires du port avaient, depuis vingt ans, un projet de 3e quai, qui aurait entraîné le comblement de l’anse des Tamarins. L’association Port-Vendres et les Port-Vendrais s’est battue contre ce projet qui aurait détruit cet espace naturel et touristique tout en risquant d’aggraver le problème d’agitation lors des tempêtes : l’anse joue en effet un rôle d’amortisseur.

Ce 3e quai, par ailleurs, n’avait aucune justification économique, les deux quais existants n’étant occupés qu’à 20 % de leur capacité.

En 2010, un référé sollicité par les associations locales auprès du Tribunal administratif bloque le projet. Un jugement du TA sur le fond en 2011 condamne le préfet à annuler son « autorisation sous réserve » du 27/03/2009. En 2012, le Conseil d’État déboute le Conseil général des Pyrénées-Orientales dans sa demande d’annulation de l’ordonnance de référé. Le 3e quai ne verra donc pas le jour.

L’association Port-Vendres et les Port-Vendrais critique par ailleurs le fonctionnement du port : les pouvoirs publics y ont investi 60 M€ en 15 ans alors que la société d’exploitation (CLTM) a un chiffre d’affaires de 4 M€ par an… soit 60 M€ en 15 ans. Cette société, contrairement aux usages, ne participe pas aux investissements portuaires et l’association dénonce le niveau faible du loyer qui lui est demandé.

Le Collectif d’associations de la Côte Vermeille a élaboré fin 2015 une charte-pétition pour l’avenir du port (elle a reçu 600 signatures). Le « plan B », proposé par cette charte, prévoit, sous réserve de validation par une étude économique, de privilégier la grande plaisance et les activités commerciales, artisanales et industrielles associées. L’aménagement des quais existants serait effectué de manière à favoriser cette activité, préserver le trafic fruitier, protéger le port de pêche de l’agitation. Il serait moins coûteux que le projet de 3e quai et serait créateur d’emplois.

L'anse des Tamarins à Port-Vendres.

L’anse des Tamarins à Port-Vendres.

Revenir à la notion de bien public

La gestion des ports régionaux, quelles que soient les collectivités concernées, montre jusqu’ici une absence de vision globale (2), une ignorance des réalités économiques, voire une certaine opacité. On peut s’interroger sur le comportement des élus et leurs motivations : sont-elles commandées par un souci électoraliste, par la croyance qu’il suffit d’investir pour voir s’opérer le développement économique ? On peut s’interroger sur l’utilisation de l’argent public : ne bénéficie-t-il pas trop à des sociétés privées (exploitants, bâtiment-travaux publics, études…) et pas assez à l’intérêt général (dynamisation de l’économie locale, emploi) ?

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Seuls plus de transparence, plus de communication sur les projets et leurs motivations techniques et économiques, un vrai débat avec les citoyens permettraient de lever le doute sur ces interrogations.

La Région, que nous avons contactée (le 11 août) et à qui nous avons posé des questions précises sur les aspects techniques du dossier, ne nous a pas répondu à ce jour.

Ph.C.

1) Le port de Sète est géré par l’EPR (établissement public régional) Port Sud de France-Sète, émanation de la Région ; celui de Port-la-Nouvelle est géré par la CCI de Narbonne/Lézignan/Port-la-Nouvelle par délégation de service public de la Région jusqu’au 31/12/2016.

A Port-Vendres, la situation est plus complexe, avec un propriétaire (l’État), un gestionnaire (le Département des Pyrénées-Orientales), un concessionnaire (la CCI de Perpignan, par délégation de service public du Département) et un exploitant unique, la société de manutention CLTM (Comptoir Languedocien de Transit et de Manutention, dont le dirigeant est Eric Mascle, ancien président de la CCI de Narbonne).

2) La présidente de la Région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, Carole Delga, a annoncé au printemps 2016 un Plan Littoral 21, qui prévoit de « moderniser les infrastructures touristiques et portuaires ». Ce plan sera coordonné par un Comité de pilotage État-Région.

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On peut se procurer l’étude de Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien « Les ports de commerce du Languedoc-Roussillon en crise » auprès de l’Association Port-Vendres et les Ports-Vendrais, 11 route de Banyuls 66660 Port-Vendres, moyennant un chèque de 20 €. Tél. 06 09 26 02 26.

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Des précisions de Port Sud de France Sète

Olivier Carmes, directeur de Port Sud de France Sète, nous transmet les précisions suivantes :

. « Ne pas positionner Sète dans la problématique d’ensablement, ce n’est pas le cas. Le Port de Sète a des caractéristiques nautiques exceptionnelles ne nécessitant pas d’opérations de dragage d’entretien importantes. Notre TE admissible est de 13,50 m avec une potentialité sur le quai H en cours de livraison d’un approfondissement d’un mètre soit 14,5 m admissible.

. Les plus gros porte-conteneurs aujourd’hui dans le monde = 20 500 EVP nécessitant un TE admissible de 16 m et non de 24 m ???. Mais ce n’est absolument pas la cible du Port de Sète, le TE de 13,5 m permet d’accueillir des navires de 6 000 EVP ce qui est largement suffisant.

. Entrepôt frigo, vous parlez de 40 M€ d’investissement public. En réalité, l’entrepôt = invest 100 % privé à hauteur de 24 M€. Le Port a en revanche investi dans un portique à hauteur de 8 M€.

. Sète a atteint en 2015 un trafic de 3,8 MT et non 3,4, ce qui correspond à son meilleur niveau d’activité sur les 10 dernières années, + 15 % / à 2014, dans une période de ralentissement économique mondial, c’est une performance.

. Si la Région et PSF ont investi 100 M€ depuis 2008, c’est aussi 100 M€ qui ont été investis par les opérateurs privés et nous travaillons sur quatre nouveaux projets horizon 2019 pour 70 M€ d’investissement privé.

. Les prévisions annoncées dans le projet stratégique du Port de Sète sont ambitieuses en période de crise mais raisonnables : croissance annuelle de 5 % par an pour atteindre 4,6 MT. »

La réponse de J.-C. Bisconte à O. Carmes

« …Les chiffres d’activités sont ceux de 2014 car mon étude a été réalisée en 2015.

Le tirant d’eau Suez max « standard » des Grands et des Très Grands Ports vise des TE de 21/22 m même s’il est vrai que le canal a été recalibré à 24 m. Par ailleurs, cette observation se rapporte au projet TGP de PLN qui est totalement dépassé de ce point de vue alors que certains édiles consulaires prétendent vouloir concurrencer Barcelone et Marseille…

Vous ne le notez pas mais le point essentiel est bien de dénoncer la dispersion des moyens portuaires et de poser la question d’unir les efforts pour que la région occitane ne soit pas la seule sans GPM.

Mes conclusions que vous ne sauriez récuser sont que si un tel port devait exister ce ne pourrait être qu’à Sète, même si des questions comme les aires logistiques handicapent le potentiel du port. Sincèrement. »

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Sète : une lettre ouverte de la Confédération Paysanne à Carole Delga.

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Lire aussi, dans ce blog, « La Nouvelle, port et réserve naturelle, un voisinage à réussir ».

A lire, également dans ce blog, « Port-Vendres, le 3e quai refait surface ».

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Un chalutier rentre au port de La Nouvelle.

Un chalutier rentre au port de La Nouvelle.

GRUISSAN : Quel aménagement pour La Sagne ?

La municipalité de Gruissan envisage d’urbaniser une zone agricole et naturelle située au nord de la commune, La Sagne. Un projet qui ne fait pas l’unanimité. Et qui reste flou : une étude de marché, en cours, devrait le faire évoluer.

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Le projet d’urbanisation de La Sagne date de quelques années. Selon les différents documents consultables sur le site de la mairie de Gruissan, il concerne un secteur situé au nord de l’agglomération actuelle, entre les lotissements existants Bd. de Planasse (au nord du Pech Maynaud) et la route de Narbonne-Plage (CD 332). Cette zone a une superficie totale de 43 ha mais une vingtaine seulement serait urbanisée, le reste étant situé en zone humide ou « zone humide asséchée ». Actuellement, La Sagne est en partie cultivée (vigne, oliviers), en partie en friche ; il y a quelques maisons, dont trois ou quatre habitées, d’autres vétustes, et aussi des cabanons. La zone humide est située au bas du secteur (au sud).

Le secteur de La Sagne vu d'avion : c'est la zone située au premier plan, jusqu'au Bd. De Planasse qui la sépare du premier lotissement et du secteur du Casino. La photo est un peu ancienne ; depuis, des immeubles ont été construits sur l'espace vide triangulaire que l'on aperçoit à droite, face au Casino. (Photo Mairie de Gruissan)

Le secteur de La Sagne vu d’avion : c’est la zone située au premier plan, jusqu’au Bd. De Planasse qui la sépare du premier lotissement et du secteur du Casino. La photo est un peu ancienne ; depuis, des immeubles ont été construits sur l’espace vide triangulaire que l’on aperçoit à droite, face au Casino. (Photo Mairie de Gruissan)

La Sagne se trouve en zone I AU (« à urbaniser ») du PLU (Plan local d’urbanisme), selon lequel « l’ouverture à urbanisation du secteur, à partir des conclusions (d’une) étude préalable d’urbanisme, sera possible par modification du PLU. »

Pour la municipalité, cet aménagement est destiné à prévoir l’avenir pour faire face à l’augmentation rapide des habitants permanents (2 170 en 1990 ; 4 676 en 2010, avec toutefois un léger repli en 2012, avec 4 631 habitants) : « C‘est la dernière opportunité d’aménagement et de développement urbain de Gruissan« . Les documents précisent bien que ce nouveau quartier est destiné à du logement permanent (en été, la population de Gruissan s’élève jusqu’à 60 000 hbts).

Le projet d’aménagement doit aussi permettre de construire des logements sociaux (sur environ le tiers de la zone aménagée). « L’augmentation de la population de Gruissan« , explique le directeur du cabinet du maire, « est due surtout à l’arrivée de jeunes retraités. Il y a deux ans une classe de l’école élémentaire a fermé : ce manque de jeunes est lié au coût du foncier, qui est inabordable pour les jeunes ménages. La demande de logements sociaux est actuellement de 260, parmi la population existante ; mais construire du logement social dans le village ancien est trop cher. » D’où le projet de construire du neuf.

L‘aménagement du quartier se ferait « par phases, en plusieurs étapes, sur au moins 15 ans« . La municipalité n’a pas souhaité, dans l’immédiat, communiquer davantage sur le projet : « La concertation avec les propriétaires a montré qu’il y avait une certaine opposition ; nous sommes partis sur une étude de marché qui fera évoluer le projet.« 

Une vigne en production; vue sur la Clape.

Une vigne en production ; vue sur la Clape.

Le nombre de logements ne sera peut-être pas aussi important que celui annoncé dans les différents documents : Le diagnostic de l’étude préalable d’urbanisme (octobre 2009) parle de 650 logements à La Sagne, soit environ 1 500 habitants. Le document « synthèse des enjeux » (2015) présente deux scénarios : le premier avec 1 000 logements, soit 2 300 habitants, le second avec 1 400 logements, soit 3 220 habitants.

Dans tous les cas, ces chiffres sont en contradiction avec le Scot (SCoTNarbonnaise) de la Narbonnaise, qui, dans l’objectif de limiter l’urbanisation sur les Espaces Proches du Rivage, plafonne à 50 000 m² de SHON (surface hors œuvre nette) hors équipement public la surface pouvant être consacrée à l’urbanisation nouvelle à Gruissan. Ce qui donnerait, pour une surface moyenne de 90 m² par logement, 555 logements. Bien moins que les chiffres annoncés ; d’autant qu’il semble que cette SHON soit déjà entamée par les projets réalisés. Le Scot devrait être révisé en 2017.

L’association SAGNE (Sauver, aimer, garder notre environnement) (1), créée en décembre 2015, s’interroge sur la nécessité de prévoir, à Gruissan, autant de nouveaux logements. Elle craint que, contrairement à ce qui est dit, ils n’aient en partie une vocation de résidence secondaire.

Son souhait, explique le président, Pierre Carbonel, est que La Sagne « conserve son caractère agricole et naturel, ses petits chemins, qu’elle reste un lieu de ballade, y compris touristique. » L’association met en avant l’intérêt patrimonial de ce lieu, avec ses murets, ses puits « romains » et ses norias.

Elle souligne aussi son intérêt faunistique avec des espèces comme le lézard ocellé et la magicienne dentelée (une sauterelle). La partie nord est incluse dans la Zico (zone importante pour la conservation des oiseaux) de la Clape. Selon la « synthèse des enjeux », 9 ha à enjeu écologique fort seraient détruits. Ce qui demanderait de prévoir des compensations, mais les documents de la mairie ne disent pas ce qui est envisagé en la matière.

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Risque d’inondation et de submersion : des parades ?

Autre interrogation par rapport au projet La Sagne, l’aspect hydraulique : ce secteur, comme bien d’autres à Gruissan, est soumis à la fois au risque d’inondation lors de fortes pluies et au risque de submersion marine par tempête.

Le terrain descend en pente (de 7,5 m NGF à moins de 1,5 m NGF) (2) du nord au sud, ce qui facilite le ruissellement des eaux de pluie.

Cette eau s’écoule par deux fossés vers l’étang du Pech Maynaud et par un autre vers l’est (par le canal de l’Empereur). En bas de pente, au sud, un fossé étroit borde la zone et évacue les eaux vers l’étang de Pech Maynaud, qui lui-même se déverse dans l’étang de Gruissan.

L’urbanisation du secteur, avec l’imperméabilisation des sols, renforcera le ruissellement.

La nappe phréatique d’eau douce (d’origine karstique) est proche, à 1,5 m du sol. Elle a tendance à remonter en cas de pluie. La zone humide est située au sud-est, au bas de la pente. L’eau remonte du sol par gravité.

"Mieux vaut un petit champ inculte avec sa végétation sauvage dont raffolent les chevaux plutôt qu'un gros tas de béton sans âme" (Confucius, 450 avant J.-C.).

« Mieux vaut un petit champ inculte avec sa végétation sauvage dont raffolent les chevaux plutôt qu’un gros tas de béton sans âme » (Confucius, 450 avant J.-C.).

Lors des coups de mer, La Sagne n’est pas protégée (contrairement au village, qui est ceinturé par des murets ou digues à la cote 2 m NGF). D’autre part, par coups de mer, le niveau de l’étang de Pech Maynaud monte, d’où difficulté d’écoulement s’il y a conjonction avec de fortes précipitations.

Le bas de La Sagne est à la fois en zone inondable du projet de PPRI (Plan de prévention du risque inondation) et, dans le projet de PPRL (Plan de prévention des risques littoraux), en zone d’aléa fort (cote altimétrique inférieure à 1,5 m NGF ; non constructible), avec une zone d’aléa modéré jouxtant celle-ci (cote comprise entre 1,5 et 2 m NGF ; dans le PPRL, elle est constructible sous condition de surélever les planchers des habitations).

Face à cette situation, le diagnostic de 2009 fait des propositions :

. Poser une vanne martelière ou un clapet sur la conduite qui relie l’étang de Pech Maynaud à celui de Mateille pour augmenter la capacité de stockage du premier.

. Redimensionner les fossés, surtout celui bordant le chemin de la Sagne (le fossé sud).

. « Ne pas augmenter les débits de pointe d’eaux pluviales par l’urbanisation. »

. Protéger La Sagne des coups de mer.

. Développer une capacité de stockage tampon sur la zone humide actuelle.

. Créer un poste de relevage d’urgence pour les situations les plus critiques.

Le document de 2015 (« synthèse des enjeux ») prévoit de laisser inconstructibles les zones d’aléa fort et modéré du PPRL en projet et d’en aménager une partie en parc.

Une zone de rétention (4 ha) est prévue en amont de ces zones. Elle est destinée à des espaces verts.

Ce document ne parle pas des autres éventuelles solutions hydrauliques proposées par le diagnostic de 2009.

Le Comité de pilotage (où siègent les élus et une dizaine de propriétaires) dit pour sa part (document de 2015) qu’il est prévu de raccorder les futurs bassins de rétention à l’étang de Gruissan par la pose d’une nouvelle canalisation longeant ou contournant le boulevard de Planasse (au sud-ouest).

Même si, selon la mairie, les aspects hydrauliques du projet « ont été validés par les services de l’État« , les réponses apportées au problème hydraulique sont, pour l’instant, floues. Seront-elles suffisantes en conditions extrêmes (conjonction de fortes pluies et de coup de mer).

Dans un article récent de L’Indépendant (02/08/2016), le maire, Didier Codorniou qualifie le futur quartier de La Sagne d’ « écoquartier ». On attend d’avoir des précisions sur le projet dans sa dernière évolution pour en être convaincus.

Ph.C.

1) Le bureau de l’association SAGNE, tel que renouvelé en juin dernier : président, Pierre Cabonel ; vice-présidents, Mme Claude Ruiz et Jules Calmettes ; trésorier, Roland Miñana.

2) NGF : nivellement général de la France, 0 NGF étant le niveau de la mer.

Site de l’association SAGNE.

Voir le dossier  du PPRL de Gruissan, désormais approuvé (05/01/2017).

L’association Eccla analyse les PPRL en cours d’enquête publique (celle de Gruissan aura lieu du 19/09 au 21/10/16) :

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Volonté excessive d’urbanisation ?

Concernant La Sagne mais aussi le reste du territoire communal, on peut s’étonner de la volonté de la municipalité d’urbaniser le maximum d’espaces possibles : Lors de sa séance du 20 juin 2016, le conseil municipal a exprimé le souhait de pouvoir rendre constructible un certain nombre de secteurs de la commune. Il s’agissait de donner l’avis du conseil sur le projet de PPRL (Plan de prévention des risques littoraux). La commune souhaiterait faire entrer en « espace urbanisé » une zone située derrière l’espace balnéoludique, le tennis, le secteur de l’Horte de Nadalet, plusieurs espaces dans la zone des Chalets (parking, aire de camping-cars, L’Escale, Le Floride), le Port Barberousse…

Notons que la majorité de ces espaces sont situés en zone d’aléa fort du PPRL ; d’autres en zone d’aléa modéré. C’est-à-dire qu’ils pourraient être submergés lors de tempêtes, compte tenu du réchauffement climatique et de la montée du niveau de la mer. Un risque certes à caractère exceptionnel, mais réel.

La carte d'aléa du PPRL. Le secteur de La Sagne est situé au nord du Pech Maynaud (il constitue une sorte de cercle, entouré d'un trait jaune). La partie en mauve foncé est la zone d'aléa fort ; la partie en mauve grisé est la zone d'aléa modéré.

La carte d’aléa du PPRL. Le secteur de La Sagne est situé au nord du Pech Maynaud (il constitue une sorte de cercle, entouré d’un trait jaune). La partie en mauve foncé est la zone d’aléa fort ; la partie en mauve grisé est la zone d’aléa modéré.

Dans le PPRL, les espaces déjà urbanisés en zone d’aléa fort sont inconstructibles ; les espaces urbanisés en zone d’aléa modéré sont constructibles en surélevant le niveau du plancher.

Le PPRL est encore à l’état de projet et il peut être modifié à l’issue de l’enquête publique qui aura lieu du 19/09 au 21/10/2016.

Indep Avis d'EP Gruissan

Vue sur le Pech Maynaud.

Vue sur le Pech Maynaud.

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Le bas de La Sagne, jouxtant la zone urbanisée de la rue de la Bécasse, après les fortes pluies du 14 octobre 2016.

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La zone humide au sud-est de La Sagne, après les fortes pluies du 14 octobre 2016.

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Bramofam : une zone d’activité nautique

L’Office de Tourisme de Gruissan (qui gère les activités portuaires par délégation de service public de la ville) a accordé en mars 2016 une occupation temporaire du territoire pour une durée de 50 ans à la SCI Marina 21 pour créer une zone d’activité nautique sur 4 ha au lieu-dit Bramofam, près des Chalets en bordure de l’étang du Grazel, sur l’ancien site des Fumeries Occitanes et dans son prolongement vers le nord (voir L’Indépendant du 02/08/2016).

Cette activité doit démarrer pour la saison 2017. Il s’agit d’un « port à sec » de 350 places offrant divers services aux propriétaires de bateaux : mise à l’eau, port à sec pour bateaux de différentes tailles, aire d’hivernage de voiliers, aire de stockage de jet-skis, manutention, courtage d’entretien ; ainsi que deux restaurants (un « grill-bar » et un restaurant gastronomique).

L’ASPICG (Association de défense et de protection des intérêts collectifs des chalétains de Gruissan) s’oppose à ce projet : elle considère que cette zone ne doit pas être destinée à une activité économique mais être restituée à la nature. La zone est d’ailleurs située en bordure de ZNIEFF (1). L’ASPICG craint les bruits et les désagréments olfactifs.

Elle note que le maire a refusé, en 2013, le réaménagement d’une route et d’une piste cyclable dans la zone des Chalets au motif que cette zone est « protégée ». « Mais« , dit l’association, « aménager 4 ha (tout près de là) ne pose pas de problème à la municipalité ». « Le maire a fait campagne en disant que l’urbanisation à Gruissan était terminée… Nous sommes loin du concept depuis sa première élection.« 

L’association soulève des incohérences juridiques et réglementaires : L’Office de Tourisme, titulaire d’une DSP de 30 ans, peut-il accorder une occupation temporaire du territoire de 50 ans ?

Par ailleurs, le projet de Marina 21 est situé en zone agricole du PLU (plan local d’urbanisme). Lors du conseil municipal du 20 juin 2016, la municipalité a dit son souhait de faire correspondre la zone d’activités liées à la mer avec la parcelle concédée.

L’ASPICG, forte de 600 signatures soutenant sa position, a saisi les services de l’État et la Région (qui, semble-t-il, participe au financement du projet). Elle a par ailleurs déposé, le 9 août, un recours gracieux concernant la convention d’occupation temporaire et indique que d’autres actions judiciaires sont susceptibles d’être engagées.

1) ZNIEFF : Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique.

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Du nouveau pour Bramofam

Une enquête publique a eu lieu du 6 mars au 7 avril 2017 au sujet du permis d’aménager sollicité par la SCI Marina 21. Le commissaire enquêteur a rendu un avis favorable.

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Actualisation (le 09/02/2017)

Lors d’une réunion publique, le 8 février 2017 (voir L’Indépendant du 09/02/2017), le maire de Gruissan a donné des précisions sur le projet : il est prévu de construire à La Sagne, d’ici 2028-2030, quelque 740 logements, dont 420 appartements (répartis dans une quinzaine d’immeubles collectifs, jusqu’à 13 m de hauteur maximale), 110 habitats groupés et 210 maisons individuelles. Ces différents types de logements seraient répartis selon un principe de mixité. Par ailleurs, l’objectif de 35 % de logements sociaux est réaffirmé.

« Nous conserverons (…) les puits, jardins, certains bâtiments« , a dit Didier Codorniou.

Quant au PPRL de Gruissan, il a été approuvé en date du 5 janvier 2017.

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SAGNE réagit

A la suite de la réunion publique du 08/02/17, l’association SAGNE s’étonne de la brusque volonté de concertation du maire de Gruissan : « Après avoir présenté en 2009 un projet sans aucun dialogue, puis en 2015 un autre veillant à n’associer que les propriétaires, la version 2017 se pare des couleurs de la démocratie participative.« 

La mairie a en effet mis en place des ateliers de concertation. Ceux-ci, estime SAGNE, ne permettent pas de débattre sur le principe-même de l’urbanisation du secteur. Ce qu’entend l’association, c’est : « Aidez-nous à choisir la forme des jardinières, la qualité des pizzerias et la largeur des pistes cyclables… la municipalité se chargera de la taille, de l’architecture et du nombre d’habitations !« .

L’association conclut : « Chaque année, l’Occitanie accueille 50 000 nouveaux habitants dont la moitié se concentre sur le littoral. A ce rythme d’urbanisation, il n’y aura plus de nouveaux espaces à artificialiser dans dix ans alors que la demande se maintient.« 

« Le projet de la Sagne est donc une goutte d’eau qui permet d’entretenir l’illusion que tout le monde peut continuer à s’installer sur le littoral, alors que, personne n’est dupe, les quelques services qui seront créés ne fourniront pas suffisamment d’emploi aux 1 000 actifs supplémentaires dans une commune qui compte déjà 22 % de chômeurs.« 

Vieille Nouvelle : quel accès ?

Le débat organisé le 31 mai par Eccla à Narbonne a permis l’échange de points de vue sur l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle. Les usagers estiment ne pas avoir été suffisamment consultés sur ce sujet.

La carte des nouveaux accès à la plage de la Vieille Nouvelle.

La carte des nouveaux accès à la plage de la Vieille Nouvelle.

En organisant, le 31 mai au Palais du Travail, une conférence-débat sur la circulation motorisée dans les espaces naturels, l’association Eccla (Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois) savait qu’elle touchait un point sensible. Pour l’association, il s’agissait d’expliquer la réglementation et de sensibiliser les participants à la protection des espaces naturels.

Mais en organisant cette soirée, Eccla a, sans que cela soit son objectif premier, joué le rôle de facilitateur de débat, que les pouvoirs publics, à qui il incombe, n’ont pas joué pleinement, de l’avis de nombreux interlocuteurs.

Une évidence a d’abord été mise en avant : comme l’a expliqué Stéphane Defos (DDTM), la loi Littoral (03/01/1986) interdit toute circulation de véhicules à moteur dans les espaces naturels, y compris sur des chemins aménagés et a fortiori en hors piste. De ce fait, aucune dérogation n’est possible dans les espaces naturels littoraux.

Alain Perea, directeur du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise, a ensuite expliqué l’historique de la gestion administrative du dossier de la Vieille Nouvelle : en juillet 2013, dit-il, la sous-préfète de Narbonne a réuni les maires concernés et les représentants du Parc et a exposé la nécessité impérative d’appliquer la loi Littoral, ce qui mettait fin à la tolérance observée depuis près de trente ans à la Vieille Nouvelle : rappelons que les usagers, pour y accéder, utilisaient en toute illégalité la seule voie possible, par la zone portuaire puis par la piste de sable en retrait de la plage.

Lors de cette réunion, la sous-préfète avait chargé le Parc d’étudier les diverses possibilités d’aménager un nouvel accès, compatible avec la loi.

On peut concevoir différents types d’accès aux plages du littoral audois, dit Alain Perea. Il y a des plages proches d’une route, en accès de type urbain, comme la plage sud de Port-la-Nouvelle ou Narbonne-Plage ; il y a des plages qui peuvent satisfaire un public familial qui accepte de marcher un peu, comme la falaise de Leucate ou les Coussoules après l’aménagement qui a été réalisé ; « à la Vieille Nouvelle, il faudrait que l’accès soit plus difficile pour avoir moins de monde » et orienter plutôt l’utilisation vers les sportifs amoureux d’espaces sauvages. A Gruissan, dit-il aussi, « la loi dirait de fermer la plage au niveau du camping : nous étudions la solution de chemins d’accès. »

A la Vieille Nouvelle, dans le cadre de l’aménagement du port de La Nouvelle, c’est la Région qui a défini les nouveaux accès, dont un en voiture (les travaux sont en cours). Celui-ci prévoit un parking de 680 places, la majorité près de l’ancien domaine des Salins (« La Campagne »), le reste (180) en épis le long d’une voie entre ce domaine et la plage. Ce qui demandera de marcher entre 5 et 20 minutes pour arriver à la plage.

La carte éditée par le Conservatoire du Littoral (voir plus haut) montre les accès projetés : par la Campagne (en voiture), par le parking des Salins (à pied et en vélo), par la Maison éclusière (à pied et en vélo).

Le Collectif Vieille Nouvelle a exprimé, à de nombreuses reprises, son inquiétude sur la capacité de parking, qu’il juge insuffisante ; et il souligne la difficulté pour les amateurs de glisse équipés de matériel lourd de le transporter sur une longue distance.

D’autres, comme les pêcheurs, font remarquer que l’accès au grau de la Vieille Nouvelle demandera un long parcours à pied (3 km).

Le débat a porté aussi sur la fragilité de cette zone classée en réserve naturelle. « Dans la bande située à 400 m de la mer » (aux abords de la bande de roulement sur le sable), dit Dominique Clément, naturaliste ornithologue, « c’est là qu’est située toute la biodiversité, les oiseaux, les insectes, les plantes ; les parkings sont situés en dehors de cette zone naturelle. »

Selon Matthieu Delabie, délégué de rivages au Conservatoire du Littoral, « il est encore possible de discuter, de trouver de la souplesse dans l’utilisation du parking ».

Maryse Arditi, présidente d’Eccla, rappelle la proposition de l’association d’une passerelle partant du parking des Salins. Ce pourrait être une passerelle en bois suspendue au-dessus du sol, permettant le roulement de cycles, poussettes et autres caddies.

Le nouvel accès par La Campagne doit ouvrir début juillet. L’usage montrera si les craintes quant à la difficulté d’accès sont fondées ou non. Si c’était le cas, espérons que les autorités auront à cœur d’étudier les éventuelles solutions pour améliorer la situation.

Ph.C.

Voir le dossier initial

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Des aménagements (15/11/2016)

Une réunion s’est tenue en fin de semaine dernière (selon L’Indépendant du 15/11/2016) pour dresser le bilan de l’aménagement de l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle, après la saison estivale et en tenant compte de la tempête des 12 et 13 octobre, qui a emporté le revêtement.

Étaient notamment présents Béatrice Obara, sous-préfète, Didier Codorniou, vice-président de la Région, Henri Martin, maire de Port-la-Nouvelle, et des représentants de l’association de défense de la plage.

Des pistes d’amélioration ont été proposées par Didier Codorniou : le nombre de places de parking pourrait être augmenté de 50 à 70 places ; le giratoire et le dépose-minute vont être revus « pour faciliter l’accès et notamment le dépôt des enfants » ; une navette électrique pourrait être mise en place pour transporter le matériel lourd, dont celui des véliplanchistes. Ce point peut se heurter à la Loi littoral, qui interdit l’accès de tout véhicule à moteur sur les plages. Enfin les revêtements (qui sont expérimentaux) vont être refaits.

BARCELONA EN COMU ………………………. Une gestion municipale alternative qui s’appuie sur les habitants

Barcelone fêtait, samedi 28 mai, le premier anniversaire de l’élection de l’équipe d’Ada Colau à la tête de la municipalité. Un anniversaire sous forme de bilan et aussi de fête populaire.

Une partie du public de cette fête du premier anniversaire, "365 jours en commun", le 28 mai à Barcelone.

Une partie du public de cette fête du premier anniversaire, « 365 jours en commun », le 28 mai à Barcelone.

Il y a un an, le 24 mai 2015, à l’issue des élections municipales, l’Espagne voyait la victoire de listes de citoyens, en dehors des partis, dans plusieurs grandes villes, et non des moindres : Madrid, Barcelone, Zaragoza, Valencia, Cadix, Santiago de Compostela, A Coruña, Badalona…

A Barcelone, la liste Barcelona en Comú (Barcelone en Commun), menée par Ada Colau, était arrivée en tête avec 11 sièges (sur 41) et 25 % des voix. Ada Colau avait été investie, le 13 juin (par 21 voix sur 41), pour un mandat de quatre ans, avec l’appui du PSC (Parti Socialiste Catalan), d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) et de la Cup (Candidatura d’Unitat Popular).

Depuis, les élus se sont mis au travail. Un certain nombre de chantiers sont en marche, conformément au programme élaboré avant les élections par Barcelona en Comú avec des milliers de citoyens dans une démarche de démocratie participative.

« Certains pensaient que nous ne gagnerions pas les élections », a déclaré la maire Ada Colau, samedi 28 mai 2016 ; « puis ils ont pensé que nous ne pourrions pas gouverner. Nous l’avons fait. Aucun parti traditionnel, en minorité comme nous le sommes, ne pourrait gouverner. Si nous y parvenons c’est parce que nous nous appuyons sur les habitants » (en catalan, on dit « la gent » : les gens).

Ada Colau, maire de Barcelone (au centre) et Susana Segovia, membre de la coordination générale de Barcelona en Comu.

Ada Colau, maire de Barcelone (au centre) et Susana Segovia, membre de la coordination générale de Barcelona en Comu.

En effet, à Barcelone, l’équipe municipale entretient régulièrement le dialogue, en public, avec les habitants, sur les multiples sujets liés aux compétences de la municipalité.

La fête de ce samedi 28 mai, au parc de l’Estació del Nord, était un exemple de ce dialogue. Les élus ont d’abord participé à quatre tables rondes, sur l’Economie des biens communs, les Droits sociaux, la Démocratie ouverte et Une ville pour la vie. Ils ont exposé leur action, puis ont répondu aux questions des participants.

Même si, comme partout, une partie relativement modeste de la population participe à ce genre de débat, les Barcelonais peuvent discuter en direct, avec leurs élus, de questions comme la pollution urbaine, les transports publics, le partage de l’espace public entre automobiles, motos, vélos, et piétons ou encore trottinettes, la pression du tourisme, le logement…

Et les élus rendent des comptes, expliquent leur action et débattent des moyens d’avancer. Sans oublier à aucun moment que le programme municipal a été élaboré par les citoyens.

Deuxième phase de la fête, avant le concert, une rencontre plénière avec les habitants. Susana Segovia, membre de la coordination générale (l’instance dirigeante) de Barcelona en Comú, a souligné le fait que l’action municipale « est un combat de tous les jours » et se situe dans un « cycle long » : « Barcelona en Comú est ce qu’elle est parce qu’elle se nourrit du combat des habitants. »

Puis Ada Colau a fait un tour d’horizon d’un certain nombre de dossiers municipaux et répondu aux questions, très concrètes, du public. En voici un condensé :

Pollution, mobilité, circulation urbaine : la municipalité réfléchit à une meilleure répartition de l’espace urbain, notamment en faveur des piétons ; la réduction de la vitesse autorisée est à l’étude ; on cherche aussi les moyens de faciliter l’arrivée des habitants de la périphérie vers Barcelone pour réduire le trafic automobile par une meilleure connexion des transports en commun.

La municipalité, bien que minoritaire dans les instances de gestion du port de Barcelone, a obtenu de celles-ci la définition d’un plan d’action contre la pollution. « Ce n’est pas assez, mais c’est un début », commente Janet Sanz Cid, adjointe au maire chargée de l’Environnement et de l’Urbanisme.

Concernant les transports publics, la mairie, avec l’Aire Métropolitaine de Barcelone et la Generalitat (gouvernement de Catalogne), a mis cette année 18 M€ pour stabiliser les tarifs et réduire les tarifs sociaux. « C’est très coûteux mais nous allons continuer ; nous devons aussi investir », dit Mercedes Vidal Lago, conseillère municipale chargée de la Mobilité.

La municipalité subit la pression des syndicats des transports, qui ont organisé des grèves à plusieurs reprises. « Nous avons discuté et nous avons amené des améliorations aux conditions de travail des employés des transports publics », explique Ada Colau. « Il y eu des avancées, mais il y a aussi des limites budgétaires. »

Tourisme : La pression du tourisme est devenue très forte, à Barcelone, à tel point que le développement des locations entre particuliers vide le centre de ses habitants et fait monter les prix des loyers. La municipalité a décidé de « redonner la priorité aux habitants » ; elle lutte contre les locations illégales.

Crise des réfugiés : Barcelone s’est déclarée « cité refuge » et a triplé les ressources dédiées à l’accueil de réfugiés. La ville est consciente des limites de son action, ce domaine étant avant tout de la compétence de l’État.

Barcelone "cité refuge".

Barcelone « cité refuge ».

Logement : Le programme municipal prévoit, en quatre ans de mandat, 8 000 nouveaux logements sociaux dont 4 000 à construire (moitié par la municipalité, moitié par ses partenaires) et 4 000 à récupérer du parc existant (retour au public de logements privatisés, amendes sur les logements vides, cession à la ville de logements saisis par les banques à l’issue d’expropriations des propriétaires victimes de la crise immobilière…)

Fournisseurs d’eau et d’énergie : La municipalité se bat pour que les compagnies qui fournissent eau, électricité et gaz respectent la loi concernant les droits de base des usagers. Elle regrette que la Generalitat essaie de freiner son action.

Revenu de base : La ville étudie ce sujet, bien qu’il soit en priorité du domaine de la Generalitat.

Vendeurs ambulants : La situation des vendeurs ambulants, très nombreux à Barcelone, pour la plupart dans l’illégalité et souvent sans papiers, divise l’opinion publique. La municipalité, dit Ada Colau, a pris le problème dans sa globalité ; elle reconnaît que ces personnes ont besoin de vivre, en même temps elle est tenue d’appliquer la loi. La ville, par conséquent, intervient pour faire cesser les ventes illégales ; en même temps, elle s’occupe des immigrés sans papiers et mène une politique sociale d’insertion et de formation.

Prostitution : Comme pour les vendeurs ambulants, la municipalité a une approche globale de la question. D’une part elle est à l’origine d’un groupe de coordination entre les différentes institutions et la police pour lutter contre le trafic de personnes ; d’autre part, avec ses services sociaux, elle accompagne les prostitué(e)s.

Clause sociale : Des contrats sont passés entre la ville et les sociétés avec lesquelles elle travaille (fournisseurs, sociétés de transport…) pour qu’elles respectent certaines règles sociales concernant leur personnel. D’autre part, la ville, dans les contrats avec ses fournisseurs, privilégie les petites et moyennes entreprises plutôt que « celles qui s’installent dans les paradis fiscaux ».

A Barcelone, »ciudad desigual » (ville des inégalités), dit Gerardo Pisarello (premier adjoint au maire, chargé du Travail, de l’Économie et de la Planification stratégique), l’action de la municipalité montre que le slogan de Margaret Thatcher, « il n’y a pas d’alternative » (au libéralisme économique), ne tient pas : « Les alternatives se mettent en marche à Barcelone et dans plusieurs villes d’Espagne et d’Europe. »

Maki, représentant de Nuit Debout, salue l'expérience barcelonaise.

Maki, représentant de Nuit Debout, salue l’expérience barcelonaise.

L’exemple de Barcelone, que de nombreux participants à Nuit Debout en France, ne désavoueraient pas, montre ce qui est possible. Il montre aussi que pour y parvenir il y a un grand travail de débat, d’organisation, de sensibilisation de l’opinion publique…

Ph.C.

En savoir plus : Barcelona en Comù / Mairie de Barcelone

Lire aussi sur ce blog « Barcelona en Commun : demandez le programme ! » (juin 2015).

Egalement sur ce blog, un article sur le mémoire de Master 2 de Laurent Rosello : « De l’activisme au municipalisme, l’expérience de Barcelona en Comu ».

Un article récent (02/07/2016) d’Enric Durán dans Gazette Debout, « De la voie institutionnelle à la révolution intégrale », compare la stratégie de prise du pouvoir d’une certaine gauche, à l’instar de Podemos, de Syriza ou des gauches d’Amérique Latine, aux expériences de reconstruction de la société par le bas, celles des Zapatistes, des Kurdes du Rojava ou de la Coopérative Intégrale Catalane. Il classe la démarche des « villes du changement », comme Barcelone, dans le premier lot.

Sur la révolution intégrale, lire sur ce blog : « Révolution intégrale : Plutôt que d’essayer de réformer la société, ils veulent en construire une autre. »

Sur la stratégie de Podemos, lire : « Podemos : de la rue aux institutions ».

Vieille Nouvelle : mobilisation massive pour un accès direct à la plage

Le Collectif de la Vieille Nouvelle a réussi son pari en réunissant, samedi 16 avril, entre 600 et 1 000 personnes dans les rues de Port-la-Nouvelle. Les usagers de la plage de la Vieille Nouvelle, sportifs et familles, ont réclamé un accès abordable à la plage, que selon eux les aménagements en cours ne permettent pas (lire le dossier que nous avons publié en mai 2015). Ils demandent le maintien de la bande de roulement située sur le sable en retrait de la plage (à 400 m du rivage), avec un aménagement de parking en épis qui fermerait l’accès des véhicules sur la plage.

L’État se replie derrière la Loi Littoral (doublée du zonage en réserve naturelle), qui interdit toute circulation de véhicules à moteur sur les plages. A la suite de la manifestation, la sous-préfète de Narbonne, Béatrice Obara, déclare (L’Indépendant du 17/04/2016) : « Nous ne fermons pas la porte à des aménagements. Il existe des propositions comme les modes de circulation douce. » Sans plus de précision.

Le collectif fait valoir qu’il n’y a jamais eu de concertation regroupant, autour d’une même table, toutes les personnes concernées. Concertation qui aurait peut-être permis de réfléchir ensemble à des solutions pratiques conciliant davantage les différents points de vue ? Il est peut-être encore temps.

Nous reproduisons la réflexion d’Albert Cormary, de Sigean, qui, sans se joindre à ceux (ce n’est pas la majorité) « qui veulent pouvoir faire ce qu’ils veulent quand ils veulent comme ils veulent« , « partage à 100 % le sentiment de Nouvellois (et autres) qui estiment qu’on leur vole tout. Le port a vécu en symbiose avec le village pendant des siècles. Depuis 20 ans, c’est un corps étranger. Les salins ont rythmé la vie sociale et le paysage des habitants pendant un siècle et les pouvoir publics l’ont abandonné, en décrétant une réserve naturelle mal née d’un marchandage sur un coin de table. Maintenant, on leur vole la plage en limitant très fortement l’accès. Cerise sur le gâteau pour les écolos, il faudra de très forts arguments pour me faire croire que le dépose minute aménagé sur l’aire de nidification des sternes naines est moins dommageable pour l’avifaune qu’une bande de roulement facilement contrôlable et établie là où il n’y a aucun enjeu en matière environnementale. A ce sujet, les écolo-technocrates responsables du truc devraient relire attentivement le DOCOB du Natura 2000…« 

Quant aux solutions pratiques : « Si ce n’était qu’une problématique de gens accros à la voiture, il n’y aurait pas tant de passions. Le problème vient de ce que l’on est dans le paysage du sensible. C’est un aspect qu’ignorent les tenants de la fermeture totale et qui pourtant devrait interpeller les écologistes. Un « responsable » avait proposé d’y faire rouler des petits trains pour amener les usagers à pied d’œuvre. Cela a été reçu comme une gifle de plus : on veut transformer notre plage en parc d’attraction ! Quant aux déplacements doux, on ne voit pas très bien ce que cela peut être. Rouler en vélo, ceux qui en parlent devraient essayer, histoire de nous faire rigoler ! Des calèches ? On revient au petit train…« 

Ph.C.

Inondations de la Berre : l’audit est terminé

Les conclusions de l’audit demandé par le préfet de l’Aude (avec l’accord de la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie) sur les inondations de la Berre viennent d’être rendues (L’Indépendant du 16/04/2016). Elles préconisent, entre autres, le possible déplacement du camping Le Pavillon de Sigean et de quelques maisons de Durban (ainsi que la démolition des bâtiments vides de la zone d’activité de la Noria), l’enlèvement de sédiments dans le lit de la Berre en certains points des communes de Portel et Villesèque et la relocalisation d’une partie de la Réserve Africaine de Sigean sur des terrains non inondables qu’elle détient dans son prolongement, sur la commune de Peyriac-de-Mer.

L’audit est consultable sur le site du Conseil général de l’environnement et du développement durable ou directement ici en PDF : Rapport CGEDD 1

LIRE NOTRE DOSSIER SUR LES INONDATIONS DE LA BERRE

« Pas sans nous » : faire de ce slogan une réalité

La mise en place des conseils (ou forums) citoyens laisse les habitants des quartiers sur leur faim de démocratie. Comment faire de la démocratie participative une réalité ? Comment arriver à ce que les préoccupations des citoyens soient entendues ? Une réunion de bilan avait lieu le 30 janvier à Narbonne.

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Mise en application il y a moins d’un an, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (loi du 21 février 2014) a prévu de renforcer la démocratie participative dans les quartiers « politique de la ville » (autrefois « quartiers prioritaires »). Cela en instituant des « conseils citoyens », censés permettre aux habitants de participer à la « co-construction » des contrats de ville, contrats qui engagent les communes, les communautés de communes et l’État autour d’un certain nombre d’actions en faveur de ces quartiers. Ces actions et les financements qui vont avec sont organisés en quatre axes : emploi et développement économique ; cadre de vie et renouvellement urbain ; cohésion sociale ; valeurs républicaines et citoyenneté.

La loi prévoit que des conseils citoyens soient constitués, avec des habitants des quartiers concernés (désignés par tirage au sort), des associations et des « acteurs » locaux (entreprises, professions médicales et para-médicales, etc.). Ces conseils ont un pouvoir consultatif.

A Narbonne comme ailleurs la mise en place des conseils citoyens a montré de la part des institutions (Municipalité, Agglomération, État) une volonté d’appliquer la loi a minima. Il s’agissait avant tout de remplir les procédures préalables à la mise en place du contrat de ville, plus que de permettre à la démocratie participative de prendre son essor.

Première anicroche, l’appropriation par la ville de l’appellation « conseils citoyens » pour rebaptiser ses comités de quartier (ceux-ci sont une émanation de la municipalité, sans aucun rapport avec la loi politique de la ville), ce qui a obligé à dénommer les conseils politique de la ville « forums citoyens ». Un élément de confusion qui ne simplifie rien.

Par ailleurs, les services de l’agglo du Grand Narbonne, qui avaient entamé une concertation avec les associations de quartier pour organiser la mise en place des conseils (ici forums) citoyens politique de la ville, ont mis fin à ce travail en commun, sans explications.

Pour la constitution des conseils-forums, la loi dit que les représentants des habitants doivent être désignés par tirage au sort. Les autorités ont choisi d’effectuer un tirage au sort sur listes électorales. Les associations de quartier regrettent ce choix, qui exclut, disent-elles, de nombreux habitants des quartiers non inscrits sur les listes électorales. Ces associations avaient pourtant proposé leur aide et leur connaissance du quartier pour aller à la rencontre des habitants et les inciter à se porter volontaires.

On a vu le résultat du tirage au sort sur listes électorales : les personnes désignées ne viennent pas aux réunions et les rares qui viennent, par sens du devoir peut-être, ne sont pas particulièrement motivées. De fait, à Narbonne, l’un des trois forums-conseils citoyens, celui du quartier Est, ne fonctionne pas par manque de combattants (1) ; les deux autres (Centre et Ouest) ont du mal à fonctionner pour la même raison.

Aujourd’hui, un certain nombre de membres des forums seraient favorables à une ouverture à tous les citoyens intéressés, sur le principe du volontariat. La loi prévoit un tirage au sort mais permet que les listes servant au tirage au sort comprennent une part de candidats volontaires.

Les membres des forums-conseils soulignent un aspect de la loi : les institutions doivent accompagner les habitants dans la mise en place des conseils citoyens, mais pas se substituer à eux. Dans les faits, on a du mal de passer de l’habitude de décider en haut à des pratiques plus participatives.

Nicolas Sainte-Cluque (PS), conseiller élu au Grand Narbonne, présent au débat, estime que « les Forums citoyens ont été mis en place trop rapidement, beaucoup de gens ont démissionné ; le Grand Narbonne (pas le préfet) va reprendre en main et faire en sorte que ça fonctionne mieux. » Affaire à suivre…

La prise en main de leurs problèmes par les citoyens

Déçus par le processus des forums citoyens, des habitants et les associations de quartier ont décidé de mettre en place, en parallèle, des « Tables de quartier ». Il s’agit de se réunir, en dehors de toute structure officielle, pour exprimer ce que l’on a à dire, voir les problèmes qui se posent au quotidien, et envisager ensemble des solutions. Deux Tables de quartier ont eu lieu le 20 janvier 2016 dans le quartier Saint-Jean/Saint-Pierre et le 21 janvier dans le quartier Centre (avec l’ABP et la Maison des Potes).

A Saint-Jean/Saint-Pierre, une soixantaine de personnes étaient présentes. Ce succès montre que le travail réalisé depuis des années par des associations comme L’Arche, le Centre social de la Maison des Potes et par le collectif Cellule de Veille Citoyenne est reconnu par les habitants et que ceux-ci ont l’habitude de se mobiliser et de se prendre en mains.

Les préoccupations qui se sont exprimées à cette Table de quartier concernent avant tout le logement et le cadre de vie. Les habitants ont du mal à faire prendre en compte par les bailleurs sociaux leurs problèmes (personnes handicapées sans logement adapté, prix exorbitants du chauffage ou de l’eau chaude, mauvais état des bâtiments, etc.). Ils étudient donc la façon de se mobiliser sur ces questions afin d’être entendus.

Les autres préoccupations concernent en particulier l’emploi et les discriminations.

Pas de démocratie sans contre-pouvoirs

Le 30 janvier, la réunion publique tenue à la Médiathèque de Narbonne en présence des représentants de la Coordination nationale « PAS SANS NOUS » a montré la similitude entre la situation narbonnaise et ce qui se passe un peu partout ailleurs.

Cette journée avait été organisée autour de la parole aux habitants (voir plus loin le travail de l’association Ecolocal autour du projet « Futur Narbona »). Concernant la politique de la ville, il s’agissait de faire le point sur l’application de la loi, un an après la venue à Narbonne de Mohamed Mechmache, président fondateur de « PAS SANS NOUS », et de Nicky Tremblay, coprésidente, qui étaient donc à nouveau là le 30, avec aussi Fatima Moustefaoui, également coprésidente.

Nicky Tremblay (à g.), Mohamed Mechmache et Fatima Moustefaoui, de la Coordination nationale "PAS SANS NOUS".

Nicky Tremblay (à g.), Mohamed Mechmache et Fatima Moustefaoui, de la Coordination nationale « PAS SANS NOUS ».

La coordination nationale « PAS SANS NOUS » est issue d’ACLEFEU, mouvement lié à la révolte des banlieues en 2005. Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué ont été les auteurs d’un rapport sur la politique de la ville (30/06/2013) remis au ministre chargé de la ville ; il est en grande partie à l’origine de la prise en compte, dans la politique de la ville, de l’expression des habitants à travers la mise en place des conseils citoyens (loi du 21/02/2014).

« Aujourd’hui« , dit Nicky Tremblay, « partout où les conseils citoyens sont mis en place, il y a une sorte de hold-up. Les conseils ressemblent fortement aux anciennes commissions de quartier (chapeautées par les municipalités) ; c’est un détournement de la loi. A PAS SANS NOUS, nous nous sommes beaucoup investis, partout, pour essayer d’infléchir cette tendance de l’intérieur ; nous nous rendons compte qu’il y a un rouleau compresseur, que nous ne sommes pas écoutés ; les conseils citoyens ont peu de moyens. En réaction, de plus en plus de Tables de quartier sont créées par les habitants ; nous misons sur le fait que les citoyens s’approprient l’esprit de la loi.« 

« Si on crée encore de faux espoirs en laissant croire aux gens qu’ils sont acteurs de leur vie mais sans tenir compte d’eux, on crée le désespoir et la démocratie est en danger« , ajoute Mohamed Mechmache.

Il poursuit : « PAS SANS NOUS rencontre régulièrement le ministre pour faire le point ; là où ça fonctionne, c’est parce que les élus ont compris les enjeux de ce que la démocratie peut apporter, cela peut être gagnant-gagnant ; ailleurs, les élus ont peur d’un contre-pouvoir ; les municipalités peuvent accompagner les conseils citoyens mais ce n’est pas à elles de les porter..« 

Il prend l’exemple du quartier des Izards, à Toulouse, un quartier « livré à lui-même et où la drogue et le radicalisme se développent. Quand les gens ont vu les dommages que ça produit ils ont décidé d’agir, de réinvestir le terrain, ils ont créé des animations pour que les gamins utilisent les espaces. L’État se permet de regarder ces initiatives d’un œil malveillant et d’envoyer des audits pour savoir ce qu’on fait de l’argent : pour contrôler l’utilisation d’une subvention de 3 000 € on organise un audit qui coûte plus cher ; les jeunes ne comprennent pas, ils jouent le jeu et on les décourage par le côté institutionnel, par la suspicion. Nous alertons les pouvoirs publics : il faut que cela cesse, si on continue comme ça, encore des gens vont s’exclure.« 

Madani Marzuk (Coordination nationale Pas Sans Nous, Nîmes) fait le parallèle avec le situation à Narbonne : « L’association L’Arche est un exemple de la participation de tous les habitants, toutes générations confondues, ils font un travail de malades. On va vouloir nous diviser ; il faut tenir. La région est sinistrée par le départ des gamins en Syrie parce qu’il n’y a pas d’espoir dans les quartiers ; nous on se bat pour éviter ça et on nous envoie un audit. » Audit qui d’ailleurs s’est déroulé avec succès et a confirmé le sérieux du travail de L’Arche.

A quand l’état d’urgence pour l’emploi, le logement, la santé… ?

Pour un intervenant dans le public, « le fait que les conseils citoyens n’existent que dans les quartiers prioritaires, c’est une exclusion. Il faudrait que tous les quartiers soient concernés.« 

Mohamed Mechmache fait le lien : « L’État d’urgence, il y est depuis 30 ans dans les quartiers ; maintenant tout le monde voit ce que c’est, que les libertés sont arrêtées. Il y a 10-15 ans que nous signalons des situations d’urgence dans les quartiers. A quand l’état d’urgence pour l’emploi, la formation, la culture, le cadre de vie, le logement, la santé ? Dans le rapport, nous demandions que la politique de la ville n’existe plus, que nous ne soyons plus une exception.« 

N. Tremblay annonce : « Au premier semestre 2016 nous allons faire un bilan public des conseils citoyens. Quand ça ne marche pas, il faut interpeller le préfet par écrit, pour avoir des traces. Si le détournement de cette loi se confirme nous irons en justice.« 

« Il y a une expérimentation, reconnue par le ministère, dans douze Tables de quartier« , note Mohamed Mechmache. « A Angers, où les conseils citoyens sont galvaudés, comme ici, des Tables de quartier ont été créées et elles se sont fédérées à l’échelle de toute la ville : il y a des réunions avec l’ensemble des Tables de quartier, plus de 250 personnes parlent ensemble de politique au sens noble. Il ne dépend que de nous que ça change. Prenons l’exemple d’Angers. Nous avons le rapport de forces, si les élus ne font pas ce qu’on leur demande, il faut se mobiliser et quand ça ne marche pas il ne faut pas baisser les bras.« 

La démocratie participative n’est pas une affaire simple et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle soit un grand succès du jour au lendemain. Mais si les politiques veulent qu’elle soit autre chose que du discours, ils doivent jouer le jeu.

De cette façon ou d’une autre, il est urgent que les habitants des quartiers en difficulté soient entendus, respectés et impliqués dans les solutions à leurs difficultés.

Ph.C.

  1. La Maison de Quartier Ernest Ferroul (MQEF, Razimbaud) réagit ainsi : « Le Forum Narbonne Est n’a pas été mis en place non pas par manque de combattants mais parce que la MQEF (ex-AJ’R) n’a pas souhaité s’investir plus que ça après concertation avec les habitants et les jeunes du quartier Razimbaud« .

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Lire aussi :

. Quartiers « prioritaires », après « Charlie », allons-nous enfin « vivre ensemble » ? (février 2015)

. Conseils citoyens : mise en place laborieuse. (avril 2015)

. Saint-Jean/Saint-Pierre : Quel avenir pour le café associatif ? (mai 2015)

. Conseils citoyens politique de la ville : nouveau départ ? (octobre 2016).

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« Futur Narbona », repenser une ville et son territoire

La première partie de cette journée du 30 janvier a permis de prendre connaissance de l’avancement du projet « Futur Narbona« .

Comme l’a expliqué Joël Aubé, de l’association Ecolocal, ce projet implique les étudiants de l’Université Lumière Lyon 2 (Institut d’Urbanisme, UFR Temps et Territoires) et de l’Université Paul Valéry de Montpellier site de Béziers (Master Tourisme et Développement Durable des Territoires). Leurs principaux professeurs sont Guillaume Faburel (Lyon) et Dominique Crozat (Béziers).

Joël Aubé, de l'association Ecolocal.

Joël Aubé, de l’association Ecolocal.

Le thème du projet : compte tenu du changement climatique, comment repenser Narbonne et le Grand Narbonne, la façon dont nous vivons, le système de développement, en impliquant les acteurs du territoire à commencer par les habitants.

Des solutions qui doivent venir en particulier des citoyens

Une approche particulièrement intéressante dans la mesure où elle se situe dans un esprit pluridisciplinaire qui touche à la fois à l’urbanisme, au développement durable et à la participation citoyenne. Elle rejoint les préoccupations des habitants des quartiers qui, dans les « conseils citoyens » ou en dehors, expriment leurs préoccupations et demandent un dialogue avec les institutions pour participer à la résolution des problèmes.

Le résultat d'une nouvelle rencontre entre les étudiants et les habitants.

Le résultat d’une nouvelle rencontre entre les étudiants et les habitants.

Les promoteurs d’Ecolocal, pour leur part, sont convaincus que les problèmes liés à l’environnement doivent trouver des solutions adaptées aux contraintes locales, en concertation avec les citoyens. Ils proposent d’apprendre « à décloisonner non seulement les disciplines, mais aussi les secteurs de la société, étudiants, professionnels, élus et citoyens, découvrir ensemble les chemins qui font progresser. »

Dans le cadre de ce projet, les étudiants ont enquêté d’octobre 2015 à janvier 2016, avec de nombreux entretiens de terrain auprès des habitants. La présentation de ce samedi était un point d’étape ; les travaux définitifs seront rendus en juin et présentés à Narbonne fin juin-début juillet.

Les étudiants de Lyon ont mis en évidence, notamment, la méfiance des citoyens vis-à-vis du politique et de la démocratie représentative. Certains citoyens s’engagent, peut-être plus facilement dans la vie associative qu’en politique. Des témoignages mettent en avant la contrainte du mode de vie qui, avec le travail, limite le temps disponible.

Réchauffement climatique : tous concernés ?

Concernant le changement climatique, une partie importante des personnes interrogées se sent peu concernée, estimant que le changement climatique n’est pas avéré ou qu’il est loin d’elles, géographiquement et/ou dans le temps ; d’autres sont plus sensibilisés à cette problématique. Les solutions évoquées sont à la fois collectives et individuelles.

L’injustice sociale semble une réalité assez reconnue.

Les étudiants de Béziers, pour leur part, ont souligné les caractéristiques du tourisme dans notre région : un tourisme de masse, essentiellement estival, basé sur l’attrait de la mer, du soleil et de la plage. Information importante, 72 % des vacanciers n’ont réalisé aucune visite ; ces vacanciers proviennent dans leur grande majorité de l’hexagone.

Une réalité qu’il faut prendre en compte : ce tourisme populaire a des motivations qui sont les siennes et qu’il faut respecter. Ce qui n’empêche pas en même temps de proposer une offre accrue de centres d’intérêt historique, culturel, de loisirs et, plus largement, de rencontre.

Concernant le réchauffement climatique, les étudiants soulignent les risques de submersion du littoral mais aussi le risque de pénurie d’eau pour les divers usages, urbain, touristique et agricole. Ils préconisent notamment de développer des déplacements plus collectifs pour réduire la production de gaz à effet de serre ; ils conseillent de rééquilibrer le territoire en prenant en compte l’agriculture de l’arrière-pays, par exemple en encourageant la valorisation des produits (vente directe, agritourisme).

Le débat a permis notamment de recadrer le tourisme dans la société. D’une part sur le plan social : Albert Cormary note que le tourisme régional représente 15 % du PIB mais 7 % de l’emploi. En d’autres termes, un meilleur partage des retombées de l’économie touristique entre revenu des entreprises, commerciales ou autres, et revenu salarial serait le bienvenu.

Michel Curade, d’autre part, souligne les limites du tourisme comme facteur de développement, par sa faible part dans l’économie régionale mais aussi par sa fragilité face aux événements politiques (cf. attentats en Tunisie, Égypte…). Il propose de revenir aux fondamentaux de l’économie en développant le secteur primaire qui, chez nous, est avant tout l’agriculture : or, 70 000 emplois agricoles ont disparu en Languedoc-Roussillon depuis 15 ans sous les effets de la politique agricole libérale de la France dans l’Union européenne.

Les étudiants de Lyon et de Béziers ont présenté l'état de leurs travaux à ce stade.

Les étudiants de Lyon et de Béziers ont présenté l’état de leurs travaux à ce stade.

Les travaux des étudiants ne sont pas terminés. Mettront-ils en évidence la nécessité de changer de mode de vie pour agir réellement sur le réchauffement climatique ? On sait que la forte consommation d’énergies fossiles en est la cause principale, ce qui implique de réduire drastiquement la consommation d’énergie liée au chauffage, à l’agriculture, à l’industrie, au transport. A l’échelle locale, cela pourrait se traduire par une autre politique de l’habitat, l’incitation accrue à une véritable agro-écologie, le développement des transports en commun. On sait aussi que des politiques préventives sont nécessaires pour éviter les dégâts liés aux submersions marines (cesser de construire en bord de mer) et aux inondations fluviales (cesser de construire dans le lit des rivières).

Tout cela ne peut aboutir que si les élus et les habitants étudient la question, s’y sensibilisent et dessinent ensemble des solutions comprises et admises par le plus grand nombre. C’est, semble-t-il, l’esprit d’Ecolocal.

Ph.C.

 

 

 

REVOLUTION INTEGRALE : ……..Plutôt que d’essayer de réformer la société, ils veulent en construire une autre

Né en Catalogne, le mouvement des coopératives intégrales s’étend doucement. Ses membres ont renoncé à réformer la société. Ils préfèrent en construire une autre, « libérée des dominations capitaliste, de genre et de race » ; une société sans État, dont les citoyens exercent ensemble un pouvoir autonome, à la base. Les principaux outils pour y parvenir : la démocratie directe, des structures coopératives, et la monnaie sociale comme moyen d’échanges échappant au système dominant.

L’utopie est forte ; elle séduit plusieurs milliers de personnes, qui s’emploient au jour le jour à la transformer en réalité.

LEER EN CASTELLANO

Discussion et fête à la casa "okupa" (squat) de Kan Kolmo, à Gérone (photo CIC).

Discussion et fête à la casa « okupa » (squat) de Kan Kolmo, à Gérone (photo CIC).

DOSSIER

. La Coopérative Intégrale Catalane.

. Calafou : en route pour le post-capitalisme.

. Eco-réseaux : une dynamique propre.

. Coopération Intégrale Toulousaine : pas à pas mais sûrement.

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De 2 à 7 000 coopérateurs

La Coopérative Intégrale Catalane (CIC, née en 2010), qui est à l’origine de ce mouvement, regroupe dans toute la Catalogne plus de 2 000 personnes ; qui pourraient atteindre quelque 6 ou 7 000 personnes, plus ou moins impliquées. Il est vrai qu’une grande partie des activités liées à la coopérative intégrale se déroulent de façon informelle et que les nombreuses initiatives locales, autonomes par définition, sont difficiles à recenser.

Ce qui est sûr, c’est que le mouvement essaime. Il existe actuellement, en Espagne, une quinzaine de coopératives intégrales, la plupart au niveau d’une région ou d’une ville. En France, plusieurs coopératives intégrales sont apparues plus récemment (comme à Toulouse : voir plus loin).

Un fonctionnement d’abord informel

Le fonctionnement de la CIC est à la fois simple (priorité à l’initiative locale et coordination au niveau de l’assemblée permanente) et un peu difficile à appréhender du fait que l’organisation informelle prime sur les structures officielles. Celles-ci sont mises en place en fonction des besoins, de façon pragmatique.

La base du fonctionnement de la CIC c’est l’assemblée permanente, qui regroupe environ tous les mois les coopérateurs qui le souhaitent. Les décisions se prennent au consensus.

Une Assemblée Permanente de la CIC (2015).

Une Assemblée Permanente de la CIC (2015).

Au jour le jour, le travail d’organisation est assumé par des commissions (sur des sujets permanents) ou des groupes (sur des sujets plus ponctuels). Les commissions sont regroupées en pôles thématiques, pour favoriser la cohésion de leurs travaux.

Un processus de décentralisation est en cours avec la création récente d’assemblées « biorégionales », au niveau des trois régions de la CIC, nord, centre et sud.

Mais l’autre base de la CIC ce sont les éco-réseaux ou réseaux locaux. Il y en a 25 actifs ; ils sont autonomes et leurs activités sont aussi diverses que les initiatives qui en sont à l’origine.

Il y a deux éléments concrets qui relient les éco-réseaux entre eux, ce sont la CAC (Centrale d’Approvisionnement Catalane) et la monnaie sociale. Celle-ci permet à la CAC de fonctionner mais permet aussi de nombreux autres échanges de biens et de services. Les éco-réseaux ont généralement leur propre monnaie sociale, à l’échelle locale, qui est convertible en monnaie sociale de la coopérative, l’Eco.

La Coopérative Intégrale Catalane n’a pas elle-même d’existence juridique. Sur le plan formel, elle est structurée en trois coopératives principales : la CASX (Cooperativa d’Autofinançament Social en Xarxa = Coopérative d’auto-financement social en réseau) ; une coopérative de patrimoine (Masos pel decreixement = Mas pour la décroissance), qui permet de disposer d’une structure juridique pour la détention d’immeubles ; et une coopérative de professionnels (Xarxa Interprofesional = Réseau interprofessionnel).

En s’appuyant au début sur cette dernière, environ 800 personnes ont créé leur propre emploi. Ce sont les « auto-ocupados » (que l’on peut traduire par « ceux qui s’auto-emploient »).

En réalité, une nouvelle coopérative est créée chaque fois que c’est nécessaire : cela pour limiter leur taille (et ainsi ne pas perdre en souplesse) et parce que chaque coopérative a un seuil de « responsabilité limitée » qu’il vaut mieux ne pas dépasser : dans le statut espagnol de la coopérative, la responsabilité économique des sociétaires n’est pas engagée, seul étant concerné le capital social ; par ailleurs, on limite le nombre de « sociétaires auto-ocupados » de chaque nouvelle coopérative pour ne pas dépasser un certain volume de facturation par rapport aux impôts et à la TVA.

Autre point fort de l’organisation : la CIC verse une rétribution (« asignación« ) à 50 militants qui réalisent pour elle du travail administratif et d’organisation. Les rétributions varient de quelque 300 à 900 unités monétaires (euros ou ecos). Cette dépense représente d’ailleurs la plus grande part du budget de la CIC.

Voilà résumé le « système » coopérative intégrale ; nous reviendrons plus loin en détail sur certains de ses aspects. Ce qui ressort c’est une organisation coopérative avec initiative à la base, à l’action, où les groupes qui sont à l’origine de ces actions s’autogèrent. L’assemblée permanente est là pour prendre les décisions concernant l’ensemble des coopérateurs, pour coordonner le tout et veiller au respect des principes communs.

Une réunion de "Femmes libres" (photo CIC).

Une réunion du mouvement « Femmes libres » (photo CIC).

Un contexte historique déterminant

La Coopérative Intégrale Catalane s’enracine d’une part dans la tradition libertaire catalane et espagnole, que les quatre décennies du franquisme n’ont pas réussi à éradiquer (1), d’autre part dans l‘histoire récente des mouvements sociaux espagnols.

Aux origines de la CIC se trouve une sorte de coopérative test, la coopérative AlterComs (2006-2008). Le Premier séminaire de systèmes monétaires libres, en 2009 (dans le Haut Montseny), est un autre moment fondateur de la CIC.

Comme l’explique Carlos, de Coopération Intégrale Toulousaine, « la crise immobilière de la fin des années 2000 en Espagne a provoqué une flambée du chômage, jusqu’à 45 % chez les jeunes (malgré, souvent, leur haut niveau de qualification). »

Dans ce cadre se sont développées des luttes citoyennes comme celle de la PAH (Plataforma d’afectats per la hipoteca, plate-forme des personnes affectées par le crédit hypothécaire), née à Barcelone en 2009, et qui s’est étendue à toute l’Espagne. Ce mouvement a empêché, par des manifestations, de nombreuses expulsions de propriétaires de logement se trouvant dans l’impossibilité de payer leurs emprunts. Ada Colau, la maire de Barcelone, est l’une des fondatrices de la PAH et elle en a été la porte-parole.

Contre les expulsions (photo CIC).

Contre les expulsions (photo CIC).

Carlos complète : « A l’instar d’Occupy Wall Street, le mouvement des Indignés (15 mai 2011) et de nombreuses autres initiatives sont nés en Espagne, dans l’objectif d’essayer de sortir du capitalisme. Ces mouvements revendiquent une démocratie réelle, à l’opposé de la démocratie parlementaire représentative. » (2)

« Dans cet esprit, les créateurs de la Coopérative Intégrale Catalane ont choisi un système de prise de décisions au consensus et toujours au plus local.« 

« Dans le cadre du Réseau catalan pour la décroissance, ils ont d’abord sillonné toute la Catalogne, à vélo, de village en village, pour dire comment on sort concrètement du capitalisme, cela en s’appuyant sur plusieurs principes : manger local, créer des coopératives, s’organiser en réseau, en autogestion, et créer des monnaies locales.« 

« 45 villages se sont ainsi reliés (à partir de 2009). Ainsi ont été créés les éco-réseaux ; il s’agit de réseaux organisés à l’échelle la plus locale, celle d’un village par exemple.« 

Les fondateurs de la CIC font souvent référence à l’Appel international à la Révolution Intégrale, lancé en 2010, ainsi qu’au zapatisme : les notions de pouvoir exercé directement par le peuple et de communautés locales autogérées se retrouvent dans les coopératives intégrales.

Et puis, aux origines, il y a aussi Enric Durán, qui, par son apport théorique, a joué un rôle important dans l’émergence de la CIC. De 2006 à 2008, il a emprunté près de 500 000 €, au moyen de 68 prêts, auprès de 39 banques différentes, somme qu’il n’a jamais remboursée. Elle lui a servi à financer divers mouvements sociaux « et notamment le collectif Crisis qui a distribué deux journaux à grand tirage qui ont permis de dénoncer le rôle des banques dans la crise et d’expliquer le concept de coopérative intégrale » (cf. article d’Emmanuel Daniel dans Reporterre du 26/5/2015). Enric Durán a dénoncé le système de création monétaire, qui, en entraînant la dette, donne le pouvoir aux institutions financières internationales d’imposer la politique libérale (privatisations, plans d’ajustement structurel…).

Emprisonné pendant deux mois puis libéré sous caution, il a quitté l’Espagne, refusant de comparaître en justice dans des conditions qu’il estimait inéquitables.

Monnaie sociale : pour sortir du marché capitaliste

La monnaie sociale de la CIC, l’Eco, ne peut donner lieu à spéculation ou à intérêts. Contrairement à l’Euro et autres monnaies conventionnelles, elle est créée à partir de l’activité et de l’échange.

Cette monnaie virtuelle est ouverte à tous à travers une plate-forme informatique, Integral CES, une application propre à la CIC du CES (Community Exchange System). Le réseau CES, né en Afrique du Sud, s’étend aujourd’hui dans le monde entier (la péninsule ibérique est son plus grand utilisateur et représente le tiers des usagers). Le CES et l’Integral CES sont compatibles.

Tout le monde peut avoir accès à l’Eco sans autre lien obligatoire avec la CIC. En ouvrant un compte, on participe au système d’offre et de demande de biens ou de services.

Les éco-réseaux ont chacun leur monnaie sociale, reliée à l’Eco.

Les principales utilisations de la monnaie sociale sont les échanges au sein des éco-réseaux et entre eux, la CAC (centrale d’approvisionnement, qui approvisionne, dans toute la Catalogne, environ 30 dépôts locaux) et le paiement des services ou produits des « auto-ocupados ».

L’un des objectifs prioritaires de la CIC par rapport à l’Eco et aux monnaies des éco-réseaux, est de s’affranchir du marché capitaliste, contrairement aux monnaies locales qui existent, en Espagne et en France, en dehors des coopératives intégrales et donc l’objectif principal est de favoriser la consommation de produits locaux.

La monnaie sociale de la CIC encourage donc chaque utilisateur à trouver les produits et les services qu’il recherche en dehors du marché capitaliste, dans le système coopératif de la CIC ou dans la communauté d’échange que constitue chaque éco-réseau, et elle le pousse à être lui-même une source d’offre de produits ou services. Bref, pour vivre avec la monnaie sociale, il faut changer de vie pour arriver à trouver ses principaux moyens de subsistance (logement, alimentation, santé, habillement…) au sein du système coopératif et se passer de certains biens de la société de consommation ; en même temps, il faut pouvoir être fournisseur de la coopérative, pour équilibrer ce que l’on en retire.

Dans l’idéal, chaque utilisateur de monnaie sociale est consommateur et producteur et il apporte autant à la communauté d’échange qu’il en retire ; c’est le « principe de réciprocité », qui à son tour agit comme principe de stabilité monétaire (tendance à une balance équilibrée des échanges entre éco-réseaux) et amène une simplification de la gestion (réduction des opérations monétaires liées à l’échange).

La CAC, lieu de promotion de la monnaie sociale… ou, mieux encore, des échanges sans aucune monnaie

La Centrale d’Approvisionnement Catalane (CAC) met en relation des producteurs et des consommateurs pour les produits non périssables (conservation supérieure à un mois). Elle n’a pas et ne veut pas avoir de chambres froides, d’entrepôts ou de véhicules en nom propre et elle se concentre sur son rôle logistique de livraison aux participants, en s’appuyant sur une bonne gestion informatique. Pour leur part, les dépôts locaux (« rebosts » en catalan), gérés par les éco-réseaux, prennent en charge les produits frais.

Tous les mois, les producteurs annoncent les produits qu’ils peuvent offrir et les acheteurs (coopérateurs ou non), font leurs commandes ; la CAC livre les commandes de tous les groupes aux « rebosts », qui sont le point de livraison pour les adhérents du « rebost » mais aussi pour les groupes de consommateurs indépendants.

Actuellement, la CAC a 500 usagers, répartis dans plus de 30 « rebosts » (20 sont réellement actifs) et environ 10 groupes de consommateurs (en augmentation). Les paiements se font en euros et en ecos. La CAC prend 5 % du montant des ventes pour couvrir ses frais ainsi qu’un coût de transport mutualisé proportionnel au poids de la commande.

Les deux tiers environ des produits viennent de producteurs coopérateurs. Et, dernièrement, on a atteint le taux de 48 % des paiements en monnaie sociale (l’Eco) : ce taux a doublé depuis qu’est appliqué un adossement sélectif des ecos pour les achats en ecos réalisés par les producteurs.

Il s’agit là d’une question centrale pour la CAC. Certains produits sont payés pour partie en euros et pour partie en ecos ; d’autres entièrement en euros ou en ecos. C’est fonction des possibilités des producteurs d’écouler les ecos qu’ils reçoivent. A côté de cela, la CAC doit acheter certains produits en euros parce que c’est le seul moyen de pouvoir le acquérir. Vadó, l’un des quatre responsables de la commission CAC, cite l’exemple des bocaux de verre pour les conserves, très utilisés par les coopérateurs.

Vado, à côté du fourgon utilisé pour les livraisons de la CAC.

Vado, à côté du fourgon utilisé pour les livraisons de la CAC.

A une période, la CAC acceptait les paiements à 100 % en ecos, même si la CIC payait les fournisseurs en euros (la CAC étant une structure informelle, elle s’appuie sur la CIC pour les opérations officielles). Ce qui a causé un déséquilibre entre les besoins en euros et ceux qui rentraient.

Pour inciter les producteurs et les consommateurs à utiliser davantage la monnaie sociale, la CAC a décidé, en août dernier, de limiter l’adossement des ecos (la garantie qu’ils seront ensuite convertis en euros payés par la CIC) pour les producteurs et pour les consommateurs en fonction de leur participation aux échanges lors des six mois écoulés : plus tu consommes et plus tu produis (des produits et des services), et moins il y a de différence entre ta consommation et ta production et plus tu acceptes de monnaie sociale pour ce que tu offres à la CAC, plus tu bénéficies d’adossement, c’est-à-dire que plus tu peux payer en ecos adossés tes commandes à la CAC.

En même temps, l’objectif est de réduire au maximum les opérations monétaires : plus on échange, plus la différence payée en monnaie est faible. Et finalement le fait qu’elle soit en euros ou en ecos n’a qu’une importance relative.

Cette manière de faire, dit Vadó, s’avère efficace : « Depuis que nous avons mis en place l’adossement sélectif nous avons doublé le pourcentage moyen de monnaie sociale. Les gens choisissent des producteurs qui offrent davantage de produits en ecos et les producteurs en offrent davantage. C’est un bon moteur. Pour moi, il est essentiel de garantir l’adossement à ceux qui participent selon nos principes, puisque cela provoque une réaction en chaîne en leur faveur.« 

Un autre objectif de la CIC (et de la CAC) est d’aller de plus en plus vers l’approvisionnement local : « C’est un processus lent, il arrive presque à maturité« , dit Vadó. « Nous voulons que les « rebosts » canalisent les producteurs locaux vers le reste du réseau. » On demande donc aux « rebosts » d’identifier les producteurs dont la coopérative a besoin et de les certifier. Il y a un projet de label de confiance : chaque « rebost » certifiera des producteurs qui pourront vendre dans toute la CAC. Les critères sont toujours les mêmes : local, bio, éthique.

Ce processus va de pair avec la décentralisation de la CAC. Le projet est de faire en sorte que les « rebosts » proches commencent à s’interconnecter pour ensuite créer une centrale d’approvisionnement biorégionale. La CAC, ensuite, fusionnerait avec l’une des centrales biorégionales.

Vadó souligne d’autres problèmes éventuels qui peuvent surgir : « Nous n’avons pas de système de prix ; pour l’instant, nous nous basons en général sur l’euro mais juste pour avoir un point de comparaison. Nous voyons apparaître des petits symptômes de ce qui peut se produire au fur et à mesure de notre croissance : par exemple, certains producteurs ne réagissent pas comme nous l’espérons ; ils se considèrent en concurrence avec d’autres producteurs. Dans ce cas, la solution c’est de débattre, en assemblée, de la situation de chacun, des formes de production, d’échanger les connaissances et de trouver des accords sur la base de la solidarité.« 

Par ailleurs, il est nécessaire de contrôler l’origine des ecos : « Il y a eu une création de monnaie sociale sans limites, immature ; les gens cherchaient des ecos par tous les moyens. Chaque fois que nous voyons un numéro de compte que nous ne connaissons pas, nous demandons à la Commission Échanges et Monnaie Sociale d’évaluer l’éco-réseau lié à ce compte et de nous dire si cet éco-réseau est fiable. Il faut créer la confiance dans la monnaie sociale.« 

Vadó défend une idée forte : la CAC (avec aussi ses formes locales) « est une façon d’attirer les gens qui ne connaissent pas la coopérative ; chacun peut venir sans définir avec précision ses principes et la monnaie sociale n’est pas obligatoire ; c’est une bonne entrée. Et cela y compris pour les groupes de consommateurs qui paient en euros ; ainsi, ils consolident le système. C’est une économie duale« . Ensuite, peu à peu, l’usage de la monnaie sociale augmente et, surtout, à la fin, l’échange sans monnaie.

« Auto-ocupados » : au cœur de l’économie coopérative

Le système des « auto-ocupados » est l’un des facteurs de succès de la Coopérative Intégrale Catalane. Il permet à des personnes de créer leur emploi, et donc, leur revenu, dans le cadre coopératif ; donc de se libérer du système économique qu’ils rejettent. Pour la coopérative, il est un élément essentiel de concrétisation d’une nouvelle société.

La CIC apporte aux « auto-ocupados » les conseils nécessaires à la mise en place de leur activité et prend en charge une partie de la gestion administrative.

On compte environ 800 « auto-ocupados », avec toutefois un taux élevé de renouvellement (entrées et sorties), de l’ordre de 40 % chaque année. Leurs domaines d’activité sont variés avec une forte proportion de métiers artisanaux et de la santé. Beaucoup (environ la moitié) vendent leur production sur les marchés de proximité.

Le mécanisme des « auto-ocupados », tout en respectant les bases légales, tire parti de certaines dispositions : les « auto-ocupados » sont considérés comme des adhérents bénévoles de la coopérative (qui est reconnue comme ayant une finalité sociale). Ils n’ont donc pas à régler les frais habituels des travailleurs indépendants, comme l’impôt sur le revenu, et c’est la coopérative qui facture leurs prestations et règle la TVA s’il y a lieu.

Ils doivent par ailleurs acquitter à la CIC une cotisation proportionnelle à leur chiffre d’affaires. Celle-ci est la principale source de financement de la CIC (sinon pratiquement l’unique source).

Les « auto-ocupados » ne bénéficient pas de la couverture sociale qu’ils auraient s’ils avaient un statut de travailleur indépendant. Si leur activité le demande, ils doivent s’assurer en responsabilité civile. Ils peuvent aussi prendre une assurance personnelle, par exemple pour la retraite.

La CIC a mis en place une bourse de l’emploi (« Fem feina ») pour mettre en relation ceux de ses coopérateurs qui ont besoin d’aide et ceux qui sont en recherche d’activité.

On constate que certains « auto-ocupados » ont tendance à se servir de la coopérative, sans s’impliquer ; ils cherchent seulement une solution économique. « La coopérative« , dit Vadó, « a sa part de responsabilité : nous devrions être plus sélectifs, tenir compte du degré d’affinité des participants avec la coopérative en appliquant un filtre approprié dans le cadre du protocole d’accueil.« 

Santé : une expérience de centre auto-géré

La coopérative encourage les initiatives qui permettent de « récupérer le domaine public comme un bien collectif, ni étatique ni privé« , notamment en matière d’éducation, de santé, de logement, de transports, d’énergie.

En ce qui concerne la santé, une approche coopérative avait été menée avec le CAPS (Centre d’Autogestion Primaire de Santé). Plusieurs professionnels de santé et sociaux, intéressés par l’esprit de la CIC, s’étaient regroupés dans ce centre autogéré, dans les locaux d’Aurea Social (Carrer de Sardenya à Barcelone), où se situe le siège de la CIC. Ils accueillaient le public, prodiguaient des soins primaires et travaillaient sur la prévention.

Aurea Social, le siège de la Coopérative Intégrale Catalane, à Barcelone.

Aurea Social, le siège de la Coopérative Intégrale Catalane, à Barcelone.

Il y avait un esprit de lutte contre l’exclusion dans l’accès aux soins, exclusion croissante en Espagne (aussi, à un degré moindre en France) du fait de la baisse des budgets de santé et des privatisations.

Il était aussi question de construire un système mutualiste avec cotisations et prise en charge mutualisée des frais de santé.

L’expérience du CAPS s’est arrêtée pour plusieurs raisons : difficultés d’organisation ; inadéquation entre les moyens des utilisateurs et le revenu des professionnels ; divergences dans les approches thérapeutiques (alternatives ou non)… On peut parier que des expériences similaires ne tarderont pas à voir le jour. La mentalité, à la CIC, est de prendre en mains sa propre santé, avant tout de manière préventive, à l’opposé du système de consommation de santé en vigueur.

Sécurité sociale et système public coopératif

Actuellement, à la CIC, il n’existe pas de système de couverture sociale, de prestations chômage ou de retraite. Les coopérateurs comptent sur la solidarité de leurs semblables en cas de coup dur et mettent en cause le système étatique : « Nous ne pouvons pas parier sur une sécurité sociale, celle de l’État, que nous ne maîtrisons pas ; nous préférons tabler sur un système social qui ira en grandissant« , dit Dani, de la commission Communication.

A quoi pourrait ressembler une sécurité sociale coopérative ? « Pour moi« , dit Vadó, « le projet le plus important à l’heure actuelle c’est d’apprendre à gérer des fonds de secours ou des caisses de prévention pour couvrir les accidents au niveau des personnes et des groupes puis de les élargir pour une couverture interne (santé, retraite…), au moins à l’intention des plus impliqués, mais dans l’idéal pour tous. Pour que cela fonctionne, de nombreuses personnes doivent participer ; au niveau d’un « rebost » nous n’arriverons pas à couvrir grand-chose.« 

Vadó poursuit : « Il y a la question de savoir où l’on dépose l’argent de ces caisses pour commencer. Nous voulons nous passer des banques. Nous étudions la possibilité de proposer l’expérimentation pilote d’une caisse de prévention intégrée à la CAC, avec des cotisations volontaires : la CAC peut absorber ces fonds pour augmenter les achats qu’elle réalise avec son fonds de roulement. Cela reviendrait à conserver l’argent en l’utilisant non pas comme une banque ni en octroyant des prêts mais pour de l’achat-vente collectif. Cela permettrait de croître, de faciliter l’accès à des produits qu’actuellement nous offrons de façon limitée comme des PC, des panneaux solaires, des poêles, des appareils électriques… C’est urgent. Il faudrait commencer par un test.« 

« Il s’agit de remplacer les prestations de l’État. Nous n’y parviendrons que si nous nous mettons tous ensemble.« 

Ce qui nous amène à un autre sujet : « L’expérience de système public coopératif de la CIC pour la santé (comme avec le CAPS), pour l’éducation, s’est arrêtée. Mon avis c’est que ce système n’était pas viable parce qu’il était centralisé ; il ne peut fonctionner qu’au niveau local et en recevant l’appui de tous. On ne voulait pas d’un mécanisme de cotisations, d’impôts ; mais sans eux nous n’avons pas de moyens pour organiser le système public. Nous avons une peur irrationnelle d’un système collectif autoritaire, tout nous rappelle l’État et nous le rejetons. Mais je pense que maintenant ce mécanisme pourrait être accepté. Si l’on ne recueille pas des ressources on ne peut pas les redistribuer.« 

L’Albada : pour une éducation vivante et respectueuse

Des diverses expériences d’éducation, celle de L’Albada, à Arbucies (province de Gérone, en bordure du massif du Montseny), est certainement la plus représentative des objectifs de la Coopérative Intégrale Catalane. Dans cette école associative, quatre « éducateurs-accompagnants », une coordinatrice pédagogique et une coordinatrice technique, s’occupent de quatre groupes d’enfants et ados : petits, moyens, grands et adolescents. Ils sont aidés par des « volontaires en pratiques », issus principalement des familles, répartis dans différentes commissions de support au projet : entretien, nettoyage, cuisine, matériels.

Les enfants, une priorité. Photo prise lors d'un rassemblement d'éco-réseaux à Can Biarlu (photo CIC).

Les enfants, une priorité. Photo prise lors d’un rassemblement d’éco-réseaux à Can Biarlu (photo CIC).

L’association a pour objectif d’atteindre un effectif de 26 enfants, qui est son seuil d’équilibre pour couvrir les frais ; elle éprouve en ce moment des difficultés. En tant qu’école privée, elle ne bénéficie pas de subventions publiques. La CIC a aidé économiquement L’Albada pendant plus d’un an mais à la suite de plusieurs décisions de réduction des dépenses, ce n’est plus le cas.

Ses bases pédagogiques « s’appuient sur différents référentiels et expériences pédagogiques, sans se refermer sur aucune idéologie rigide.« 

« L’orientation actuelle de l’École » (en Europe), disent les promoteurs de L’Albada, « vient de la révolution industrielle ; elle a pour objectif de nous domestiquer et de nous apprendre à produire. Elle n’est pas pensée pour accompagner le développement des êtres humains.« 

Photo L'Albada.

Photo L’Albada.

Les préoccupations de L’Albada sont tout autres : « Nous ne donnons pas la priorité à l’apprentissage intellectuel au-dessus des autres capacités de la personne ; nous contemplons la beauté de l’être humain dans toutes ses dimensions, spirituelle, intellectuelle, physique psychomotrice et émotionnelle. » (…) « Si l’on ne l’interrompt pas par nos peurs, nos nécessités, il y a un processus qui n’a pas de fin : il est impossible que les enfants n’avancent pas ou qu’ils n’apprennent pas si on ne les déconnecte pas de l’envie de vivre et d’apprendre ; la pulsion vitale est innée chez eux.« 

Sources : Documentaire Dreceres et Albada Viva.

Réforme et révolution intégrale

A la CIC, on le voit, la stratégie n’est pas de changer la société mais de changer de société. Est-il vraiment impossible de changer le système de l’intérieur ? « On peut améliorer certaines choses« , dit Dani, « mais cela demande beaucoup de travail ; nous préférons construire autre chose, expérimenter d’autres types d’organisation et démontrer qu’ils peuvent être possibles. Les choses fondamentales doivent être changées de l’extérieur.« 

Integra Revolucio logo-briUne vision peu habituelle en France, où l’alternative politique se pose, pour l’instant, beaucoup plus en termes de réforme de la société que de changement radical. C’est que l’État français est encore vu par les générations les plus âgées comme l’héritier de l’État social construit par le Front Populaire de 1936 puis sur la lancée de la Libération.

Cet État social est certes intégré dans le système capitaliste : la richesse française repose en partie sur l’exploitation de ses anciennes colonies et sur le positionnement des entreprises franco-multinationales dans le monde. Cet État social est par ailleurs sans cesse grignoté par la mondialisation et le libéralisme (« there is no alternative ») mis en œuvre par les gouvernements successifs, tant de droite que du parti « socialiste ». Mais il en reste encore de solides bases et on peut se dire qu’il faut les sauvegarder et que ses principes peuvent servir à revenir à une société plus juste. Mais par quels moyens ? Par la réforme ou par la révolution intégrale ? …ou les deux à la fois ?

Une partie des jeunes générations françaises est plus ouverte à l’idée de révolution intégrale, même si on en parle peu en France dans ces termes. Les initiatives dans ce sens sont nombreuses, dans divers domaines (agriculture bio, Amap, habitat participatif, systèmes d’échanges locaux…) mais elles sont dispersées.

Et demain ?

Pour revenir à la Coopérative Intégrale Catalane, des questions se posent quant à son évolution. Elles ont trait à divers éléments : Tout d’abord, l’équilibre entre le local et le régional (au niveau de la Catalogne) dans le processus de décision. Vadó évoque le processus de décentralisation mis en œuvre au mois d’août avec la création d’assemblées biorégionales : « Dans les assemblées permanentes et les journées d’assemblée, qui sont des assemblées itinérantes, il y avait peu de participation. Nous avons essayé la participation virtuelle mais cela complique la modération et la répartition du temps. La seule solution c’est de décentraliser avec des assemblées plus locales. Il est plus facile de se coordonner quand on vit à proximité les uns des autres, il y a davantage de confiance. Passer au local était urgent.« 

Il y a, à la CIC, un principe fort qui est la décision au consensus. « Le consensus« , dit Vadó, « est un filet de sécurité pour éviter de tomber dans un système de vote qui méprise les minorités. Dans les assemblées biorégionales, il y a une proposition de limiter le droit de blocage : il devrait être argumenté et ne pas être le fait d’une seule personne mais d’un nombre minimum de personnes.« 

« On pourra aussi évoluer avec une forme de prise de décision plus rapide, pour des sujets urgents« , dit Vadó, mais la base sera toujours la démocratie réelle et par consensus.

Autre question majeure pour l’avenir de la CIC, Comment renforcer l’indépendance vis-à-vis du système Euro ?

Pour Vadó, « il y a des dépenses, comme le loyer, l’essence, dont nous ne pouvons pas nous passer facilement. Il nous faudra de nombreuses années pour y accéder en monnaie sociale. Un objectif réaliste serait moitié monnaie sociale-moitié euros. Il faut faire mûrir de grands projets d’agriculture, de logement, de communautés, produire des combustibles écologiques. Avant cela, il faut créer de bonnes bases ; la base la plus solide est le réseau collectif de consommation et de production.« 

Vadó met l’accent sur un point important pour lui : « Le système économique de réseau alternatif implique de créer des communautés notamment pour prendre en charge les enfants et les personnes âgées. La communauté pourrait s’organiser autour d’une école vivante, soutenue de manière coopérative par des familles qui privilégient l’éducation de leurs enfants. Elle pourrait aussi servir d’appui pour la formation des adolescents. Cela revient à se regrouper pour partager des ressources et des dépenses, et éventuellement l’habitation (chaque famille doit disposer de son propre espace, il y a l’espace intime et l’espace commun).« 

Un rassemblement d'éco-réseaux à Can Biarlu (photo CIC).

Un rassemblement d’éco-réseaux à Can Biarlu (photo CIC).

Autre question : Peut-il y avoir un essoufflement des initiatives ?

Ce n’est pas le sentiment de Vadó, pour qui « la coopérative est de plus en plus reconnue un peu partout. Nous avons désormais mis en place une structure stable. A travers la CAC, par exemple, il y a tous les mois de nombreux contacts dans toute la Catalogne, il y a de nombreux échanges et avec la décentralisation la participation et les échanges vont augmenter.« 

A peine cinq ans après son démarrage, la CIC, c’est un fait, a beaucoup avancé. Mais doit-on craindre, avec le succès, une tendance répressive de l’État ?

« La coopérative est allée très vite depuis le début, puis elle a marqué une pause« , dit Vadó. « C’est comme cela que nous devons fonctionner : croître lentement, par proximité, très discrètement. Quand on nous voit faire, cela donne envie de nous rejoindre. Je doute qu’il y ait une tendance répressive ; en cinq ans, il ne s’est rien passé. L’administration n’a pas intérêt à aller vers le conflit, cela nous renforcerait ; il est plus facile pour elle d’attendre en espérant que nous tombions tout seuls…« 

La Coopérative Intégrale Catalane est un vaste chantier. Elle sera ce qu’en feront ses membres, actuels ou futurs : « Les projets ne manquent pas« , dit Dani. « Ce qui manque c’est du concret. Pour être coopérateur, il suffit de payer 30 € et de remplir le formulaire ; mais si ensuite tu ne proposes rien et que rien ne t’intéresse, il ne se passe rien. » Il ajoute : « Quand il y a un fonctionnement vertical, autoritaire, les choses avancent plus vite. Nous avons choisi une structure horizontale… » Où, donc, l’avancement dépend de l’implication de chacun mais où le projet a beaucoup plus de chances d’être admis par tous.

Dans la Révolution Intégrale, disent ses partisans, « il n’y pas l’idée de la révolution à l’ancienne de prendre le pouvoir ou d’avoir le contrôle sur les autres mais c’est un processus révolutionnaire qui se développe dans tous les moments de notre vie quotidienne ; le centre de la Révolution Intégrale ce sont la personne et les formes de relations humaines, sociales et économiques. Cette révolution se fait, en parallèle, dans divers groupes. » C’est ainsi qu’elle peut s’étendre.

Ph.C.

1) Sur ce thème, lire la note de lecture du livre de José Peirats : « Les anarcho-syndicalistes espagnols, 1869-1939« .

La volonté populaire de s’auto-gouverner, en Catalogne et ailleurs, s’enracine aussi, plus anciennement (au moins depuis le Haut Moyen Âge), dans l’auto-gouvernement des communautés, rurales et urbaines, au moyen de conseils ouverts, et dans la propriété collective de l’espace naturel (avec des résistances populaires contre sa privatisation jusqu’au XXe siècle), comme le décrit David Algarra Bascón dans « El Comú Català, la història dels que no surten a la història«  (Ed. Potlatch, octubre 2015). Voir : Note de lecture / Site du livre / Information de la CIC au sujet du livre / Site Reconstruir el comunal.

2) Ce qui les différencie de Podemos qui, tout en parlant de démocratie réelle, participe aux élections. Barcelona en Comú, le mouvement mené par Ada Colau pour conquérir la mairie de Barcelone, a décidé de participer, avec « Podem », aux récentes élections législatives (aux Cortes : Sénat et Congrès des Députés) du 20 décembre 2015. Ce qui est une façon de jouer sur les deux tableaux.

Plus d’informations :

Coopérative Intégrale Catalane.

Documentaire vidéo « Dreceres« .

Manuel de désobéissance économique (manualdesobediencia, PDF en castillan) et site.

Enric Durán : émission de Radio Catalunya.

L’Albada : Site et Documentaire Dreceres (partie).

Articles de Reporterre : Ni capitallisme ni Etat / Hors Etat et hors marché / En Catalogne, une colonie éco-industrielle.

A lire dans le n°441 de la revue Silence (janvier 2016), un article sur Can Decreix (Cerbère, 66), « un centre pour améliorer les alternatives décroissantes« .

Un article récent (2/07/2016) d’Enric Durán dans Gazette Debout, « De la voie institutionnelle à la révolution intégrale », compare la stratégie de prise du pouvoir d’une certaine gauche, à l’instar de Podemos, de Syriza ou des gauches d’Amérique Latine, aux expériences de reconstruction de la société par le bas, celles des Zapatistes, des Kurdes du Rojava ou de la Coopérative Intégrale Catalane.

* * * * *

La Révolution Intégrale

L’appel à la Révolution Intégrale énumère notamment les idées suivantes :

. Contre les dominations, construire d’autres sociétés à travers une révolution intégrale.

. Auto-organisation en assemblées populaires souveraines.

. Remise en question de l’État dans toutes ses versions.

. Récupérer la propriété comme bien commun.

. Construire un système public coopératif et auto-gestionnaire.

. Nouvelle économie basée sur la coopération et la proximité.

. Révolution intégrale à partir de groupes locaux avec un objectif global.

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Gestion forestière : formation et inventivité

Un exemple parmi bien d’autres d’initiative coopérative au sein de la CIC : Le Réseau des sciences, techniques et technologies de la coopérative (XCTIT, Xarxa de ciència, tècnica i tecnologia) propose, à l’approche de l’hiver, une formation de gestion forestière intitulée Ciasbe (Cura integral autosostenible del bosc i de l’entorn, Soins intégraux et durables de la forêt et de ses abords). Elle s’adresse à des personnes, projets et communautés en milieu rural, membres de la CIC ou non.

Il s’agit de se donner les moyens d’entretenir la forêt tout en en retirant une ressource énergétique et économique durable ; cela en prenant en compte la compréhension des écosystèmes et en veillant à la sécurité des abords (lutte anti-incendies).

Dans le même domaine, la XCTIT a étudié des outils tels qu’une machine pour produire de l’huile de chaîne de tronçonneuse ; elle travaille à la mise au point d’outils forestiers et de transformation, comme un tour à bois sans électricité.

Plus d’informations : XCTIT.

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Calafou : en route pour le post-capitalisme

Calafou, friche industrielle longée par une rivière hautement polluée, est un lieu chargé de symbole. Un groupe de la CIC y a créé une coopérative de logement et s’est centré sur les techniques et technologies comme instrument de lutte politique.

L'ancienne "colonie industrielle" de Calafou, au bord de l'Anoia. Construire un monde nouveau sur les ruines du capitalisme.

L’ancienne « colonie industrielle » de Calafou, au bord de l’Anoia. Construire un monde nouveau sur les ruines du capitalisme.

Dans la vallée de l’Anoia (à Vallbona d’Anoia, près d’Igualada), Calafou est une « colonie industrielle » (1) abandonnée qui a produit, selon les époques, des textiles, du papier, des persiennes et des sièges d’école. C’est l’un des projets phares de la Coopérative Intégrale Catalane. Lorsqu’on arrive, une inscription affiche la couleur : « CA LA FOU, Colónia Ecoindustrial. » L’adjectif « postcapitalista », qui suivait, a été récemment gommé.

L’industrie capitaliste est basée sur l’épuisement et la destruction des ressources naturelles et sur l’exploitation de la main-d’œuvre humaine. Les coopérateurs de la CIC ont décidé de « faire autre chose de ce lieu consacré au travail, de construire un monde nouveau sur les ruines du capitalisme« .

Le projet remonte à il y a quatre ans. Avant de se lancer, les personnes intéressées, au sein de la CIC, se sont donné un an de réflexion et de préparation. « Nous avions un projet assez clair mais avec le temps nous avons dû l’adapter« , explique Efkin, de la commission communication. La réflexion s’est référée notamment aux idées d’Enric Durán et de Didac Acosta sur le post-capitalisme : « Le post-capitalisme nous commençons à peine à entrevoir ce que cela peut être« , dit Efkin. Il y a une volonté de rendre cet espace industriel plus écologique. La vingtaine de nouveaux occupants du site produit de manière artisanale.

Une coopérative de logement

Ils ont commencé à réhabiliter les lieux. Vu leur étendue, trois hectares avec un bâti important, il y a fort à faire et cela prendra du temps. Concrètement, le groupe a créé un coopérative de logement : 27 logements des anciens ouvriers sont disponibles et en cours de rénovation. La coopérative de la CIC Masos Pel Decreixement a acheté le site à crédit, pour près de 500 000 €. Les coopérateurs intéressés peuvent soit louer temporairement un logement (pour 175 €/mois) soit l’acheter en crédit-vente (pour 17 000 €). En fait, si l’occupation est durable la location peut aussi se convertir en achat à crédit. C’est un peu « de chacun selon ses moyens ».

L'arrivée à Calafou.

L’arrivée à Calafou.

Quoi qu’il en soit l’achat ne donne pas droit à la propriété du logement ; c’est un simple « droit d’usage permanent », qui ne peut être cédé ni donner lieu à spéculation. « Le jour où nous serons solvables, nous commencerons à rendre l’argent à ceux qui seront partis« , dit Efkin.

Un certain nombre d’ateliers ont été aménagés sur le site. Leurs utilisateurs paient un loyer à la coopérative avec un montant minimum, accessible : « Celui qui veut ou qui en a la possibilité peut donner plus, chacun est libre.« 

A ce rythme, d’ici quatre à six ans, le site aura fini d’être payé.

« Nous nous sentons différents des communautés des années 1970« 

La coopérative, en fait, est encore informelle : ses statuts sont en cours de rédaction. Mais cela ne l’empêche pas de fonctionner : « C’est un projet d’assembléisme décentralisé. » L’assemblée générale, tous les dimanches, prend les décisions stratégiques. Il y a aussi des groupes de travail, relativement autonomes : économie, communication, réhabilitation, projets productifs, cuisine communautaire, espaces verts…

"Nous nous sentons différents des communautés des années 1970."

« Nous nous sentons différents des communautés des années 1970. »

Une partie des résidents (dix à quinze) vit là en permanence, certains depuis le début, d’autres viennent pour une période, puis repartent. C’est souvent en fonction de leurs projets, de la possibilité de trouver ici un local et des outils, ou d’une opportunité de travail à l’extérieur.

La vie à vingt ne pose pas de problème particulier. L’idéal, dit Efkin, « ce serait 50 personnes, pas plus. Au-delà, cela ne serait pas viable.« 

La coopérative est un « espace pacifique, de consensus ; nous n’acceptons pas la violence de genre, de race, ni la discrimination. Certes, il est difficile de vivre ici lorsqu’on est mal voyant ou en fauteuil roulant, une personne âgée ou un bébé. Nous nous efforçons d’améliorer l’accessibilité, mais le style de vie, c’est vrai, est dur. » Certaines pièces n’ont pas encore de fenêtres, d’autres ne sont pas faciles à chauffer.

Au sujet de la discrimination de genre, à Calafou, comme souvent à la CIC, on parle plus volontiers de « résidentes », de « coopératrices » : même si en fait la répartition entre hommes et femmes est assez équilibrée, c’est le féminin qui l’emporte. Une manière de dé-formater les esprits.

Le respect et la tolérance sont la règle, cela d’ailleurs très spontanément. La plupart des résidents est issue des mouvements sociaux de Barcelone, des squats…

Pour améliorer le fonctionnement, un système de parrainage a été mis en place. Chaque nouveau venu a une marraine ou un parrain. Au bout d’un mois, on réalise une évaluation informelle : « Si l’on a des engagements économiques, on doit les assumer ; le minimum c’est de participer aux assemblées et à un groupe de travail, ainsi qu’à deux après-midi de réhabilitation des lieux par mois. Celui qui n’arrive pas à assumer s’en rend compte par lui-même…« 

Au-delà du loyer pour le logement et/ou un atelier, chacun participe aux frais communs, à hauteur de 10 € par mois au minimum (celui qui peut donne davantage).

Un chantier à Calafou (photo CIC).

Un chantier à Calafou (photo CIC).

Quant à la vie en commun, elle est libre : « Nous nous sentons différents des communautés des années 1970. Par exemple, certains mangent chez eux, des groupes s’organisent pour manger ensemble, chacun organise sa propre vie.« 

Calafou est aussi un lieu d’accueil. De nombreuses personnes sont attirées par l’expérience et viennent voir et discuter. Les gens de l’extérieur viennent aussi participer aux chantiers de réhabilitation ou encore à des réunions et événements culturels et militants.

La vie à Calafou a évolué par rapport au début. « L’habitabilité s’améliore peu à peu« , dit Sheila. « Et le groupe est plus uni. Nous sommes beaucoup plus forts, nous nous occupons davantage les uns des autres. Et puis avant, il y avait énormément de visites, c’était un peu déstabilisant, maintenant c’est plus équilibré.« 

Chacun son projet

Le lieu est bien sûr très lié à la CIC, par l’état d’esprit mais aussi par des liens formels comme la monnaie sociale ou les « auto-ocupados » : en ce moment il y en a deux, qui travaillent avec la CIC pour les factures et leur participation financière.

Les résidents ont tous leur projet, dans une grande diversité. Ariel et Carlos, par exemple, réalisent des pages web, des documents 3D, des graphiques, des vidéos, des documentaires, animent des ateliers de formation. Alfredo met au point des outils informatiques, d’organisation, pour le réseau social de la CIC.

Sheila est artiste (cirque, animations pour les enfants) et travaille le samedi dans une boutique de diététique et nutrition. A Calafou, elle fabrique du savon à base d’huile d’olive recyclée, d’eau, de soude et de plantes médicinales. Le savon est surtout utilisé sur place, un peu vendu : « C’est pour tirer profit d’une matière première plutôt que de la jeter. Pour faire du commerce, il faudrait un autre état d’esprit : faire du savon bio, acheter de l’huile d’olive de qualité voire du karité en exploitant les Africains, faire de la publicité… Je n’ai pas envie de gagner ma vie comme ça.« 

Mandi, qui a une formation d’ingénieure des travaux publics, fait des travaux divers comme des installations électriques, les vendanges ou encore des liqueurs artisanales (« je ne les ai pas vendues« ) pour gagner sa vie avec des choses qui lui plaisent.

Efkin résume un état d’esprit assez général : « Nous n’avons pas vraiment la volonté de dégager des revenus, de travailler pour travailler ou pour gagner de l’argent.« 

Toutefois, les occupations, à Calafou, ne manquent pas. Hormis les tâches d’organisation commune et les chantiers de réhabilitation, il y a le jardin de plantes aromatiques et de légumes (actuellement un peu en sommeil), le poulailler, la fabrication de savon, de conserves et confitures (pour l’auto-consommation)…

L'atelier de menuiserie.

L’atelier de menuiserie.

Il y a aussi un atelier de mécanique, une fonderie expérimentale et un atelier de menuiserie bien équipé. Il a produit notamment pas moins de 500 chaises, dont une petite partie pour Calafou. Il y avait un « auto-ocupado » qui actuellement travaille ailleurs.

Calafou est aussi et peut-être avant tout un lieu d’expérimentation. C’est le cas par exemple avec le laboratoire de biologie, où ont été menées diverses expériences : de la culture de bactéries pour réaliser des calculs binaires avec des bactéries ; la mise au point d’un colorimètre pour mesurer la turbidité de l’eau, comme indicateur simple de pollution…

Il y a eu aussi un projet de réseau téléphonique international à partir de serveurs connectés entre eux.

Philosophie hacker, trans-féminisme, appropriation de son corps…

Calafou est attaché à la philosophie « hacker », « qui ne nécessite pas forcément de disposer d’un ordinateur : être hacker c’est réaliser soi-même quelque chose, mettre la main à la pâte, c’est casser avec la délégation qui consiste à faire faire les choses par quelqu’un d’autre comme dans le capitalisme. En fin de compte si tu es dépendant de quelqu’un, tu ne sauras jamais comment faire les choses.« 

Paula. Le laboratoire Pechblenda s'inspire de la philosophie "hacker" qui consiste à se prendre en charge, par exemple pour être l'acteur de sa propre santé.

Paula. Le laboratoire Pechblenda s’inspire de la philosophie « hacker » qui consiste à se prendre en charge, par exemple pour être l’acteur de sa propre santé.

Le laboratoire Pechblenda, de Paula, Klau et Beka, s’inspire de cette philosophie hacker. Elles utilisent les sciences et techniques dans un esprit d’appropriation du savoir et du savoir-faire, d’interdisciplinarité et de mise en réseau au niveau international : « La technologie est aux mains du capital ; comment sortir de cette réalité ?« . Il s’agit aussi de « produire pour le local« .

Leur travail a deux grandes orientations, la première plus directement pragmatique : répondre aux besoins techniques destinés à renforcer l’autonomie de Calafou. C’est ainsi qu’elles ont développé divers outils : lampes leds pour abaisser la consommation d’électricité, électrovannes, mécanisation de systèmes par exemple pour le remplissage des réservoirs de récupération de l’eau de pluie, réalisation de poêles pour le chauffage, arrosage automatique… Le tout évidemment la plupart du temps avec du matériel de récupération.

L’autre orientation est « un travail politique et artistique quotidien » lié notamment au trans-féminisme et au concept de « sans genre » : « Certaines naissent filles, d’autres garçons, transgenre ou hybrides« , dit Paula. « Cela a été effacé pour se conformer à la volonté de l’Église ; il faut rompre avec cette structure du patriarcat.« 

Le groupe a travaillé sur la dénonciation de l’utilisation de la femme comme objet d’observation scientifique et plus précisément sur les travaux de Sims, médecin-chercheur qui, vers 1840 en Alabama, a réalisé des expériences sur les organes génitaux de femmes africaines, esclaves, en les considérant comme des objets.

Autre piste, l’appropriation de la connaissance de son propre corps, au moyen de l’observation gynécologique et de l’auto-diagnostic. Pour cela, elles ont mis au point un spéculum à partir d’une imprimante 3 D et un système de caméra webcam avec microscope. L’idée est de pouvoir détecter d’éventuels problèmes gynécologiques.

Calafou est un lieu de recherche et d’expérimentation très ouvert, qui part dans de nombreuses directions. L’analyse politique n’est jamais absente.

1) Les colonies industrielles étaient des sites de production associés, sur un même lieu, à leur cité ouvrière. Elles ont été construites, pour la plupart, dans les deux dernières décennies du XIXe siècle.

Plus d’informations : Calafou / Pechblenda-transhack feminismo / Pechblendalab / Gynepunk-les sorcières cyborg.

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QLG Serveis Integrals : Convaincre par l’exemple

Les cinq membres de cette société informelle de services croient fermement dans le système coopératif. Ils utilisent la monnaie sociale qui pour eux est aussi un moyen d’amener de nouvelles personnes à rentrer dans le système.

QLG Serveis Integrals (services intégraux), dont le siège est situé à Sant Jaume Sesoliveres, dans la comarca (l’équivalent d’un canton) de l’Anoia, est née assez naturellement : « Nous nous sommes aperçus que nous étions cinq auto-ocupados de la Coopérative Intégrale Catalane, à travailler chacun de notre côté« , explique Juli. « Nous avons décidé d’unifier nos activités ; c’était un moyen de ne pas faire toujours le même travail.« 

L'équipe de QLG Serveis Integrals (photo QLG Serveis Integrals).

L’équipe de QLG Serveis Integrals (photo QLG Serveis Integrals).

En effet, QLG Serveis Integrals propose une grande diversité de prestations : théâtre (avec la Compagnie PuntMoc), organisation d’événements culturels, « travaux verticaux » (intervention sur des lieux difficiles d’accès, comme les façades), véhicules de loisirs (réparation de mobil-homes et de caravanes), maçonnerie, peinture, menuiserie, plomberie, électricité, travaux agricoles et de paysagiste…

Pour chacune de ces prestations, il y a une personne référente (celle qui connaît le métier et coordonne les travaux) et les autres l’aident. Cela apporte plusieurs avantages : avoir un travail varié, pouvoir répondre à des demandes diverses et avoir toujours de l’activité.

« Nous réfléchissons à l’opportunité de quitter la CIC et de monter notre propre coopérative« , dit Juli. « Nous nous entendons bien entre nous et nous aurions ainsi une structure juridique. A la CIC, la cotisation des auto-ocupados est assez élevée. Si tu factures beaucoup, cela représente presque 20 % du chiffre d’affaires. Avec la TVA (1), on arrive presque à 40 %. Et plus tu as de chiffre d’affaires, plus le taux à verser est élevé, ce qui réduit proportionnellement le bénéfice net. C’est lourd ; certes, la CIC se charge normalement de la facturation, en fait ici nous la faisons nous-mêmes, gratuitement, sur notre temps. Si nous avions plus de bénéfices nous pourrions investir là où nous pensons devoir le faire.« 

« La CIC paie des personnes, avec des rétributions, pour un travail administratif. Peut-être que la première des choses à faire, pour la CIC, serait d’acheter des logements et de donner à ses agents un logement et de quoi manger, plutôt que de les rémunérer pour qu’ils puissent payer leur loyer et leur nourriture. En Grèce, j’ai vu de nombreux collectifs, dans des hôpitaux, des usines, où le volontariat est la première forme d’organisation. Il faut se poser la question : nous faisons la révolution ou nous recherchons un emploi ? »

Juli souligne aussi le problème d’échelle de la CIC : « Essayer de se coordonner avec plus de 2 000 adhérents, c’est très difficile. La réforme en cours des biorégions est une bonne avancée mais elle n’est pas suffisante. Il faut aller vers quelque chose de plus local ; le maximum, c’est 30 personnes.« 

Il précise : « Ce que la CIC a fait jusqu’à maintenant, c’est super. Il fallait en passer par là pour nous rendre compte de certaines erreurs, pour apprendre.« 

Les membres de QLG Serveis Integrals parviennent à vivre de leur activité. Ils se font payer le plus possible en monnaie sociale (celles des éco-réseaux de l’Anoia et du Penedés). « J’achète mon alimentation uniquement en monnaie sociale« , dit Juli. « Je peux trouver, en monnaie sociale, des vêtements, des chaussures, des services, des massages, un mécanicien… Dans l’éco-réseau d’Anoia, les offres sont nombreuses ; nous sommes actifs.« 

Il poursuit : « Nous sommes demandeurs de davantage de monnaie sociale. Nos clients sont divers, il y a des coopérateurs et des personnes extérieures, c’est le réseau de clients que nous avons tissé. Quand nous leur parlons de monnaie sociale, ils sont souvent surpris et veulent en savoir plus, c’est une manière de faire connaître la CIC, de diffuser nos idées. C’est comme cela que nous progressons peu à peu dans notre petite région.« 

« Nous devons avancer patiemment, même si nous nous tromperons des milliers de fois« , conclut Juli.

1) En Espagne, l’IVA (impuesto al valor agregado).

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Eco-réseau d’Anoia : une dynamique propre

Tout en étant en phase avec la Coopérative Intégrale Catalane, l’éco-réseau d’Anoia a sa vie propre. Il met l’accent sur la nécessité de développer des liens entre les personnes, avant tout au niveau local.

« La comarca de l’Anoia a toujours été marquée par des mouvements sociaux, syndicaux, avec la CNT. Et puis il y a l’expérience de Calafou. L’éco-réseau est né un peu de tout ça, de ces personnes« , dit Lucie, qui consacre de son temps à l’éco-réseau (en partie en volontariat, en partie moyennant une rétribution).

Cet éco-réseau a trois ans d’existence ; au début, il avait peu de relations avec la CIC. Un petit groupe de personnes s’est organisé au niveau local avec des échanges de biens et de services en troc direct et en monnaie sociale. « Le travail de base était de créer du lien.« 

Capellades. La Vallée de l'Anoia est toujours marquée par l'industrie.

Capellades. La Vallée de l’Anoia est toujours marquée par l’industrie.

L’Anoia a sa propre monnaie sociale, sur l’ancienne plate-forme CES : « Elle est très performante et nous avons préféré en rester là. Un travail des programmateurs a permis de relier les bases de données de manière à permettre les échanges entre les deux plate-formes. » Échanges qui se font au niveau local mais aussi avec toute la Catalogne.

L’éco-réseau anime un dépôt (en catalan « Rebost » : cellier, magasin) de produits, alimentaires et autres. Produits qui viennent en petite partie de la CAC (Centrale d’Approvisionnement Catalane), en fait pour ce qui ne peut pas être produit localement. « Nous avons presque tout sur place : fruits et légumes, conserves, céréales, légumineuses, fromages de chèvre, yaourts…« . Les producteurs locaux vendent aussi à la CAC pour approvisionner les autres dépôts de Catalogne.

Il y a un grand débat sur la monnaie sociale : La CAC encaisse une partie en euros, parce que certains producteurs ne peuvent pas absorber suffisamment de monnaie sociale du fait qu’ils ont à payer leurs frais en euros. « Nous préférerions que la CAC ne nous propose pas certains produits si elle ne les trouve pas en monnaie sociale. Pour la CAC, c’est aussi une étape. La réflexion est en cours, à tous les niveaux.« 

Une vingtaine de personnes font régulièrement des commandes au Rebost. Lucie insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas que d’un point de vente ; il s’agit d’échanger, en monnaie sociale, dans l’esprit de producteurs-consommateurs (prosumidores) : une condition pour participer, c’est de s’insérer dans l’éco-réseau en offrant un produit, alimentaire ou non, ou un service.

On est donc en circuit fermé, de manière à rechercher l’auto-suffisance par rapport à la société. « Quelques uns, de plus en plus nombreux, sont à peu près auto-suffisants, disons à 70 %. L’éco-réseau est assez jeune et on ne change pas sa vie d’un coup.« 

Il y a, dans l’Anoia, un embryon de groupe santé, avec plusieurs professionnels (médecine alternative, chinoise, yoga, un pharmacien). Pour l’instant, le manque de local est un frein. « Et puis, nous n’avons peut-être pas besoin d’un groupe santé ; l’important, c’est de donner un accès facile de chacun à l’auto-soin. C’est peut-être ce qui bloque. Il ne s’agit pas de créer une Sécurité Sociale.« 

En matière de logement, il y a eu une expérience : un bâtiment avait été cédé par un membre du réseau ; il y avait un projet de le réhabiliter pour du logement social ou temporaire. Ça n’a pas marché, pour des raisons externes. Pour l’instant il n’y a pas d’autre opportunité de terrains ou de logements en cession.

« Nous avons réussi à obtenir une implication de tout le monde dans l’assemblée du Rebost« , note Lucie. « Par contre, encore pas mal de personnes ne s’approchent pas beaucoup de l’assemblée permanente de l’éco-réseau (qui n’a pas de forme légale). On y parle stratégie mais c’est très accessible.« 

Pour ce qui est des relations entre l’éco-réseau et la CIC, environ 40 à 50 % des membres de l’éco-réseau adhèrent à la CIC. « Ce n’est pas une obligation ; les assemblées sont ouvertes, chacun voit ce qu’il veut faire. Beaucoup utilisent les outils de la CIC dans leur vie quotidienne ; nous essayons de soutenir la CIC à l’échelle locale.« 

Ressort le débat sur la décentralisation de la CIC. « Ma vision« , dit Lucie, « c’est que la coopérative est un organisme vivant ; il n’y a pas besoin de liens structurels. Les biorégions, c’est une manière de décentraliser, je pense que l’on a pris le bon chemin : il y a plus de proximité et c’est plus facile de s’impliquer dans l’assemblée. Mais il faut aller plus loin, jusqu’à la base, au niveau d’un groupe « familial » ou de village, de vingt à trente personnes. »

« Bien sûr il y a un intérêt à garder des assemblées aux différentes échelles. Au niveau local on ne peut pas résoudre tous nos besoins. Mais il faut partir de la base : c’est une erreur historique de partir d’une coopérative pour décentraliser.« 

Lucie ajoute : « Le débat est très sain. Il y a beaucoup d’auto-critique, de conscience de ce qui se passe. Le groupe a une vraie volonté de changer les choses.« 

Plus d’informations : Eco-réseau d’Anoia.

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Coopération Intégrale Toulousaine : pas à pas mais sûrement

Un groupe est né à Toulouse, il y a trois ans. Il a commencé par définir ses objectifs et sa manière d’agir. Le lancement récent d’une monnaie sociale est un nouveau pas en avant.

L’origine de Coopération Intégrale Toulousaine (CIT) remonte à 2012 : un groupe de Toulousains avaient rencontré notamment Enric Durán, lors de la Marche catalane pour la décroissance. Puis un groupe de Catalans est venu présenter à Toulouse le projet de la Coopérative Intégrale Catalane. Le groupe toulousain a été créé en novembre 2012, avec une centaine de personnes.

Il s’est appelé jusqu’ici Coopérative Intégrale Toulousaine, mais l’assemblée d’octobre 2015 a décidé un changement de nom pour devenir « Coopération Intégrale Toulousaine ». Cela pour marquer qu’il s’agit d’un « réseau ouvert de groupes et personnes autonomes qui n’implique aucune adhésion ou statut de membre » (ce qui serait le cas avec une coopérative).

Après la création, la priorité a été donnée à la réflexion théorique, explique Jérôme (du comité d’accueil), et des groupes de travail ont été constitués, notamment pour écrire les statuts. Le groupe central s’est ensuite réduit à une dizaine de personnes au bout de six mois, mais il reste solide. « Le travail de construction est ingrat ; il a pu démotiver les gens« , dit Jérôme.

Une Agora de Coopération Intégrale Toulousaine (2015)

Une Agora de Coopération Intégrale Toulousaine (2015)

Bien que CIT s’inspire fortement de la coopérative catalane, le contexte, à Toulouse, est différent de ce qu’il est en Espagne : « Il y a là bas une culture de la réunion, du parler ensemble, que nous avons un peu perdue en France.« 

Il y a aussi d’importantes différences juridiques avec l’Espagne : CIT ne peut pas avoir le statut de coopérative (il faudrait par exemple avoir au moins deux salariés dans certaines formes de coopératives) ; elle a formé une association, et le statut fiscal des associations en France ne permet pas de mettre en place un système comme celui des « auto-ocupados ».

On l’a vu plus haut, l’esprit de CIT reste celui d’un groupe informel, d’une assemblée se réunissant tous les mois et ayant à sa disposition des outils et des services communs, parmi lesquels l’association, qui sert d’appui aux diverses nécessités légales, liées par exemple à la monnaie sociale ou à la centrale d’achat.

La monnaie sociale, outil majeur

Coopération Intégrale Toulousaine fonctionne à partir de l’assemblée générale mensuelle de tous les coopérateurs (l’Agora), avec des décisions au consensus : « Cela peut ralentir les choses mais au final, quand tout le monde est d’accord, on va plus loin.« 

Il y a des services communs (comité d’organisation de l’Agora, communication, outils informatique, juridique…). Et des groupes autonomes, qui prennent en charge diverses initiatives (groupement d’achats, imprimerie, bibliothèque, cuisine collective, apprentisseurses…).

Ces groupes sont en évolution permanente, au gré des projets et de l’implication de chacun. L’Imprimerie du Bambou est un service de reprographie pour réaliser divers documents. La cuisine collective met du matériel à disposition de ceux qui souhaitent organiser des repas, par exemple à l’occasion d’événements. Un groupe « apprentisseurses » est en formation : il envisage de répertorier les offres d’apprentissage et de les mettre à disposition sur internet (à CIT on préfère parler d’apprentissage que de formation, terme qui « laisse sous-entendre l’intervention d’un formateur(trice) et un rapport de domination dont nous souhaitons nous émanciper ».)

Le Groupement d’achats solidaires Epicerie de Toulouse (Gaset) est le groupe qui réunit le plus de personnes (une quarantaine). Mis en place en 2014, il consiste à faire des commandes groupées à divers producteurs. Il se limite pour l’instant aux produits secs, en attendant de pouvoir disposer d’un local, son absence étant un facteur limitant (au départ, on a pu utiliser un squat, ce qui n’est plus le cas). Le démarrage de la monnaie sociale et la coopération du Gaset avec celle-ci devraient entraîner un gain d’autonomie pour les coopérateurs-trices de ces deux groupes.

Un pas important à en effet été réalisé cet automne. Après une période d’essai en petit groupe, la monnaie sociale, l’Oseille, a été lancée progressivement à partir de septembre. Elle s’appuie sur la plate-forme informatique Integral CES.

Des expériences de monnaie locale existent dans la région toulousaine, comme le Sol Violette et le Sel Cocagne. A CIT, on ne veut pas un fonctionnement pyramidal ni d’indexation sur l’Euro et de compte dans une banque. On ne veut pas non plus être dans un rapport marchand, où l’acheteur négocie avec le producteur ou le vendeur de services. Le but, c’est non seulement d’acheter local mais aussi de sortir de l’Euro et de développer les échanges pour s’affranchir du système capitaliste.

La monnaie sociale de Coopération Intégrale Toulousaine a deux niveaux : l’Oseille, pour l’échange entre personnes et collectifs autonomes ; la Groseille, pour construire des passerelles avec les communs de CIT et les personnes qui les préservent et les diffusent.

Pour utiliser l’Oseille, il faut adhérer à l’association ; une sorte de parrainage est mis en place pour accueillir et susciter les candidats. Pour lancer le mécanisme, il faut au départ créer de la monnaie : il est donc demandé à ses utilisateurs de commencer par émettre une offre (de produits ou de services) avant d’être acheteurs.

L’étalonnage de l’Oseille se fait sur 60 oseilles pour une heure de service.

Le débat de savoir s’il faut payer différemment une heure de maçon ou une heure d’ingénieur n’a pour l’instant pas été tranché.

Le succès de la monnaie sociale dépendra de la réalité des échanges, c’est-à-dire du niveau d’intégration de chaque utilisateur dans le système coopératif pour satisfaire ses besoins quotidiens et apporter sa part au collectif. Mais aussi du nombre d’utilisateurs. La bonne taille serait 300 utilisateurs, estime Jérôme.

CIT, étant à Toulouse, est surtout composée de citadins, et peu de personnes ont des formations dans les métiers manuels. On entrevoit clairement la nécessité de compléter un jour l’offre en produits agricoles et services liés aux métiers artisanaux, notamment ceux du bâtiment. Le logement et l’alimentation viennent en effet en tête des besoins de base. Cette offre peut soit être intégrée dans CIT soit être trouvée dans des groupes voisins.

Un chaudron bouillonnant d’idées

Lors de l’Agora du 26 septembre, deux réflexions à long terme ont été évoquées. D’une part la création d’une coopérative d’achat de foncier pour créer des logements. A CIT, on n’est pas favorable à la location, à cause de ce qu’elle contient d’injustice sociale : elle permet à quelqu’un qui a hérité d’un capital d’en tirer un profit aux dépens du locataire. On étudie l’achat de bâtiment(s), qui pourraient être détenus par une structure coopérative, pour ne pas reproduire un schéma de société privée ; mais il faudrait un minimum d’argent…

Autre sujet de réflexion, une coopérative de travail : « Le monde dont nous rêvons ne passe pas par le travail« , dit un intervenant. « Mais nous avons besoin d’argent pour vivre dans cette société et faire fonctionner la coopérative intégrale tant qu’il reste une dépendance (vis-à-vis du système capitaliste). Le travail bouffe le temps et la vie des gens ; en société, il est leur activité majeure. » La coopérative de travail pourrait avoir plusieurs objectifs : accompagner les porteurs de projet, administrativement et comptablement ; procurer des ressources à CIT.

La réflexion a porté aussi sur les relations avec les gens qui, hors de CIT, mènent des initiatives qui peuvent aller dans le même sens ; et sur les moyens pour tisser des liens.

A une échelle encore modeste, Coopération Intégrale Toulousaine est un groupe très vivant, en mouvement. Il suffit d’assister à une agora pour voir à quel point c’est un chaudron bouillonnant d’idées et un lieu de débat.

Plus d’informations : Coopération Intégrale Toulousaine.

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REVOLUCION INTEGRAL : …………………. No quieren reformar la sociedad, sino construir otra

El movimiento de la cooperativas integrales, nacido en Cataluña, se va extendiendo poco a poco. Sus miembros han renunciado a reformar la sociedad. Prefieren construir otra, « liberada de la dominaciones capitalista, de género y de raza » ; una sociedad sin Estado, en la que los ciudadanos ejercen juntos un poder autónomo, a partir de abajo. Las principales herramientas para llegar a esto son la democracia directa, unas estructuras cooperativas y la moneda social como medio de intercambios que escapen al sistema dominante.

Esta utopía es fuerte. Va seduciendo a miles de personas que se emplean, día tras día, a hacerla realidad.

VOIR LA VERSION FRANÇAISE

Debate y fiesta en la casa okupa de Kan Kolmo, en Girona (photo CIC).

Debate y fiesta en la casa okupa de Kan Kolmo, en Girona (photo CIC).

 

DOSSIER

. La Cooperativa Integral Catalana.

. Calafou : en camino hacia el post-capitalismo.

. Eco-redes : una dinámica propia.

. Coopération Intégrale Toulousaine : paso a paso pero con determinación.

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Entre 2 000 y 7 000 cooperadores

La Cooperativa Integral Catalana (CIC, nacida en 2010), que está al origen de aquél movimiento, reúne en toda Cataluña a más de 2 000 personas ; y quizás hasta se puede hablar de unas 6 000 o 7 000 personas, más o menos implicadas. En efecto, gran parte de la actividades en torno a la cooperativa integral se desarrollan de modo informal y es difícil registrar las numerosas iniciativas locales, autónomas por definición.

Lo cierto es que el movimiento va difundiéndose en España y fuera. Hay actualmente, en España, una quincena de cooperativas integrales, la mayor parte a nivel de una región o de una ciudad. En Francia, varias cooperativas integrales fueron creadas más recientemente (como la de Toulouse : leer más lejos).

Un funcionamiento más que todo informal

El funcionamiento de la CIC es sencillo : se da prioridad a la iniciativa local mientras la asamblea permanente coordina. Pero a la vez es un poco difícil de concebir porque la organización informal prima sobre las estructuras oficiales. Estas se van creando según las necesidades, de modo pragtico.

La base del funcionamiento de la CIC es la asamblea permanente, que reúne más o menos cada mes a los cooperadores quienes lo desean. La decisiones se toman según el principio del consenso.

Una Asamblea Permanente de la CIC (19/10/2014).

Una Asamblea Permanente de la CIC (2015).

Diariamente, el trabajo de organización lo realizan comisiones (con temas permanentes) o grupos (con temas puntuales). La comisiones están agrupadas en nodos temáticos, para favorecer la cohesión de sus actividades.

Se ha emprendido un proceso de descentralización con la reciente creación de asambleas « bioregionales », en cada una de las tres regiones de la CIC, norte, centro y sur.

Pero la otra base de la CIC son las eco-redes o redes locales. Las hay 25 en actividad ; son autónomas y sus actividades son tan diversas como los procesos que las han dado a luz.

Estas eco-redes están concretamente vinculadas entre ellas por la CAC (Central de Abastecimiento Catalana) y por la moneda social. Esta permite a la CAC funcionar pero también permite numerosos otros intercambios de bienes y servicios. Las eco-redes tienen generalmente sur propia moneda social, a escala local, y ésta es convertible en moneda social de la cooperativa, el Eco.

La Cooperativa Integral Catalana no tiene, por ella misma, existencia jurídica. Está formalmente estructurada en tres cooperativas principales : la CASX (Cooperativa d’Autofinançament Social en Xarxa = Cooperativa de auto-financiación social en red) ; una cooperativa de patrimonio (Masos pel decreixement), que permite disponer de una estructura jurídica para la posesión de inmuebles ; y una cooperativa de profesionales (Xarxa Interprofesional).

Esta última ha servido de apoyo, al principio, a unas 800 personas para crear su propio empleo. Los llaman los « auto-ocupados ».

En realidad, se crea una nueva cooperativa cada vez que es necesario : esto para limitar su tamaño (y así facilitar su trabajo) y porque cada cooperativa tiene un nivel de « responsabilidad limitada » que es mejor no rebasar : la responsabilidad limitada es una característica de la forma legal de la cooperativa la cual implica que los « socios » no son responsables económicamente ; en caso de riesgo solo queda expuesto el capital social. Por otra parte está la limitación de número de « socios auto-ocupados » que se quiere establecer para cada nueva cooperativa ; esta limitación no es limitación de responsabilidad de los socios sino limitación de volumen de facturación por temas de hacienda e IVA.

Hay otro aspecto en la organización : la CIC compensa económicamente (« asignación« ) a 50 militantes quienes hacen para ella trabajo militante de tipo administrativo y organizativo. Las asignaciones van de unas 300 a 900 unidades monetarias, en euros o en ecos (representa este gasto la mayor parte del presupuesto de la CIC).

Así se puede resumir el « sistema » de la cooperativa integral ; volveremos más lejos con más detalles sobre algunos de sus aspectos. Lo que se puede destacar es una organización cooperativa con iniciativa en la base, en la acción de los grupos de base que se auto-gobiernan. El papel de la asamblea permanente es tomar las decisiones que atañen al conjunto de los cooperadores, es coordinar y es velar por el respeto de los principios comunes.

Foto CIC.

Foto CIC.

Un contexto histórico determinante

La Cooperativa Integral Catalana se enraíza por una parte en la tradición libertaria catalana y española, con la que los cuatro decenios del franquismo no lograron acabar (1), y por otra parte en la historia reciente de los movimientos sociales españoles.

En el origen de la CIC encontramos lo que se puede considerar como una cooperativa de pruebas, Altercoms (2006-2008). El Primer seminario de sistemas monetarios libres, en el año 2009 (en Alto Montseny), es otro evento fundador de la CIC.

Como lo explica Carlos, de Coopération Intégrale Toulousaine, « la crisis inmobiliaria del final de los años 2000 en España provocó un aumento súbito del paro, hasta el 45 % entre los jóvenes (a pesar de su nivel de cualificación generalmente elevado).« 

En este contexto se desarrollaron luchas ciudadanas como la de la PAH (Plataforma d’afectats per la hipoteca), surgida en Barcelona en 2009, y que se extendió a toda España. Este movimiento ha obstaculizado, por manifestaciones, numerosos desahucios de propietarios de alojamientos que se encontraban en la imposibilidad de pagar sus préstamos. Ada Colau, la alcaldesa de Barcelona, fue una de las fundadoras y la portavoz de la PAH.

Foto CIC.

Foto CIC.

Carlos completa : « Siguiendo el modelo de Occupy Wall Street, el movimiento de los Indignados (15 de mayo de 2011) y numerosas otras iniciativas surgieron en España, con el objetivo de intentar salir del capitalismo. Estos movimientos propugnan una democracia real, al contrario de la democracia parlamentaria representativa. » (2)

« Con esta idea, los creadores de la Cooperativa Integral Catalana han elegido un sistema de toma de decisiones al consenso y siempre al nivel más local.« 

« En el enfoque de la Red catalana por el decrecimiento, recorrieron toda Cataluña, en bicicleta, de pueblo en pueblo, para decir cómo se sale concretamente del capitalismo, esto apoyándose en varios principios : comer productos locales, crear cooperativas, organizarse en redes, en autogestión y crear monedas locales.« 

« Así se unieron 45 pueblos (a partir de 2009). Y se crearon las eco-redes ; son redes organizadas a la escala más local, la de un pueblo por ejemplo.« 

Los fundadores de la CIC se refieren a menudo al Llamamiento internacional para la Revolución integral, difundido en 2010, y también al zapatismo : las nociones de poder ejercido directamente por el pueblo y de comunidades locales auto-gobernadas se vuelven a encontrar en las cooperativas integrales.

Por fin, en el origen, también hay Enric Durán quién, por su aportación teórica, desempeñó un papel importante en la emergencia de la CIC. Entre 2006 y 2008, él había contratado 68 préstamos, ante 39 bancos diferentes, por un importe total de cerca de 500 000 €, que nunca devolvió. Este dinero lo empleó a financiar varios movimientos sociales « y entre ellos el colectivo Crisis, el cual distribuyó dos periódicos con tirada elevada para denunciar el papel de los bancos en la crisis y explicar el concepto de cooperativa integral«  (cf. artículo de Emmanuel Daniel en Reporterre de 26/5/2015). Enric Durán ha denunciado el sistema de creación monetaria que, al provocar la deuda, da el poder a las instituciones financieras internacionales para imponer la política liberal (privatizaciones, planes de ajuste estructural…).

Encarcelado durante dos meses y luego liberado bajo fianza, dejó España, negándose a comparecer ante la justicia en condiciones que él consideraba injustas.

Moneda social : para salir del mercado capitalista

La moneda social de la CIC, el Eco, no puede ser objeto de especulación ni producir intereses. Al contrario del Euro y otras monedas convencionales, es creada a partir de la actividad y de los intercambios.

Cualquier cooperador puede tener acceso a esta moneda virtual por una plataforma informática, Integral CES, una aplicación a la CIC del CES (Community Exchange System). El CES es una red, nacida en África del Sur, que se extiende ahora en el mundo entero (la península ibérica es su mayor usuario y representa el tercio de los usos). El CES y el Integral CES son compatibles.

Se puede tener acceso al Eco sin otro vínculo obligatorio con la CIC. Al abrir una cuenta, se puede participar al sistema de oferta y demanda de bienes o servicios.

Cada eco-red tiene su moneda social, la cual está vinculada con el Eco.

Los principales usos de la moneda social son los intercambios en y entre las eco-redes, la CAC (Central de Abastecimiento Catalana que abastece, en toda Cataluña, unas 30 despensas locales) y el pago de servicios o productos de los « auto-ocupados ».

Respecto al « Eco », un objetivo prioritario de la CIC, al igual que de las monedas de las eco-redes, es liberarse del mercado capitalista, lo que no es el caso de monedas locales que existen en España y en Francia fuera de las cooperativas integrales, y cuyo objetivo principal es favorecer el consumo de productos locales, sin más.

Esta moneda anima pues a cada usuario para que encuentre los productos y servicios que necesita no en el mercado capitalista sino dentro del sistema cooperativo de la CIC o dentro de la comunidad de intercambio que es cada eco-red, y le lleva a ser él mismo una fuente de oferta de productos o servicios. En suma, para vivir con la moneda social, hay que cambiar de vida para lograr encontrar sus principales medios de subsistencia (alojamiento, alimentación, salud, vestidos…) dentro del sistema cooperativo y abstenerse de ciertos bienes de la sociedad de consumo. Idealmente, cada usuario es consumidor y productor, y aporta a la comunidad de intercambio tanto como obtiene de ella ; éste es el « principio de reciprocidad« , que a su vez actúa como principio de estabilidad monetaria (tendencia al balance cero entre eco-redes) y simplificación del mantenimiento (reducción de operaciones monetarias de cualquier tipo por medio del intercambio).

La CAC, lugar de promoción de la moneda social… o, mejor, de los intercambios sin moneda alguna

La Central de Abastecimiento Catalana (CAC) pone en relación productores y consumidores para productos con una caducidad mínima de un mes. No tiene ni quiere tener frigoríficos, almacenes o vehículos propios, sino distribuir toda la logística entre los participantes, mediante una buena gestión informática. Por su parte, las despensas locales (« rebosts » en catalán), gestionadas por las eco-redes, se encargan de los productos frescos.

Cada mes, los productores anuncian los productos que pueden ofrecer y los compradores (cooperadores o no), hacen su pedido ; la CAC reparte los pedidos de todos los grupos en los rebosts, que son los puntos de entrega de grupos de consumo, comisiones y rebosts.

Actualmente, la CAC tiene unos 500 usuarios, repartidos en más de 30 rebosts (20 son realmente activos) y unos 10 grupos de consumo (en crecimiento). Los pagos se hacen en euros y en ecos. La CAC cobra un 5 % del importe de las ventas para gastos y un coste de transporte cooperativizado proporcional al peso del pedido.

Aproximadamente los dos tercios de los productos proceden de productores cooperadores. Y, últimamente, se ha llegado al 48 % pagado en moneda social (el Eco) : esta proporción ha duplicado desde que se aplica un respaldo selectivo para la compra en ecos por parte de los productores.

Esto es una cuestión central para la CAC. Ciertos productos son pagados en parte en euros y en parte en ecos ; otros totalmente en euros o en ecos. Esto según las posibilidades de los productores de usar los ecos que reciben. Además la CAC tiene que comprar ciertos productos en euros porque es el único modo de encontrarlos. Vadó, uno de las cuatro personas de la comisión CAC, toma el ejemplo de los botes de cristal para conservas, muy usados por los cooperadores.

Vadó, cerca de la camioneta usada para las entregas de la CAC.

Vadó, cerca de la camioneta usada para las entregas de la CAC.

Hubo un momento en el que la CAC aceptaba los pagos 100 % en ecos, aunque la CIC pagara a los proveedores en euros (en realidad, la CAC es una estructura informal ; se apoya en la CIC para las gestiones oficiales). Lo que ocasionó un desequilibrio entre la necesidad de euros y los ingresados.

Para incentivar a los productores y a los consumidores a usar más moneda social, la CAC decidió en agosto pasado limitar el respaldo en ecos (luego convertidos en euros pagados por la CIC) a los productores y consumidores en función de su participación en los intercambios en los seis meses pasados : Cuanto más consumes, más produces, menor es la diferencia entre tu consumo y tu producción y más moneda social aceptas por lo que ofreces en la CAC, más respaldo tienes, es decir, con más ecos puedes pagar tus pedidos a la CAC. Además, el objetivo es reducir lo más posible las operaciones monetarias : cuando más se intercambia, menor es la diferencia que se paga en moneda. Y el hecho de que sea en euros o en ecos, finalmente, tiene menor importancia.

Esta manera de hacer, dice Vadó, se muestra eficaz : « Desde que se empezó el respaldo selectivo se ha duplicado el porcentaje medio de moneda social. La gente escoge a productores que ofrecen más productos en ecos y los productores aceptan más ecos. Es un buen motor. Para mí es clave respaldar a quién participa según nuestros principios ya que se genera una reacción en cadena a favor de éstos.« 

Otro objetivo de la CIC (y de la CAC), ir más y más hacia el abastecimiento local : « Es un proceso lento, ya casi maduro« , dice Vadó. « Queremos que los rebosts canalicen a los productores locales hacia el resto de la red. » Se pide pues a los rebosts que identifiquen a los productores de los cuales la cooperativa necesita y que los avalen. Hay un proyecto de sello de confianza : cada rebost pondrá el aval a productores para distribuir en toda la CAC. Los criterios son los mismos de siempre : local, ecológico, ético.

Este proceso es, al mismo tiempo, el de la descentralización de la CAC. El proyecto es que empiecen a conectarse los rebosts próximos para luego crear una central de abastecimiento bioregional (CAB). La CAC, a su vez, se fundiría en una de las centrales bioregionales.

Vadó subraya otras posibles cuestiones que solucionar : « No tenemos sistema de precios ; por ahora generalmente nos basamos en el euro pero no más que para tener una comparación. Vemos pequeños síntomas de lo que puede venir cuando crezcamos : por ejemplo, ciertos productores no reaccionan como esperamos, sintiendo que compiten con otros productores ; cuando esto se produce, la solución es hablar juntos en asamblea para compartir situaciones, formas de producción, conocimientos y establecer acuerdos sobre la base del apoyo mutuo.« 

Es por otra parte necesario controlar el origen de los ecos : « Hubo un desarrollo de moneda social sin límites, inmaduro ; la gente buscaba ecos con cualquier medio. Cada vez que vemos un número de cuenta que no conocemos, pedimos asesoramiento a la Comisión de Intercambio y Moneda Social (CIMS) para que evalúe su eco-red y nos diga si para ella es confiable esa eco-red.« 

Vadó defiende una idea fuerte : La CAC (y sus formas locales) « es un atractivo para los que no conocen la cooperativa ; cada uno puede venir sin definir exactamente sus principios y la moneda social no es obligatoria, esto es una buena entrada. Incluso para los grupos de consumo que pagan en euros ; así respaldan el sistema. Es una economía dual. » Y luego, poco a poco, se aumenta el uso de moneda social y sobre todo, al final, el intercambio sin moneda.

« Auto-ocupados » : al centro de la economía cooperativa

El sistema de los « auto-ocupados » es uno de los factores de éxito de la Cooperativa Integral Catalana. Permite a personas crear su empleo y, por consiguiente, asegurar sus ingresos, en el cuadro cooperativo ; así tienen la posibilidad de liberarse del sistema económico que rechazan. Para la cooperativa, los auto-ocupados son un elemento esencial para ir concretando una nueva sociedad.

La CIC proporciona a los auto-ocupados los consejos necesarios para el desarrollo de su actividad y se encarga de una parte de la gestión administrativa.

Son unos 800 auto-ocupados, aunque con una proporción relativamente alta de movimiento (altas y bajas), algo como el 40 % cada año. Sus campos de actividad son diversos con una fuerte proporción de profesiones artesanales y de la salud. Muchos (más o menos la mitad) son feriantes (venden sus productos en los mercados).

El mecanismo de los auto-ocupados, al tiempo que respeta las bases legales, beneficia de ciertas disposiciones : los auto-ocupados son considerados como socios voluntarios de la cooperativa (la cual tiene reconocimiento con finalidad social). Por ello no tienen que pagar los gastos habituales de los trabajadores por cuenta propia, como el IRPF, y es la cooperativa la que factura sus prestaciones y paga el IVA si es conveniente.

Por otra parte han de pagar a la CIC una cuota proporcional a su volumen de negocios. Esta cuota es la principal fuente de ingresos de la CIC (o sea casi la única).

Los auto-ocupados no benefician de la cobertura social de la que disfrutarían si tuvieran un estatuto de trabajador por cuenta propia. Si su actividad lo requiere, tienen que suscribir un seguro de responsabilidad civil. Pueden también asegurarse personalmente, por ejemplo para una pensión de jubilación.

La CIC ha creado una bolsa de trabajo (« Fem feina ») para poner en relación a los cooperadores quienes necesitan ayuda y a los que están en busca de actividad.

Se observa que algunos auto-ocupados tienen tendencia a usar de la cooperativa, y no a implicarse en ella ; solo buscan una solución económica. Esto, dice Vadó, « es también una responsabilidad de la cooperativa, el ser más selectiva según el grado de afinidad de los participantes, aplicando un filtro adecuado durante el proceso de acogida.« 

Salud : una experiencia de centro autónomo

La cooperativa promueve las iniciativas que permitan « recuperar lo público como un bien colectivo – ni estatal ni privado« , en particular en materia de educación, salud, vivienda, transportes, energía.

En cuanto a la salud, un enfoque cooperativo había sido llevado con el CAPS (Centro de Autogestión Primaria en Salud). Varios profesionales de salud y sociales, interesados por la manera de ver de la CIC, se habían juntado en un centro autónomo, en el piso de Aurea Social (Carrer de Sardenya en Barcelona), en el cual se ubica la sede de la CIC. Ellos atendían al público, proporcionaban asistencia básica y promovían la prevención.

Aura Social, sede de la Cooperativa Integral Catalana, en Barcelona.

Aura Social, sede de la Cooperativa Integral Catalana, en Barcelona.

Había un enfoque de lucha contra la exclusión del acceso al cuidado, una exclusión que va creciendo en España (y también, en menor grado, en Francia) por causa de las rebajas de los presupuestos de salud y de las privatizaciones.

También se trataba de construir un sistema mutualista con cuotas y toma en carga compartida de los gastos de salud.

Se acabó la experiencia del CAPS por razones múltiples : dificultades de organización ; desajuste entre los recursos de los usuarios y los ingresos de los profesionales ; discrepancias en los enfoques terapéuticos (alternativos o no)… Se puede apostar a que experiencias similares no tardarán en surgir. La mentalidad es tomar en manos su propia salud, antes de todo de manera preventiva, al opuesto del sistema de consumo de salud vigente.

Seguridad social y sistema público cooperativo

Actualmente en la CIC no existe sistema de cobertura social, de prestaciones de desempleo o de jubilación. Los cooperadores cuentan con la solidaridad de sus prójimos en caso de dificultad e impugnan el sistema estatal : « Hay que escoger entre apostar por una Seguridad Social, la del Estado, que no controlamos o apostar por un sistema social que va creciendo« , dice Dani, de la comisión Comunicación.

¿ A qué podría parecerse una seguridad social cooperativa ? « Para mí« , dice Vadó, « el proyecto más importante ahora es aprender a gestionar fondos de emergencia o cajas de resistencia para cubrir desastres de las personas y grupos y luego ampliarlo para cobertura interna (salud, retiro…), a lo menos a los más implicados y mejor a todos. Para que sea útil debe participar mucha gente, a nivel de un rebost no va a llegar para cubrir algo.« 

Prosigue Vadó : « Hay la cuestión de saber dónde se guarda el dinero de estas cajas para empezar. Queremos prescindir de bancos. Se está trabajando en una propuesta de prueba piloto para una caja de resistencia integrada en la CAC, con aportaciones voluntarias ; la CAC puede absorber esos fondos para aumentar los productos que compra con su fondo de liquidez. Esto significaría guardar el dinero usándolo no como un banco ni mediante un sistema de préstamos sino como compra-venda colectiva. Permitiría crecer, facilitar acceso a productos que ahora no estamos ofreciendo de forma ilimitada como PC, placas solares, estufas, aparatos eléctricos… Es una urgencia. Habría que hacer una prueba primero.« 

« Se trata de sustituir la prestaciones del Estado. Solo podremos hacerlo si colaboramos todos.« 

Esto está vinculado con otro tema : « El sistema público cooperativo de la CIC de salud (como el CAPS), de educación, se detuvo. Mi punto de vista es que no se podía sostener centralizado, solo se puede a nivel más local y recibiendo el apoyo común. Se rechazaba un sistema con cuotas, impuestos ; pero sin ellos no tenemos medios para organizarlo. Tenemos un miedo irracional a un sistema colectivo autoritario, cada cosa nos recuerda el Estado y lo rechazamos. Ahora creo que se podría aceptar. Si no se recaudan recursos, no se pueden redistribuir.« 

L’Albada : para una educación viva y respetuosa

Entre las diversas experiencias de educación, la de L’Albada, en Arbúcies (provincia de Girona, en la periferia del macizo del Montseny), es probablemente la s representativa de los objetivos de la Cooperativa Integral Catalana. En esta escuela asociativa, cuatro « educadors-es/acompanyants », una coordinadora pedagógica y una coordinadora técnica cuidan de cuatro grupos de niños y adolescentes : pequeños, medianos, grandes y adolescentes. Les ayudan unos « voluntarios en prácticas », venidos principalmente de las familias y quienes se reparten en diferentes comisiones de apoyo al proyecto : mantenimiento, limpieza, cocina, materiales.

Los niños, una prioridad. Foto sacada en un encuentro de eco-redes en Can Biarlu (foto CIC).

Los niños, una prioridad. Foto sacada en un encuentro de eco-redes en Can Biarlu (foto CIC).

La asociación apunta un objetivo de 26 niños, que es el punto de equilibrio para cubrir los costes ; actualmente conoce ciertas dificultades. Como escuela privada, no recibe subvenciones públicas. La CIC estuvo apoyando económicamente a LAlbada durante mas de un año, pero a causa de varias decisiones de reducción de gastos se detuvo.

Sus bases pedagógicas « están basadas en diferentes referencias y experiencias pedagógicas, sin encerrarse en ninguna ideología rígida.« 

« El sentido actual de la Escuela » (en Europa), dicen los constructores de L’Albada, « viene de la revolución industrial para tenernos domesticados y enseñados para producir. No está pensado para acompañar los procesos de las personas.« 

Foto L'Albada.

Foto L’Albada.

Las preocupaciones de L’Albada son muy diferentes : « No priorizamos el aprendizaje intelectual por encima de las otras capacidades del ser sino que contemplamos la belleza del ser en todas sus dimensiones : tanto la espiritual como la intelectual, como la física psicomotriz o la emocional. » (…) « Si no lo interrumpes por tus miedos, tus necesidades, es algo que no tiene fin : es imposible que no hagan o que no aprendan si no se les desconecta las ganas de vivir y de aprender ; el impulso de vida es innato en ellos.« 

Fuentes : Documental Dreceres y Albada Viva.

Reforma y revolución integral

Ya está claro que en la CIC la estrategia no es cambiar la sociedad sino cambiar de sociedad. ¿ Es verdaderamente imposible cambiar el sistema desde el interior ? « Se pueden mejorar ciertas cosas« , dice Dani, « pero esto pide mucho esfuerzo ; preferimos construir otra cosa, experimentar otros tipos de organización y demostrar que pueden ser posibles. Las cosas fundamentales tienen que ser cambiadas desde el exterior.« 

Integra Revolucio logo-briEste modo de ver es poco habitual en Francia, en donde la alternativa política se plantea, hasta ahora, mucho más en términos de reforma de la sociedad que de cambio radical. Esto porque al Estado francés todavía lo ven las generaciones más antiguas como el heredero del Estado social que construyeron primero el Frente Popular de 1936 y luego los gobiernos después de la Liberación.

Este Estado social, por cierto está integrado en el sistema capitalista : la riqueza de Francia estriba en parte en la explotación de sus antiguas colonias y en las posiciones de las empresas franco-multinacionales en el mundo. Por otra parte, este Estado social va siendo mordisqueado poco a poco por la globalización y el liberalismo (« there is no alternative ») activado por los gobiernos sucesivos, de la derecha como del partido « socialista ». Pero todavía quedan de él unas bases sólidas y se puede creer que es preciso salvaguardarlas y que sus principios pueden ser útiles para volver algún día a una sociedad más justa. Pero cómo ? ¿ Por la reforma o por la revolución integral ? …o por ambos medios a la vez ?

Una parte de las jóvenes generaciones francesas es más abierta a la idea de revolución integral, aunque se habla poco de esta en Francia en aquellos términos. Las iniciativas en este sentido son numerosas, en varios ámbitos (agricultura ecológica, grupos de consumo ecológico, ecoaldeas, sistemas locales de intercambio…). Pero son dispersas.

¿ Y mañana ?

Volvamos a la Cooperativa Integral Catalana. Nos podemos preguntar cómo va a evolucionar en distintos aspectos. Primero en el del equilibrio entre lo local y lo regional (a nivel de Cataluña) en el proceso de decisión. Vadó comenta el proceso de descentralización emprendido a partir de agosto con la creación de asambleas bioregionales : « En las asambleas permanentes y en las jornadas asamblearias (estas son asambleas itinerantes), había poca participación. Hemos intentado participación virtual pero es difícil para la moderación y la asignación de tiempo. La única solución es la descentralización en asambleas más locales. Es más fácil coordinarse cuando convivimos, hay más confianza. Era una urgencia pasar a lo local.« 

Hay en la CIC un principio fuerte que es la decisión al consenso. « El consenso« , dice Vadó, « es un límite de seguridad para que no se caiga en el sistema de votación con menosprecio de las minorías. En las asambleas de bioregiones hay una propuesta de limitar el derecho de bloqueo : tendría que ser argumentado y no de una sola persona, sería necesario un número mínimo de personas.« 

« Se podrá también evolucionar con una forma de toma de decisiones más ágil, para tomas urgentes« , dice Vadó, pero la base seguirá siendo la democracia real y por consenso.

Otra pregunta principal para con el porvenir de la CIC es ¿ Cómo reforzar la independencia para con el sistema Euro ?

Opina Vadó : « Hay gastos como el alquiler, la gasolina, de los que no podemos prescindir fácilmente. Hace falta muchos años para poder acceder a ellos en moneda social. Un objetivo realista es mitad-mitad (moneda social y euro). Hay que madurar proyectos grandes de cultivo, de vivienda, de comunidades, producir combustibles biológicos. Antes hay que sentar unas buenas bases ; la base más potente es la red de consumo y de producción colectiva.« 

Vadó pone el acento en un punto : « El sistema económico de red alternativa implica crear comunidades para ocuparse de niños y mayores. La comunidad podría centrarse en una escuela viva, sostenida cooperativamente por las familias que se centran en la educación de sus hijos. Podría también servir de apoyo para la formación de los adolescentes. Esto es estar próximos para compartir recursos y gastos, y eventualmente la vivienda (cada familia debe tener su propio espacio, hay el íntimo y el común).« 

Encuentro de eco-redes en Can Biarlu (foto CIC).

Encuentro de eco-redes en Can Biarlu (foto CIC).

Otra pregunta : ¿ Se puede que las iniciativas pierdan impulso ?

No es el sentimiento de Vadó para quien « la cooperativa está siendo reconocida en muchos sitios ya. Ya hemos generado una estructura estable. A través de la CAC, por ejemplo, hay muchos contactos en toda Cataluña cada mes, hay muchos intercambios y con la descentralización va a aumentar la participación, los intercambios.« 

Con apenas cinco años de existencia es cierto que la CIC ha avanzado mucho, pero ¿ Se debe temer, con el éxito, una tendencia represiva del Estado ?

« Desde el inicio la cooperativa ha estado yendo muy rápido y se paró« , dice Vadó. « Es como debemos funcionar : hacer crecimiento lento, por proximidad, muy discreto. Cuando te ven hacer, tienen ganas de venir. Dudo que haya tendencia represiva ; en cinco años nada ha pasado. La administración no tiene interés en entrar en conflicto, nos daría fuerza, es más fácil para ella esperar que caigamos por nosotros mismos…« 

La Cooperativa Integral Catalana es una obra extensa. Será lo que la harán sus miembros, actuales o futuros : « No sobran proyectos« , dice Dani. « Lo que nos falta es lo concreto. Hay de todo. Para ser socio, basta pagar 30 € y llenar el formulario ; pero luego si no propones nada o si nada te interesa, no pasa nada. » Añade : « Cuando hay una estructura vertical, autoritaria, las cosas van más rápido. Nosotros tenemos estructura horizontal… » En la que, por consiguiente, el avance depende del empeño de cada uno pero donde es más probable que el proyecto sea admitido por todos.

La Revolución Integral, dicen sus partidarios, « no es la revolución a la antigua, de tomar el poder o tener control sobre los demás sino que es un proceso revolucionario que se da en todos los ámbitos de nuestra vida ; el centro de la Revolución Integral es la persona y las formas de relación humana, social y económica. Esta revolución se hace paralelamente en diversos grupos. » Así es como puede ir extendiéndose.

Ph.C.

1) Acerca de este tema, leer el reporte del libro de José Peirats : « Les anarcho-syndicalistes espagnols, 1869-1939 » (titulo original : « Los anarquistas en la guerra civil española« ).

La voluntad popular de auto-gobernarse, en Cataluña y en otras partes, también se enraíza, más antiguamente (al menos desde la Alta Edad Media), en el autogobierno de las comunidades, rurales y ciudadanas, a través de consejos abiertos, y en la propiedad colectiva del espacio natural (con resistencias populares contra su privatización hasta el siglo XX), como lo describe David Algarra Bascón en « El Comú Català, la història dels que no surten a la història«  (Ed. Potlatch, octubre 2015). Ver : sitio del libro / información de la CIC acerca del libro / sitio Reconstruir el Comunal.

2) Lo que los diferencia de Podemos, el cual, al mismo tiempo que habla de democracia real, participa en las elecciones. Barcelona en Comú, el movimiento encabezado por Ada Colau para conquistar el ayuntamiento de Barcelona, ha decidido participar, con « Podem », en las recientes elecciones generales del 20 de diciembre de 2015. Lo que es una manera de jugar a dos manos.

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Más informaciones :

Cooperativa Integral Catalana.

Documental « Dreceres ».

Manual de desobediencia económica (PDF) : manualdesobediencia et site.

Enric Durán : emisión de Rádio Catalunya.

L’Albada : sitio y Documental Dreceres.

Artículos (en francés) de Reporterre : Ni capitalisme ni Etat / Hors Etat et hors marché / En Catalogne, une colonie éco-industrielle.

Un artículo reciente (02/07/2016) de Enric Durán, « De la vía institucional a la revolución integral », compara la estrategia de toma del poder de una cierta izquierda, como Podemos, Syriza o las izquierdas latinoamericanas, a los experimentos de reconstrucción de la sociedad por abajo, las de los Zapatistas, de los Kurdos del Rojava o de la Cooperativa Integral Catalana.

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La Revolución Integral

El llamamiento para la Revolución Integral enumera, entre otras, las ideas siguientes :

. Contra las dominaciones, construir otras sociedades mediante una revolución integral.

. Auto-organización en asambleas populares soberanas.

. Impugnación del Estado en todas sur versiones.

. Recuperar la propiedad como bien común.

. Construir un sistema público, cooperativo y autogestionario.

. Nueva economía basada en la cooperación y la proximidad.

. Revolución Integral desde los grupos locales con un objetivo global.

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Gestión forestal : formación y creatividad

Un ejemplo entre otros muchos de iniciativa cooperativa en la CIC : La Red de Ciencias, técnicas y tecnologías de la cooperativa (XCTIT, Xarxa de ciència, tècnica i tecnologia) propone, para prepararse al invierno, una formación de gestión forestal llamada Ciasbe (Cura integral autosostenible del bosc i de l’entorn). Se dirige a personas, proyectos y comunidades en el área rural, miembros de la CIC o no.

Se trata de aprender el mantenimiento del bosque y, a la vez, los modos de sacar de él recursos energéticos y económicos sostenibles ; también se trata de conocer los eco-sistemas y las cuestiones de seguridad de las cercanías (lucha contra los incendios).

En el mismo ámbito, la XCTIT ha trabajado sobre herramientas como una máquina para producir aceite de cadena de motosierra ; está trabajando a instrumentos forestales y de transformación entre los cuales un torno de madera sin electricidad.

Más informaciones : XCTIT.

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Calafou : en camino hacia el post-capitalismo

Colonia industrial en desuso, bordada por un río muy contaminado, Calafou es un espacio cargado de símbolos. Un grupo de la CIC ha creado allí una cooperativa de vivienda y se ha centrado en las técnicas y tecnologías como instrumento de lucha política.

La antigua colonia industrial de Calafou, a orillas del río Anoia. Construir un mundo nuevo sobre los escombros del capitalismo.

La antigua colonia industrial de Calafou, a orillas del río Anoia. Construir un mundo nuevo sobre los escombros del capitalismo.

En el valle del Anoia (en Vallbona d’Anoia, cerca de Igualada), Calafou es una colonia industrial abandonada que produjo, según las épocas, textiles, papel, persianas y sillones de escuela. Es uno de los proyectos mayores de la Cooperativa Integral Catalana. Al llegar allí, una inscripción anuncia : « CA LA FOU, Colònia Ecoindustrial. » El calificativo « postcapitalista », que iba siguiendo, fue recientemente borrado.

Está basada la industria capitalista en el agotamiento y la destrucción de los recursos naturales y en la explotación de la mano de obra humana. Los cooperadores de la CIC han decidido « hacer otra cosa de este lugar consagrado al trabajo, construir un mundo nuevo en las ruinas del capitalismo.« 

El proyecto surgió hace cuatro años. Antes de empezar, las personas interesadas, dentro de la CIC, se dieron un año de reflexión y preparación. « La gente tenía bastante claro el proyecto, pero pasando el tiempo hemos tenido que adaptarlo« , explica Efkin, de la comisión comunicación. La reflexión se refirió, entre otras, a las ideas de Enric Durán y de Didac Acosta acerca del postcapitalismo : « El postcapitalismo apenas empezamos a ver lo que puede ser« , dice Efkin. Hay la voluntad de hacer este espacio industrial más ecológico. La veintena de nuevos ocupantes del lugar produce artesanalmente.

Una cooperativa de vivienda

Han empezado a restaurar el sitio, el cual es muy extendido (tres hectáreas con grandes edificios). Por ello, la tarea es importante y necesitará tiempo. Concretamente, el grupo ha creado una cooperativa de vivienda : 27 pisos, que eran alojamientos de los obreros, van renovándose poco a poco. La cooperativa de la CIC Masos Pel Decreixement compró el sitio a crédito, por cerca de 500 000 €. Los cooperadores interesados pueden sea alquilar temporalmente un piso (por 175 €/mes), sea comprarlo a crédito con opción a compra (por 17 000 €). De hecho, si alguien permanece en el piso, el alquiler puede también convertirse en compra a crédito. Es un poco « de cada cual según sus capacidades« .

La entrada de Calafou.

La entrada de Calafou.

En cualquier caso la compra no da el derecho de propiedad sobre el piso ; hay una simple « cesión de uso permanente ». El piso no puede ser vendido ni dar lugar a especulación. « El día que estemos solventes, empezaremos a devolver el dinero a la gente que se ha ido« , dice Efkin.

Algunos talleres han sido instalados en Calafou. Sus usuarios pagan un alquiler con un importe mínimo barato : « Si quieres dar más, si tienes la posibilidad, puedes hacerlo, es una elección (…) Quedan de cuatro a seis años para acabar de comprar la colonia.« 

« Nos sentimos diferentes de la comunidades de los años 1970« 

La cooperativa, en realidad, es todavía informal : están escribiendo los estatutos. Esto no impide que funcione : « Es un proyecto de asamblerarismo descentralizado. » La asamblea general, cada domingo, toma las decisiones estratégicas. Hay grupos de trabajo, con cierta autonomía : economía, comunicación, rehabilitación, proyectos productivos, cocina comunitaria, espacios verdes…

"Nos sentimos diferentes de las comunidades de los años 1970."

« Nos sentimos diferentes de las comunidades de los años 1970. »

Parte de los residentes (unos diez o quince) viven aquí de modo estable, algunos de ellos desde el principio ; otros se quedan un par de días o algunos meses. « Depende mucho de la forma de ganarse la vida, que implica hacerlo aquí o fuera.« 

Vivir juntos con veinte personas no plantea problema particular. « Me gustaría llegar a 50« , dice Efkin, « No más, sería inviable.« 

La cooperativa es « un espacio pacífico, de consenso ; no aceptamos violencia de género, de raza, ninguna discriminación… aunque es difícil de vivir aquí cuando se es ciego, con silla de ruedas, anciano o un bebé. Intentamos mejorar la accesibilidad pero el estilo de vida es duro. » Algunos cuartos todavía no tienen ventana, otros son difíciles de calentar.

Aquí un aparte acerca de la discriminación de género : en Calafou, como a menudo en la CIC, se habla más fácilmente al femenino (« nosotras, las cooperadoras ») ; aunque en realidad la distribución entre mujeres y hombres es bastante equilibrada, el femenino prevalece. Una manera de desformatear las mentes.

El respeto y la tolerancia son la norma, pero esto es muy espontáneo. La mayor parte de los residentes viene de los movimientos sociales de Barcelona, okupa…

Para mejorar la vida en común, un sistema de amadrinamiento ha sido decidido. Cada persona nueva se ve otorgar una madrina, o un padrino. Al cabo de un mes, se hace una evaluación informal : « Si tienes compromisos económicos, tienes que asumirlos ; participar en las asambleas y en un grupo de trabajo es lo mínimo, así que en dos tardes de rehabilitación al mes. Quien no puede asumir lo ve por sí mismo.« 

Además del alquiler para la vivienda y/o un taller, cada cual participa en los gastos comunes, por 10 € por mes como mínimo (quien puede da más).

Obras en Calafou (foto CIC).

Obras en Calafou (foto CIC).

En cuanto a la manera de vivir en común, es libre : « Nos sentimos diferentes de la comunidades de los años 1970. Hay gente que come en su casa, grupos que se organizan para comer juntos… cada uno organiza su propia vida.« 

Calafou es también un centro de acogida. A numerosas personas les atrae la experiencia y ellas vienen a ver, a discutir. La gente del exterior también participa en las obras de rehabilitación o en reuniones y eventos culturales y militantes.

La vida en Calafou ha cambiado desde el principio. « La comodidad va mejorando progresivamente« , dice Sheila. « Incluso en el grupo hay más unión, somos mucho más fuertes, nos curamos más. Y también antes había muchas visitas, era muy desordenado, ahora es diferente.« 

A cada cual su proyecto

Calafou está por cierto vinculado fuertemente con la CIC, por el espíritu pero también con relaciones formales como la moneda social o los auto-ocupados : en este momento hay dos, quienes trabajan con la CIC para las facturas y los impuestos.

Los residentes tienen todos un proyecto, con gran diversidad. Ariel y Carlos, por ejemplo, realizan páginas web, documentos 3 D, gráficos, vídeos, documentales, talleres de formación. Alfredo fabrica herramientas informáticas, organizativas, para la red social de la CIC.

Sheila es artista (espectáculos de circo, animaciones infantiles) y trabaja los fines de semana en una dietética-nutrición. En Calafou, fabrica jabón con aceite de oliva reciclado, agua, sosa y plantas medicinales. El jabón se usa sobre todo en el grupo, se vende poco : « Es para aprovechar una materia, para eliminar aceite, más que nada. Para venderlo, caldría aceite bueno, biológico, de oliva, o crema de karité explotando a los Africanos, y hacer publicidad… No tengo ganas de ganarme la vida así.« 

Mandi tiene una formación de ingeniera de obras públicas. Realiza instalaciones eléctricas, ha vendimiado, hace licores artesanales (« no las he vendido« ) para poder ganarse la vida « con cosas que me gustan« .

Efkin resume un estado mental bastante generalizado : « Tenemos poca voluntad de hacer renta ; no queremos trabajar para trabajar ni hacer dinero.« 

Mientras tanto, no faltan las ocupaciones en Calafou. Además de las tareas de organización común y de las obras de rehabilitación, hay el jardín de plantas aromáticas, el huerto (actualmente un poco parado), las gallinas, la fabricación de jabón, de conservas de garbanzos, de mermelada (para el auto-consumo)…

El taller de carpintería.

El taller de carpintería.

También hay un taller mecánico, un taller de fundición experimental y un taller de carpintería bien equipado. De él salieron no menos de 500 sillas (en pequeña parte para Calafou). Había un auto-ocupado que actualmente trabaja fuera.

Calafou es también y quizás antes de todo un lugar de experimentos. Esto se refiere por ejemplo al laboratorio de biología, en el cual hubo diversas experiencias : cultivo de bacterias para cálculos binarios ; invento de un colorímetro para medir la turbidez del agua como indicador de contaminación…

Hubo también un proyecto de red telefónica internacional a partir de servidores conectados entre ellos.

Filosofía hacker, transfeminismo, apropiación de tu cuerpo…

La filosofía « hacker » tiene mucha importancia en Calafou. « Un hacker no tiene forzosamente un ordenador : ser hacker es poner manos a la obra, romper con la delegación, dejar que otra gente te haga las cosas como en el capitalismo ; de aquella manera no sabes nunca cómo se hacen las cosas porque estás dependiente de otra persona.« 

Paula. El laboratorio Pechblenda se inspira de la filosofía hacker que supone responsabilizarse, por ejemplo para ser el actor de su propia salud.

Paula. El laboratorio Pechblenda se inspira de la filosofía hacker que supone responsabilizarse, por ejemplo para ser el actor de su propia salud.

El laboratorio Pechblenda, de Paula, Klau y Beka se inspira de esta filosofía « hacker ». Ellas utilizan las ciencias y técnicas en un espíritu de apropiación del conocimiento y de la pericia, de interdisciplinariedad y de relación con redes tecnológicas internacionales : « La tecnología está en manos del capital ; ¿ Cómo salir de esta realidad ? » También se trata de producir para lo local.

Su trabajo tiene dos grandes orientaciones, la primera más directamente pragmática : se trata de desarrollar tecnologías « para servir proyectos que tienen una utilidad en el espacio que habitamos« . Así han inventado varias herramientas : lámparas led para reducir el consumo de electricidad, electroválvulas, mecanización de sistemas por ejemplo para el llenado de los depósitos de recogida del agua de lluvia, realización de estufas, riego automático… Todo esto, claro, casi siempre con material de desecho.

La otra orientación es « un trabajo artístico-político cotidiano » relacionado, por ejemplo, con el transfeminismo y la noción de no género biológico : « Algunas nacen chicas, otros machos, intersex o híbridos« , dice Paula. « Esto se ha borrado según los deseos de la Iglesia ; hay que romper con esta estructura del patriarcado.« 

El grupo ha trabajado sobre la denuncia de la utilización de la mujer como objeto de observación científica y más precisamente sobre las búsquedas de Sims, médico-investigador quien, hacia 1840 en Alabama, realizó experimentos sobre los órganos sexuales de unas mujeres africanas, esclavas, considerándolas como objetos.

Otra pista es la apropiación del conocimiento de su propio cuerpo, mediante la observación ginecológica y el auto-diagnóstico. Para ello, han reproducido un espéculo con una impresora 3 D y han creado un sistema de cámara webcam con microscopio. La idea es poder detectar eventuales problemas ginecológicos.

Calafou es un lugar de investigación y de experimentos muy abierto, que sale a varias direcciones. El análisis político nunca es ausente.

Más informaciones : Calafou / Pechblenda-transhack feminismo / Pechblendalab / Gynepunk-les sorcières cyborg.

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QLG Serveis Integrals : Convencer por el ejemplo

Los cinco miembros de esta sociedad informal de servicios creen fuertemente en el sistema cooperativo. Utilizan la moneda social, la cual, para ellos, es también un medio para interesar a nuevas personas en la revolución integral.

QLG Serveis Integrals tiene su sede en Sant Jaume Sesoliveres, en la comarca de Anoia. Fue creada de modo sencillo : « Nos dimos cuenta de que éramos cinco auto-ocupados de la Cooperativa Integral Catalana quienes trabajábamos y facturábamos cada uno por separado« , explica Juli. « Decidimos unificar nuestras actividades para facilitarlas y no hacer el mismo trabajo siempre.« 

El equipo de QLG Serveis Integrals (foto QLG Serveis Integrals).

El equipo de QLG Serveis Integrals (foto QLG Serveis Integrals).

En efecto, esta entidad informal propone prestaciones muy diversas : teatro (con la Compañía PuntMoc), organización de eventos culturales, « trabajos verticales » (intervención en altura, en fachadas), vehículos recreativos (reparación de auto-caravanas y caravanas), albañil, pintor, ebanista, fontanero, electricista, jardinería, trabajos agrarios.

Para cada una de estas prestaciones « hay uno, el que sabe, y los demás lo ayudan« . Esto tiene varias ventajas : variedad en el trabajo, atender demandas variadas, estar siempre ocupados.

« Estamos pensando, quizás, en dejar la CIC para montar nuestra cooperativa« , dice Juli. « Somos afines entre nosotros y tendríamos una estructura jurídica. En la CIC, las cuotas (de los auto-ocupados) son bastante altas, es casi un 20 % de nuestra facturación ; si agregas el IVA es casi el 40 %. Si facturas mucho, sube la cuota, más que proporcionalmente, con un porcentaje por cada grupo de ingresos. La CIC se encarga de la facturación, pero aquí la hacemos nosotros, gratuitamente. Con más beneficios, podríamos invertir donde creemos que es mejor.« 

Juli relaciona la cuota de la CIC con el trabajo de las personas que cobran asignaciones para un trabajo administrativo. « Quizás el primer paso, por la CIC, sería comprar viviendas y en vez de pagar agentes para que puedan pagar su vivienda y su comida, darles vivienda y alimentación, recursos y no dinero. En Grecia, vi muchos colectivos en hospitales, fábricas ; el voluntariado era la primera forma de organización. Hay que preguntarse si estamos haciendo la revolución o buscando un trabajo ?« 

Juli subraya por otra parte el problema de escala de la CIC : « Intentar coordinar-se con más de 2 000 socios, es muy difícil. La reforma pendiente de las bioregiones es un buen paso, pero no es suficiente. Hay que ir hacia algo más local ; el máximo son 30 personas. » Juli precisa : « Lo que la CIC ha hecho hasta ahora es súper. Había que llegar a este punto para darnos cuenta de los errores, para aprender.« 

Los miembros de QLG Serveis Integrals logran vivir de su actividad. Cobran lo máximo en moneda social (las de las eco-redes de Anoia y del Penedés). « Compro mi alimentación únicamente con la moneda social« , dice Juli. « Se puede encontrar, en moneda social, ropa, zapatos, servicios, masajes, un mecánico… En la eco-red de Anoia las ofertas son numerosas, somos activos.« 

Ėl prosigue : « Queremos más moneda social. Entre nuestros clientes hay de todo, personas que pagan en ecos y personas exteriores. Encontramos clientes por nuestra experiencia pasada. Discutimos con ellos. Parte de los clientes están sorprendidos cuando les hablamos de moneda social, es la mejor publicidad para divulgar nuestras ideas. Poco a poco en la zona es lo que hacemos.« 

Y concluye : « Nos equivocaremos miles de veces… tenemos que ir con paciencia.« 

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Eco-red de Anoia : una dinámica propia

Si bien está en sintonía con la Cooperativa Integral Catalana, la eco-red de Anoia vive su vida propia. Pone el acento sobre la necesidad de interconectar las personas, antes de todo a nivel local.

« La comarca de Anoia siempre fue caracterizada por movimientos sociales, sindicales, con la CNT. Y también hay los experimentos de Calafou. La eco-red nació un poco de todo esto, de estas personas« , dice Lucie, quien da parte de su tiempo a la eco-red (una parte en voluntariado, otra mediante una asignación).

Esta eco-red tiene tres años de existencia ; al principio había pocos contactos con la CIC. Un pequeño grupo de personas organizó-se a nivel local con intercambios de bienes y servicios en trueque y en moneda social. « El trabajo de base era crear relaciones entre las personas.« 

Capellades. La industria sigue siendo presente en El Valle de Anoia.

Capellades. La industria sigue siendo presente en El Valle de Anoia.

Anoia tiene su propia moneda social, basada en la antigua plataforma CES : « Es muy eficiente y preferimos quedarnos en esto. Un trabajo de los programadores permitió vincular las bases de datos de manera a hacer posibles los intercambios entre las dos plataformas. » Los intercambios son a nivel local y también al de toda Cataluña.

La eco-red anima una despensa (en catalán, « rebost ») de productos alimenticios y otros productos. Estos proceden en pequeña parte de la CAC (Central de Abastecimiento Catalana) cuando no pueden ser producidos localmente. « Tenemos casi todo en producciones locales : frutas y verduras, conservas, cereales, leguminosas, queso de cabra, yogures… » Los productores locales también venden a la CAC para abastecer los otros rebosts de Cataluña.

Hay un gran debate acerca de la moneda social : La CAC cobra una parte de las ventas en euros, porque algunos productores, teniendo gastos en euros, necesitan de esta moneda y no pueden cobrarlo todo en moneda social. « Nosotros preferiríamos que la CAC no nos proponga ciertos productos si no los encuentra en moneda social. Para la CAC, es una etapa. La reflexión sigue, a todos los niveles.« 

Unas veinte personas hacen regularmente encargos en el Rebost. Lucie insiste sobre el hecho de que el Rebost no es solo un punto de venta ; se trata de intercambiar, en moneda social, con una mente de « prosumidores » (a la vez productores y consumidores) : una condición para participar en el Rebost es insertarse en la eco-red ofreciendo un producto, alimenticio o no, o un servicio.

Se busca pues un funcionamiento de circuito cerrado, para buscar la auto-suficiencia respecto a la sociedad. « Algunos, quienes van siendo más numerosos, son casi auto-suficientes, digamos por el 70 %. La eco-red es bastante joven y uno no cambia su vida de un día para otro.« 

Hay, en Anoia, un embrión de grupo de salud, con varios profesionales (medicina alternativa, china, yoga, un farmacéutico). Por ahora, la falta de un local es un freno. « Pero quizás no necesitamos un grupo de salud ; lo importante es procurar a cada cual un acceso fácil a la capacidad de curarse a sí mismo. Es quizás lo que está bloqueando. No se trata de crear una Seguridad Social.« 

En lo que se refiere a vivienda hubo un principio de experimento : un edificio había sido cedido por un miembro de la red ; hubo un proyecto de renovarlo para vivienda social o temporaria. No funcionó, por razones externas. Por ahora no hay otra oportunidad de terrenos o viviendas en cesión.

« Hemos conseguido obtener una implicación de todos en la asamblea del Rebost« , apunta Lucie. « Al contrario, todavía un número importante de personas no se acercan mucho a la asamblea permanente de la eco-red (que no tiene forma legal). Allí se habla estrategia pero es muy asequible.« 

En cuanto a las relaciones entre la eco-red y la CIC, unos 40 a 50 % de los miembros de la eco-red están afiliados a la CIC. « No hay obligación ; las asambleas son abiertas, cada cual hace tal como quiere. Muchos utilizan las herramientas de la CIC en su vida cotidiana ; nos esforzamos en apoyar la CIC a la escala local.« 

Viene luego el debate acerca de la descentralización de la CIC. « Mi idea« , dice Lucie, « es que la cooperativa es un organismo vivo ; no se necesitan vínculos estructurales. Las bioregiones son una manera de descentralizar, creo que hemos tomado el buen camino : hay más proximidad y es más fácil implicarse en la asamblea. Pero hay que ir más lejos, hasta la base, a nivel de un grupo « familiar » o de un pueblo, de veinte a treinta personas.« 

« Claro que hay interés en conservar asambleas en las diferentes escalas. A nivel local no se pueden satisfacer todas nuestras necesidades. Pero hay que salir de la base : es un error histórico empezar por una cooperativa para descentralizar.« 

Lucie añade : « El debate es muy sano. Hay mucha autocrítica, mucha conciencia de lo que está pasando. El grupo tiene verdaderamente la voluntad de cambiar las cosas.« 

Más informaciones : Eco-red de Anoia.

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Coopération Intégrale Toulousaine : paso a paso pero con determinación

Un grupo se constituyó en Toulouse, hace tres años. Empezó por definir sus objetivos y su manera de actuar. La reciente puesta en marcha de una moneda social es un nuevo paso hacia adelante.

Coopération Intégrale Toulousaine (CIT) fue creada en noviembre de 2012, con un centenar de personas. Poco antes, un grupo de Tolosanos habían encontrado a Enric Durán y a otras personas en ocasión de la Marcha catalana por el decrecimiento y un grupo de Catalanes había venido a Toulouse para presentar el proyecto de la Cooperativa Integral Catalana.

La que se llamó hasta aquí Coopérative Intégrale Toulousaine cambió de nombre por decisión de la asamblea de octubre de 2015 para convertirse en « Coopération Intégrale Toulousaine ». Esto para hacer patente que se trata de « una red abierta de grupos y de personas autónomos que no implica ninguna afiliación o ningún estatuto de miembro » (lo que sería el caso con una cooperativa).

Después de la creación, la prioridad fue dada a la reflexión teórica, explica Jérôme (del comité de acogida), y fueron constituidos grupos de trabajo, entre otras cosas para escribir los estatutos. El grupo central redujo-se luego a una decena de personas al cabo de seis meses, pero queda fuerte. « El trabajo de construcción es ingrato ; se puede que esto haya desmotivado a las gentes« , dice Jérôme.

Un Ágora de Coopération Intégrale Toulousaine (26/09/2014).

Un Ágora de Coopération Intégrale Toulousaine (2015).

Aunque CIT se inspira fuertemente de la cooperativa catalana, el contexto, en Toulouse, es diferente del contexto español : « Allá hay una cultura del encuentro, de hablar juntos, que hemos un poco perdido en Francia.« 

Hay también importantes diferencias jurídicas con España : CIT no puede tener un estatuto de cooperativa (sería por ejemplo necesario tener al menos dos asalariados en ciertas formas de cooperativas) ; se constituyó pues una asociación, pero el estatuto fiscal de la asociaciones en Francia no permite instituir un sistema como el de los auto-ocupados.

Como se vio más arriba, el ambiente de CIT queda el de un grupo informal, de una asamblea que se reúne cada mes y tiene a su disposición herramientas y servicios, entre los cuales una asociación, la cual sirve de respaldo para las diversas necesidades legales, relacionadas por ejemplo con la moneda social o la central de abastecimiento.

La moneda social, herramienta de primera importancia

El funcionamiento de Coopération Intégrale Toulousaine se basa en la asamblea general mensual de todos los cooperadores (el Ágora), con decisiones al consenso : « Esto puede frenar las cosas pero al final, cuando todos estamos de acuerdo, vamos más lejos.« 

Hay servicios comunes de la cooperativa (comité de organización del Ágora, comunicación, herramientas informáticas, jurídico…). Y grupos autónomos, los que se encargan de diversas iniciativas (central de compras, imprenta, biblioteca, cocina colectiva, « apprentisseurs-ses »…).

Estos grupos evolucionan permanentemente, según los proyectos y el compromiso de cada uno. L’Imprimerie du Bambou es un servicio de reprografía para la realización de diversos documentos. La cocina colectiva pone material a disposición de los que quieren organizar comidas, por ejemplo en ocasión de eventos. Un grupo « apprentisseurses » está constituyéndose : pretende identificar las ofertas de aprendizaje y ponerlas a disposición en el internet (en CIT se prefiere hablar de aprendizaje en vez de formación, « porque éste término alude a una relación de dominación de la que queremos liberarnos ».)

La central de compras (Groupement d’achats solidaire épicerie de Toulouse, Gaset), constituida en 2014, es el grupo que reúne el mayor número de personas (unas cuarenta). Hace encargos agrupados a diversos productores. Por ahora se limita a los productos secos, esperando que se pueda disponer de un local. La ausencia de local es un factor limitante ; al principio se utilizaba una casa okupa, pero ya no es posible. El lanzamiento de la moneda social y la cooperación entre ésta y el Gaset deberían dar más autonomía a los cooperadores(as) de ambos grupos.

En efecto, hubo un avance importante este otoño. Después de un período de pruebas de la moneda social dentro de un grupo reducido, esta moneda, la Oseille, ha sido lanzada progresivamente a partir de septiembre. Se basa en la plataforma informática Integral CES.

Hay otras experiencias de moneda local en la región de Toulouse, como el Sol Violette y el Sel Cocagne. En CIT, no quieren un funcionamiento piramidal, ni tampoco indexación sobre el Euro o tener una cuenta en un banco. Tampoco quieren estar en una relación mercantil, en la que el comprador negocia con el productor o el vendedor de servicios. El objeto de la moneda social no es solamente comprar productos locales pero también salir del Euro y desarrollar los intercambios para liberarse del sistema capitalista.

La moneda social de Coopération Intégrale Toulousaine tiene dos niveles : la Oseille, para el intercambio entre personas y colectivos autónomos ; y la Groseille, para crear puentes con los comunes de CIT y las personas quienes usan de ellos y los difunden.

Para utilizar la Oseille, es preciso afiliarse a la asociación ; se pasa por un amadrinamiento para acoger y suscitar a la gente interesada. Para lanzar el mecanismo, primero hay que emitir moneda : por ello se pide a los usuarios que empiecen a ofrecer productos o servicios antes de comprar.

El valor de la Oseille se refiere a 60 oseille por una hora de servicio.

No se ha resuelto por ahora el debate de saber si hay que pagar lo mismo una hora de albañil y una hora de ingeniero.

El éxito de la moneda social estribará en la realidad de los intercambios, es decir en el nivel de integración de cada usuario en el sistema cooperativo para satisfacer sus necesidades diarias y llevar su participación al colectivo. Pero también estribará en el número de usuarios. La buena dimensión, según Jérôme, serían unos 300 usuarios.

Ubicándose en Toulouse, CIT es más que todo integrada por ciudadanos, y pocas personas tienen formaciones en las profesiones manuales. Se puede entrever claramente la necesidad de completar algún día la oferta de productos agrícolas y de servicios relacionados con las profesiones artesanales, en particular las de la construcción, siendo la vivienda y la alimentación las principales necesidades básicas. Esta oferta puede ser integrada en CIT o encontrada en grupos vecinos.

Un caldo de cultivo lleno de ideas

En el Ágora del 26 de septiembre, fueron evocadas dos reflexiones a largo plazo. La primera es la constitución de una cooperativa de compra de pisos, para crear viviendas. En CIT no son partidarios del alquiler, por ser éste socialmente injusto : el alquiler permite a alguien quien heredó de un capital sacar provecho de él a despensas del inquilino.

Se estudia la compra de edificios que podrían ser poseídos por una estructura cooperativa, para salir del modelo de sociedad privada ; pero se necesita dinero para ello…

El segundo tema de reflexión es una cooperativa de trabajo : « El mundo con el que soñamos no pasa por el trabajo« , dice un cooperador. « Pero necesitamos dinero para vivir en esta sociedad y para que funcione la cooperativa integral hasta no ser más dependiente del sistema capitalista. El trabajo quema el tiempo y la vida de la gente ; en sociedad, es su actividad principal. » La cooperativa de trabajo tendría varios objetivos : acompañar administrativamente a los que tienen un proyecto, proporcionar recursos a CIT…

Fueron también evocadas las relaciones con la gente quien, fuera de CIT, lleva iniciativas que pueden ir en el mismo sentido y sobre los medios para crear vínculos con ella.

A escala todavía modesta, Coopération Intégrale Toulousaine es un grupo muy animado, en movimiento. Basta asistir a un ágora para ver cuanto es un caldo de cultivo rico en ideas y un lugar de debate.

Más informaciones : Coopération Intégrale Toulousaine.

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Transport ferroviaire : le « tout routier » tue le service public… et la planète

Les cheminots CGT questionnent la politique de transport des Régions, de la SNCF et de l’État. Ils voient le service public ferroviaire grignoté un peu tous les jours par une baisse de moyens, l’ouverture à la concurrence et par un choix du « tout routier » catastrophique sur le plan environnemental.

La régionalisation des TER a été un succès, du fait de la prise en compte des besoins de proximité et d'une offre accrue.

La régionalisation des TER a été un succès, du fait de la prise en compte des besoins de proximité et d’une offre accrue.

Lancée en 2002, la régionalisation des TER (trains express régionaux et bus TER) est un succès, estime Thierry Desbruères, secrétaire général des cheminots CGT du Languedoc-Roussillon. Toutefois, dit la CGT, malgré une hausse notable du trafic (doublement des dessertes TER en Midi-Pyrénées, par exemple), la politique de la direction de la SNCF aboutit à une diminution des emplois (1 100 cheminots en moins en dix ans dans la même région). Et ce syndicat estime que le service public est en danger du fait de la diminution des moyens publics, de la fermeture de lignes, de gares et de guichets, des suppressions d’emploi, des attaques contre le statut des cheminots, de l’ouverture à la concurrence, de la course au « low cost »…

Avec la fusion des Régions, une nouvelle convention TER doit être négociée à partir du 1er janvier 2016, entre la SNCF et la nouvelle Région Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon (1), pour entrer en vigueur au 1er janvier 2017. Les cheminots CGT estiment que c’est l’occasion, pour les usagers et pour les travailleurs du rail, d’exprimer leurs attentes et de peser pour « avoir une convention de haut niveau ».

Dans cet esprit, et dans le contexte des élections régionales, ils tenaient un rassemblement régional le 5 novembre à Narbonne, sur « la place et le rôle du transport ferroviaire dans la nouvelle région ». Ils y avaient invité les candidats aux élections.

Au micro, Thierry Desbruères. A la tribune, de g. à d., Jean-Marc Biau, Gilbert Garrel, Michel Ricci (secrétaire général CGT Midi-Pyrénées) et Frédéric Konefal.

Au micro, Thierry Desbruères. A la tribune, de g. à d., Jean-Marc Biau, Gilbert Garrel, Michel Ricci (secrétaire général CGT Midi-Pyrénées) et Frédéric Konefal.

Lorsque les TER ont été régionalisés, la CGT « s’était battue pour obtenir des garanties pour le service public ». Quelques années après on constate, explique Thierry Desbruères, que la régionalisation des TER est un succès, grâce notamment aux choix des Régions. Les moyens réunis de l’État et des Régions ont permis l’augmentation de l’offre de trains TER, une meilleure qualité des services, l’ouverture de lignes, et un investissement « sans précédent » dans le matériel roulant et dans les gares.

Ce succès, estime Frédéric Konefal, président de la commission économique du comité d’établissement régional Midi-Pyrénées, est lié à une prise de décision près des besoins et à la volonté des Régions : « Partout où l’offre a augmenté, le trafic a suivi. Quand l’offre est là, avec des horaires adaptés, des dessertes régulières, avec plus de trains en heures creuses, de la souplesse, les gens prennent davantage le train. Le choix entre train et voiture se fait en fonction de la souplesse. »

Mais à côté de cela, estime la CGT, l’État et la SNCF mettent à mal chaque jour le service public ; et la réforme du système ferroviaire, effective depuis le 1er juillet 2015, « accentue la dégradation ».

Jean-Marc Biau, président de la commission économique du comité d’établissement régional Languedoc-Roussillon, pointe les importants besoins de modernisation du réseau, la réduction de l’offre et la privatisation du fret. La CGT, les usagers et les élus se sont mobilisés récemment pour demander une modernisation de l’offre Intercités. Mais la SNCF « propose des coupes claires et des transferts massifs vers la route. » Des lignes sont menacées, soit par la concurrence du bus, soit d’être carrément fermées : Toulouse-Cerbère, le Cévenol (2), l’Aubrac (3).

Un train de travaux. L'insuffisance de l'investissement dans la maintenance du réseau est pointée du doigt.

Un train de travaux. L’insuffisance de l’investissement dans la maintenance du réseau est pointée du doigt.

Il y a aussi la ligne Toulouse-Foix-Perpignan par Latour-de-Carol, avec le « Train Jaune » : sans correspondance, à Latour-de-Carol, entre les deux directions ; dans un état avancé de vétusté ; et la SNCF voudrait transférer l’exploitation de cette ligne à une société d’économie mixte, ce qui reviendrait à une privatisation partielle.

A Carcassonne, dit Michel Daydé (secrétaire général des cheminots CGT de ce site), la gare est dans un état déplorable. « Nous nous heurtons depuis deux ans à une absence de dialogue de la Région, qui refuse de nous recevoir. »

Marie-Ange Larruy, adjointe au maire de Limoux, rappelle la nécessité de régénérer la ligne Carcassonne-Quillan.

A Narbonne, la nouvelle organisation de la maintenance réseau soulève de grandes craintes pour la sécurité des usagers et des cheminots, dit Bruno Bréhon (secrétaire local des cheminots CGT) : La direction de la SNCF « s’amuse à supprimer 10 % des effectifs sur le nœud ferroviaire. Nous avons tiré tous les signaux d’alerte, un accident n’est pas à écarter. »

La « casse organisée » du fret

Avec la restriction des moyens, l’ouverture à la concurrence est l’autre grande menace pour le service public. On voit ce qu’elle donne pour le fret, qui est ouvert à la concurrence depuis 2006 (l’ouverture à la concurrence du trafic voyageurs a été repoussée à 2026).

Le fret SNCF a d'abord subi la concurrence de la route avant de subir aussi celle de l'ouverture au privé.

Le fret SNCF a d’abord subi la concurrence de la route avant de subir aussi celle de l’ouverture au privé.

D’abord lié à la concurrence de la route, le déclin du fret ferroviaire date de la fin des années 1980. Il est passé de 60 milliards de t.km (tonnes x kilomètres) en 1980 à 32 milliards de t.km en 2012, tous opérateurs confondus (dont un peu plus de la moitié pour la SNCF).

Et puis « il y a une casse organisée du fret depuis 2002 », dit Jean-Marc Biau. « Des territoires entiers ne sont plus desservis pour le fret », explique Frédéric Konefal. En effet, « le privé ne va pas partout ; il se positionne sur les gros trafics, internationaux d’abord et nationaux ; la SNCF fait pareil, elle a laissé tomber le fret. Dans l’Aveyron et le Tarn, par exemple, il n’y a plus un train de fret. »

Le wagon isolé est de plus en plus délaissé et il est repris par les poids lourds. Pourtant il représentait des volumes importants : « Tous les clients n’ont pas besoin de trains complets, pourtant les petits ruisseaux font de grandes rivières. »

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Le transfert du fret ferroviaire à la route ne profite même pas aux routiers français, souligne Gilbert Garrel, secrétaire général de la Fédération CGT des Cheminots : « l’an dernier, les camions sous pavillon français ont encore diminué de 3 %. On voit de plus en plus de chauffeurs roumains, bulgares, polonais et maintenant indiens. C’est de l’esclavagisme. »

Le choix absurde de la route

« Il faut travailler sur les coûts externes des transports, de manière à ce que le transport soit payé à son juste prix », poursuit Gilbert Garrel. « Ainsi on ne verrait plus des crevettes de Norvège partir en Espagne pour y être emballées et revenir en Norvège. Ou des tee-shirts fabriqués au bout du monde (pour être vendus en Europe). Le transport routier ne paie pas les infrastructures. Ni les autres coûts dont il est responsable : les accidents, les problèmes de santé dus à la pollution, le changement climatique. C’est une concurrence déloyale. »

« Il y a chaque jour de plus en plus de camions sur nos routes : on compte 8 500 poids lourds par jour à la frontière espagnole du Perthus », dit Jean-Marc Biau. « Ce choix du tout routier a une responsabilité importante dans le réchauffement climatique (le transport émet 130 Mt équivalent CO2, soit 33 % du total) et dans la pollution de l’air, qui coûte 101 milliards d’euros par an en France et cause de l’ordre de 45 000 décès prématurés par an. » Ce qui suffirait à justifier un report des transports de la route vers le rail.

Or, dit Philippe Verdeil (Cheminots CGT Toulouse), en France, « le budget des transports va massivement à la route, à 80 % ; à peine 8 à 10 % vont au ferroviaire. »

L’association Les deux lignes, représentée par Serge Laurent, demande la réouverture de toutes les gares entre Lunel et Montpellier (seule Baillargues est bien desservie) au trafic TER : le réseau routier de ce secteur de l’agglomération de Montpellier est en effet saturé (25 000 véhicules par jour entre Castries et Vendargues, saturation du trajet Boisseron-Sommières, de nombreuses autos qui traversent les villages pour éviter les bouchons). Serge Laurent compare les émissions de CO2 de l’automobile (150 g/km) et du train (2 g/km par voyageur) et le coût d’une route à deux fois deux voies (7 M€/km) et du rail (20 M€/km pour la LGV) (4).

Mais autour de Montpellier, le doublement de l’autoroute, actuellement en cours de réalisation, est la seule solution trouvée à l’engorgement. L’État et les collectivités territoriales ont, depuis longtemps, privilégié le secteur privé des travaux publics au détriment du service public ferroviaire. Les transports collectifs ne peuvent pas résoudre tous les besoins de transport mais ils pourraient en assumer une partie bien plus importante qu’actuellement.

L'arrivée en gare de Narbonne.

L’arrivée en gare de Narbonne.

« SNCF : un déficit organisé »

Les cheminots CGT soulignent la relative modicité des besoins de financement du rail. Le Train jaune aurait besoin de 150 M€. Ré-ouvrir Alès-Bessèges, Montréjeau-Luchon, moderniser Carcassonne-Quillan ne demanderait pas des sommes astronomiques.

Il faudrait 2 milliards d’euros pour rénover le réseau français, dit Gilbert Garrel.

Dans le même temps la fraude fiscale s’élève à 1 milliard d’euros par an en Haute-Garonne, selon Bernard Marquier.

Le déficit de la SNCF est « organisé par le gouvernement », poursuit Gilbert Garrel : « Le gouvernement estime que 1,5 milliard d’euros de déficit par an c’est insupportable. Mais quand Manuel Valls passe le seuil du versement transport de 9 à 11 salariés (5), en signant sur le coin de la table, cela coûte 500 M€ au budget. »

Et ce déficit de 1,5 milliard, « c’est le remboursement annuel de la dette que la SNCF paie aux banques parce que, à la demande de l’État, elle s’est endettée pour financer le réseau TGV. Et cette dette fait boule de neige. Si l’État avait financé les LGV, aujourd’hui le budget de la SNCF serait équilibré ».

Il y a encore le versement interstitiel, prévu par la loi du 4 août 2014 de réforme du transport ferroviaire, qui a été supprimé par la loi de finances 2015, à la demande du gouvernement car il était « contraire à la baisse du coût du travail » (6).

Comment va évoluer la situation ? Gilbert Garrel signale une dérive possible de la politique des Régions : « Le service public régional peut se traduire demain par une politique de délégation de service public » (c’est-à-dire de gestion confiée au privé) : « Cela amènerait une balkanisation du territoire national, avec des inégalités entre régions. »

Il note que « tous les partis de gauche n’ont pas voté contre la libéralisation des réseaux ferroviaires européens ».

Les choix qui déterminent la politique des transports ne sont pas neutres. En France, les pouvoirs publics ont clairement pris l’option du libéralisme et de la privatisation rampante, contre le service public. En cela, nos gouvernants ne peuvent se retrancher derrière des décisions européennes ; il montrent eux-mêmes la voie.

Ph.C.

1) La convention Languedoc-Roussillon, qui arrivait à son terme, a été prolongée d’un an et la convention Midi-Pyrénées a été raccourcie d’un an pour que la nouvelle convention puisse prendre le relais à l’échelle de la nouvelle région.

2) Nîmes-Clermont Ferrand par Langogne.

3) Béziers-Clermont Ferrand par Millau et Séverac.

4) Le Journal du net donne les chiffres suivants : 6 M€/km d’autoroute ; 1 M€/km de voie ferrée normale ; 15 à 20 M€/km de ligne grande vitesse.

5) Le versement transport, acquitté par certaines entreprises, est destiné à participer au financement du transport public.

6) La loi du 04/08/2014 prévoyait un possible prélèvement sur les entreprises situées hors périmètre de transport urbain mais desservies par les transports publics. Les Régions avaient la faculté d’y avoir recours pour participer au financement du transport ferroviaire.

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La future grande région

La nouvelle région Midi-Pyrénées/Languedoc-Roussillon sera la 2e région de France en population, avec plus d’un million d’habitants dans l’agglo de Toulouse et 350 000 dans celle de Montpellier, avec un chapelet de villes moyennes sur le littoral, de Perpignan à Nîmes, et des villes plus petites autour de Toulouse.

Sur le plan ferroviaire, cette région compte 8 400 cheminots, 540 TER, 40 Intercités et 76 TGV, 2 531 km de lignes et 285 points d’arrêt (dont seulement 105 ont encore un guichet de vente).

Le réseau de Midi-Pyrénées est structuré en étoile autour de Toulouse. Cette ville accueille 8 millions de voyageurs par an et le TER compte, dans l’actuelle région, environ 60 % d’abonnés et 40 % de voyageurs privé-loisirs.

En Languedoc-Roussillon, le réseau est plus longiligne. Montpellier accueille 8 millions de voyageurs par an, Nîmes, Sète, Béziers, Narbonne et Perpignan plus d’un million chacune. Le tourisme est plus présent. Le TER compte 40 % d’abonnés et 60 % de voyageurs privé-loisirs.

Alors que Montpellier est à 3 h 25 de Paris par le TGV, et 3 h de Barcelone (avec le chaînon TGV manquant de Montpellier à Perpignan), Toulouse, qui attend le TGV, est à 5 h 40 de Paris, voire 7 h.

La CGT est favorable à une ligne nouvelle Bordeaux-Toulouse-Narbonne qui serait « le maillon d’une future transversale sud ».

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L’intermodal négligé au profit du tout routier

L’exemple du port de Sète, évoqué par Jean-Luc Baux (UL CGT Sète-Bassin de Thau), montre l’abandon de l’intermodalité. « Le port et le rail ont fait la ville de Sète », dit-il. « Or aujourd’hui « 94 % du fret du port arrive ou repart par camion malgré la mise au gabarit du canal du Rhône à Sète ». Il rappelle que la Région Languedoc-Roussillon s’est vu transférer la compétence de la gestion du port en 2007. Et il cite l’exemple de la cimenterie Lafarge qui, lorsqu’elle s’est installée (2011), « s’est engagée à transporter sa matière première de Port-la-Nouvelle par la mer et de Fos-sur-Mer par le fluvial ; or, aujourd’hui, tout est transporté par camion. L’exécutif régional doit rappeler Lafarge à ses engagements. »

Il poursuit : « Dans les zones logistiques, il faut donner la priorité au rail et au fluvial. Ici, tout a été fait par rapport à la seule autoroute : la zone « hinterland » de Poussan » (projet de la Région d’implanter une zone logistique reliée à l’autoroute) « remettra en cause tout l’équilibre environnemental du Bassin de Thau. »

Pour Christophe Garreta (Cheminots CGT Narbonne), « l’intermodalité des ports se met petit à petit en place, mais avec le réseau ferroviaire privé et un recul aux niveaux social et sécuritaire. »

Bernard Marquier note que, au sud de Toulouse, « Lafarge est desservie par des trains privés tractés au diesel sur des lignes électrifiées, pour passer moins cher que la SNCF. »

« La Région n’a pas à faire le moins disant social », dit encore Jean-Luc Baux, évoquant l’éviction de la société de remorquage (groupe Chambon), « installée sur le port de Sète depuis 113 ans », à qui la Région a retiré son agrément. 13 des 16 salariés ne seraient pas repris par la nouvelle société.

« Il y a, à Sète, des menaces sur le lamanage et sur les dockers ; on va vers le vieux rêve des armateurs, qui est d’avoir des dockers sous pavillons de complaisance.

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Une partie de l'assistance à cette réunion régionale, à la Bourse du Travail de Narbonne.

Une partie de l’assistance à cette réunion régionale, à la Bourse du Travail de Narbonne.

La libéralisation du bus

Il est trop tôt pour connaître les effets de la loi Macron et de la libéralisation du transport longue distance par bus. Mais on peut les imaginer. « On est en train de bouleverser tout l’équilibre », dit Frédéric Konefal. « L’offre de TER et de TET » (trains d’équilibre du territoire, Intercités, Aubrac et autres) « va baisser. Les grands groupes vont se faire concurrence. Je ne sais pas comment ils peuvent proposer des trajets à 5 €, cela ne paie même pas le gazole, c’est une guerre commerciale. La SNCF elle-même, avec sa filiale Ouibus, va baisser les prix ». Puis quand ces entreprises se seront regroupées, on peut s’attendre à un quasi-monopole et à une remontée des prix

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L’éclatement de la SNCF n’est pas inéluctable

La loi du 4 août 2014 a réorganisé la SNCF en trois Epic (établissements publics à caractère industriel et commercial) : SNCF pour le pilotage stratégique ; SNCF Réseau, qui gère le réseau (et qui regroupe les activités jusqu’ici assurées par Réseau Ferré de France, SNCF Infra et la Direction de la voie ferroviaire) ; et SNCF Mobilités, qui assure les activités d’exploitation des services de transport ferroviaire de l’opérateur historique SNCF.

La France est plus libérale que l’Union européenne, souligne la CGT. Selon elle en effet, la directive européenne « gouvernance » du 4e paquet ferroviaire « ne demande pas la séparation totale des entreprises historiques » et permet donc aux États membres, s’ils le souhaitent, d’organiser leurs systèmes ferroviaires nationaux autour d’une entreprise intégrée. Cela « sous réserve d’isoler les fonctions essentielles (attribution et tarification des sillons) ».

Avant la réorganisation, la CGT proposait de conserver l’unité de la SNCF, tout en créant une entreprise indépendante qui se serait limitée à l’égalité d’accès au réseau (attribution des sillons et péages).

Avec la séparation en trois Epic, explique Frédéric Konefal, il y a « une fausse unité ; Réseau et Mobilités sont deux entreprises tout à fait différentes ; de plus, on en est aux prémices mais l’intégration des salariés de RFF va augmenter la part de salariés qui ne sont pas au statut SNCF (depuis quelques années, 30 % des recrutements se font en dehors du statut, au droit privé). »

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La parole aux candidats

La CGT avait invité à cette réunion l’ensemble des listes candidates aux élections régionales. Seules deux listes étaient présentes, la liste « Notre Sud, une région forte, créative et solidaire, liste d’union de la gauche », emmenée par Carole Delga, et la liste « Nouveau monde en commun-écologistes », emmenée par Gérard Onesta.

Carole Delga s’est prononcée pour le service public et a souligné les investissements réalisés par les collectivités locales pour réaménager le réseau. Elle s’est dite favorable à la LGV Bordeaux-Toulouse. Pour Montpellier-Perpignan, « il faut travailler à une augmentation du taux de financement de la Commission européenne sur la base du désenclavement ».

Elle s’est prononcée pour l’intermodalité, notamment autour du port de Sète avec le rail (sans répondre à Jean-Luc Baux – voir ci-dessus), et pour la facilitation du ferroutage.

Carole Delga s’est aussi dite favorable à la taxation des trafics routiers internationaux.

Gérard Onesta, pour sa part, a mis en avant le caractère durable et économique du chemin de fer. Concernant le TGV, il a émis l’idée qu’il fallait « des tronçons totalement LGV, mais, pour des raisons de coût, pas nécessairement partout ».

« Il ne faut pas laisser la main au privé », poursuit-il. « Avec le partenariat public-privé, c’est la puissance publique qui avance les fonds et le privé qui encaisse les bénéfices. Et quand ça ne marche pas pour eux, on le voit avec TP Ferro et le gouffre de la ligne Perpignan-Figueras, ils se retournent vers le contribuable. »

Gérard Onesta regrette par ailleurs que la majorité socialiste des deux Régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ait voté, il y a quatre mois, contre un vœu demandant comme une priorité que, dans le cadre du Contrat de plan État-Région, le trafic ferroviaire des deux régions soit connecté. De même, dit-il, tout récemment, la majorité socialiste du Conseil régional Midi-Pyrénées a voté contre un vœu pour la réouverture de la ligne Montréjeau-Luchon.

« Barcelone en commun » : demandez le programme !

Capture Site Ada ColauIssue de la plate-forme citoyenne « Guanyem » (Gagnons), la liste Barcelona en Comú (Barcelone en Commun), menée par Ada Colau, était arrivée en tête des élections municipales à Barcelone le 24 mai, avec 11 sièges (sur 41) et 25 % des voix.

Samedi 13 juin, Ada Colau a été investie maire de Barcelone, pour un mandat de quatre ans, par 21 voix sur 41, avec l’appui du PSC (Parti Socialiste Catalan), d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) et de la Cup (Candidatura d’Unitat Popular).

Il nous a semblé intéressant de rappeler le programme sur lequel la liste d’Ada Colau a été élue. D’abord par l’originalité de ce programme municipal mais aussi pour prendre date. Il sera en effet intéressant, dans quelques mois ou un an par exemple, de faire le point sur sa mise en pratique.

Ce programme a été élaboré au deuxième trimestre 2014 par des milliers de citoyens dans une grande démarche de démocratie participative. Il ne s’agit pas, insistent ses auteurs, « de promesses électoralistes mais d’un engagement ferme qui guidera notre action à la mairie. »

Ce programme comprend en fait deux niveaux, le programme d’action municipale et les programmes d’action pour chacun des dix districts (arrondissements) de Barcelone.

Au cours de la première année de mandat seront élaborés un Plan de gestion municipale et des Plans de gestion de district, qui seront soumis au vote des assemblées respectives (Conseil municipal et Conseils de district).

Barcelona en Comú s’est engagée à mettre en action, dans les premiers mois du mandat, un « Plan de Choc » qui comprend un certain nombre de mesures (« parmi lesquelles beaucoup n’ont pas de coût financier » et ne demandent que « du courage politique et du sens commun »). Ce plan sera complété en interaction avec les citoyens.

Barcelona en Comú entend donner la priorité à l’intégration et à la cohésion, « afin de faire de Barcelone un exemple pour les autres villes du monde ». Cela pour prendre le contre-pied de la politique de ses prédécesseurs de Convergència i Unió (CiU), qui, selon Barcelona en Comú, « favorisait la marchandisation en faveur d’intérêts privés n’ayant rien à voir avec le bien commun ».

Le Plan de Choc comporte quatre axes d’action :

– Créer des emplois dignes, en diversifiant le modèle productif ;

– Garantir les droits sociaux de base ;

– Revenir sur des privatisations et les projets contraires au bien commun ;

– Auditer l’institution et mettre fin aux privilèges.

Mais plus précisément, comment y parvenir ? Voyons cela dans le détail :

Créer des emplois dignes…

Cela d’abord à partir d’un programme de formation et de création indirecte d’emplois durables dans : la réhabilitation énergétique du logement ; la prévention et la gestion durable des déchets ; soutien au tissu commercial de proximité ; aide aux personnes, en particulier les enfants, les personnes âgées et les personnes dépendantes ; appui à l’économie coopérative.

Puis en veillant à garantir les droits de base des travailleurs municipaux et ceux des organismes travaillant avec la municipalité.

Garantir les droits sociaux de base

Le droit au logement : face aux expulsions de locataires (en moyenne 15 par jour à Barcelone, 80 % pour cause d’impayés des loyers), la municipalité entend mettre tout son poids pour éviter ces expulsions et favoriser le relogement. Cela passera par la négociation avec les institutions financières qui pratiquent des expulsions et/ou disposent de logements vacants ; par l’appui aux travailleurs sociaux dans la mise en place des aides aux familles menacées d’expulsion ; l’incitation à la cession de logements vacants à la municipalité pour élargir le parc de logements sociaux ; l’étude d’un droit de préemption qui permettrait à la municipalité de se porter acquéreur d’immeubles en dessous du prix du marché.

Le droit à l’alimentation : du fait de la « crise », un enfant sur cinq, à Barcelone, est menacé de pauvreté. En 2013, on a évalué à 2 800 le nombre d’enfants en situation de malnutrition. En 2014-2015, 4 639 demandes de bourse pour la cantine ont été rejetées du fait des barèmes établis par la précédente municipalité.

Barcelona en Comú s’engage à garantir le droit à l’alimentation à tous les enfants se situant en dessous du seuil de pauvreté. Cela par divers moyens (révision des barèmes de bourses de cantine, renforcement des services de cantine, renforcement des réseaux de distribution d’aliments).

Le droit aux fournitures de base : on estime que 10 % des foyers de Barcelone se trouvent dans la précarité énergétique et ne peuvent faire face aux factures d’électricité, d’eau, de gaz. Barcelona en Comú envisage de réaliser un audit des compagnies distributrices d’énergie, d’évaluer l’origine et la destination de leurs bénéfices et de négocier avec elles pour les amener à contribuer à l’accès de tous aux fournitures de base.

Elle se battra par ailleurs pour des tarifs de l’eau plus justes et étudiera le passage de la gestion de l’eau en régie publique.

Elle envisage d’imposer aux entreprises de distribution de l’électricité des taxes pour occupation de l’espace public et étudiera des projets pilote de distribution d’énergies renouvelables.

Elle créera un fonds spécifique d’urgence (5 millions d’euros) pour lutter contre la pauvreté énergétique.

Capture Site Barcelona en ComuLe droit à la santé : que tous puissent accéder aux soins et à la carte de santé (qui conditionne l’accès aux soins et à leur remboursement partiel), ainsi qu’aux soins d’urgence ; mettre en place un accompagnement des personnes les plus vulnérables.

La municipalité fera par ailleurs pression sur la Generalitat (l’assemblée et le gouvernement de la région autonome de Catalogne) pour que soit remise en question la politique de privatisations et de réductions de droits dans le domaine de la santé.

Le droit à la mobilité : pour lutter contre la pollution, il s’agit de faire en sorte que le transport public soit « plus économique et plus efficace » que l’usage des véhicules privés. La ville de Barcelone, qui souhaite infléchir la politique tarifaire, devra travailler avec le Generalitat, qui est majoritaire dans l’Autorité de Transport Métropolitain.

Le droit à un revenu municipal complémentaire : en 2014, 5 000 Barcelonais ont été exclus du Revenu minimum d’insertion ; Barcelona en Comú envisage de supprimer la pension de 100 € par mois dont bénéficient les moins de 16 ans en situation de vulnérabilité, annoncée par la CiU et que la nouvelle équipe qualifie d’assistanat. A sa place celle-ci envisage de créer un Revenu municipal pour toutes les familles en dessous du seuil de pauvreté, pour parvenir, en complément des prestations déjà reçues, à un niveau de 60 % du revenu moyen des Barcelonais, soit environ 600 €.

De plus, la municipalité proposera l’instauration, dans toute la Catalogne, d’un Revenu garanti de citoyenneté.

Revenir sur des privatisations et les projets contraires au bien commun

Il s’agit d’en finir avec l’utilisation des finances publiques, municipales en l’occurrence, dans des projets qui ne sont pas tournés vers l’intérêt public.

Par exemple : moratoire sur l’ouverture d’hôtels et d’appartements à usage touristique, dans l’attente d’un audit ; retrait de la participation dans des projets privés d’affaires ; arrêt ou réexamen de l’extension de grandes zones commerciales ; arrêt ou réexamen des processus de privatisations contraires au bien commun ; remise en cause de concessions discutables.

Faire la transparence et mettre fin aux privilèges

Auditer l’institution municipale et ses comptes, mettre fin aux mauvaises pratiques, générer des institutions moins bureaucratiques et avec davantage d’implication des citoyens.

Quelques projets de mesures concrètes :

. Réduire les indemnités des conseillers, supprimer les véhicules officiels et les indemnités injustifiés.

. Auditer les principaux outils publics de promotion économique et sociale de Barcelone (dont la Foire de Barcelone).

. Réviser les subventions injustifiées (comme les 16 M€ du circuit de Montmeló).

. Revoir et élargir les espaces participatifs qui permettront de mettre en œuvre ce Plan de Choc dans chaque district.

Tous les détails sur le site de Barcelona en Comú (en catalan et en castillan) : Site de Barcelona en Comu

Ou dans le pdf (en catalan) : pla-de-xoc-cat

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A côté de ce programme à court terme, le programme dessiné par les citoyens avec Barcelona en Comú définit un certain nombre d’objectifs classés de diverses façons et notamment par thématiques : elles sont nombreuses, de l’Action sociale et communautaire à l’Urbanisme en passant par l’Écologie, l’Éducation, l’Immigration, la Fiscalité…

On les retrouvera sur le site (en catalan ou en castillan) : Le programme par thématiques

Voir l’article de Mediapart du 13 juin (les propositions) : Ce que préparent les mairies « indignées » en Espagne.

Et un autre article de Mediapart (l’historique, daté du 06/11/2014) : Guanyem Mediapart article_467277

Lire sur ce blog « Barcelona en Comu : une gestion municipale alternative qui s’appuie sur les habitants » (mai 2016).

Lire aussi sur ce blog un article sur le mémoire de Master 2 de Laurent Rosello : « De l’activisme au municipalimse, l’expérience de Barcelona en Comu ».

Sur la stratégie de Podemos, lire : « Podemos : de la rue aux institutions ».

Leucate-Caves-Treilles-Feuilla : vers une seule commune ? Pour quoi faire ?

Les élus ne semblaient pas disposés à communiquer sur leur projet mais l’information a fuité. Les quatre communes du sud du littoral audois étudient la possibilité d’une fusion, dans le cadre de la loi « Commune nouvelle ». Cette fusion, qui semble précipitée, permettrait de bénéficier d’un avantage budgétaire. Pour quels projets ? Les citoyens aimeraient être associés aux décisions.

Si la fusion aboutit, Leucate, Caves, Treilles et Feuilla ne formeront plus qu'une seule commune.

Si la fusion aboutit, Leucate, Caves, Treilles et Feuilla ne formeront plus qu’une seule commune.

Depuis quand les élus du sud du canton de Sigean réfléchissent-ils à une possible fusion de leurs communes en une commune unique ? Ils avaient en tout cas gardé ce sujet secret jusqu’à ce que le groupe d’opposition municipale « Leucate Rassemblement Bleu Marine » donne l’information. Les responsables de ce groupe, Laure-Emmanuelle Philippe (conseillère municipale) et Philippe Maese, disent tenir l’information par « l’un des initiateurs, sceptique quant au bien fondé de cette piètre idée » mais ils ne disent pas qui. Selon eux, les maires de Leucate, Caves, Treilles et Feuilla avaient l’intention de rendre le projet public en septembre, trois mois à peine avant l’échéance légale pour bénéficier d’une incitation financière en cas de création d’une commune nouvelle.

A partir de la divulgation de ce dossier par le Rassemblement Bleu Marine, le 12 mai, les maires des quatre communes ont dévoilé leur projet à la presse quotidienne le 26 mai.

Nous avons pu joindre, par téléphone, les maires de Feuilla, Caves et Treilles et aussi le maire de Fitou. Le maire de Leucate n’étant pas disponible, nous lui avons adressé nos questions par écrit : son service de communication nous avait annoncé une réponse, mais nous n’avons rien reçu à ce jour. Le point sur ce dossier.

La loi « commune nouvelle »

Les gouvernements français successifs, sous l’impulsion de la Commission européenne, ont engagé un processus de regroupement des collectivités territoriales. Les nouvelles Régions et Métropoles sont en place ; les intercommunalités se sont peu à peu concentrées ; la future loi Notre (Nouvelle organisation territoriale de la République), actuellement en débat au Sénat, devrait modifier les compétences respectives des Régions, des Départements et des intercommunalités.

Concernant les communes, la loi de réforme des collectivités territoriales, du 16/12/2010, a incité à leur regroupement. La loi « commune nouvelle » du 16/03/2015, impulsée par l’Association des Maires de France, attribue une incitation financière en cas de fusion de communes. A une condition, fusionner au plus tard le 1er/01/2016.

Il est vrai que le mouvement de fusion est très timide : 13 fusions ont eu lieu en quatre ans (mais 1 500 communes avaient fusionné entre 1959 et 1971). La France compte plus de 36 000 communes, ce qui est une exception dans l’Union européenne. Pour certains, il faut les regrouper, pour faire des économies de fonctionnement et leur donner une plus grande efficacité. D’autres considèrent que l’on ne doit pas toucher à l’institution municipale, liée au village historique et premier échelon de la démocratie.

La loi « Commune nouvelle » garantit aux communes qui fusionneront avant la fin de l’année une exonération de la baisse prévue de la dotation forfaitaire de l’État et même une majoration de 5 % de cette dotation forfaitaire, le tout pendant trois ans.

La fusion peut concerner des communes appartenant à des intercommunalités différentes mais leur territoire doit être contigu. Elle doit être décidée par tous les conseils municipaux concernés. Si tous les conseils municipaux ne sont pas favorables, la fusion peut être adoptée par les deux tiers des conseils municipaux (leurs communes doivent totaliser au moins les deux tiers de la population de la future commune nouvelle) ; dans ce cas, un référendum est obligatoire.

Leucate, 4 200 habitants, face aux 1 100 des trois autres communes (Caves, Treilles, Feuilla).

Leucate, 4 200 habitants, face aux 1 100 des trois autres communes (Caves, Treilles, Feuilla).

Si le principe de la commune nouvelle est adopté, les conseillers municipaux peuvent être maintenus jusqu’aux prochaines élections municipales (en 2020). Ils forment alors tous ensemble, jusqu’à cette échéance, le nouveau conseil municipal. Celui-ci élit son maire tandis que les maires des anciennes communes peuvent être maires délégués jusqu’aux prochaines élections.

La commune nouvelle pourra se doter de communes déléguées, correspondant au territoire des anciennes communes, sans statut de collectivité territoriale mais pouvant abriter une mairie annexe. Le maire délégué est alors élu par le conseil municipal de la commune nouvelle et devient adjoint au maire de celle-ci.

A partir des prochaines élections, le nouveau conseil municipal comportera le nombre de membres correspondant à la strate de population immédiatement supérieure à celle de la commune nouvelle (soit 33 au lieu de 29 pour les communes de 5 000 à 9 999 habitants dans le cas qui nous intéresse ; actuellement les quatre communes totalisent 60 conseillers municipaux).

Les maires : « un diagnostic pour y voir clair avant toute décision »

Les maires de Leucate, Caves, Treilles et Feuilla mettent en avant la baisse des moyens budgétaires des communes. Ils estiment donc nécessaire d’étudier le cas de figure d’une commune nouvelle et précisent que pour l’instant leur décision n’est pas prise. Ils ont demandé un diagnostic aux services de l’État. En attendant ses résultats, selon un calcul rapide, le gain budgétaire lié à la fusion serait au total de 2 M€ pendant quatre ans, selon les maires (il semble que ce soit plutôt pendant trois ans).

Si après le diagnostic les communes décident de continuer plus avant, elles rédigeront une charte pour définir les objectifs de la fusion.

Ces maires disent aussi qu’ils préfèrent se pencher sur la question avant que la loi n’impose les fusions de communes.

Réunies, les quatre communes compteraient 5 246 habitants (chiffres de 2012) : Leucate 4 148, Caves 780, Treilles 223 et Feuilla 95. Fitou, pour sa part, compte 1 013 habitants ; cette commune, a priori, n’est pas partante dans le projet de fusion, toutefois elle est intéressée par le diagnostic en cours.

Pour ce qui est de l’intercommunalité, les quatre communes font partie du Grand Narbonne et ne pourraient pas quitter cette agglomération. Elles y ont actuellement, au total, 5 représentants (2 pour Leucate, 1 pour chacune des trois autres communes) ; la nouvelle commune, compte tenu de sa population, aurait 3 représentants à l’agglo.

Le maire de Leucate, Michel Py, a par ailleurs été sollicité par ses homologues du Barcarès et de Saint-Laurent-de-la-Salanque pour une autre fusion, qui regrouperait 19 000 habitants. Cette fusion nécessiterait au préalable la modification des limites des deux départements concernés (Aude pour Leucate et Pyrénées-Orientales pour ses voisines). Selon L’Indépendant, Michel Py s’est dit peu attiré par ce projet mais il reste à l’écoute.

A noter également que la commune de Treilles ne fait pas partie (au contraire des autres) du territoire du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise (dont Bernard Devic, le maire de Caves est le président). Une question sur laquelle les différentes communes candidates à la fusion devront s’accorder.

L’expérience des fusions de communes montre que l’un de leurs avantages peut être la mutualisation des dépenses de fonctionnement, source d’économies (la nouvelle commune d’Eclose-Badinières, dans l’Isère, dit avoir ainsi économisé 15 % sur ce type de dépenses).

L’avantage peut être aussi de réaliser ensemble des projets demandant certains moyens. Cela dans le cadre des compétence des communes (voir en fin d’article).

Le plateau de Leucate.

Le plateau de Leucate.

Que vaut l’avis des habitants ?

La discrétion des élus jusqu’à tout récemment peut interroger. Ils affirment en tout cas qu’ils n’ont pas l’intention d’organiser un ou des référendums. Et pour ce qui est de réunions publiques éventuelles, elles sont renvoyées à plus tard.

Nous avons interrogé une quinzaine de personnes, dans la rue, à Leucate, Caves et Treilles. Presque toutes ont appris récemment le projet de fusion à travers la presse ou par la rumeur ; trois personnes n’étaient pas au courant.

La grande majorité de ces quinze personnes souhaiterait avoir davantage d’informations et plus de la moitié souhaite une consultation de la population et/ou un référendum. Trois estiment au contraire qu’il ne faut pas organiser de référendum (que les conseils municipaux doivent prendre la décision).

Sur le fond du projet, les avis sont partagés. Six personnes voudraient en savoir plus pour se prononcer ; cinq sont a priori favorables à une fusion ; quatre y sont opposées.

Dans le détail, les craintes portent d’abord sur la capacité des élus à prendre en compte les intérêts de la population. « A quoi bon de nouveaux moyens si c’est pour refaire les mêmes erreurs ? » dit une habitante de Caves. « Je suis totalement déçu par les élus, quel que soit le parti ; plus ils auront d’argent, plus ils en mettront dans leurs poches », dit un Leucatois.

Leucate se distingue des autres communes par son fort développement touristique (ici, l'étang de Leucate dans sa partie septentrionale : le Paurel) mais aussi immobilier.

Leucate se distingue des autres communes par son fort développement touristique (ici, l’étang de Leucate dans sa partie septentrionale : le Paurel) mais aussi immobilier.

Une autre Leucatoise craint « la progression de l’urbanisation et du développement de zones logistiques au détriment des espaces naturels et notamment dans les différentes zones Natura 2000 situées à Leucate, mais aussi sur les autres communes, toutes soumises à la Loi Littoral, qui ont davantage de terrains constructibles bien tentants.«  Elle souligne la problématique de l’étendue du territoire, de sa diversité et de ses enjeux : « 25 km entre Feuilla et Port-Leucate passant des moyennes Corbières au littoral (avec un temps de parcours avoisinant les 35 min pour aller d’un point à un autre)« .

Beaucoup soulignent l’écart entre les communes de l’intérieur (faible population, peu d’emplois, peu de services) et Leucate (plus importante, avec un fort développement touristique et immobilier).

« Les 20 M€ de dettes de Leucate je ne les veux pas », dit Françoise, à Caves. « Cela m’irait bien que déjà les trois petits villages s’allient, pour voir ce que ça donne. On aurait peut-être un médecin, un pharmacien. »

Pour une autre dame de Caves, « l’union fait la force » et elle voit dans une fusion la possibilité de « plus de facilités administratives, de davantage de services », voire d’emplois. Un vieux Leucatois (86 ans) constate que les regroupements sont dans l’air du temps, dans les caves coopératives, les clubs de rugby comme dans les collectivités locales. Il regrette que les jeunes ne puissent pas rester au pays.

A l’opposé d’un Leucatois adepte du « chacun chez soi », un autre Leucatois n’est pas favorable à « rester seuls sur la péninsule corsaire ». Cet ancien élu n’est pas pour un référendum : « On les met à toutes les sauces… Si tout le monde commande, personne ne commandera » ; il fait donc confiance aux élus.

Le Rassemblement Bleu Marine

Pour Leucate Rassemblement Bleu Marine, qui a distribué dans les villages concernés son bulletin d’information dénonçant le projet, la fusion pourrait entraîner une hausse de la fiscalité locale. Cela parce que, selon ce parti, la mutualisation des services coûterait forcément plus cher et aussi à cause du « surendettement » de Leucate, « à hauteur de 22 M€ soit 5 084 €/habitant ». Ce que dément le maire de Leucate (dans sa lettre de vœux à la population début 2015) qui parle d’un endettement d’environ 1 000 € par contribuable, dans la moyenne des communes de taille similaire (La mairie de Leucate nous précise qu’il y a, dans la commune, trois fois plus de contribuables que d’habitants et elle calcule l’endettement en fonction des contribuables).

Réagissant à la précision de la mairie de Leucate, Laure-Emmanuelle Philippe (Leucate Rassemblement Bleu Marine) estime que « les chiffres avancés par M. Py sont erronés aux yeux de la Cour Régionale des Comptes qui stipule un chiffre d’endettement de 5 084 €/habitant. (…) S’il est vrai que la configuration de Leucate en tant que station balnéaire est particulière, M. Py occulte les résultats des autres communes strictement similaires. Vous ne devez pas ignorer, par exemple, que Gruissan est une commune parfaitement identique à Leucate, en nombre d’habitants, en nombre de contribuables, par sa configuration touristique, par ses infrastructures publiques, etc. Vous devez aussi savoir que l’endettement de cette commune n’est que de 923 € avec les calculs officiels. Imaginez donc si on appliquait les calculs du maire leucatois !« 

Le Rassemblement Bleu Marine leucatois estime aussi que, dans la commune nouvelle, il y aurait moins de place pour l’opposition (moins d’élus) et que cette commune aurait moins de poids à l’agglomération.

Il insiste par ailleurs sur la distance entre Leucate et les autres villages et pense que la fusion se fera au profit de Leucate et au détriment des autres communes, qui sont trop petites.

Il demande que les habitants soient consultés à travers un référendum.

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Le Chai La Prade de la cave coopérative de Leucate. La vigne est encore ce qui unit le plus le territoire des quatre communes.

Le Chai La Prade de la cave coopérative de Leucate. La vigne est encore ce qui unit le plus le territoire des quatre communes.

Quelques explications des élus

Nous avons pu joindre au téléphone les maires de Feuilla, Caves, Fitou et Treilles. Voici leurs déclarations. Nous n’avons pas pu joindre le maire de Leucate et nous lui avons posé les mêmes questions par écrit : son service de communication nous avait annoncé une réponse, mais nous n’avons rien reçu à ce jour.

Armand Pradalier, maire de Feuilla : une charte définira un projet commun

En quoi consiste le diagnostic demandé aux services de l’État ?

A.P. : « Le projet est en phase d’étude. Nous avons demandé à l’État de nous donner des chiffres, de nous expliquer la loi et de répondre à nos interrogations, par exemple sur les modalités de mise en place, le personnel… Les services de la préfecture vont réaliser une étude fiscale puis aideront les communes à réaliser une étude technique. »

Envisagez-vous de consulter la population ?

« Ce sont les conseils municipaux qui décideront de l’éventuelle fusion. A Feuilla il y aura une réunion publique après l’étude. Pour le moment un référendum n’est pas prévu, la loi ne l’oblige pas. Il faut d’abord voir ce que dit l’étude et puis on verra ; même nous, nous avons des questions et pas les réponses. »

Quel peut être l’intérêt d’une fusion pour le budget des communes ?

« A Feuilla, nous sommes aujourd’hui bloqués en termes de possibilités de financement, avec des charges qui augmentent et des dotations qui diminuent. A part d’augmenter les impôts il n’y a pas de solution. Je suis administrateur de la cave coopérative de Leucate : nous avons fusionné. C’est la même chose pour les communes, nous travaillons sur le même principe. Nous avons la chance de pouvoir réfléchir à un regroupement avant qu’on nous l’impose. »

Il y a d’autres possibilités de travail en commun pour les communes, comme le Sivos (Syndicat intercommunal à vocation scolaire)…

« Caves et Treilles se sont effectivement réunis avec un Sivos pour l’école, la cantine, le centre aéré. Nous y participons.

Autre exemple, pour le PLU de Feuilla je ferai certainement appel à la mairie de Leucate, ce qui nous demandera de conventionner avec son service urbanisme ; Treilles et Fitou l’ont déjà fait. Les communes nouvelles pourront mettre en commun les services existants ; aujourd’hui il faut passer par des conventions et donc par une facturation. »

Ne craignez-vous pas un déséquilibre entre Leucate et les autres communes ?

« Nous sommes au stade de l’étude technique. Ensuite nous rédigerons une charte qui définira un projet commun, à quatre ou cinq communes, avec des objectifs et des règles. A nous de définir dans quelle direction nous voulons aller.

En cas de fusion, le fait que les conseillers municipaux actuels restent en place jusqu’en 2020 permet de voir venir et de se préparer. »

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Caves et sa poste.

Caves et sa poste.

Bernard Devic, maire de Caves : « L’important, c’est que les hommes s’entendent »

Comme son homologue de Feuilla, le maire de Caves met l’accent sur la réduction des moyens budgétaires des communes et leur difficulté à investir et à assurer les dépenses de fonctionnement.

« Pourquoi ne pas réfléchir à la possibilité d’une fusion ? », dit-il, « elle permettrait de maintenir la dotation de l’État. ».

« Nous ne sommes pas là pour définir des projets. L’étude budgétaire est en cours ; nous aborderons ensuite, si nous poursuivons, une charte de fusion. Là, il faudra écrire les choses, ce que sera la commune nouvelle dans cinq ou dix ans, tout ce qui est gérable par la mutualisation. »

Au sujet de l’organisation d’éventuelles réunions publiques, Bernard Devic souligne le court délai pour réaliser une fusion (ou plutôt pour bénéficier d’une incitation budgétaire) : « C’est une faiblesse de la loi. Nous avons l’obligation de nous mettre d’accord avant la fin de l’année, c’est compliqué. »

Concernant le poids de Leucate par rapport aux autres communes il dit : « Il nous faut rédiger une charte de fonctionnement pour freiner ça. Et l’important c’est que les hommes s’entendent. »

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Alexis Armangau, maire de Fitou : pas favorable à une fusion

Que pensez-vous de ce projet de fusion ?

A.A. : « Je n’y suis, plutôt, pas très favorable mais si une étude se fait, il faudrait être idiot pour ne pas faire cette analyse, cette étude. D’ici quelques années peut-être l’État nous obligera à nous regrouper ; pour l’instant moi et mon équipe nous n’y sommes pas favorables, on perdrait en autonomie de gestion. »

En cas de fusion avec vos quatre voisins du canton de Sigean vous devriez changer d’intercommunalité ?

« La commune nouvelle pourrait choisir entre la communauté de communes Salanque-Méditerranée, dont nous faisons partie, et le Grand Narbonne. »

Envisagez-vous de consulter la population ?

« Il faudra des réunions publiques pour avoir l’avis de la population. Toutefois, le temps manque, nous sommes au pied du mur. Cela me semble très compliqué juridiquement, vu le délai, d’organiser une consultation officielle. Mais je ne ferai rien sans l’avis de la population même si une simple délibération du conseil municipal suffit. »

A votre avis, quels projets concrets pourraient être favorisés par une fusion ?

« Il faudrait que tout soit inscrit dans la charte de fusion, y compris des projets précis, cela avant de fusionner. Cela paraît fort compliqué en termes de timing. »

Et une fusion de Fitou avec Le Barcarès et Saint-Laurent-de-la-Salanque ?

« J’ai appris leur réflexion, comme beaucoup, dans les journaux. Pour y adhérer il faudrait changer les limites des départements ; je ne suis pas convaincu que les habitants de Fitou soient prêts à ce genre de démarche.

Il faudra encore beaucoup de temps pour envisager un regroupement. L’État, qui baisse les dotations, peut-être nous y obligera. Mon avis, c’est qu’on y perdrait l’identité du village et les services de proximité. Les élus de Fitou n’y sont pas favorables. »

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Treilles.

Treilles.

Alain Bouton, maire de Treilles : « avec une commune unique, un aménagement du territoire beaucoup plus cohérent »

Vous avez demandé aux services de l’État de réaliser une étude sur le projet de fusion…

A.B. : « Cette étude, il faut la faire, pour voir précisément ce que représente l’incitation prévue par la loi. A priori, en fusionnant nous éviterions de perdre 2 M€ de dotations pendant quatre ans. Nous réfléchissons sérieusement mais rien n’est arrêté. Ce serait une faute de ne pas réfléchir à cette possibilité. La démarche est rapide, nous sommes tenus par les délais imposés par la loi. Et puis, après, les fusions seront certainement obligatoires. »

Allez-vous consulter la population ?

« Les quatre maires et les quatre conseils municipaux vont se rencontrer prochainement. La loi ne prévoit pas de référendum et il n’aurait aucune valeur juridique. Des réunions publiques oui, nous sommes un petit territoire et tout le monde se connaît. Quand nous aurons les tenants et les aboutissants du processus de fusion, nous irons au devant de la population pour lui apporter un minimum d’information, mais il faut commencer par la réflexion des élus. »

Quels projets la fusion pourrait-elle permettre de réaliser ? Par exemple une zone d’activité près de l’entrée de l’autoroute ?

« Nous sommes en train de réfléchir à un projet commun de territoire ; unis, nous serons plus armés pour affronter l’avenir. La zone d’activité peut notamment être un projet commun. Nous sommes complémentaires sur le territoire, avec Leucate, sa vocation touristique et son port. L’arrière-pays, chez nous, reste inexploité. Avec une commune unique, l’aménagement du territoire serait beaucoup plus cohérent. »

Certains ont peur que cela aboutisse au « bétonnage » de ce territoire…

« Si l’on s’engage sur ce genre de débat, il faudrait rester comme on est, sans bouger. Il faut aller de l’avant. On ne va pas faire l’arrière-pays niçois, mais il faut utiliser le territoire intelligemment. Il faut penser aux générations qui vont suivre, se projeter dans les dix-vingt ans à venir. »

Ne craignez-vous pas un déséquilibre entre Leucate et les autres communes ?

« Nous avons vécu la communauté de communes, le Sivom, l’agglo. Nous y avons survécu. C’est une question d’hommes. Nous sommes quatre maires de sensibilités politiques différentes, c’est une chance et il y a une bonne entente entre nous. »

Avec une nouvelle commune, les relations avec le Grand Narbonne changeront-elles ?

« Je suis persuadé que nous pèserons davantage. »

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L’occasion de réinventer la démocratie ?

La Place de la République, à Leucate.

La Place de la République, à Leucate.

La réflexion autour d’un éventuel regroupement de communes pourrait être une occasion de réinventer la démocratie à l’échelle locale. Les maires des communes concernées se retranchent derrière la loi (et la brièveté des délais pour bénéficier d’une incitation budgétaire) pour aller vite. Ils s’accrochent aussi aux principes de la démocratie représentative qui donne le pouvoir aux élus.

Sauf que pour bien représenter une population encore faut-il savoir ce qu’elle souhaite.

La question de la dotation de l’État n’est-elle pas secondaire en fin de comptes ? Associer largement la population à l’avenir de ses communes serait possible, en prenant le temps, à travers un travail commun d’information et de réflexion, relativement aisé dans des communes de petite taille, Leucate incluse. Et pourquoi pas définir, tous ensemble, la société locale de demain ? Cela recouvre bien sûr bien des enjeux touchant à l’économie, l’emploi, le social, la santé, le logement, les aménagements, le respect de l’environnement et du territoire, les services, l’éducation et la formation, la vie culturelle, les loisirs… Des enjeux qui concernent en premier lieu les habitants.

Les élus n’ont pas tiré la leçon des évolutions récentes qui montrent un fossé croissant entre eux et les citoyens. Ce faisant, ils donnent encore une fois raison au Front National et son satellite, le Rassemblement Bleu Marine.

Quant au « référendum décisionnel local », même s’il ne peut tout résoudre, il est inscrit dans la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 qui a reconnu à toutes les collectivités territoriales la possibilité de soumettre à leurs électeurs tout projet de texte (acte ou délibération) relevant de sa compétence (art. 72-1).

Ph.C.

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Les compétences des communes

Les principales compétences des communes :

. État civil, élections, ordre public, voirie,

. Écoles maternelles et primaires,

. Action sociale facultative (secours aux familles en difficulté, crèches, foyers de personnes âgées…),

. Culture (bibliothèques, musées, écoles de musique, salles de spectacle, manifestations culturelles),

. Subventions (activités culturelles, sportives, associations…),

. Logement,

. Équipements sportifs,

. Urbanisme (PLU, ZAC, permis de construire),

. Aménagements touristiques

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Actualisation (03/09/2015) : abandon du projet de fusion

Les maires des quatre communes viennent d’annoncer leur abandon du projet de fusion. Leurs explications, selon L’Indépendant de ce jour : le délai légal pour réaliser une fusion en bénéficiant de l’incitation fiscale prévue (soit le 31/12/2015) « ne laisse pas suffisamment de temps pour organiser un référendum ». Selon le quotidien, les maires « envisageaient un référendum ». Ce n’est pas ce que nous avaient déclaré les maires de Feuilla et de Treilles (lire plus haut). Le maire de Caves, Bernard Devic, dit, toujours dans L’Indépendant, qu’il a constaté que la population n’était pas favorable au projet, qu’il l’a « écoutée » et a donc préféré renoncer au projet.

Nouvelle actualisation (14/10/2015) : fusion entre Caudeval et Gueytes-et-Labastide

La première fusion de communes est en marche dans l’Aude, selon L’Indépendant de ce jour. L’arrêté de fusion de Caudeval et Gueytes-et-Labastide (canton de Quillan) devrait être signé par le préfet début novembre. Les maires des deux communes ont prévu de communiquer « quand ce sera fait » !

Parc logistique portuaire de Port-la-Nouvelle

MISE À JOUR (23/05/2015)

Voir l’article initial

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Eccla, EELV, des observations sur l’enquête publique

L’enquête publique du projet d’agrandissement du port de Port-la-Nouvelle (partie terrestre) est désormais terminée. Eccla et EELV, parmi d’autres, ont formulé des observations sur ce dossier. En voici les grandes lignes (lien vers les documents complets plus bas) :

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Eccla : questions sur les compensations environnementales

L’association souligne d’abord ce qu’elle estime être une incohérence : l’extension du port à terre comporte deux parties, la plate-forme nord (extension de l’actuelle zone d’entrepôts, près de la mer et de la future extension du port en mer) et la zone logistique, plus à l’intérieur ; le dossier du maître d’ouvrage (la Région) prévoit de réaliser d’abord la première, liée à l’accueil du nouvel avant-port ; pour Eccla, c’est la seconde qui répond pourtant à des besoins plus immédiats (manque de place sur la zone actuelle, raccordement à la voie ferrée).

Par ailleurs, Eccla fait remarquer que le Contrat de Plan État-Région ne prévoit aucun financement pour le port de Port-la-Nouvelle dans les cinq ans à venir, alors qu’il prévoit 10 M€ pour l’intermodalité ferroviaire, dont la réalisation est pourtant prévue ultérieurement à celle du grand port…

Un autre point important est la réalisation d’un mur de soutènement sur la frange littorale de la plate-forme nord, avec pour but de protéger la zone des submersions marines. Eccla fait remarquer que, du fait de l’érosion régulière du littoral, le mur serait au bord de l’eau dans moins d’un siècle : « Dans ces conditions il ne paraît pas raisonnable d’installer une structure en dur dans une telle zone et surtout si près de la mer. »

Pour l’accès à la plage, Eccla propose un deuxième accès (en plus de celui par La Campagne) : Il s’agirait d’une passerelle en bois à partir de l’actuel parking proche de la maison éclusière de Sainte-Lucie. Il permettrait de découvrir les salins sans dégrader le milieu et d’arriver en un autre point de la plage.

Concernant les compensations environnementales, Eccla note que le dossier ne prévoit « quasiment pas d’évitement d’impact, juste un peu de réduction durant la phase chantier et quasiment tout en compensation, ce qui n’est pas vraiment l’esprit ERC » (« Éviter, réduire, compenser », loi du 10/07/1976).

Quant aux compensations, qui sont prévues en partie sur la réserve naturelle de Sainte-Lucie et, en majeure partie, sur le lido de Sète-Marseillan, Eccla souligne leur incohérence : d’une part parce que la Réserve régionale de Sainte-Lucie est déjà protégée foncièrement et réglementairement ; d’autre part parce que le lido de Sète est très éloigné du projet alors que d’autres sites plus proches auraient pu être choisis. Eccla y voit des raisons très éloignées des préoccupations environnementales et de l’idée de compensation : « lorsqu’on regarde de près le choix du lido de Sète, on comprend vite que la facilité a pesé lourd : un seul propriétaire prêt à vendre et un organisme, le Conservatoire du Littoral, prêt à en prendre la responsabilité et souhaitant fortement ce rachat. »

L’association pose des questions quand aux réalisations prévues sur l’île Sainte-Lucie : Pourquoi le plan de gestion, qui aurait dû être terminé fin 2013, n’est toujours pas en place ? Pourquoi choisir le canal de la Robine (pollutions au cadmium et au PCB, entre autres) pour la mise en eau des salins plutôt que l’étang de l’Ayrolles ? Le troisième point concerne la suppression de la circulation motorisée : le projet a-t-il été bien dimensionné (parkings, accès par le chemin de halage) ? Eccla demande que cette maîtrise de la circulation automobile soit réalisée dès avant les travaux et qu’une étude d’impact soit menée à l’issue de la première saison estivale.

Dans ses conclusions, Eccla interroge : « Si le port ne se fait pas, la Région tiendra-t-elle ses engagements envers la réserve régionale qu’elle a elle-même créée ?' ».

Lien vers le document d’Eccla

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EELV : « de graves irrégularités » en termes de concertation

Le groupe local du Narbonnais d’EELV soulève « de graves irrégularités » dans le déroulement de l’enquête publique qui, selon lui, sont des motifs d’annulation de l’enquête : absence de concertation de la Région avec les usagers, contrairement à son engagement et en opposition avec le Code de l’environnement et l’esprit du « Débat public ».

EELV estime que le projet ne prend pas suffisamment en compte les effets du changement climatique, en particulier par rapport à l’élévation du niveau de la mer et la réalisation d’un ouvrage de soutènement le long de la plate-forme nord, ce qui devrait amener à rechercher des solutions d’évitement, voire de repli pour une partie de cette plate-forme ; cela permettrait en même temps d’épargner pour l’instant les habitats qui sont dans le meilleur état écologique, estime le document.

Comme Eccla, EELV est critique vis-à-vis des compensations environnementales et les juge même « insuffisantes, inappropriées et en contradiction avec les recommandations de l’Agence de l’Eau » (le lido se Sète-Marseillan n’étant pas dans le même bassin versant que le projet).

EELV souligne l’important impact social, sanitaire et sociétal du projet : flux de véhicules lié aux travaux ; risques technologiques minimisés ; concentration humaine du fait du nouvel accès à la plage ; gestion des eaux de ruissellement ; pollution du chantier (plastiques, remblaiements).

En conclusion, EELV estime le dossier fragile et suggère une légèreté du maître d’ouvrage dans ses décisions.

Le document d’EELV : Observations EELV enquête publique PLN

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Voir l’article initial

Saint-Jean-/Saint-Pierre : quel avenir pour le café associatif ?

Créé en juillet 2012, le « café associatif » de Saint-Jean/Saint-Pierre (Narbonne) avait été incendié en mars. L’enlèvement du préfabriqué, à l’initiative de la ville, a surpris et pose la question de l’avenir de ce lieu de rencontre.

P1040688 2Géré par l’association L’Arche, le café associatif du quartier Saint-Jean/Saint-Pierre n’existe plus, jusqu’à nouvel ordre ? Après l’incendie criminel (selon l’enquête de police) du mois de mars, il était fermé : le bâtiment préfabriqué n’avait pas été détruit mais il avait subi les conséquences d’une forte fumée. Les expertises d’assurance étaient en cours et l’assureur de L’Arche attendait le feu vert de la mairie pour envoyer une entreprise de dépollution concernant son matériel (la dépollution des murs relevant de l’assurance de la mairie).

Mardi 5 mai, les responsables de L’Arche ont été alertés par des habitants que le préfabriqué venait d’être emmené par un camion grue. Sans consultation ni même information préalable.

La municipalité est propriétaire du bâtiment, qui avait été mis à disposition de L’Arche en 2012 (par la municipalité de Jacques Bascou), dans le cadre du contrat urbain de cohésion sociale.

« J’ai téléphoné à la mairie », dit Samir Boumediene, le directeur de L’Arche. « Je ne suis pas parvenu à avoir une réponse ». Seule réponse, par presse interposée (cf. L’Indépendant du 07/05/2015), de Yamina Abed, adjointe au maire déléguée à la politique urbaine de proximité et à la vie des quartiers : « Ce local a été enlevé par souci de sécurité (…). Suite à différents problèmes rencontrés sur place, nous souhaitons engager une réflexion globale autour de ce lieu afin d’évaluer la pertinence de son repositionnement. »

Le maire, Didier Mouly, avec lequel nous avons pu avoir une conversation téléphonique, confirme : « L’enquête de police étant terminée, il était nécessaire d’enlever ce bâtiment, ce qui a été fait proprement, par une entreprise spécialisée, et d’envisager sa réparation, en fonction du coût et des indemnités d’assurance. » Selon lui, « il n’était pas nécessaire » d’informer l’association avant l’enlèvement, la mairie étant propriétaire.

A gauche, l'emplacement du bâtiment préfabriqué qui abritait le café associatif.

A gauche, l’emplacement du bâtiment préfabriqué qui abritait le café associatif.

Quid de l’avenir du local ? L’installation du café associatif il y a près de trois ans, rappelle Samir Boumediene, avait fait suite à une démarche à l’initiative du CJ11 (Collectif des Jeunes 11) puis à une concertation entre les associations (CJ11, L’Arche, ABP21, Maison des Potes, CIDFF), les institutions et les habitants. Depuis les années 70, le besoin a été exprimé, dans le quartier d’un lieu où se retrouver : « il n’y avait aucun lieu de rencontre… à part le supermarché Leclerc » où les habitants du quartier se croisent de fait. Le site choisi, rue Émile Eudes, était envisagé comme provisoire, avec un bâtiment préfabriqué, et une installation en dur avait été évoquée, éventuellement dans les anciens locaux de France Telecom (aujourd’hui In’ess).

Le café associatif semble apprécié des habitants du quartier. L’un des objectifs était de « lutter contre l’errance au bas des immeubles » ; plus largement, il s’agissait de répondre à la fois aux besoins des jeunes, à ceux des adultes et à ceux des personnes âgées. Le café a jusqu’à présent connu une bonne fréquentation, avec notamment des soirées après les matches de Coupe du Monde, des repas partagés, une fête des voisins…

Alors quel avenir pour le café associatif ? « Une réflexion est en cours », dit le maire de Narbonne. « L’Arche a ses locaux, où elle peut mener ses activités associatives. Concernant le café, nous devons réfléchir à sa nécessité, dans ce bâtiment, sur le terrain qui appartient à Domitia Habitat, et par rapport à la gestion de L’Arche. »

Didier Mouly précise sa pensée : « Un groupe avait un peu détourné l’objet initial de ce lieu. Certains riverains se sont plaints de nuisances sonores. »

Des observations qui étonnent Samir Boumediene. L’Arche, dit-il, avait consulté les voisins concernant le risque de bruit et il n’est pas au courant de plainte(s) ; les relations sont par exemple très bonnes avec les voisins les plus proches, les premiers concernés. Pour ce qui est de la fréquentation, le public du café était certes surtout jeune et masculin, dit-il. Ce qui montre que les jeunes du quartier se sont bien approprié ce lieu ; faut-il le regretter ? A côté de cela, un effort avait été fait pour susciter un projet spécifiquement féminin, avec succès. D’ailleurs, dit Samir Boumediene, ce sont actuellement surtout des femmes qui sont volontaires pour gérer le café.

De manière plus générale, dit le maire, « il faudrait que les relations soient moins agressives. » Il évoque une agression verbale, qui aurait été réalisée à l’encontre de Lucie Fadda, directrice du pôle Citoyenneté de la ville, par « des personnes non représentatives de L’Arche ». Plainte a été déposée contre cette ou ces personnes. Les faits semblent consécutifs à l’enlèvement du préfabriqué ; ils datent du 13 mai. « Il faut voir ce qui s’est passé en réalité », dit Samir Boumediene.

On constate, c’est vrai, une certaine tension suite à la disparition du café associatif.

L’Arche, pour sa part, a écrit (le 6 mai) au maire pour demander à le rencontrer et à pouvoir échanger sur l’avenir de ce lieu.

Au-delà des préjugés et de la méfiance réciproque, la détente et le dialogue pourront-ils prendre le relais ? L’enjeu en vaut la peine : il y va de l’animation du quartier dans la sérénité et de la place des jeunes dans le quartier et dans la ville.

Ph.C.

La Nouvelle : port et réserve naturelle, un voisinage à réussir

La réalisation du « parc logistique portuaire » de Port-la-Nouvelle, dont l’enquête publique est en cours, prendra 100 ha d’espace naturel. Les compensations environnementales, prévues par la loi, seront-elles à la hauteur de ce préjudice ? Par ailleurs, l’aménagement modifiera l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle.

Du grau à Port-la-Nouvelle, 4 km de plage, dans la réserve naturelle.

Du grau de la Vieille Nouvelle à Port-la-Nouvelle, 4 km de plage, dans la réserve naturelle.

L’enquête publique, qui a lieu du 16 avril au 15 mai 2015, concerne une partie du projet d’agrandissement du port : la partie terrestre. L’agrandissement des bassins se fera ultérieurement (les travaux devraient démarrer en septembre 2018).

La Région Languedoc-Roussillon, en lien avec le transfert par l’État à la Région de la compétence sur les ports de Sète et Port-la-Nouvelle (2007), a élaboré un plan de développement des équipements portuaires du Languedoc-Roussillon. Port-la-Nouvelle, 18e port de commerce français (sur une quarantaine) et 3e de la côte méditerranéenne française, voit son trafic augmenter légèrement (4 % entre 2009 et 2013). La Région estime que ses équipements portuaires sont limités et nécessitent un agrandissement pour « répondre aux standards actuels des ports modernes ». Il est donc envisagé d’agrandir l’emprise au sol par l’aménagement d’un parc logistique pouvant accueillir davantage d’activités logistiques et industrielles ; et d’autre part d’agrandir la zone de bassins pour pouvoir accueillir des navires aux dimensions plus importantes : jusqu’à 225 m de long et 14,50 m de tirant d’eau contre, actuellement, un maximum de 140 m de long et 8 m de tirant d’eau.

Le projet d’agrandissement des bassins avait fait l’objet d’un « débat public » en 2012-2013, à l’issue duquel la Région a décidé de le mettre en œuvre.

Quant à l’aménagement du parc logistique, il se fera en deux temps avec d’abord la création d’une zone de 20 ha au nord-est du port actuel : elle mordra en partie sur la plage et la zone dunaire (1) ; puis, ultérieurement, on créera une zone de 80 ha, plus à l’ouest ; à cette occasion, le parc sera relié à la voie ferrée. Cette partie du parc empiétera sur les anciens salins dont une partie est encore en eau (zone humide d’environ 19 ha), au nord de la zone portuaire.

L'extension du parc logistique portuaire supprimera cette étendue d'eau d'environ 19 ha.

L’extension du parc logistique portuaire s’étendra sur une partie de l’ancien salin (ici, une zone encore en eau d’environ 19 ha).

L’ensemble des zones prises par le parc logistique jouxtent la Réserve naturelle régionale de Sainte-Lucie (825 ha), qui s’étend sur l’île de Sainte-Lucie, sur l’ancien salin, la zone dunaire et la plage. Propriété du Conservatoire du Littoral et de l’État (pour la partie du Domaine public maritime), la Réserve naturelle est gérée par le Parc naturel régional de la Narbonnaise et la commune de Port-la-Nouvelle.

L’aménagement du parc logistique entraînera des compensations environnementales. Dans ce contexte, il y a un débat sur la remise en eau des anciens salins : pour certains, l’idéal pour les oiseaux c’est ce qu’il y avait avant, avec une remise en eau de l’ensemble des salins ; les botanistes font remarquer que, avec les salins à sec, une flore intéressante se développe sur les rives. Trois scénarios sont en discussion, avec une partie en eau qui fluctuerait. Il y a aussi une interrogation sur la qualité de l’eau, si elle vient de la Robine.

Le nouvel accès passera par le domaine de "la campagne" (au coeur de l'ancien salin), où sera aménagé l'un des deux parkings.

Le nouvel accès à la plage passera par le domaine de « la campagne » (au coeur de l’ancien salin), où sera aménagé l’un des deux parkings.

La mise en place du projet aboutira aussi à la modification de l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle : celui-ci se fait jusqu’à présent à travers la zone portuaire et les voitures empruntent, en retrait de la plage, une piste de sable damé par les roues, qui arrive jusqu’au grau de la Vieille Nouvelle. Ce non-respect de la loi, qui interdit la circulation motorisée sur les plages (et à plus forte raison dans une réserve naturelle), était jusqu’à présent toléré. A la faveur des aménagements du port, la Région a prévu un nouvel accès par le chemin de halage du canal de la Robine en direction de Sainte-Lucie puis par l’ancien domaine des Salins, appelé « la Campagne », et de là vers l’est jusqu’à la plage. Une voie est prévue pour les voitures, une autre pour les piétons et les cycles. Les véhicules ne circuleront donc plus sur la plage. Un parking de 150 à 180 places, en épis, est prévu le long de la voie d’accès (à partir d’une distance de 500 m de la plage jusqu’à la plage) ; un autre, de 300 à 500 places (selon les documents), est prévu à la Campagne, soit à 1,5 km de la plage. Il faudra marcher, du parking à la plage, au maximum 5 minutes pour le premier parking, 20 minutes pour le second.

Ph.C.

1) Ou plutôt proto-dunaire : il s’agit de dunes en formation.

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Le grau de la Vieille Nouvelle.

Le grau de la Vieille Nouvelle.

Maryse Arditi (Eccla) : « Nous allons nous bagarrer sur les compensations environnementales »

Quelques questions à Maryse Arditi, présidente d’Eccla (Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral audois).

. Pour vous, l’agrandissement de la plate-forme logistique du port est-il justifié ?

. M.A. : « Nous n’y sommes pas opposés. Le port manque d’espace et cela d’autant plus que l’application du Plan de prévention des risques technologiques (plusieurs établissements sont classés Seveso) demande de la place.

Pour nous, ce projet présente l’avantage de prévoir une boucle ferroviaire, qui justifie l’extension. Nous vérifierons que cette boucle se fait bien. Si ce port a quelque prétention d’activité supplémentaire, c’est bien que le transport se fasse autrement que par camion.

Nous savons que les 100 ha sur lesquels va se faire l’agrandissement ont été pris sur ce qui est devenu aujourd’hui la Réserve naturelle régionale, qui avant était les salins. Mais en même temps, le Conservatoire du Littoral a pu acheter un morceau de salins et de plages pour constituer la Réserve naturelle, avec Sainte-Lucie, grâce à la Région qui a rendu cette opération possible (1). A l’époque, en tant que conseillère régionale, j’ai voté pour cette décision.

Il y a 7-8 ans, nous étions très inquiets vis-à-vis de la situation des Salins du Midi, qui possédaient 1 400 ha tout le long du littoral. Ce qui a été acquis par le Conservatoire, c’est toujours ça qui est à l’abri. »

. Que pensez-vous de la modification de l’accès à la plage ?

. « Tant que l’État était en charge du port, il n’a rien dit et a laissé les gens traverser le port jusqu’à la plage. Quand il a transféré la compétence à la Région, il lui a dit « vous êtes responsable en cas de problème ». Il était clair, dès 2007-2008, qu’il fallait interdire l’accès du port.

Comment fait-on ? Les gens ont l’habitude de rouler, sur 4 km de plage, et veulent continuer. On parle de dérogation à la Loi Littoral, mais dans un réserve naturelle c’est inconcevable. La loi (2) n’a jamais été respectée, c’est l’occasion de le faire. La circulation motorisée est contradictoire avec les espaces naturels ; il faut apprendre à les respecter.

Il y a aussi le fait qu’il y a trente ans, on comptait beaucoup moins de véhicules sur la côte qu’aujourd’hui. Maintenant, de La Franqui à Gruissan, il y a des milliers de camping cars ; c’est une sur-fréquentation. Si on veut accueillir dignement les touristes, il faut aménager un peu.

Pour l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle, la Région a prévu un nouveau chemin d’accès. Si les gens voulaient bien se mettre autour d’une table ronde on pourrait trouver une solution à peu près acceptable par tous, mais il n’y a pas moyen de se réunir. Pourquoi pas voir ce qui est possible, par exemple à partir du parking actuel de Sainte-Lucie avec un passage à pied, en vélo, un petit train électrique ? Si les gens veulent une dérogation à la Loi Littoral, avec une bande de roulement et rien d’autre, ce n’est pas la peine de discuter.

Aux Coussoules (La Franqui), le maire a fermé l’accès des véhicules à la plage et ça se passe bien.

Au passage, il faut dire que la Loi Littoral n’a pas rempli son office : la population des cantons littoraux s’accroît davantage, depuis 30 ans, que la moyenne française. La pression sur le littoral est toujours plus forte. »

. Les compensations environnementales prévues par la Région pour compenser l’extension du port vous conviennent-elles ?

. « Ces mesures compensatoires ont été débattues au Comité consultatif de Sainte-Lucie. La Région, conformément au cadre légal, a demandé une dérogation au Conseil national de la protection de la nature pour pouvoir aménager 100 ha d’espaces naturels. Le fait qu’elle ait anticipé a peut-être joué ; la Région a obtenu l’accord du CNPN.

Nous allons nous bagarrer notamment sur deux aspects : ils ont été chercher des compensations dans l’Hérault, au Domaine de Vassal ; c’est loin, il faut faire le plus proche possible ; par ailleurs, si on prend 100 ha, il faut en compenser 200 et qu’il y ait réellement compensation et non pas la prise en compte d’un espace naturel déjà existant.

Et puis, parmi les compensations, il y a le financement de la Réserve régionale naturelle de Sainte-Lucie ; c’est scandaleux, cette réserve existe déjà ; puisque la Région avait décidé de la mettre en place, elle doit la financer, indépendamment du nouveau projet. »

1) La Région Languedoc-Roussillon est l’organisme compétent pour la mise en place de réserves naturelles régionales. Elle contribue largement au financement de celle qui nous préoccupe.

2) Loi du 3/01/1986, article 30.

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Les voitures empruntent actuellement cette piste à l'arrière de la plage.

Les voitures empruntent actuellement cette piste à l’arrière de la plage.

Port-la-Nouvelle Windsurf : pour une piste de sable

Le collectif d’associations (Port-la-Nouvelle Windsurf, l’Association des usagers de Port-la-Nouvelle et une association de Peyriac-de-Mer) réclame, depuis longtemps, avec 6 000 signatures à l’appui, le maintien de l’accès des véhicules motorisés aux plages, à Gruissan, à la Vieille Nouvelle, à La Palme ou encore un peu avant La Franqui. Laurent Bady, président de Port-la-Nouvelle Windsurf, met l’accent sur l’importance de ce secteur du littoral, où le vent est favorable pour ces activités sportives : « on peut naviguer parallèlement à la côte sans risque ».

« Nous demandons », dit-il, « une bande de roulement, autrement dit une piste sur le sable, à 250 m du rivage, balisée, naturelle, avec la possibilité de se croiser et de se garer en épis. Nous ne voulons plus de voitures sur la plage. »

Le projet de la Région, à la Vieille Nouvelle, ne satisfait pas l’association qui craint un manque de places de parking et souligne la concentration des usagers au même endroit : « Nous avons compté 1 100 voitures par jour autour du 10 août, avec 700 voitures de 15 h à 17 h. Avec les 450 places annoncées, cela risque d’être la foire d’empoigne. De plus, sur le chemin de halage de Sainte-Lucie, on ne peut pas se croiser au petit pont. Est-ce que l’on veut dégoûter les gens d’aller sur la plage ? Ce projet concentrera tous les usagers au même endroit : baigneurs, véliplanchistes, kiteurs, alors que jusqu’ici chacun avait son coin. Il y aura, c’est sûr, un accident dans les 15 jours. »

Laurent Bady n’apprécie pas la concertation telle qu’elle a été faite : « Le président du Parc naturel régional de la Narbonnaise, Bernard Devic, nous a rencontrés séparément, les maires, nous, et a remis un rapport à la sous-préfète, mais il n’y a jamais eu de rencontre entre tout le monde. » Il ajoute : « Tous les élus se sont prononcés pour la bande de roulement, Marie-Hélène Fabre, Roland Courteau, André Viola et Eric Andrieu (1). Mais derrière, ça ne bouge pas. Il semble que ce soit le préfet qui tranchera. »

1) Respectivement députée, sénateur, président du Conseil départemental et vice-président de la Région.

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Au grau, un pêcheur.

Au grau, un pêcheur.

Albert Cormary (EELV) : une bande de roulement limitée

Albert Cormary (Europe Écologie les Verts du canton de Sigean) n’est pas opposé à une bande de roulement sur le sable : « Aujourd’hui, les voitures vont n’importe où sur la plage. Une bande de roulement, balisée, pourquoi pas, mais il ne faudrait pas qu’elle aille jusqu’au grau de la Vieille Nouvelle, qui est la partie la plus fragile en terme de biodiversité. La moitié de la distance jusqu’au grau suffirait. On resterait en dehors du milieu dunaire, des sansouïres. »

Il estime par ailleurs qu’un mois pour l’enquête publique c’est trop court et que la période où elle se fait ne permet pas de consulter les estivants, qui sont une partie importante des usagers.

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Mise à jour (17/04/2016) : Vieille Nouvelle, mobilisation massive pour un accès direct à la plage

Le Collectif de la Vieille Nouvelle a réussi son pari en réunissant, samedi 16 avril, entre 600 et 1 000 personnes dans les rues de Port-la-Nouvelle. Les usagers de la plage de la Vieille Nouvelle, sportifs et familles, ont réclamé un accès abordable à la plage, que selon eux les aménagements en cours ne permettent pas. Ils demandent le maintien de la bande de roulement située sur le sable en retrait de la plage (à 250 m du rivage), avec un aménagement de parking en épis qui fermerait l’accès des véhicules sur la plage.

L’État se replie derrière la Loi Littoral (doublée du zonage en réserve naturelle), qui interdit toute circulation de véhicules à moteur sur les plages. A la suite de la manifestation, la sous-préfète de Narbonne, Béatrice Obara, déclare (L’Indépendant du 17/04/2016) : « Nous ne fermons pas la porte à des aménagements. Il existe des propositions comme les modes de circulation douce. » Sans plus de précision.

Le collectif fait valoir qu’il n’y a jamais eu de concertation regroupant, autour d’une même table, toutes les personnes concernées. Concertation qui aurait peut-être permis de réfléchir ensemble à des solutions pratiques conciliant davantage les différents points de vue ? Il est peut-être encore temps.

Nous reproduisons la réflexion d’Albert Cormary, de Sigean, qui, sans se joindre à ceux (ce n’est pas la majorité) « qui veulent pouvoir faire ce qu’ils veulent quand ils veulent comme ils veulent« , « partage à 100 % le sentiment de Nouvellois (et autres) qui estiment qu’on leur vole tout. Le port a vécu en symbiose avec le village pendant des siècles. Depuis 20 ans, c’est un corps étranger. Les salins ont rythmé la vie sociale et le paysage des habitants pendant un siècle et les pouvoir publics l’ont abandonné, en décrétant une réserve naturelle mal née d’un marchandage sur un coin de table. Maintenant, on leur vole la plage en limitant très fortement l’accès. Cerise sur le gâteau pour les écolos, il faudra de très forts arguments pour me faire croire que le dépose minute aménagé sur l’aire de nidification des sternes naines est moins dommageable pour l’avifaune qu’une bande de roulement facilement contrôlable et établie là où il n’y a aucun enjeu en matière environnementale. A ce sujet, les écolo-technocrates responsables du truc devraient relire attentivement le DOCOB du Natura 2000…« 

Quant aux solutions pratiques : « Si ce n’était qu’une problématique de gens accros à la voiture, il n’y aurait pas tant de passions. Le problème vient de ce que l’on est dans le paysage du sensible. C’est un aspect qu’ignorent les tenants de la fermeture totale et qui pourtant devrait interpeller les écologistes. Un « responsable » avait proposé d’y faire rouler des petits trains pour amener les usagers à pied d’œuvre. Cela a été reçu comme une gifle de plus : on veut transformer notre plage en parc d’attraction ! Quant aux déplacements doux, on ne voit pas très bien ce que cela peut être. Rouler en vélo, ceux qui en parlent devraient essayer, histoire de nous faire rigoler ! Des calèches ? On revient au petit train…« 

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Mise à jour (02/06/2016) : Vieille Nouvelle, quel accès ?

Le débat organisé le 31 mai par Eccla à Narbonne a permis l’échange de points de vue sur l’accès à la plage de la Vieille Nouvelle. Les usagers estiment ne pas avoir été suffisamment consultés sur ce sujet.

La carte des nouveaux accès à la plage de la Vieille Nouvelle.

La carte des nouveaux accès à la plage de la Vieille Nouvelle.

En organisant, le 31 mai au Palais du Travail, une conférence-débat sur la circulation motorisée dans les espaces naturels, l’association Eccla (Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois) savait qu’elle touchait un point sensible. Pour l’association, il s’agissait d’expliquer la réglementation et de sensibiliser les participants à la protection des espaces naturels.

Mais en organisant cette soirée, Eccla a, sans que cela soit son objectif premier, joué le rôle de facilitateur de débat, que les pouvoirs publics, à qui il incombe, n’ont pas joué pleinement, de l’avis de nombreux interlocuteurs.

Une évidence a d’abord été mise en avant : comme l’a expliqué Stéphane Defos (DDTM), la loi Littoral (03/01/1986) interdit toute circulation de véhicules à moteur dans les espaces naturels, y compris sur des chemins aménagés et a fortiori en hors piste. De ce fait, aucune dérogation n’est possible dans les espaces naturels littoraux.

Alain Perea, directeur du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise, a ensuite expliqué l’historique de la gestion administrative du dossier de la Vieille Nouvelle : en juillet 2013, dit-il, la sous-préfète de Narbonne a réuni les maires concernés et les représentants du Parc et a exposé la nécessité impérative d’appliquer la loi Littoral, ce qui mettait fin à la tolérance observée depuis près de trente ans à la Vieille Nouvelle : rappelons que les usagers, pour y accéder, utilisaient en toute illégalité la seule voie possible, par la zone portuaire puis par la piste de sable en retrait de la plage.

Lors de cette réunion, la sous-préfète avait chargé le Parc d’étudier les diverses possibilités d’aménager un nouvel accès, compatible avec la loi.

On peut concevoir différents types d’accès aux plages du littoral audois, dit Alain Perea. Il y a des plages proches d’une route, en accès de type urbain, comme la plage sud de Port-la-Nouvelle ou Narbonne-Plage ; il y a des plages qui peuvent satisfaire un public familial qui accepte de marcher un peu, comme la falaise de Leucate ou les Coussoules après l’aménagement qui a été réalisé ; « à la Vieille Nouvelle, il faudrait que l’accès soit plus difficile pour avoir moins de monde » et orienter plutôt l’utilisation vers les sportifs amoureux d’espaces sauvages. A Gruissan, dit-il aussi, « la loi dirait de fermer la plage au niveau du camping : nous étudions la solution de chemins d’accès. »

A la Vieille Nouvelle, dans le cadre de l’aménagement du port de La Nouvelle, c’est la Région qui a défini les nouveaux accès, dont un en voiture (les travaux sont en cours). Celui-ci prévoit un parking de 680 places, la majorité près de l’ancien domaine des Salins (« La Campagne »), le reste (180) en épis le long d’une voie entre ce domaine et la plage. Ce qui demandera de marcher entre 5 et 20 minutes pour arriver à la plage.

La carte éditée par le Conservatoire du Littoral (voir plus haut) montre les accès projetés : par la Campagne (en voiture), par le parking des Salins (à pied et en vélo), par la Maison éclusière (à pied et en vélo).

Le Collectif Vieille Nouvelle a exprimé, à de nombreuses reprises, son inquiétude sur la capacité de parking, qu’il juge insuffisante ; et il souligne la difficulté pour les amateurs de glisse équipés de matériel lourd de le transporter sur une longue distance.

D’autres, comme les pêcheurs, font remarquer que l’accès au grau de la Vieille Nouvelle demandera un long parcours à pied (3 km).

Le débat a porté aussi sur la fragilité de cette zone classée en réserve naturelle. « Dans la bande située à 400 m de la mer » (aux abords de la bande de roulement sur le sable), dit Dominique Clément, naturaliste ornithologue, « c’est là qu’est située toute la biodiversité, les oiseaux, les insectes, les plantes ; les parkings sont situés en dehors de cette zone naturelle. »

Selon Matthieu Delabie, délégué de rivages au Conservatoire du Littoral, « il est encore possible de discuter, de trouver de la souplesse dans l’utilisation du parking ».

Maryse Arditi, présidente d’Eccla, rappelle la proposition de l’association d’une passerelle partant du parking des Salins. Ce pourrait être une passerelle en bois suspendue au-dessus du sol, permettant le roulement de cycles, poussettes et autres caddies.

Le nouvel accès par La Campagne doit ouvrir début juillet. L’usage montrera si les craintes quant à la difficulté d’accès sont fondées ou non. Si c’était le cas, espérons que les autorités auront à cœur d’étudier les éventuelles solutions pour améliorer la situation.

Ph.C.

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Eccla, EELV, des observations sur l’enquête publique

L’enquête publique du projet d’agrandissement du port de Port-la-Nouvelle (partie terrestre) est désormais terminée (mise à jour, 23/05/2015). Eccla et EELV, parmi d’autres, ont formulé des observations sur ce dossier. En voici les grandes lignes (lien vers les documents complets plus bas) :

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Eccla : questions sur les compensations environnementales

L’association souligne d’abord ce qu’elle estime être une incohérence : l’extension du port à terre comporte deux parties, la plate-forme nord (extension de l’actuelle zone d’entrepôts, près de la mer et de la future extension du port en mer) et la zone logistique, plus à l’intérieur ; le dossier du maître d’ouvrage (la Région) prévoit de réaliser d’abord la première, liée à l’accueil du nouvel avant-port ; pour Eccla, c’est la seconde qui répond pourtant à des besoins plus immédiats (manque de place sur la zone actuelle, raccordement à la voie ferrée).

Par ailleurs, Eccla fait remarquer que le Contrat de Plan État-Région ne prévoit aucun financement pour le port de Port-la-Nouvelle dans les cinq ans à venir, alors qu’il prévoit 10 M€ pour l’intermodalité ferroviaire, dont la réalisation est pourtant prévue ultérieurement à celle du grand port…

Un autre point important est la réalisation d’un mur de soutènement sur la frange littorale de la plate-forme nord, avec pour but de protéger la zone des submersions marines. Eccla fait remarquer que, du fait de l’érosion régulière du littoral, le mur serait au bord de l’eau dans moins d’un siècle : « Dans ces conditions il ne paraît pas raisonnable d’installer une structure en dur dans une telle zone et surtout si près de la mer. »

Pour l’accès à la plage, Eccla propose un deuxième accès (en plus de celui par La Campagne) : Il s’agirait d’une passerelle en bois à partir de l’actuel parking proche de la maison éclusière de Sainte-Lucie. Il permettrait de découvrir les salins sans dégrader le milieu et d’arriver en un autre point de la plage.

Concernant les compensations environnementales, Eccla note que le dossier ne prévoit « quasiment pas d’évitement d’impact, juste un peu de réduction durant la phase chantier et quasiment tout en compensation, ce qui n’est pas vraiment l’esprit ERC » (« Éviter, réduire, compenser », loi du 10/07/1976).

Quant aux compensations, qui sont prévues en partie sur la réserve naturelle de Sainte-Lucie et, en majeure partie, sur le lido de Sète-Marseillan, Eccla souligne leur incohérence : d’une part parce que la Réserve régionale de Sainte-Lucie est déjà protégée foncièrement et réglementairement ; d’autre part parce que le lido de Sète est très éloigné du projet alors que d’autres sites plus proches auraient pu être choisis. Eccla y voit des raisons très éloignées des préoccupations environnementales et de l’idée de compensation : « lorsqu’on regarde de près le choix du lido de Sète, on comprend vite que la facilité a pesé lourd : un seul propriétaire prêt à vendre et un organisme, le Conservatoire du Littoral, prêt à en prendre la responsabilité et souhaitant fortement ce rachat. »

L’association pose des questions quand aux réalisations prévues sur l’île Sainte-Lucie : Pourquoi le plan de gestion, qui aurait dû être terminé fin 2013, n’est toujours pas en place ? Pourquoi choisir le canal de la Robine (pollutions au cadmium et au PCB, entre autres) pour la mise en eau des salins plutôt que l’étang de l’Ayrolles ? Le troisième point concerne la suppression de la circulation motorisée : le projet a-t-il été bien dimensionné (parkings, accès par le chemin de halage) ? Eccla demande que cette maîtrise de la circulation automobile soit réalisée dès avant les travaux et qu’une étude d’impact soit menée à l’issue de la première saison estivale.

Dans ses conclusions, Eccla interroge : « Si le port ne se fait pas, la Région tiendra-t-elle ses engagements envers la réserve régionale qu’elle a elle-même créée ?' ».

Lien vers le document d’Eccla

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EELV : « de graves irrégularités » en termes de concertation

Le groupe local du Narbonnais d’EELV soulève « de graves irrégularités » dans le déroulement de l’enquête publique qui, selon lui, sont des motifs d’annulation de l’enquête : absence de concertation de la Région avec les usagers, contrairement à son engagement et en opposition avec le Code de l’environnement et l’esprit du « Débat public ».

EELV estime que le projet ne prend pas suffisamment en compte les effets du changement climatique, en particulier par rapport à l’élévation du niveau de la mer et la réalisation d’un ouvrage de soutènement le long de la plate-forme nord, ce qui devrait amener à rechercher des solutions d’évitement, voire de repli pour une partie de cette plate-forme ; cela permettrait en même temps d’épargner pour l’instant les habitats qui sont dans le meilleur état écologique, estime le document.

Comme Eccla, EELV est critique vis-à-vis des compensations environnementales et les juge même « insuffisantes, inappropriées et en contradiction avec les recommandations de l’Agence de l’Eau » (le lido se Sète-Marseillan n’étant pas dans le même bassin versant que le projet).

EELV souligne l’important impact social, sanitaire et sociétal du projet : flux de véhicules lié aux travaux ; risques technologiques minimisés ; concentration humaine du fait du nouvel accès à la plage ; gestion des eaux de ruissellement ; pollution du chantier (plastiques, remblaiements).

En conclusion, EELV estime le dossier fragile et suggère une légèreté du maître d’ouvrage dans ses décisions.

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Le document d’EELV : Observations EELV enquête publique PLN

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Un pêcheur à pied, dans l'étang de l'Ayrolle.

Un pêcheur à pied, dans l’étang de l’Ayrolle.

Aux Coussoules (La Franqui), l'accès a été fermé aux véhicules.

Aux Coussoules (La Franqui), l’accès a été fermé aux véhicules.

Airbus/migrants : toutes les vies ne se valent pas

L’information a des partis pris qui vont parfois très loin. Le traitement par France 3 (il n’y a sans doute pas beaucoup de différence avec ce que font les autres chaînes de télévision) de deux drames l’illustre :

Le 24 mars, un Airbus A320 de la compagnie Germanwings s’écrasait dans les Alpes-de-Haute-Provence. Bilan : 150 morts.

Le 12 avril, le naufrage d’un bateau au large des côtes italiennes a coûté la vie à environ 400 Africains, qui tentaient de rejoindre l’Europe. Ce naufrage semble le plus coûteux en vies humaines de ces dernières années (le 2 octobre 2013, près de Lampedusa, un semblable naufrage avait coûté la vie à 336 personnes).

Comment France 3 a-t-elle traité ces deux événements ?

Pour l’accident de l’Airbus, le 24 mars au journal de 12 h 30, un reportage de 10 minutes (sur les 28 minutes du journal). Puis, pour ne prendre que les journaux du soir (19/20), le même jour 24 mars une édition spéciale de 21 minutes, le 25 mars un reportage de 13 minutes, le 26 mars 11 minutes, le 27 mars 11 minutes, le 28 mars 7 minutes. Et puis il y a eu le 2e tour des élections départementales.

Pour le naufrage d’un bateau d’immigrants, ce 15 avril (première évocation de cet événement, qui a eu lieu trois jours auparavant) au journal de 12 h 30, un reportage de 1 minute 58 secondes, qui vient, dans l’ordre de diffusion des informations, après quatre autres reportages allant de 1 minute 30 à 2 minutes 08 sur le beau temps, une attaque de loups sur un troupeau de brebis, un enfant disparu et le procès des assassins d’un bijoutier à Cannes. Quelle hiérarchie de l’information !

Puis, au journal du soir (19/20), le 15 avril, un sujet de 6 minutes 30. Le 16 avril plus rien, c’est fini, le drame est oublié.

Au sujet de l’accident de l’Airbus, nous avons eu droit à de grands développements sur les recherches, les circonstances de l’accident, la peine des familles, la présence dans l’avion de personnalités (du monde de l’opéra), les causes techniques, la fiabilité de l’Airbus, le scénario de l’accident, la personnalité et le comportement du pilote (qui, selon l’enquête, a volontairement écrasé l’appareil), les réactions des chefs d’État, les indemnisations par les assurances…

Pour le drame en mer, pas de grandes précisions sur les circonstances de l’accident ; les familles on ne les connaît pas ; le comportement des passeurs, que l’on peut qualifier de naufrageurs, à peine évoqué. Et puis il est vrai qu’il n’y avait pas de personnalités sur le bateau (rien que des anonymes) ; la fiabilité du bateau il n’en a aucune bien sûr, surtout surchargé ; les chefs d’État, aucune réaction ; pas d’assurance non plus.

Ce naufrage, même s’il est particulièrement meurtrier, n’est pas une exception. Ces deux derniers jours, les garde-côtes italiens ont porté secours à 42 bateaux chargés au total de plus de 6 500 migrants. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 3 500 personnes seraient mortes noyées en 2014 en tentant d’entrer dans l’Union européenne.

Mais ce n’est pas un sujet pour la télévision française. Donc, n’en parlons plus.

Ph.C.

N.B. : Après cet article, le naufrage du 19 avril, qui a coûté la vie à 700 migrants, a rappelé, malheureusement, la réalité de ce sujet.

Conseils citoyens : mise en place laborieuse

Une habitude difficile à perdre : décider d’en haut

Ces lignes sont une actualisation de l’article « Quartiers prioritaires » : après « Charlie », allons-nous enfin vivre ensemble ?

Depuis cet article, publié le 8 février, peu de choses ont évolué jusqu’à la tenue, les 7, 8 et 10 avril, de réunions publiques, dans chacun des trois quartiers « politique de la ville » de Narbonne, destinées à boucler la composition des conseils citoyens (appelés à Narbonne « Forums citoyens », voir ci-dessous).

Alors qu’elle avait entamé un travail préparatoire avec les associations de quartier, la communauté de communes du Grand Narbonne, de façon étonnante, n’y a pas donné suite.

Récemment, les services de l’État, de l’agglo et de la ville ont procédé à un tirage au sort, d’après la liste électorale, des habitants destinés à siéger aux forums citoyens. Ils ont aussi fait appel aux habitants volontaires.

Lors de la réunion du quartier Narbonne Ouest, le 10 avril à la Maison des Services de Saint-Jean/Saint-Pierre, les représentants du sous-préfet, de l’agglo et de la ville ont expliqué la procédure : 30 citoyens et 30 citoyennes ont été tirés au sort sur liste électorale. Mais, à la date de la réunion, seuls deux ou trois avaient répondu à la sollicitation et aucun n’était présent à la réunion. Pour compléter la liste, les personnes volontaires ont été invitées à se manifester. Elles aussi seront tirées au sort. Il doit y avoir au total (entre personnes tirées au sort sur liste électorale et volontaires tirés au sort) 10 représentants des habitants. Se joindront à eux 5 représentants des « acteurs » du quartier (associations, commerçants, etc.), eux aussi tirés au sort.

Une mise en place difficile donc. Le débat, à la Maison de Services, a mis en évidence les réticences des habitants du quartier (une quarantaine de présents dont un certain nombre de représentants associatifs).

D’abord, la confusion entre « conseils citoyens » et « forums citoyens » a semé le trouble : la municipalité s’étant approprié le nom de « conseils citoyens » pour ses anciens conseils de quartier, les autorités ont décidé que les conseils citoyens « politique de la ville » s’appelleraient « forums citoyens » à Narbonne alors que partout ailleurs on parle de conseils citoyens.

La question de fond – à quoi vont servir les forums citoyens ? – a occupé une importante partie de la soirée. Le forum, explique la présentation qui a été faite, est une assemblée qui doit participer à la « co-construction » du Contrat de ville. Celui-ci, financé par l’État, l’agglo, la commune mais aussi des organismes comme la Caf, s’organise en quatre axes : emploi et développement économique ; cadre de vie et renouvellement urbain ; cohésion sociale ; valeurs républicaines et citoyenneté. Chacun des trois forums citoyens de Narbonne devra, avant le mois de juin, donner son avis sur les projets du Contrat de ville… dont les orientations ont déjà été tracées par les institutions. On voit que ça commence mal : en fait de co-construction, les forums devront se prononcer sur un mécanisme déjà en route, auquel ils n’ont pas contribué. Le temps de se mettre en place ils auront d’ailleurs très peu de temps pour approfondir le sujet.

Plusieurs des participants ont critiqué la procédure de mise en place des forums, avec des délais trop courts et sans réelle concertation avec les associations de quartier. Ils font remarquer que, dans les quartiers prioritaires, de nombreux habitants ne sont pas inscrits sur les listes électorales. « Les associations vous avaient proposé à l’automne de participer à l’organisation des conseils », dit Samir Boumediene, membre du collectif des associations. « Nous vous avons proposé d’aller ensemble à la rencontre des habitants ; pourquoi vous êtes-vous privés de cette aide ? »

Ils sont par ailleurs sceptiques sur le caractère consultatif de l’avis des forums : cet avis sera-t-il vraiment pris en compte ?

Le secrétaire général de la sous-préfecture, Cédric Bouet, s’est pour sa part interrogé sur la représentativité des forums par rapport à l’ensemble des habitants du quartier. Il est vrai (même si M. Bouet ne l’a pas exprimé ainsi) que le système en soi pose problème : comment 15 personnes, en partie tirées au sort, en partie volontaires, peuvent-elles représenter tout un quartier ? Rien dans l’esprit des forums-conseils citoyens ne prévoit une large consultation du quartier, même si rien ne l’interdit.

Il y avait un moyen d’avoir une certaine représentativité des quartiers : associer étroitement les associations existantes à la mise en place des forums-conseils citoyens. Ces associations sont nées de ces quartiers et elles en sont une émanation vivante même si elles ne prétendent pas en être les représentantes exclusives.

Ph.C.

Le magazine Friture Mag publie, le 18 mai, un article du Collectif (national) Pas Sans Nous intitulé : « Vive inquiétude sur la mise en place des conseils citoyens ». Lire l’article.

Lire sur Eclairages Publics un article plus récent sur ce sujet (19/10/2016) : « Conseils citoyens politique de la ville : nouveau départ ? ».

Béziers. L’espoir des Roms : devenir des pauvres comme les autres

Leur expulsion est programmée pour le 14 avril. Près de Béziers, sept familles roumaines, 38 personnes en tout, squattent un ensemble de bâtiments, l’espace « Brault ». En l’absence de perspective de relogement, ils attendent, découragés. Pour ces familles, l’expulsion signifierait la fin de cinq années de stabilité relative. Elle remettrait aussi en cause le travail de l’ABCR (1), qui accompagne la scolarisation des enfants.

L'ABCR accompagne depuis longtemps les familles roumaines de l'espace Brault.

L’ABCR accompagne depuis longtemps les familles roumaines de l’espace Brault.

Pensant que la misère serait moins dure chez nous qu’en Roumanie, ces Roumains sont venus en France. Citoyens européens, ils espéraient dans cette nouvelle Europe. Ici, toutefois, rien n’est évident pour eux. Se loger, trouver du travail sont des objectifs très difficiles à réaliser voire inaccessibles.

Il y a plusieurs groupes de Roumains ou de citoyens de l’ex-Yougoslavie, à Béziers. Leur histoire est faite de tentatives d’implantation et d’expulsions, de Mercorent (route de Bédarieux) et de Cantagal (route de Pézenas) vers un site du côté de Servian puis à Bayssan.

Les familles actuellement installées à la maison Brault (route de Narbonne) ont vécu à Bayssan de 2009 à 2013. Puis, en août 2013, le site de Bayssan a été évacué et elles ont atterri « chez » Brault, un ancien domaine désaffecté. Un squat, forcément illégal. Le tribunal a ordonné l’expulsion sous deux mois en avril 2014 ; elle n’a pas été exécutée, puis est arrivée la trêve hivernale, jusqu’au 31 mars 2015. A la fin de celle-ci, la police a informé les Roumains qu’ils devraient quitter les lieux avant le 14 avril.

Le logement, première nécessité

A partir de l’évacuation, où aller ? Trouver un autre squat, au risque de se faire expulser immédiatement ? Lors de l’occupation de locaux, les autorités peuvent intervenir dans les 48 heures ; au-delà, il faut un jugement d’expulsion.

Ces familles avaient des caravanes, à Bayssan : une partie a été détruite lors de l’expulsion ; les autres, vétustes, se sont avérées impossibles à déplacer.

Par ailleurs, les aires pour les gens du voyage sont réservées aux gens, avec caravane, en situation régulière et se déplaçant régulièrement.

En cas d’expulsion d’un squat, le préfet doit accorder trois jours d’hébergement en hôtel. Et après rien.

« Si nous partons d’ici », dit Robert, un père de famille, « où irons-nous ? Et puis les enfants ne pourront plus aller à l’école, où ils connaissent les maîtresses, où ils se sont fait des copains. »

Chez Brault, bien sûr il n’y a pas l’eau, ni l’électricité, mais au moins de quoi s’abriter. L’eau, ils la prennent où ils la trouvent (ce qui pose des problèmes de potabilité) et la charrient avec des bidons.

Pas d'eau. Pas d'électricité. Pas de toilettes. Pas de ramassage des ordures . Béziers 2008 (Photo Geneviève Laffitte).

Ici comme « chez Brault » : Pas d’eau. Pas d’électricité. Pas de toilettes. Pas de ramassage des ordures. Béziers 2009 (Photo Geneviève Laffitte).

L’un des gros problèmes, chez Brault, ce sont les rats. Ils pullulent et récemment deux enfants en bas âge ont été mordus et ont dû être amenés à l’hôpital. Ce qui attire les rats, ce sont les tas de déchets à l’entrée du site : Quand on occupe illégalement un lieu, les maires refusent souvent, et c’est le cas à Béziers, le ramassage des ordures ménagères, au mépris de la santé publique. L’ABCR (Association biterroise contre le racisme), qui accompagne ces familles, a demandé que le ramassage soit effectué ou qu’un container soit mis à disposition pour les ordures et aussi pour les déchets du travail de ferraillage ; en vain. « Quand il faut nous évacuer, ils arrivent à trouver les camions et la pelleteuse… » Impossible, aussi, pour les Roumains d’apporter eux-mêmes les ordures à la déchetterie : ils sont interdits d’entrée.

Voulons-nous vraiment qu’ils s’intègrent ?

Avec le logement, le travail est un élément clef de l’intégration. Maintenant que la réglementation transitoire les concernant est terminée, les Roumains, comme les autres citoyens européens, peuvent venir en France sans visa pour une durée de trois mois. Au-delà, ils doivent justifier de moyens de subsistance suffisants. Ils peuvent aussi être expulsés si l’on estime qu’ils constituent une menace pour l’ordre public.

« Quand un Allemand ou un Britannique se trouve en France et qu’il a moins que le Smic, on ne le renvoie pas dans son pays », dit Hélène Fargier, de l’ABCR. Les Roumains, eux, doivent justifier de leurs revenus.

Des revenus difficiles à trouver. Dans le groupe de chez Brault, toutes les personnes en âge de travailler se sont inscrites à Pôle Emploi. « J’ai parcouru tous les domaines agricoles ; quand on voit que je suis Roumain on ne veut pas me donner du travail », dit Robert. Et pour suivre une formation il faut lire et écrire le français couramment.

Ces Roumains sont originaires du milieu rural et connaissent le travail de la terre ou de la forêt. « Si j’avais un jardin, cela nous suffirait à manger », dit l’un d’eux. Mais impensable de trouver un lopin de terre. « Les gens ont peur de nous. Il y a eu un article dans Midi Libre qui disait que nous mangions les chats… »

Récupération. Le tri reste à faire. Béziers, 2008 (Photo Geneviève Laffitte).

Récupération. Le tri reste à faire. Béziers, 2008 (Photo Geneviève Laffitte).

Il y aurait par contre un domaine où ils pourraient trouver leur place : la ferraille. Les Roumains connaissent bien ce métier. Ils le pratiquent un peu, dans l’illégalité par force : « Je risque la prison et j’en ai marre de la ferraille, mais je n’ai pas le choix », dit Robert. Les déchetteries leur reprochent d’emporter la ferraille illégalement. Pour la revendre aux récupérateurs après avoir séparé les métaux et les avoir triés, il faut avoir un compte en banque (pour éviter le « noir »). Il y a des Marocains, qui viennent acheter la ferraille et l’écoulent par un circuit en Espagne, mais ils paient mal.

(Photo Dominique Le Flem)

(Photo Dominique Le Flem)

Pour pratiquer la ferraille dans les normes, il faudrait avoir un statut d’auto-entrepreneur. Donc justifier d’un certain chiffre d’affaires, ce qui est difficile : certains ont essayé de démarcher les entreprises pour récupérer leur ferraille ; ils n’ont pas réussi à dégager une activité suffisante. Les communes ou les communautés d’agglomération refusent aux Roumains d’emporter la ferraille pour la trier ; ils travaillent avec les grandes sociétés de récupération. Il suffirait pourtant de trouver un accord avec les collectivités locales pour permettre à quelques familles de vivre : « Nous ne sommes pas nombreux, nous n’avons pas besoin de grand-chose. » Un travail régulier permettrait de régulariser leur séjour.

C’est ce qu’a réussi à faire une famille installée dans le centre-ville. Avec cinq ans de présence en France, les enfants scolarisés depuis trois ans, ils ont accédé aux droits sociaux (Allocations familiales, APL, en attendant l’éventuel RSA) et ne sont plus expulsables. Ils ont obtenu un appartement. « Ils deviennent des pauvres comme les autres », dit Hélène Fargier. Une promotion que les Roumains de chez Brault ont du mal à imaginer.

Bientôt l’expulsion… et le retour dans la jungle ?

Si l’expulsion a lieu, dans quelques jours, la scolarisation des enfants risque d’être remise en cause. C’est le cas pour les Roumains de chez Brault ; c’est aussi le cas pour trois familles dans un squat du centre-ville et cinq familles en hôtel social, qui toutes risquent de se retrouver à la rue pour cause de fin de trêve hivernale. Au total, l’ABCR accompagne la scolarisation de 34 enfants. Cette scolarisation n’est possible que lorsque les familles sont stables, avec un logement.

Nabila et Sara ("Chez Brault").

Ana et Sara (« Chez Brault »).

C’est dans la scolarisation que l’ABCR met (mettait?) tous les espoirs : on en est arrivés à la deuxième génération d’enfants scolarisés ; les jeunes mères, qui sont passées par l’école, ne rechignent pas à scolariser leurs propres enfants, ce qui était moins évident pour la génération précédente. Une jeune femme de 20 ans est actuellement en lycée professionnel et espère devenir caissière dans la distribution. Le bout du tunnel… Daniel, 13 ans, en 5e, est lui aussi déterminé à poursuivre sa scolarité.

Pour s’intégrer, il faut du temps. Mais il y a beaucoup d’embûches.

« S’ils sont à la rue, il sera difficile de leur demander d’envoyer les enfants à l’école », dit Hélène Fargier. Face à l’attente de l’évacuation, « les familles sont brisées, assommées. Nous aussi, un peu. Nous ne voyons pas la solution ; aller leur dire notre solidarité, notre rage, ça va bien un peu… Maintenant, va commencer la déshérence. Selon eux c’est moins pire qu’en Roumanie ; ils risquent d’ailleurs d’y être renvoyés, pour ressources insuffisantes. Ils vont peut-être rejoindre des camps plus importants, à Montpellier par exemple, où rien n’a été fait pour les accompagner, là c’est le retour dans la jungle. Ils vont peut-être trouver un endroit à squatter… Qui sait ? »

Ph.C.

1) ABCR : Association Biterroise Contre le Racisme.

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ABCR : 25 ans d’aide aux migrants

L’Association biterroise d’aide contre le racisme est née il y a 25 ans, à partir d’une bande de copains, avec l’objectif de venir en aide aux migrants, sur l’idée notamment de « libre circulation et libre installation ». L’un des éléments déclencheurs a été la grève de la faim de 55 travailleurs turcs du bâtiment, dans l’église de La Devèze, qui avait abouti à la régularisation de 10 d’entre eux.

L’ABCR a structuré sa démarche autour de plusieurs actions : alphabétisation, atelier d’écriture, aide juridique, boîte aux lettres, soutien à la scolarisation.

Nadia Chaumont, bénévole au début, a ensuite été salariée à mi-temps puis à plein temps.

L’alphabétisation s’adressait surtout à des femmes, marocaines en majorité, généralement sans papiers, avec les enfants à la maison et ne cherchant pas à travailler, ne correspondant donc pas aux critères d’admission dans les organismes de formation. Leur but était avant tout de devenir autonomes dans la vie quotidienne. Un financement du Fonds d’action sociale (aujourd’hui disparu) permettait d’avoir un peu de matériel. Les cours étaient assurés par des bénévoles et Nadia assurait la coordination pédagogique et la préparation des supports pédagogiques.

L’Atelier d’écriture, assuré par 35 bénévoles et Nadia, a concerné des personnes de 18 nationalités différentes, avec un financement de la Sécurité sociale. Puis pour continuer à être financés, il fallait que les participants aient un projet professionnel, qu’ils donnent leur nom… Fin de l’atelier.

L’aide juridique (accès aux droits, droits sociaux, santé, dossier retraite…) est assurée, bénévolement, par François Muselet, juriste. Il y avait autrefois des permanences à la CPAM et à la Caf pour les gens qui ne parlent pas français ; aujourd’hui, plus aucun guichet n’assure ce service social.

La préparation du repas (Photo Geneviève Laffitte).

La préparation du repas. Béziers, 2009 (Photo Geneviève Laffitte).

Le service de domiciliation postale est utilisé par environ 250 personnes. Il devrait être assuré par l’Association biterroise entraide solidarité (Abes), qui refuse de le faire sauf pour la santé (dossiers de l’aide médicale d’État). Sans adresse, comment inscrire un enfant à l’école, établir des papiers, une carte grise ou une assurance auto, demander un titre de séjour…

La sous-préfecture a récemment estimé que l’ABCR ne pouvait être agréée par rendre ce service, ce qui va poser problème.

Scolarisation : il a fallu traîner le maire en justice

L’aide à la scolarisation a commencé en 2005 : une maman est venue à l’ABCR, expliquant que la mairie ne voulait pas inscrire son enfant à l’école (après enquête, il s’est avéré que 35 enfants étaient concernés). Motif : elle habitait un cabanon au bord de l’Orb, route de Maraussan, sur un terrain acheté mais non constructible et en zone inondable (le vendeur avait peut-être oublié de préciser ces détails) ; donc la mairie estimait que ces familles n’avaient pas d’adresse valable, « n’étaient pas destinées à rester sur la commune » et qu’il n’y avait pas lieu de scolariser les enfants. Il a fallu, avec la Cimade, aller au tribunal, qui a contraint le maire, Raymond Couderc (UMP), à inscrire les enfants (après appel, il a définitivement perdu en Conseil d’État).

L’inscription des enfants à l’école a été facilitée par la situation d’une classe de l’École des Romarins (La Devèze), menacée de fermeture : il y avait donc de la place pour une partie d’entre eux. Les instituteurs et le directeur de l’école ont joué le jeu, y compris pour du soutien scolaire.

Au début les adhérents de l’association ont transporté bénévolement les enfants sur le trajet domicile-école (20 voitures deux fois par jour pendant un mois et demi). Puis un bus a été obtenu avec l’aide du Conseil général, qui a aussi mis en œuvre l’aide à la cantine.

Administrativement, l’inscription à l’école n’est pas toujours simple : il faut présenter un acte de naissance, un justificatif de domicile, faire faire les vaccins obligatoires… Autant de travail d’accompagnement pour l’ABCR.

L’association s’interroge sur l’avenir. Les baisses de subventions en 2014 (État, Région, Agglo ; de la mairie, pas de problème, il n’y en a jamais eu) ont amené l’ABCR à annuler sa Semaine d’éducation contre le racisme. A l’avenir, elle se demande s’il ne faudra pas supprimer le poste de sa salariée.

Les élections départementales risquent aussi d’avoir des conséquences avec l’élection, dans trois cantons de Béziers, des candidats Front National. L’ABCR a jusqu’ici travaillé en relation étroite avec le Conseil général. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?

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Jean-Michel du Plaa : « Petit à petit, nous sommes arrivés à construire quelque chose »

Élu municipal d’opposition (PS) à Béziers, ancien conseiller général battu aux récentes élections départementales, Jean-Michel du Plaa explique comment, avec le Conseil général, il a appuyé l’action, de l’ABCR et d’autres associations, auprès des populations immigrées.

« Le Conseil général », dit-il, « applique la loi, plus précisément le Code d’action sociale, en direction des familles qui ont des enfants de moins de trois ans et qui sont dans le besoin. A ce titre, à Béziers, nous avons mis en place trois actions : »

« La plus importante, l’appui à la scolarisation. Les enfants ont été scolarisés à La Devèze parce qu’il y avait dans ce quartier les trois niveaux : maternelle, primaire, collège, que cela facilitait le regroupement pour le transport, et aussi parce que ce quartier bénéficiait du dispositif Rep +, avec donc des classes adaptées et des enseignants formés. »

« Nous avons mis en place un minibus matin et soir, ce qui a contribué à une meilleure assiduité des enfants à l’école. Ce système a fonctionné cinq ans et il y a aujourd’hui des enfants qui ont atteint la 4e et la 3e. On a remarqué un effet de socialisation des enfants, d’évolution des comportements, avec des progrès considérables. »

« Deuxième action, le suivi médico-social par la Protection Maternelle et Infantile, avec un financement de l’Agence de la Solidarité du Conseil général (vaccinations, suivi des mères enceintes…). »

« La troisième action concernait les demandes d’aides de personnes étrangères ayant des enfants de moins de trois ans, privées de ressources, sans titre de séjour (pas uniquement des familles roms). Nous avons simplifié la procédure pour aboutir à verser une aide équivalente aux allocations familiales ; en contrepartie, il y avait un travail régulier avec un travailleur social. On a pensé que ce dispositif risquait de créer un appel d’air, en fait le nombre de familles suivies est resté stable. »

« Nous avions aussi travaillé pendant deux ans avec les services de l’État pour créer un espace de transition pour héberger un certain nombre de familles selon des critères permettant d’envisager d’aller vers l’intégration. Les services de l’État se sont aperçu, au bout de deux ans, que la Loi littoral interdisait d’utiliser ce terrain. On aurait pu s’en rendre compte plus tôt. »

Absent désormais du Conseil départemental, pensez-vous que ces dispositifs peuvent être menacés ?

« Il faut voir cela avec le nouveau Conseil départemental mais il n’y a pas de raison qu’il ne poursuive pas ce qui est en place. »

« Le suivi médico-social, c’est régi par le Code d’action sociale ; pas de problème. »

« L’aide à la scolarisation est ce qui nous a demandé le plus d’implication. Le président du Conseil général l’avait approuvée ; cela a permis de reconnaître le travail des associations ; il y a eu une bonne coopération avec l’Inspection d’Académie et tout ça s’est fait en liaison avec l’État, au niveau de la Direction de la Cohésion sociale et du sous-préfet. Ceci dit, quand le sous-préfet a dit : il faut évacuer, nous avons dit : il faut respecter l’esprit de la circulaire du Premier Ministre. A Béziers, c’est devenu plus compliqué. »

J.-M. du Plaa conclut : « Jusqu’ici à Béziers, où les populations immigrées sont moins nombreuses qu’à Montpellier, nous sommes petit à petit arrivés à construire quelque chose. »

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Tout sauf une invasion

L’arrivée de Roumains en France n’a pas de quoi déstabiliser ni notre économie, ni notre marché du travail ni l’organisation de notre société.

En 2012, 229 600 étrangers sont rentrés en France. Parmi eux, 7 000 Roumains, soit 3 %. Près de la moitié des entrants sont originaires de cinq pays de l’Union européenne : Portugal, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Allemagne.

En France, les étrangers représentent 6,2 % de la population (6,0 % de la population active), soit un taux inférieur à celui du Royaume-Uni (7,7%), de l’Italie (7,4%), de l’Allemagne (9,4%) et de l’Espagne (10,9%).

(source Insee)

(Photo Dominique Le Flem)

(Photo Dominique Le Flem)

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Voir la vidéo, empreinte d’humanité, sur le squat de l’espace Brault, réalisée par Aurore Lalande

Voir aussi son site.

Voir le reportage photo de Geneviève Laffitte (dans Reportages / La politique ici / Roms, le quotidien).

La douceur du feu et la compagnie du chien. Béziers 2009 (Photo Geneviève Laffitte).

La douceur du feu et la compagnie du chien. Béziers 2009 (Photo Geneviève Laffitte).

Areva Malvési (Narbonne) : que se passe-t-il à l’amont de la filière nucléaire ?

Pendant longtemps peu connue, l’usine Areva (ex-Comurhex) de Malvési, à Narbonne, n’est pas une usine ordinaire. Le réseau Sortir du Nucléaire se bat depuis quelques années pour obtenir plus de transparence à son sujet. Une journée d’information et de débat, le 21 février, a posé la question : « L’usine Areva de Malvési/Narbonne, quel impact radiologique ? »

Saint-Just vertical P1040593 2Depuis deux ans le réseau Sortir du Nucléaire fait monter la pression autour de l’usine d’Areva Malvési, près de Narbonne, avec un but précis : faire parler de ce site, porter un éclairage sur la chaîne de l’uranium, sensibiliser l’opinion et obtenir davantage de transparence d’Areva et des pouvoirs publics. Après plusieurs actions, notamment ces derniers mois (manifestations devant l’usine, sur la rocade ou à la gare, blocage d’un camion transportant de l’UF4, réunion publique), la grande journée du 21 février a réuni plus de 200 participants au Palais du Travail de Narbonne.

Une journée qui a permis, avec l’intervention de Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire de la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), de mieux connaître l’activité de Malvési, les risques qu’elle comporte, mais aussi les risques liés au transport de matières nucléaires. Des ateliers ont porté sur d’autres aspects, comme les conditions de travail des salariés permanents et de ceux des entreprises sous-traitantes.

Une grande partie de l’uranium pour les centrales françaises passe par Narbonne

Créée en 1958 aux portes de Narbonne, l’usine de Malvési a fait partie de la société Comurhex (filiale d’Areva) jusqu’en 2014, et elle est aujourd’hui intégrée au sein d’Areva NC (comme « nuclear cycle »), également filiale d’Areva.

Elle emploie environ 280 salariés permanents auxquels il faut ajouter autour de 300 travailleurs des entreprises sous-traitantes.

L’activité principale de cette usine est le traitement du minerai d’uranium à son arrivée en France : cet uranium approvisionne ensuite les centrales nucléaires françaises (100 % de l’uranium converti en France passe par Malvési), mais aussi l’exportation (qui représente environ 40 % du volume traité à Malvési). Au total, Malvési traite environ le quart de l’uranium mondial et c’est donc l’une des usines les plus importantes de cette activité.

A Malvési, l’uranium arrive (par le train) sous forme de concentré d’uranium (le yellow cake). Il est raffiné et transformé en UF4 (tétrafluorure d’uranium). Il part ensuite (jusqu’à présent surtout par camions, désormais surtout par le train) vers Pierrelatte, pour être transformé en UF6 (hexafluorure d’uranium). De là, il continue vers le site du Tricastin, où il est enrichi, avant d’être transformé en combustible pour les centrales à Romans-sur-Isère.

A Narbonne (Malvési), environ 14 000 tonnes d’uranium sont traitées chaque année. Le projet d’extension Comurhex II, validé en 2012 et en cours de réalisation, entend porter ce tonnage à 21 000 t. (1)

Comurhex II, le projet de modernisation, en cours d'achèvement.

Comurhex II, le projet de modernisation, en cours d’achèvement.

Les risques : radioactivité et fuites dans l’environnement

Comme le réseau Sortir du Nucléaire, la Criirad, a expliqué Bruno Chareyron, travaille à la connaissance du risque engendré par la filière nucléaire. La Criirad, rappelle-t-il, a été créée en 1986, au lendemain de Tchernobyl : le « mensonge d’État » (selon lequel il n’y avait pas eu de retombées de l’explosion de Tchernobyl sur le territoire français) avait fait ressentir le besoin de créer un organisme d’enquête indépendant.

Quel est le risque autour de Malvési ? Très insignifiant si l’on en croit Areva… Bruno Chareyron, au vu des observations de la Criirad, est bien plus circonspect :

Le stockage des fûts de déchets. La Criirad a mesuré, à proximité, des taux de radioactivité supérieures à la normale.

Le stockage des fûts d’uranium. La Criirad a mesuré, à proximité, des taux de radioactivité supérieures à la normale.

Le risque est d’une part, même si la communication autour de l’usine a tendance à le faire oublier, radioactif : le concentré d’uranium, qui contient 70 à 75 % d’uranium, et dont 20 000 t sont entreposées dans des fûts, en extérieur, sur le site de Malvési, est très radioactif. Il émet des radiations dont les plus puissantes sont les rayons gamma (qui traversent la paroi des fûts jusqu’à quelques centaines de mètres) et les rayons alpha (dangereux par inhalation).

Les mesures de la Criirad effectuées en 2006 et 2014 notamment ont relevé des taux de radiations supérieurs à la normale jusqu’à 280 mètres de la clôture qui longe le dépôt de fûts. Plus près, contre la clôture, selon les relevés de la Criirad, les radiations sont jusqu’à 20 fois supérieures au niveau naturel.

Le Rapport environnemental 2013 d’Areva parle d’une exposition de 0,72 mSv/an (2) en limite de site, pas très éloignée de la dose maximale admissible (1 mSv/an pour l’exposition cumulée de toutes les sources de radioactivité).

Si les promeneurs sont certainement rares autour de la clôture de Malvési, une famille vivait à proximité, en 2006. Depuis, elle a été relogée. Et puis il y a les travailleurs de Malvési : quel est le risque pour eux ?

Michel Leclerc, travailleur du nucléaire, a témoigné, lors de cette journée, dans un atelier (voir plus loin).

Autre risque, le rejet dans l’atmosphère, par la cheminée de l’usine, de poussières radioactives.

Il y a aussi les poussières consécutives à la rupture des bassins B1 et B2 en 2004, qui a laissé des boues s’épandre alentour (voir plus loin). La Criirad a estimé qu’avec ces poussières, les riverains pourraient être exposés à deux fois la dose maximale annuelle admissible.

Une étude de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) de 2008 sur la végétation autour de l’usine a relevé la présence de plutonium sur des cyprès jusqu’à 2 km dans le vent du site.

Le risque, autour de Malvési, est aussi chimique : le traitement de l’uranium met en œuvre divers produits dont l’ammoniac et le très dangereux acide fluorhydrique.

Les incidents et accidents autour de Malvési ne sont pas négligeables, tels que des rejets liquides dans le canal du Tauran (qui aboutit dans le ruisseau de la Mayral, lequel débouche dans le canal de la Robine et celui-ci dans l’étang de Bages).

En 2006, de fortes pluies ont fait déborder les bassins de boues.

« Sans vouloir créer une psychose », dit Bruno Chareyron, « nous sommes exigeants pour obtenir un niveau de qualité du site le meilleur possible. »

Saint-Just P1040587 2Transport : des normes très laxistes

La Criirad s’est par ailleurs intéressée au transport d’UF4 par camion entre Malvési et Pierrelatte. Une mesure réalisée près d’un camion sur une aire d’autoroute a montré qu’une personne qui passerait la nuit dans sa voiture, garée près du camion, atteindrait en une nuit le tiers de la dose annuelle maximale admissible. Un taux qui, toutefois, rentre dans les doses autorisées par la réglementation internationale. « La réglementation », dit Bruno Chareyron, « a été faite pour que le nucléaire soit possible, pas pour protéger les gens. »

L’objectif de la Criirad est au contraire de « mieux informer pour éviter une exposition inutile. »

On peut aussi se demander à quelle dose sont soumis les chauffeurs des camions.

Le transport ferroviaire, qui semble prendre le pas sur le transport par route, est-il plus sûr ? En 2001, deux wagons contenant 100 tonnes d’acide fluorhydrique se sont couchés en gare de Narbonne.

Et là encore, quel risque pour les travailleurs, en l’occurrence les conducteurs de train ?

Le Classement Seveso n’est pas suffisant

L’une des installations importantes de Malvési est la série de bassins, 10 au total en activité, où sont mis en décantation des boues et des liquides issus du traitement de l’uranium, afin d’obtenir l’évaporation des liquides au soleil et au vent. Les conditions climatiques de Narbonne seraient une raison du choix de ce site pour l’usine… à moins que le poids du député SFIO de l’Aude Georges Guille (membre du gouvernement) à l’époque n’ait été prépondérant.

Les bassins. Au centre (derrière le véhicule), les ex-bassins B1 et B2. Derrière, un bassin en activité, en surplomb par rapport à la plaine.

Les bassins. Au centre (derrière le véhicule et sur sa droite), les ex-bassins B1 et B2 (boues sèches). Au premier plan et en arrière-plan, les bassins d’évaporation en activité, en surplomb par rapport à la plaine. On ne voit pas les bassins de décantation en activité, plus à droite.

La rupture, en 2004, d’une digue des bassins B1-B2 a provoqué le déversement, dans la plaine voisine, de 30 000 m³ de boues et liquides, officiellement des « boues nitratées ». Les analyses de la Criirad, en 2006, ont révélé qu’en réalité ces boues contenaient du plutonium et autres descendants de l’uranium : thorium 230, radium 226, plomb 210, américium 241, cela à des doses très concentrées. Ce qui signifie que Malvési a traité des déchets de combustibles usés, issus du cœur de réacteurs nucléaires. Il s’est avéré que cette activité a eu lieu de 1960 à 1984.

Le problème c’est que, pour traiter ces déchets, Malvési aurait dû être classée INB (Installation nucléaire de base) alors qu’elle est classée seulement Seveso « seuil haut » (risque chimique).

La Criirad, Sortir du Nucléaire et Eccla (3), qui siègent au CLIC (Comité local d’information et de concertation), demandent le classement en INB du site Areva de Malvési dans son intégralité. Cela permettrait, dit Maryse Arditi (présidente d’Eccla) dans la revue Nexus (n°97, mars-avril 2015), l’application des normes réglementaires de la radioprotection à ce site et donc une meilleure sécurisation. Cela notamment au niveau du confinement de l’ensemble des bassins de boues. Areva, pour éviter le classement total en INB, se retranche derrière un amendement au décret d’application de la loi du 13 juin 2006, amendement qui exclut du classement les installations qui ne mettent en œuvre « que » de l’uranium naturel.

Le classement INB est en cours, à l’initiative de l’État et de l’ASN (autorité de sûreté nucléaire)… mais uniquement pour les anciens bassins B1 et B2. Pour les associations, ce classement est nettement insuffisant et n’assurera pas la totale sécurité du site.

Concernant le statut des déchets contenus dans les bassins en activité, Areva parle d’entreposage (donc provisoire). Un entreposage qui dure depuis 50 ans… et qui montre une fois de plus que l’élimination des déchets de la filière nucléaire reste un problème non résolu.

Plus globalement, la nature du site de Malvési, en zone humide, a de quoi inquiéter. Areva a installé, dans les bassins, un système de récupération et de retraitement, censé éviter la dispersion des liquides et boues. Mais l’étanchéité des bassins est-elle garantie ? Et quid du risque de rupture de digue ? Le passé a montré la réalité de ce risque comme de celui du débordement par forte pluie. C’est toute la plaine aval qui est exposée.

Depuis quelques années, Areva améliore progressivement les installations de Malvési. Pas suffisamment, estiment les organisations non-gouvernementales.

Et puis il y a ce qu’elles considèrent comme « la culture du secret » dans la filière nucléaire. Une culture du secret qui a tout pour inquiéter les citoyens sur le bien fondé des décisions prises en haut lieu.

Ph.C.

1) Cet objectif est toutefois contrarié en partie par le choix d’EDF, premier client d’Areva, de faire opérer les deux tiers de la conversion de l’uranium (transformation en UF4 et en UF6) hors d’Europe, notamment en Russie. Lire ci-après.

2) millisieverts par an.

3) Eccla : Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral audois.

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Pour approfondir le sujet :

Le magazine Nexus, n°97, de mars-avril 2015, a publié un dossier sur Malvési, avec une approche scientifique très détaillée.

La Revue XXI, n°29, hiver 2015, a publié pour sa part l’article « Une si discrète usine ».

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Vue entrée P1040573 2* * * *

Vous avez dit maladie professionnelle ?

Faire reconnaître une maladie professionnelle dans la filière nucléaire n’est pas facile. Le témoignage de Michel Leclerc le montre. Cet ancien salarié de la Serci (société aujourd’hui disparue, qui était une sous-traitante de la Comurhex) est atteint depuis 1991 (avec des symptômes depuis 1983) d’une leucémie myéloïde chronique.

Il a fallu des années de procédures, depuis 1995, pour que le tribunal des affaires de sécurité sociale reconnaisse (1999) le caractère professionnel de la maladie puis que le tribunal d’instance de Narbonne déclare (2012) la Comurhex responsable de cette maladie. La Comurhex a fait appel et la Cour d’appel, en 2013, s’est déclarée incompétente, estimant que la Comurhex n’était pas l’employeur de Michel Leclerc. Le procès est maintenant en cassation.

Le développement de la sous-traitance ne facilite pas la responsabilisation de la filière nucléaire par rapport à ses travailleurs. Or, ce sont les intérimaires qui, à 90 %, supportent la plus grande partie des doses d’exposition sur les chantiers nucléaires.

Le peur de perdre son emploi, l’isolement des salariés sont des freins pour faire reconnaître leurs droits. De plus, la preuve de l’origine professionnelle de la maladie est à leur charge ; or, ils disposent rarement des données sanitaires les concernant.

Le magazine Nexus a recensé une dizaine de cas de cancers ou leucémies chez des salariés du nucléaire autour de Narbonne, dont cinq décès.

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100 % du minerai d’uranium est importé

Il n’y aurait pas d’électricité nucléaire en France sans l’importation du minerai (depuis la fermeture des mines françaises, 100 % du minerai est importé). Ce qui met à mal le mythe de l’indépendance énergétique du nucléaire français.

Or, cette exploitation minière se fait dans des conditions peu favorables à certains pays producteurs, comme l’a illustré l’association Survie à partir de l’exemple du Niger, où Areva exploite deux mines.

L’État du Niger reçoit à peine 12 %, environ, de la valeur de l’uranium extrait de son sol. Et ce pays, malgré ses richesses minières, est le dernier au classement de l’indice de développement humain du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), ce qui montre qu’elles lui profitent bien peu.

Qui plus est, les mines d’uranium au Niger entraînent une grave pollution des sols, de l’air et de l’eau et l’épuisement de la nappe aquifère profonde. Les mineurs et les populations de cette région souffrent de maladies graves (maladies respiratoires, cancers et leucémies) selon des taux anormaux.

La présence d’Areva au Niger et les conditions de négociation entre cette entreprise et l’État du Niger n’échappent pas au système de la Françafrique et de ses ingérences politiques qui font dire à Survie que l’Afrique n’a jamais été décolonisée. Le livre de Raphaël Granvaud, Areva en Afrique, explique bien ces aspects.

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Secret défense ?

Je prenais des photos devant l’entrée de l’usine de Malvési lorsque le gardien est sorti pour me demander ce que je faisais. Il m’a ensuite suivi en voiture et, lorsque je me suis garé à l’entrée du chemin qui longe la clôture des fûts, s’est garé, m’a demandé ma carte d’identité, ce que j’ai refusé, tout en m’identifiant volontiers. Il a relevé le numéro d’immatriculation de ma voiture puis est parti.

Un instant plus tard, alors que je terminais mes photos, un autre gardien est venu me dire qu’il était interdit de prendre des photos, contrairement à ce que dit la loi puisque j’étais toujours dans le domaine public, hors de l’enceinte d’Areva. Il m’a dit que je devais partir et m’a menacé d’appeler les gendarmes… ! Excès de zèle ou suivi de consignes dignes du « secret défense » ?

Ph.C.

Une pétition pour la fermeture de Malvési. Lire la pétition

Lire aussi sur ce blog : « Areva Malvési TDN : dépollution des effluents, quel risque ? »

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La CGT manifeste « pour l’emploi, contre la casse industrielle et sociale »

CGT P1040615 2La CGT organisait, le 19 mars à l’entrée du site Areva-Comurhex de Malvési, une manifestation pour préparer notamment la « journée nationale de manifestation et de grève » du 9 avril. Le syndicat estime que l’usine de Malvési est « dans le collimateur des casseurs d’emploi » et que le groupe Areva, bien que s’appuyant à 87 % sur un actionnariat d’État, a une attitude très négative vis-à-vis des salariés.

« Areva veut faire payer aux salariés les pots cassés d’une mauvaise gestion »

Gaël Roussel (en noir) : "Les salariés n'ont pas à payer les pots cassés de la gestion d'Areva".

Gaël Roussel (en noir) : « Les salariés n’ont pas à payer les pots cassés de la gestion d’Areva ».

« Les pertes d’Areva », explique Gaël Roussel, délégué CGT, « s’élèvent à 4,8 milliards d’euros » (le groupe a publié ses comptes début mars). Pour les éponger, « Areva élabore un plan de redressement de 1 milliard d’euros, avec notamment des économies en personnel, la menace de statuts à la baisse et éventuellement un plan social. La perte d’Areva est due à une mauvaise gestion, notamment avec l’achat d’Uramin (1), où Areva a investi 3,5 milliards sans qu’un gramme d’uranium ait été extrait. Il est honteux de vouloir faire payer les pots cassés aux salariés. »

Outre les emplois, les salariés sont inquiets par rapport à la sécurité : « On ne peut plus se permettre aujourd’hui de réduire les effectifs sans compromettre les conditions de sécurité sur le site. »

Comurhex II : politique incohérente

Une partie du passif d’Areva concerne le projet Comurhex II, de modernisation des sites de Malvési et du Tricastin dédiés à la conversion de l’uranium. Un projet qui tarde à se mettre en place : on parle de juillet 2015 à Narbonne mais de 2018 à 2020 pour le Tricastin. « Il ne s’agit pas de pertes », explique Gaël Roussel : « Comurhex II a coûté 1 milliard d’euros mais Areva, considérant qu’il y a dépréciation de bien, l’évalue aujourd’hui à 400 M€. Cela dans un contexte de marché de l’uranium en baisse. »

Le délégué CGT dénonce une politique commerciale incohérente d’Areva, qui a privilégié la vente d’uranium au Japon, au détriment d’EDF qui est allé chercher des prix moins chers sur le marché russe : « Notre point fort était la vente d’une partie de la conversion à EDF ; on est allés jusqu’à 70 % de part de marché, aujourd’hui nous ne sommes plus qu’à 15 ou 20 %. » Une logique étonnante de la part de deux groupes, Areva et EDF, détenus majoritairement par l’État français.

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1) En 2007, Areva a racheté la société canadienne Uramin, dont les actifs étaient composés entre autres de gisements africains d’uranium. Non seulement la richesse de ces gisements potentiels aurait été surestimée mais Areva aurait surpayé l’achat de cette société, ce qui laisse planer des soupçons de corruption. Voir Survie et Médiapart : articles et eBook.

Changement climatique : davantage de crues et de coups de mer

UNE CONFERENCE-DEBAT ORGANISEE PAR ECCLA

Même si ses effets se font connaître lentement (à l’échelle humaine), le changement climatique est une réalité. Il se traduit, au niveau du littoral méditerranéen par exemple, par une accentuation des phénomènes orageux (et des inondations qui s’en suivent) et par un risque accru de « coups de mer ».

Maryse Arditi, présidente d'Eccla, a rappelé les mécanismes du changement climatique à l'oeuvre.

Maryse Arditi, présidente d’Eccla, a rappelé les mécanismes du changement climatique à l’oeuvre.

Dans le contexte de la 21e Conférence climatique, que la France accueillera à la fin de l’année, Eccla (Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral audois) organisait le 7 mars à Narbonne une rencontre sur « Inondations, submersions marines et changement climatique« . Une façon d’aborder le sujet par sa traduction concrète et locale, sur la côte méditerranéenne.

Le changement climatique à l’horizon 2050 (voir le bulletin météo du 17 août 2050), c’est une canicule un été sur quatre en France. Mais déjà aujourd’hui on observe une augmentation des températures depuis vingt ou trente ans. En 2014, les mois d’avril, mai, juin, août et septembre ont été les plus chauds jamais enregistrés sur la planète. Fin septembre 2014, la mer Méditerranée était à 24°C, deux degrés au-dessus des normales de saison, ce qui a été à l’origine d’orages très violents, notamment sur le Languedoc. Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) estime que ces phénomènes extrêmes vont s’intensifier dans les prochaines années à l’échelle du globe.

Autres constats, l’augmentation de la concentration dans l’atmosphère de CO2 et autres gaz à effet de serre (cette concentration augmente en flèche depuis le début de l’ère industrielle) et l’évolution du niveau moyen des mers.

GESNiveau_des_mers 2La tendance au réchauffement est par ailleurs soumise à des « accélérateurs », explique Maryse Arditi, présidente d’Eccla : avec la fonte des glaces (banquise, glaciers), le rayonnement du soleil est de moins en moins renvoyé dans l’espace ; en effet, la glace renvoie 90 % du rayonnement solaire, mais l’eau à peine 10 %. Par ailleurs, plus le taux de CO2 dans l’atmosphère augmente, plus il fait augmenter la température et plus cette augmentation de température réduit la capacité des océans à absorber le CO2.

On risque alors de passer des seuils, comme la fonte du permafrost (le sol gelé), qui entraînerait une émission massive de méthane, ou l’arrêt du gulf stream (courant océanique qui radoucit le climat des côtes européennes).

Ces enjeux du climat sont au centre des discussions internationales, depuis le Sommet de la Terre à Rio (1992), en passant par le Protocole de Kyoto (1997), qui a défini des objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Les débats sont actuellement marqués par la défection de certains pays riches (USA, Canada) et par la position des pays en développement qui souhaitent une contribution différenciée. Elle s’appuie sur le fait, par exemple, que, si la consommation totale d’énergie de la Chine a dépassé celle des États-Unis, sa consommation par habitant est encore trois fois moindre.

Après l’échec de la Conférence de Copenhague (2009), le Sommet de Paris apportera-t-il des avancées ?

En attendant, que se passe-t-il au niveau local ?

Narbonnais : 39 000 habitants en zone inondable

Si le risque de submersion marine, à Narbonne, n’a rien à voir avec ce qu’il peut représenter au Bangladesh ou dans certaines îles du Pacifique, il n’en est pas moins réel. L’élévation du niveau marin pourrait en effet atteindre 40 cm sur nos côtes d’ici 2100 (le Giec donne une fourchette entre 20 et 90 centimètres). Et donc rendre les coups de mer plus dévastateurs.

Stéphanie Defossez, géographe, maître de conférences à l’Université de Montpellier 3, explique le mécanisme de ces submersions marines liées à plusieurs facteurs, qui généralement se conjuguent : un niveau moyen élevé de la mer (en Méditerranée, les marées font quelques dizaines de centimètres), la pression atmosphérique (par dépression, le niveau marin moyen augmente) et les vagues (accentuées par le vent et les fonds marins).

Stéphanie Defossez : "Les risques de submersion marine doivent pris en compte dans les politiques publiques."

Stéphanie Defossez : « Les risques de submersion marine doivent pris en compte dans les politiques publiques. »

Cet ensemble de facteurs produit un « déferlement » en front de mer, qui projette des paquets d’eaux et divers matériaux sur les habitations, puis inonde les zones plus en arrière. Les conséquences peuvent être matérielles mais aussi humaines avec, en Languedoc-Roussillon, un risque important.

L’un des effets des submersions marines est l’érosion des côtes, avec le recul de la ligne de rivage : la côte atlantique a perdu 500 m de rivage en 45 ans ; mais en Méditerranée aussi l’érosion est présente ; à Vias, par exemple, la plage a reculé de plusieurs mètres ces huit dernières années. (Lire notre article sur l’érosion des côtes languedociennes).

Pour Stéphanie Defossez, lorsqu’une situation de submersion marine se conjugue avec une crue de l’Aude (ou autres fleuves côtiers), cela peut être lourd de conséquences.

Le Narbonnais est identifié comme un territoire à risque en termes de submersion marine et d’inondations fluviales. La population habitant en zone inondable atteint 39 000 personnes dans le premier cas et 22 000 dans le deuxième.

Un risque souvent oublié… ou ignoré

Les inondations dues aux crues de nos fleuves côtiers et de leurs affluents font partie de l’histoire de nos régions méditerranéennes, même si on a souvent tendance à l’oublier. Elles aussi sont accentuées par le changement climatique, du fait notamment de températures élevées de la mer en automne.

Jacques Chabaud, directeur du SMMAR (Syndicat mixte des milieux aquatiques et des rivières), a expliqué l’action de cette fédération de syndicats de bassins, née à l’initiative du Conseil général de l’Aude à la suite des inondations de 1999.

Un sujet que nous avons développé dans un dossier récent : Inondations de la Berre : que faire ?

Le SMMAR et les syndicats de bassin agissent à plusieurs niveaux : l’entretien des cours d’eau, pour limiter l’impact des crues, notamment en réduisant la possibilité de formation d’embâcles (ces barrages d’arbres, branchages et autres végétaux, qui, en cédant, créent des vagues destructrices) ; la réalisation d’ouvrages de protection, comme les digues de Cuxac-d’Aude ; l’amélioration des systèmes de prévention.

L’intervention dans les rivières, qu’il s’agisse des particuliers (les propriétaires riverains) ou des collectivités publiques, est aujourd’hui relativement compliquée et doit se conformer à un certain nombre de règles (Code de l’environnement) : « C’est », dit Jacques Chabaud, « le revers après des années de politique interventionniste sans se préoccuper de l’environnement ».

Il ajoute : « Face aux inondations, il faut être très humble et éviter de croire qu’il y a des recettes toutes faites ; je n’en connais pas. »

L’action du SMMAR est un exemple des politiques publiques mises en place pour prévenir les inondations. Ces politiques s’appuient par ailleurs sur un instrument qu’est le PPRI (Plan de prévention du risque inondation). Il a pour objet d’identifier le risque et les zones concernées, avec pour effet la limitation ou l’interdiction de l’urbanisation dans certaines zones. Ce qui ne plaît pas forcément aux élus, eux-mêmes impliqués dans l’élaboration du PPRI.

Des témoignages ont montré la difficulté des citoyens à se faire entendre, face à des élus municipaux soucieux d’étendre l’urbanisation de leur commune, sans tenir compte du risque d’inondation, comme, il y a vingt ans, à Cuxac-d’Aude et plus récemment à Luc-sur-Orbieu.

A Cuxac, explique Lucette Zeller, 1 200 personnes environ se sont installées dans les écarts (Les Garrigots, Mouchaïras, L’Horte de Senty), à partir des années 1980. La plupart venaient de l’extérieur du village et peu de Cuxanais les ont avertis du fait que ces zones étaient inondables. La mairie et la DDE ont accordé et validé les permis de construire. Aujourd’hui, pour protéger ces quartiers on a construit 10 km de digues, qui ont coûté des millions d’euros, « ce qui aurait pu être évité si l’on n’avait pas construit là. »

A Luc-sur-Orbieu, les projets d’urbanisation de la commune ne prenaient pas en compte le risque lié au ruisseau du Tourrenc. Le PPRI ne le prenait pas en compte non plus. Les riverains, explique Paulette Barbe, ont eu beaucoup de mal à faire admettre par la mairie ce risque qui pourtant était connu localement.

Au moment du débat, certains soulignent l’importance de conserver la mémoire locale des inondations et des risques qu’elles comportent. Mais cette mémoire est souvent sélective, les élus ayant parfois tendance à oublier ou à minimiser le risque, au nom d’intérêts économiques, collectifs ou privés. Mais lorsque le risque est oublié, ses conséquences peuvent être très lourdes, en pertes humaines surtout mais aussi économiques.

Ph.C.

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Tsunami : un autre risque de submersion

Le risque de tsunami n’a rien à voir avec le réchauffement climatique mais a une origine géologique, a expliqué Roland Courteau, sénateur de l’Aude, auteur du rapport du Sénat (2007) « Tsunami sur les côtes françaises, un risque certain, une impréparation manifeste ». Comme pour les autres risques de submersion marine, il nécessite une politique de prévention.

Roland Courteau : "Le risque de tsunami existe sur les côtes méditerranéennes. Il nécessite une politique de prévention."

Roland Courteau : « Le risque de tsunami existe sur les côtes méditerranéennes. Il nécessite une politique de prévention. »

Ce sont les séismes, les effondrements sous-marins ou encore les météorites qui peuvent être à l’origine de tsunamis. Ceux-ci ne sont pas comparables avec les vagues des tempêtes : « ils peuvent déchaîner une énergie plusieurs centaines de fois supérieure. »

A travers 150 auditions de spécialistes des tsunamis dans le monde entier, Roland Courteau a pu se faire une idée du risque et des réponses à y apporter. Il a pu constater que la Méditerranée n’est pas à l’abri des tsunamis, même si aucun n’a atteint le niveau de la catastrophe de l’Océan indien en 2004 (près de 300 000 morts). Au XXe siècle, 10 % des tsunamis ont eu lieu en Méditerranée. Depuis l’Antiquité, on a relevé un certain nombre de tsunamis dévastateurs en Méditerranée, le plus meurtrier étant celui de Messine en 1908 (30 000 morts). Sur les côtes françaises, c’est la Côte d’Azur qui est la plus exposée : en octobre 1979, un glissement de terrain au large de Nice a produit une vague qui a causé 11 morts à Antibes : « Combien de morts si cela s’était passé en plein été ? », questionne le sénateur.

Mais le littoral languedocien et roussillonnais n’est pas à l’abri : une vague de 50 cm, en 2003, a coulé des centaines de bateaux dans les ports de cette région. Selon des simulations du BRGM, un séisme ou un glissement de terrain dans le Golfe du Lion peuvent entraîner des vagues de 50 cm sur les côtes audoises et de 2 m dans les Pyrénées-Orientales.

Le risque le plus élevé proviendrait d’un éventuel séisme dans la région du Stromboli (sud de l’Italie), qui pourrait avoir de fortes répercussions sur les côtes françaises. Mais il faut aussi, estime Roland Courteau, prévenir les tsunamis de petite importance.

Il y a des signes avant-coureurs, en particulier le fait que la mer se retire. Ce qui peut être mesuré par un instrument, le marégraphe. Les sismographes, pour leur part, permettent de surveiller les séismes.

La première proposition du rapport du sénateur était la création de centres d’alerte, afin d’organiser l’évacuation des populations du front de mer. Un premier centre d’alerte a été créé en Polynésie française ; un second est opérationnel depuis 2012 en Méditerranée. Il permet d’observer le risque, mais pour l’instant l’alerte descendante (celle destinée à prévenir les populations) est en cours de mise en place. Les moyens envisagés : sirènes, messages radio et télé, voire appels téléphoniques.

Une autre préconisation de Roland Courteau est d’apprendre le risque aux enfants des écoles.

THT Baixas-Bescanó : sous la ligne il y a des hommes

Villana P1040522 2La ligne à très haute tension (400 000 Volts) de Baixas (Pyrénées-Orientales) à Bescanó (province de Gérone) a été officiellement inaugurée le 20 février 2015. Pendant quinze ans, des citoyens se sont élevés au Sud comme au Nord des Pyrénées contre ce projet. Ils défendaient les paysages, l’environnement, la santé des populations mais ils affirmaient aussi un choix de société : à une politique énergétique mue, selon eux, par le mercantilisme, ils ont opposé une vision durable et l‘intérêt des usagers.

Ce dossier a été réalisé par Michel Maners et Philippe Cazal.

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Le projet de ligne très haute tension (THT) Baixas-Bescanó (1) est apparu en 2001, lors d’un accord franco-espagnol. L’Union européenne a fixé en 2002 un objectif d’interconnexion entre les pays membres de 10 % des réseaux d’ici 2020 et parle de 15 % en 2030. Les gouvernements français et espagnol se sont concertés, à de nombreuses occasions, pour aborder la manière de réaliser cette politique, en ce qui concerne les échanges entre les deux pays.

Baixas.

Baixas.

La traversée des Pyrénées par l’électricité n’est pas nouvelle, avec à ce jour 41 connexions transfrontalières, mais il s’agissait pendant longtemps uniquement de lignes haute tension. Avant le projet qui vient d’être inauguré, seules deux lignes très haute tension existaient : la plus ancienne par le Col d’Ares (Prats-de-Molló, Pyrénées-Orientales), qui va de La Gaudière (près de Lézignan-Corbières, Aude) à Vic (province de Barcelone) en passant par Baixas (près de Rivesaltes) ; la deuxième par la côte basque, entre Cantegrit (Bayonne) et Hernani (province de San Sebastián), passée en THT en 1971.

Depuis longtemps RTE et REE (2) cherchent des sites pour renforcer l’interconnexion et les projets se sont souvent heurtés à l’opposition des populations concernées. En 1984, un projet par le Pays Basque a vite été abandonné. En 1996, le projet Cazaril-Aragon, par la Vallée du Louron (Hautes-Pyrénées), est abandonné alors que les travaux ont déjà commencé côté espagnol. A la même époque un tracé par le Couserans (Ariège/Haute-Garonne) fait long feu.

15 ans de lutte sans relâche

Le projet de ligne THT par les Albères était, paraît-il, dans les cartons de RTE (et de REE ?) depuis les années 1980. Quand il apparaît au grand jour en 2001, il soulève tout de suite une forte opposition : le collectif « Non à la THT » se constitue en Catalogne Nord, regroupant des associations ; le collectif « No a la MAT » se constituera un peu plus tard en Catalogne Sud. Au fil des luttes les deux collectifs se coordonnent plus ou moins. En France, les élus se regroupent au sein du Sydeco THT 66 (Syndicat de défense des communes contre la THT).

Des manifestations sont organisées, avec succès : 10 000 personnes le 31 mai 2003 à Perpignan, 1 500 le 19 octobre à Gérone, 6 000 le 31 janvier 2004 à Perpignan, 4 000 à Céret en septembre 2004, 5 000 au Perthus début 2005, 15 000 à Perpignan le 1er mars 2008, 12 000 à Gérone le 30 mars 2008.

En France, conformément à la loi sur les grands projets, un « Débat Public » a lieu de mars à juillet 2003 sur le projet de ligne en aérien. Il met en évidence la forte opposition de la population et des élus.

Même si les conclusions d’un Débat Public n’ont qu’un caractère consultatif, la pression de l’opinion publique et des élus est assez forte pour que le gouvernement français demande fin 2003 à RTE de retirer le projet initial.

A ce moment-là, RTE étudie la possibilité de doubler la ligne existante de 400 KV (3) entre La Gaudière et Vic (par le Col d’Ares), mais évoque aussi une bifurcation de cette ligne en Vallespir, entre Corsavy et Montferrer vers le Mont Capell (commune de Saint-Laurent-de-Cerdans) puis côté espagnol vers Maçanet de Cabrenys, Darnius et Figueres. Une façon d’essayer de contourner l’opposition au tracé par le Perthus.

Dans le village de Montferrer, la plaque du "Serment de Montferrer" prêté par les maires du Vallespir.

Dans le village de Montferrer, la plaque du « Serment de Montferrer » prêté par les maires du Vallespir.

Mais l‘opposition ne faiblit pas. Le 12 août 2004, 14 maires du Vallespir prêtent le « Serment de Montferrer », par lequel ils s’engagent à refuser toute discussion séparée avec RTE (comme l’avaient fait, à travers le Sydeco, les maires de la plaine). Comme on l’a vu, les manifestations continuent.

A cette époque, RTE dit qu’enterrer la THT est « techniquement impossible et trop coûteux ». Et une étude d’une ligne sous-marine estime que celle-ci coûterait 150 fois plus cher que l’aérien.

De Montferrer devait partir la bifurcation de la ligne Baixas-Vic par le Mont Capell.

De Montferrer devait partir la bifurcation de la ligne Baixas-Vic par le Mont Capell.

Le déblocage de la situation s’annonce avec la nomination en septembre 2007, comme coordonnateur du projet, de Mario Monti, ancien commissaire européen au Marché intérieur puis à la Concurrence. Monti préconise d’enterrer la ligne. Il est probable que la participation financière de l’Union européenne ait alors été avancée pour convaincre les gouvernements français et espagnols. En janvier 2008, Nicolas Sarkozy et José Luis Rodríguez Zapatero, lors d’un sommet franco-espagnol, annoncent leur volonté de réaliser le projet. En février, Jean-Louis Borloo, ministre français de l’Écologie (4), dit que l’enfouissement de la ligne est à l’étude. En juin, c’est Mario Monti qui annonce la décision de l’enfouissement entre Baixas et Santa Llogaïa.

A partir de là, côté français, une concertation (5) avec RTE se déroulera, en 2009 et 2010 (un nouveau Débat Public n’ayant pas été jugé opportun). A travers un travail en commission, élus et représentants des associations pourront poser un certain nombre de questions, en particulier sur les conséquences de la ligne sur la santé et sur l’environnement.

La station de conversion de Baixas, point de départ de la nouvelle ligne THT.

La station de conversion de Baixas, point de départ de la nouvelle ligne THT.

Pas question, par contre, de discuter du tracé en plaine, non négociable. Mais le débat a réellement eu lieu sur le tracé à travers les Albères : à la demande de la société civile, la version de tranchée sur pistes forestières a été abandonnée et le choix s’est porté sur un passage en tunnel.

En Catalogne Sud, le combat continue pour que la ligne soit enterrée jusqu’à Bescanó. Mais le gouvernement espagnol et la Généralité (6) ne veulent rien entendre. Les opposants se battent aussi pour que le tracé respecte des distances de sécurité par rapport aux maisons, ce qui ne sera pas toujours le cas, loin de là.

Les travaux ont démarré en 2012. Aujourd’hui, la ligne va rentrer en service. Nous donnons la parole, ci-après, à quelques uns de ceux qui, au Sud et au Nord, se sont battus contre ce projet.

1) THT (très haute tension) ou MAT (molt alta tensió).

2) RTE (Réseau de Transport d’Électricité) en France, REE (Red Eléctrica de España) en Espagne, sont les entreprises qui détiennent le monopole du transport d’électricité.

3) 400 KV (Kilo Volts) = 400 000 Volts.

4) Plus précisément, ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement et de l’Aménagement durables.

5) Sur la concertation, voir le dossier du Débat Public.

6) Le gouvernement autonome catalan.

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Bois Villana P1040515 2

L’estaca (le pieu) n’est plus en châtaignier mais en métal

Lluis Llach chantait en 1968 « L’Estaca ». Il parlait de ce pieu auquel les Catalans étaient enchaînés, ce pieu dont on pouvait se libérer si chacun tirait fort de son côté, et il était certain qu’un jour il tomberait :

Si tu l’estires fort per aquí/I jo l’estiro fort per allá/Segur que tomba, tomba, tomba/I ens podrem alliberar.

Si tu le tires fort par ici/et que je le tire fort par là,/c’est sûr, il tombera, tombera, tombera/et nous pourrons nous libérer.

Le temps a passé et, 47 ans après, les pieux ont grandi pour devenir des pylônes électriques de plus de 40 mètres de haut qui envahissent l’Empordà de Llach et finissent par encercler toute la Catalogne du Sud.

Les habitants des villes et des villages de cette région, les associations, ont-ils encore assez de forces pour mettre à mal ces « estacas » du 21e siècle ?

C’est ce que nous avons essayé de savoir…

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Joan Martí : « La MAT, c’est la Mafia »

Pour Joan Martí, l’un des porte-paroles de la plate-forme « No a la MAT », la ligne très haute tension présente des risques pour la santé. Elle n’a pas été construite dans l’intérêt des usagers mais dans celui des marchands d’électricité.

Joan Martí a été de tous les combats, en France comme en Espagne, depuis le début en 2002. Il est l’un des trois porte-paroles de la plate-forme « No a la MAT ».

Chirurgien à l’hôpital de Girona-Salt, on le surnomme « el metge de la MAT », le médecin de la MAT. Et force est de reconnaître que cette ligne a besoin de soins, ou plutôt les personnes qui ont malencontreusement croisé son chemin. Joan Martí s’est prêté au jeu des questions-réponses avec une analyse de la situation toute… chirurgicale.

Joan Marti, l'un des porte-parole du collectif "No a la MAT".

Joan Marti, l’un des porte-parole du collectif « No a la MAT ».

Avant tout, il a tenu à préciser : « Le 18 février dernier, s’est tenue à Madrid une audience du Tribunal Suprême, la plus haute instance du pays. Il a examiné les demandes des plaignants en matière d’environnement, de santé, d’économie et des moyens techniques mis en place par REE. Nous demandons simplement l’arrêt de la MAT. Si les délibérés nous sont défavorables, nous irons à la Cour de Justice Européenne. »

« En tant que médecin, je suis surtout concerné par l’aspect sanitaire du projet. Faire de la prévention est aussi important que de pratiquer une intervention. »

Aujourd’hui, la MAT est en place. Avez-vous gagné ou perdu et à quel moment?

« Oui, la MAT est en place, mais nous ne la voulons pas, ni aérienne, ni enterrée. »

« Mais en vérité, nous avons perdu, l’État a gagné avec son argent, sa propagande. Mais nous n’avons pas totalement perdu car ces années de lutte nous ont permis de rencontrer, d’échanger avec des gens que nous ne connaissions pas. Cela a été très enrichissant. Nous avons réellement perdu quand le passage en souterrain en France a été acté à Paris. Mario Monti (1), peu après, nous a même dit : « En enterrant la ligne jusqu’à Santa Llogaïa, vous avez beaucoup gagné… » En fait, c’était fini. Lorsque nous avons demandé que la ligne longe en tranchée la voie du TGV, nous avons été seuls, les municipalités ne nous ont pas suivi car elles avaient des ordres de leurs partis, notamment de la CiU (2). Mas (3) a même dit que cela était une question d’intérêt national. Il portait presque la casquette de la compagnie électrique espagnole. »

Mat = Mort P1040489 3Quels sont les impacts sanitaires ?

« La législation européenne considère qu’il n’y a pas d’effet secondaire, que tout est contrôlé. Cela n’est pas vrai. Beaucoup de questions restent sans réponse, notamment sur les maladies et les effets électromagnétiques. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a reçu des milliers de dollars pour faire une étude biaisée. Nous savons, et cela a été prouvé par des études indépendantes, qu’à moins de 100 m de la ligne il y aura des effets en terme de cancers, de leucémies, de tumeurs cérébrales, d’altérations neurologiques, notamment chez les jeunes enfants et les personnes âgées. A 100 m c’est très dangereux, jusqu’à 400 m la prudence est de rigueur. Or, entre Santa Llogaïa et Bescanó, il existe des maisons à moins de 100 m, quelquefois à moins de 5. La Généralité (4) est responsable, c’est à elle de vérifier la conformité de ces distances. »

La MAT est elle un projet avant tout économique ?

« Oui, à coup sûr. Pourquoi fixer un objectif de 10 % d’interconnexion en 2015 et de 15 % en 2030 ? C’est un diktat de Bruxelles, avec des entreprises du secteur de l’énergie en Italie, en France et en Espagne pour contrôler les marchés. Monti faisait partie d’un lobby. Il a travaillé pour le think tank Bruegel. Il a été consultant de Goldman Sachs. Tout cela est une pieuvre, une mafia. C’est le système des « portas giratorias » (portes tourniquets : la même personne passe du monde des affaires aux responsabilités publiques). Le second de REE, Agustí Maura, est devenu directeur de l’énergie à la Généralité. L’entreprise italienne Cesi a été choisie pour réaliser l’étude de faisabilité de la MAT. Il n’y a pas eu d’appel d’offres. Comment Cesi a-t-elle été choisie? Nous l’avons demandé aux députés catalans. Ils n’ont pas répondu. La CiU, l’ERC (5), c’est la même chose, il n’y a aucune transparence. Nous voulons que l’énergie soit contrôlée par les citoyens, et pas par les multinationales. On nous dit : « Nous dépendons de la France. » Or, l’Espagne produit plus que la demande, elle exporte au Portugal et au Maroc. Il existe un projet pour amener à Bescanó du gaz d’Algérie et un autre de liaison avec un gazoduc vers la France. »

L’un des arguments des promoteurs de la MAT est que l’interconnexion fera baisser les prix de l’énergie pour les consommateurs espagnols.

« C’est un faux argument démagogique, une manipulation. Nous voulons des énergies renouvelables locales, contrôlées par des collectivités, des coopératives, avec ouverture sur le réseau. Mais le gouvernement ne veut pas développer ces propositions. Il préfère des entreprises qui contrôlent le nucléaire, l’éolien et le solaire. Cela leur apporte des bénéfices, mais pas aux particuliers. Aznar (6) a libéralisé l’énergie en 1997, il a endetté l’État auprès des entreprises électriques, le PS a continué. »

logo_noalamat 2Quelles sont vos relations avec les partis politiques?

« Nous avons parlé à tous et la conclusion est que l’on ne pouvait pas leur faire confiance. L’ERC nous a trahis, elle a participé aux manifestations, mais dans la pratique elle a évité tout conflit avec la CiU. Il reste les écologistes, Podemos et la CUP (Candidatura d’unitat popular) et Iniciativa per Catalunya Verds. Mais ils sont peu nombreux. »

Avez-vous été trahis par les Catalans du Nord ?

« Nous comprenons leur position, eux ne voulaient pas voir les pylônes, tout simplement. Après le passage de Monti, nous nous sommes retrouvés seuls. Notre seul espoir était qu’ils refusent le passage souterrain, mais ils l’ont accepté. »

« Nous sommes contre la MAT, que ce soit ici ou en Écosse. »

Si la Catalogne avait été indépendante, est-ce que cela se serait passé autrement ?

« C’est de la politique fiction. Je pense qu’ERC et la CiU auraient voulu la MAT. Certains scientifiques prétendent que la ligne est une manière de s’unir à l’Europe. Nous ne sommes pas d’accord, nous voulons l’indépendance énergétique, ce qui n’empêche pas des connexions dont nous pourrions discuter. Si la Catalogne est indépendante, il n’y aura pas de changement radical car les lobbies contrôlent tout. La Généralité est très centralisatrice. Elle contrôle les partis à coups de subventions. Lorsque l’on sait que REE gagne 1,5 million d’euros par jour en transportant l’électricité, comment lutter? »

En manière de conclusion, un rien désabusé, Joan Martí ouvre son portable et nous montre la Une de La Vanguardia du 11 février 1939 (7) qui titre : « La guerre en Catalogne est finie. Vive l’Espagne, vive Franco ! ». Et d’insister : La mémoire historique, c’est fondamental… »

1) Mario Monti avait été nommé coordonnateur du projet par la Commission européenne.

2) CiU : Convergència i Unió.

3) Président de la Généralité.

4) Le gouvernement autonome catalan.

5) ERC : Esquerra Republicana de Catalunya.

6) José María Aznar a été « Président du Gouvernement » (Premier Ministre) de 1996 à 2004.

7) Le jour de l’interview, pur hasard, était le 11 février 2015, 76 ans après !

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Elisa : « Cette ligne me fait peur »

Elisa craint la MAT, moins pour la stabilité de son activité de tourisme rural que pour la santé de son fils.

La quarantaine sportive, Elisa vit sur le territoire municipal de Bescanó. Elle est propriétaire d’un gîte rural et de deux chambres d’hôtes, situés à 400 m environ de la ligne de la THT.

Cette jeune femme paraît anxieuse, et quelquefois au bord des larmes. Exceptionnellement, se rappelant ses treize années de lutte, elle a un sourire qui illumine son visage au détour d’une phrase. Mais cet instant privilégié est toujours fugitif.

Elle raconte : « Quand nous avons appris en 2002-2003 que la MAT passerait peut-être par chez nous, nous avons créé avec quelques amis un petit groupe pour avoir plus d’informations. Nous avons tenté de rencontrer des élus, des responsables, sans aucun résultat. »

La station de Bescano, centre de répartition.

La station de Bescano, centre de répartition.

« Nous avons intégré la plate-forme « No a la MAT ». A ce moment là, nous avons vraiment milité. Mais quand la première lutte, celle du tronçon Baixas-Santa Llogaïa, s’est achevée, nous nous sommes retrouvés bien peu à vouloir continuer le combat. »

Apparemment, la mise en place de ce projet a radicalement changé la donne.

Elisa explique : « A ce moment-là, à l’époque du gouvernement tripartite (1), nous avons créé un autre groupe, toujours avec la plate-forme, composé de professionnels du tourisme rural des provinces de Gérone et de Barcelone, pour parler aux politiques. Nous n’avons eu aucun appui de nos élus. »

« Nous avons fini par rencontrer le ministre du Tourisme de la Généralité. Comme j’étais la porte-parole, il m’a reçue seule. Et dans son bureau, il m’a insultée avec des mots qui m’ont fait très mal, des mots que je n’ose pas répéter. Puis il m’a jetée dehors… »

A la question : « Parce-que tu étais une femme ? », elle répond : « C’est possible. Mais écoute bien ce que je te dis : les politiques sont des « porcs gras. » Ils ont tellement de graisse sur eux qu’elle déborde de leur fauteuil. Ils sont ignobles et très sales. Ils ont gardé la mentalité du temps de Franco. J’en ai assez, je vis sous une dictature. »

Villana P1040523 2Si Elisa a fini par accepter une certaine somme d’argent (qu’elle ne nous a pas communiquée), c’est surtout par lassitude : « Les indemnisations se sont faites à la tête du client, si tu n’es pas connu, tu es obligé de céder. Moi, je n’étais pas connue… »

Et de conclure : « Il est difficile de lutter presque seule, j’ai été harcelée par l’administration. Mais si je n’avais rien fait pendant ces treize années, je me sentirais encore plus mal. J’ai envie de continuer, d’autant que la ligne de la MAT me fait peur pour mon fils de 19 ans. Je ne sais pas si mon commerce subira un contrecoup à cause de l’environnement, c’est trop tôt pour le dire. Mais cela n’est pas le plus important. Du point de vue énergétique, ce projet n’a jamais été cohérent. C’est un vrai désastre. Je rêve qu’un jour tous les pylônes soient emportés par une énorme tempête de neige… en attendant je veux me battre encore. »

1) Le gouvernement tripartite issu des élections régionales de 2003 était une coalition gouvernementale rassemblant les Socialistes, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) et les éco-socialistes et la gauche alternative (ICV).

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Albert Serra : « Je préfère les abeilles aux hommes, c’est moins dangereux. »

Albert Serra et ses amis ont essayé de peser sur la MAT de l’intérieur, au sein du conseil municipal de Bescanó. Ils se sont heurtés à « une démocratie maquillée ».

Du promontoire de l’église de Villana, près de Bescanó, on découvre une vue imprenable sur une quinzaine de pylônes, plusieurs lignes traversant le secteur (une de 400 KW et une de 200 KW et d’autres plus petites). C’est ce lieu qu’a choisi Albert Serra pour nous rencontrer.

Du promontoire de l'église de Villana, près de Bescanó, vue imprenable sur la ligne MAT.

Du promontoire de l’église de Villana, près de Bescanó, vue imprenable sur la ligne MAT.

Cet apiculteur de 45 ans a créé en 2002 , lorsque des rumeurs concernant la MAT ont commencé de courir, le mouvement « Entesa per Bescanó » (Entente pour Bescanó) afin d’obtenir des informations sur les projets électriques qui voulaient s’imposer sur la zone (deux sous-stations électriques Endesa (1) et REE, des lignes à très haute tension et une centrale thermique à cycle combiné). « Nous nous sommes aperçus », dit-il, « que les directives européennes sur la participation et le droit à l’information n’avaient pas été respectées par la mairie de Bescanó qui gardait par devers elle une étude relative aux impacts négatifs de ces structures tant au niveau environnemental qu’économique ou sanitaire. » Et de poursuivre « La mairie a un fonctionnement trop opaque, c’est une démocratie maquillée, porteuse de réminiscences franquistes. »

En 2007, L’Entesa per Bescanó présente aux municipales une liste composée de membres de l’ERC, du Parti Socialiste Catalan, d’Iniciativa per Catalunya Verds et de personnes indépendantes, avec à sa tête Anna Garriga, éminente universitaire de Gérone, et manque la majorité de 40 voix (il y a 4 700 habitants à Bescanó).

« Les élus d’opposition ont peu de poids, ils n’ont pas accès aux dossiers, au budget et leurs questions ne sont pas prises en compte. Elles ne peuvent se poser qu’en fin de séance et la réponse arrive deux mois plus tard et tient en une seule phrase, lapidaire. »

Mais pour eux le combat reste le même.

« Il y a 13 ou 14 pylônes sur le village, cette structure est surdimensionnée, surtout quand on sait que son but est de revendre de l’énergie au Maroc, à la France. »

Et de poursuivre : « La Catalogne avait déjà les 10 % d’interconnexion imposés par Bruxelles, l’Espagne non. Malgré tout, la MAT est passée par ici. L’administration publique, qu’elle soit locale ou à Barcelone, ne s’est pas impliquée pour que les directives européennes sur l’environnement soient respectées. »

« L’environnement, l’impact visuel et la santé vont de pair. Les travaux de M. Baldassano, expert en électromagnétique, et ceux de Pep Puig, ingénieur en énergie nucléaire, précisent qu’il faut respecter une distance d’au moins 400 m entre la MAT et les maisons. Et pourtant, certaines d’entre elles se trouvent à 100, voire 40 m de la ligne, quand celle-ci ne passe pas au-dessus du toit. Mais quel est le prix de tout cela ? »

Villana P1040534 2« Quant aux sommes versées, nous ne savons pas si des gens ont été achetés et à quel prix. Nous ne pouvons que le supposer. A la mairie, nous n’avons eu aucune information. Les entreprises privées détruisent le territoire pour leur seul bénéfice. La MAT n’a pas pris en compte la possibilité de créer des énergies renouvelables sur le plan local et n’a créé aucun emploi. »

Il semble que tout se soit passé dans la plus grande discrétion : « Les gens ont du mal à se mobiliser. Ils ont peur car il peut y avoir des répercussions, surtout dans un village. »

Trahi, déçu, Albert ? « Oui, mais j’ai beaucoup d’espoir. Je crois que la MAT peut disparaître, que nous pouvons assister à son démantèlement. Je crois également que le processus d’indépendance devra permettre d’améliorer la transparence, l’accès à l’information, le contrôle des trafics d’influence et de la corruption. »

Après un dernier regard sur la vallée défigurée, Albert s’en retourne vers ses ruches : « Je préfère les abeilles aux hommes, c’est moins dangereux. »

Même si la ligne risque aussi de détruire le sens de l’orientation des abeilles, et donc les ruches… un nouvel impact environnemental, selon de nombreux chercheurs.

1) Endesa : société à l’origine publique, aujourd’hui privée (filiale de l’Italien Enel), spécialisée dans la production et la distribution d’électricité (c’est le leader du secteur).

Lire, en fin de dossier, le témoignage d’un ancien apiculteur.

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Le groupe de Fellines : « Nous ne céderons pas »

A Fellines, la maison des Saus est à 150 m de la ligne. Celle-ci passe à 30 m d’un élevage de poulets et… 17 m de la maison de Victor. Tout ça pour une ligne « qui ne sert à rien ».

Entre Figueres et Gérone survivent de petits villages, parfois des bourgs : Orriols, Fellines, Viladesens… Ils font partie des oubliés de la MAT, là où elle est passée en force, et de ce fait sont devenus un haut lieu de lutte.

Il est là bas toute une bande de copains qui ont créé une association, « l’association des amis et des habitants de Fellines » (amics i veïns de Fellines).

Le « groupe de Fellines », comme nous avons décidé de les nommer, tant ils sont unis, est constitué de paysans, d’ouvriers, d’étudiants qui ne se seraient peut-être jamais rejoints sans les slogans « No a la MAT, ni aquí ni enlloc » et « Torres més altes han caigut » (1).

Ces jeunes gens partagent idées et repas, vont d’une maison à l’autre avec un credo commun : « Nous ne céderons pas. »

Nous avons rencontré plusieurs responsables de ce groupe, magnifiquement solidaire autour d’une table pleine de convivialité.

« Je suis obligé de partir pour mes enfants »

Albert Saus, agriculteur à Viladesens.

Albert Saus, agriculteur à Viladesens.

Albert Saus, 35 ans, agriculteur, explique le cauchemar de ces dernières années : « En 2004, notre député CiU nous a parlé d’un projet de la municipalité concernant la MAT, sans le justifier. J’étais alors conseiller municipal d’opposition à Viladesens, membre de Solidaritat Catalana per la Indepèndencia (Solidarité Catalane pour l’Indépendance). J’ai demandé des informations à la mairie et essuyé un refus. En 2007 est arrivé un nouveau projet de changement de tracé. Je n’ai pas eu davantage d’informations. C’est une démocratie incompréhensible, un simple arrangement entre le maire et un particulier. »

« La municipalité s’est engagée à faire observer une distance de 500 m des habitations. Cela a été parfois respecté, parfois non. Regarde, ici, il y a des maisons à 200 m, à 60, à 150 m de la ligne. Et au-dessus des hangars où j’élève 30 000 poulets, la ligne est à 30 m seulement. »

– Avant l’arrivée des pylônes, t’a-t-on fait une proposition ?

« Ils m’ont proposé 70 000 € pour le droit de passage sur tout le terrain. Bien sûr, j’ai refusé. Ma plainte est au Tribunal Suprême de Madrid, mais je n’ai aucun espoir. »

« J’ai surtout peur pour la santé de mes jumeaux, âgés d’un an et demi. J’ai peur aussi pour les poulets car je fais l’élevage pour un propriétaire et si celui-ci décide de partir, je n’ai plus de travail. »

« La Généralité, Madrid, la municipalité sont tous responsables. L’ERC n’a rien fait, elle m’a trahi. Aujourd’hui, je vais essayer de continuer de travailler ici, mais je partirai vivre ailleurs. C’est dur, car nous sommes sur cette terre depuis six générations. J’ai construit une maison il y a cinq ans et elle ne vaut plus rien. Nous n’avons pas besoin de la MAT et moi, ils m’auront jeté hors de chez moi. »

Il n’y aura pas de transition énergétique

Autour de la table, ce témoignage a été écouté dans un silence à peine troublé par quelques exclamations. Chacun partage son désarroi.

G. à d., Sergi Saus, Albert Saus et ses jumeaux Miquel et Martina, Jordi et Victor Canovas.

G. à d., Sergi Saus, Albert Saus et ses jumeaux Miquel et Martina, Jordi et Victor Canovas.

Le frère d’Albert, Sergi, employé à l’université de Gérone, replace la MAT dans un contexte plus militant : « Nous avons créé dès le début de la lutte notre association. Au début, on commence avec beaucoup d’espoir et d’énergie. Au fil du temps, lorsque l’on voit arriver la ligne, on en perd de plus en plus et l’on peut finir par tomber dans la résignation… Nous n’en sommes pas là, mais c’est parfois très dur. Nous continuons cependant d’y croire, car il y a beaucoup d’autres opportunités. Les gens ont peur, d’autant qu’ils sont mis devant le fait accompli. Certains ont accepté des compensations minimales plutôt que de lutter. Leur fatigue se comprend. » Au départ, l’association comptait plus de 80 membres, aujourd’hui beaucoup sont partis. « Les compensations ont été variables. Environ 25 000 € par pylône. Lorsqu’un propriétaire accepte la somme, la municipalité perçoit environ 41 € par mètre linéaire. Soit, ici à Fellines, environ 160 000 €. Le fonctionnement municipal n’est pas normal, c’est le maire qui décide tout seul. C’est la méthode espagnole. »

Pour revenir à la nécessité ou pas de la MAT, Sergi précise : « La puissance installée est de 120 000 GWh. Elle est trois fois plus importante que le pic de consommation en Catalogne. Ils veulent connecter la ligne avec l’Afrique du Nord, qui produit de l’énergie à partir du gaz naturel. Il y a des projets de centrales combinées à gaz. La production, le transport, la distribution relèvent des mêmes entreprises, notamment Endesa, filiale de l’italien Enel. Il n’y aura pas en Espagne de transition énergétique. Nous avons de l’énergie à ras bord. Pourquoi en rajouter ? »

Des actions non-violentes

Après Albert et Sergi Saus, Victor Cánovas et Jordi ont insisté sur le danger des lobbies et sur les pressions exercées sur la population : « L’argument est : au tribunal des expropriations, tu obtiendras le tiers de ce que nous proposons. Alors les gens ont signé. Ils se sentaient seuls. » « De toute façon, Monti a divisé pour régner et c’est Merkel qui décide. »

La maison de Can Planelles, à Fellines, est sous le pylône (il passe exactement à 17 mètres).

La maison de Can Planelles, à Fellines, est sous le pylône (il passe exactement à 17 mètres).

Une des dernières actions de Victor, de Jordi et de leurs nombreux amis mérite que l’on s’y arrête. Dès le début de la lutte, ils ont loué à « Can Planelles », commune de Fellines, une maison désertée par son propriétaire, à quelques mètres du futur emplacement du pylône. Et ils ont mené avec le groupe une série d’actions : marche, manifestation…

En janvier 2014, peu de temps avant la mise en place du pylône et se sachant surveillé par les forces de l’ordre, Victor a installé une caravane près de sa maison. « Je te dirai ce que j’ai fait, mais pas comment je l’ai fait », précise -t-il.

Sous la caravane, un tunnel a été creusé, de 12 mètres environ, à 3 mètres sous terre, jusqu’à une voiture qui se trouvait là par hasard (?). Le jour dit, il a traversé le tunnel, est parvenu à la voiture, s’y est enchaîné et a attendu. « J’avais prévu un système d’aération. »

Can Planelles. C'est là que Victor Canovas s'est enfermé dans une voiture sous terre.

Can Planelles. C’est là que Victor Canovas s’est enfermé dans une voiture sous terre.

Les forces de police ont mis 12 heures à l’extraire de son trou à l’aide d’une pelleteuse, après avoir repoussé souvent violemment ses amis (2).

« Il y avait 200 policiers pour une personne dans une voiture. Nous voulions dénoncer REE, la Généralité, l’État, l’Union européenne. »

44 manifestants doivent maintenant passer en jugement. Quelques jours plus tard, le pylône était installé.

Victor précise : « Je n’étais pas seul, nous n’avons jamais été violents. » El s’il avoue avoir eu un peu peur au bout de quelques heures, surtout quand la pelleteuse était au-dessus de la voiture, il termine : « Nous ferons d’autres actions de ce type car la MAT est une aberration. »

Gonflé, non ? Comme tout le groupe de Fellines.

 

1) « Non à la THT, ni ici ni ailleurs », et « Des tours plus hautes sont tombées » (pylône, en catalan, se dit « tour »).

2) On peut voir cet épisode sur cette vidéo. Voir vidéo.

Sur celle-ci (Vidéo 2) une présentation plus large de la lutte autour de Fellines.

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Des mots lourds de sens

En constituant ce dossier nous avons été surpris par la violence de certains mots employés par nos interlocuteurs. Il s’agit de « franquisme », « trahison », « peur », « manque de démocratie ».

Des mots lourds de sens, et totalement assumés.

Cela nous laisse à penser qu’il est bien difficile, même après la mort de Franco en 1975, d’oublier ses presque quarante années de dictature. Des structures, des manières de gérer semblent porter encore son empreinte.

Est-ce pour cette raison que la majorité des personnes que nous avons rencontrées ne fait plus confiance aux partis institutionnels ?

Restent sur l’échiquier des mouvements comme Podemos ou la CUP (Candidatura d’Unitat Popular, qui est principalement cantonnée à la Catalogne). Pour l’heure, les habitants « demandent à voir ».

En conclusion, il semble exister, en Catalogne comme ailleurs, beaucoup de désillusion, une grande incertitude et un grand désarroi…

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Jean-Jacques Planes : « Le commerce de l’énergie est-il un commerce comme un autre ? »

Jean-Jacques Planes a été l’un des présidents du Collectif « Non à la THT ».

Dans quel état d’esprit êtes-vous maintenant que c’est terminé ?

« Terminé, pas tout à fait. Il reste à faire des essais. Et il y a encore des objectifs à mener, même si cela devrait bien se passer. Il reste à vérifier le respect de la promesse de Jean-Louis Borloo que c’est la dernière ligne THT qui passera par les Pyrénées-Orientales : le jour de l’inauguration, Dominique Maillard, de RTE, a précisé que l’interconnexion avec la péninsule ibérique était suffisante. On nous a déjà fait le coup, lorsque la ligne, d’abord prévue au Pays Basque, a été déplacée dans les PO et puis lorsque la ligne du Col d’Ares a été renforcée. »

Estimez-vous que les objectifs du collectif ont été atteints ?

« Oui, tout autant que l’on considère que l’échange d’électricité entre les États est quelque chose de normal et que le commerce de l’énergie est un commerce comme un autre, en tenant compte du fait qu’il vient de parcs éoliens gigantesques en Espagne et des centrales nucléaires françaises. »

C’est ce que vous considérez ?

« A titre personnel, j’ai deux réflexions : d’une part, je n’ai pas la capacité intellectuelle ni la maîtrise des tenants et des aboutissants pour savoir si deux États font bien de commercer sur l’électricité ; d’autre part, on peut difficilement se passer des grands moyens de production, mais c’est dommage que ce soit au détriment des petites centrales, locales et individuelles : je serais plutôt pour que l’on favorise cette production locale, les bâtiments à énergie positive, les petits parcs éoliens, les bâtiments photovoltaïques par exemple au Marché Saint-Charles, le petit éolien personnel… L’un ne doit pas exclure l’autre. »

Et quelle est la position du collectif ?

« Elle est plus dure que la mienne, elle est que l’on ne doit pas commercer avec l’énergie, parce que ce n’est pas une denrée commerciale comme les autres. »

Baixas P1040560 2« Pour ce qui est de nos autres objectifs, il faut dire que la réalisation du projet sur le terrain est parfaite du point de vue du respect de l’environnement. Et, de Baixas à Santa Llogaïa, la ligne ne se voit pas, c’est une grande victoire. L’autre victoire, c’est qu’il n’y a pas de champ électromagnétique du fait du choix du courant continu, qui est une technique extrêmement sure pour la santé publique. »

« Autre satisfaction, comme promis, de entreprises des Pyrénées-Orientales ont travaillé sur le chantier, notamment à Baixas, des entreprises du Languedoc-Roussillon aussi ; il y a eu un recours à de la main-d’œuvre intérimaire locale et le secteur de la restauration a été sollicité. En tout, 183 points ont été débattus lors de la concertation avec RTE ; ils ont été satisfaits. »

« Par contre, nous avons un goût amer : de l’autre côté de la frontière, la ligne n’a pas été enterrée comme prévu jusqu’à Bescanó mais simplement jusqu’à Santa Llogaïa. Nous avons combattu ensemble, des deux côtés de la frontière ; nos cousins du Sud n’ont pas eu droit au même traitement. »

Comment l’expliquez-vous ?

« Mario Monti a vu que de l’autre côté la résistance était moindre, pas celle des citoyens, qui a été forte, mais celle des élus. Il a laissé se débrouiller le gouvernement de Madrid et la Généralité avec leurs citoyens. Nous ne pouvons pas être satisfaits. »

« Je me suis recentré sur la présidence de la Fédération régionale du Bâtiment et Laurent Belmas m’a remplacé à la présidence du collectif. Mais si la menace revenait, je serais mobilisé dans l’heure. »

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Laurent Belmas réagit : « Il est prématuré de manger à la même table que RTE »

A la lecture de ce dossier, Laurent Belmas, président du Collectif « Non à la THT », nous fait part des positions du collectif :

« Vous avez retranscrit le vécu de nos cousins du sud d’une façon qui retrace bien le vécu de leur pays et de leurs élus politiques. Nous ne voulons toujours pas de cette ligne et ils ont le droit de penser que nous avons travaillé pour qu’elle soit enterrée, même si ce n’est pas la vérité. J’ai un profond respect pour les personnes que vous avez rencontrées et tout particulièrement pour Joan Martí. Nous allons les rencontrer prochainement pour essayer de les aider à la hauteur de nos moyens. »

« A la question : Estimez-vous que les objectifs du collectif ont été atteints ? Je réponds : Non, car cette ligne favorise principalement les productions centralisées et commerciales au détriment de la production renouvelable locale donc de proximité. Cette ligne est aujourd’hui reconnue d’une importance commerciale prioritaire entre l’Europe et l’Afrique du Nord. C’est bien pour ça que Monti a apporté autant d’argent. Cette ligne n’est absolument pas importante pour l’alimentation de la Catalogne ni de l’Espagne, par contre elle permettra aux gros producteurs de pouvoir faire beaucoup de profits. Pour préciser un peu plus, elle permettra aux producteurs d’électricité éolienne espagnols de pouvoir écouler leur production sur un autre marché que l’Espagne qui régulièrement, pour des questions de sécurité du réseau, leur interdit de produire. Autrement dit, c’est une entraide entre producteurs. Je ne fais que reprendre les propos de Joan Martí : « La MAT, c’est la Mafia ». Nous n’avons pas gagné.« 

« A la question : Et quelle est la position du collectif ? Réponse : Depuis sa création, le collectif a toujours dit que les échanges électriques entre les différents réseaux étaient normaux puisque régis par les lois d’équilibre électrique des réseaux. Nos différentes interventions lors du débat public peuvent en témoigner. En revanche, nous avons toujours contesté les objectifs des 10 % d’interconnexion car ils ne correspondent pas à un besoin de chaque pays mais à un besoin d’échange commercial des différents producteurs. Les interconnexions sont une nécessité de sécurité, pas de besoin. »

« En ce qui concerne les effets des champs magnétiques, ils ne sont toujours pas mesurés. Il est donc prématuré de dire qu’ils sont indemnes de problèmes pour la santé. »

« Il est important de  préciser que les différentes mesures prendront en compte les différents champs magnétiques ou/et électromagnétiques depuis Baixas jusqu’à la frontière. Ces mesures n’iront pas au-delà. C’est encore une provocation d’Inelfe par rapport aux Catalans du Sud. »

« La situation actuelle : Des mesures du champ magnétique terrestre ont été effectuées en décembre dernier. C’est le préliminaire afin de pouvoir connaître, avant la mise en service, les données locales. »

« Conformément aux engagements de RTE pris lors de la concertation, les différentes mesures effectuées par RTE et autres bureaux d’études devaient nous être communiquées au fur et à mesure. Cet engagement a été confirmé en réunion en préfecture. Le même engagement nous a été confirmé par M. Jean Marie, conseiller du Premier Ministre, le 20 février en préfecture. »

« A ce jour, à la vue du délai de diffusion des premières mesures, je ne peux en aucun cas dire que RTE joue le jeu. Mon expérience et ma connaissance des pratiques de ces messieurs me confortent pour dire qu’il est prématuré de manger à la même table qu’eux. En ce qui me concerne, je ne l’ai jamais fait par respect des personnes qui composent ce collectif. L’histoire du collectif est explicite à ce sujet. »

« Le futur : il ne sera malheureusement pas de tout repos car les projets d’interconnexions trans-pyrénéennes sont nombreux. Là encore, il serait irresponsable de faire une totale confiance à RTE sur ses intentions. C’est pourquoi, lors de notre dernière AG, nous avons décidé de ne pas dissoudre le collectif afin de garder un œil ouvert sur leurs futurs projets. »

« Ce combat fait maintenant partie de l’histoire de ce pays catalan. »

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Jean-Claude Peralba : « Le projet s’est complètement métamorphosé grâce aux opposants »

Jean-Claude Peralba est maire de Villemolaque et président du Sydeco 66 (Syndicat des communes des Pyrénées-Orientales).

Pourquoi avoir créé le Sydeco ?

« Dès que le projet a été connu, nous avions constitué, en décembre 2001, un regroupement informel des maires pour s’y opposer. Nous avons participé au Débat Public en 2003, qui n’a pas amené d’avancée notable. C’est à son issue que j’ai impulsé la création du Sydeco. Il a réuni au début une cinquantaine de maires et puis jusqu’à 150 environ, sur les 226 maires du département (une partie ont adhéré pour défendre le territoire de leur commune, d’autres par solidarité) ; nous avions l’appui de l’Association départementale des maires. Notre première décision a été de refuser collectivement de recevoir RTE dans les mairies. »

« Plus généralement, nous refusions l’idée d’une nouvelle ligne d’interconnexion, pour nous ce projet souffrait du syndrome des trois « i » : il était Inacceptable parce que terriblement impactant pour le paysage ; Injuste parce qu’il est arrivé chez nous après l’annulation du projet de THT par la Vallée du Louron ; et Inutile, les justifications avancées par RTE ne nous ont jamais convaincus de son utilité. »

La ligne THT vient d’être inaugurée ; avez-vous, en partie, remporté une victoire ?

« Nous n’avons jamais crié victoire. Au départ, nous contestions l’utilité du projet ; avec le recul, et compte tenu de la manière dont RTE a présenté la réalisation, comme une vitrine, peut-être y a-t-il du positif. L’objectif de 2 800 MW de connexion a été atteint. Nous pouvons nous être trompés sur l’inutilité du projet mais je n’en mettrais pas ma main à couper et nous ne sommes toujours pas convaincus. »

« Il y a par contre un élément qui nous autorise à crier victoire : aujourd’hui, le projet est parfaitement acceptable du point de vue environnemental. Nous l’avons fait évoluer, il s’est complètement métamorphosé, grâce à nous. Le projet a été déplacé de la plaine vers le Vallespir : les opposants de la plaine se sont déplacés aussi. Lorsque le choix de l’enfouissement a été acté, le Sydeco a accepté de recevoir RTE dans les mairies, nous avons engagé la double concertation, avec le préfet et dans le cadre de la commission nationale de Débat public, et nous avons travaillé en concertation avec RTE jusqu’à régler des questions au plus près du terrain, pour préparer l’appel d’offres entre autres et obtenir des engagements de la part de RTE. »

La station de conversion de Santa Llogaïa.

La station de conversion de Santa Llogaïa.

Il en va différemment en Espagne…

« Je le regrette profondément. Nous sommes allés aider nos cousins de Catalogne Sud, trois fois, avec l’écharpe tricolore. Le collectif d’associations a été en relation étroite avec ses homologues du Sud et le Sydeco l’a été avec un groupe de maires au Sud. Cela n’a pas marché comme chez nous, au moins pour deux raisons essentielles : ils s’y sont pris beaucoup plus tard ; et en Espagne la démocratie est un peu plus jeune que la nôtre, il n’y a pas la notion de débat public. Il y a une autre raison : ici, les élus nous avons réussi à nous fédérer dans tout le département, maires, conseillers généraux, parlementaires, droite et gauche, nous avons tiré dans le même sens ; en Catalogne Sud, ils n’ont pas réussi : c’était plus compliqué pour eux, la Généralité était pour ; les maires des petits communes sont plus encartés qu’ici ; les partis ont arbitré tout ça et ça a été un fiasco. »

Le Sydeco existe toujours…

« J’avais proposé sa dissolution. Les collègues ont souhaité qu’il perdure jusqu’à la mise en service de la ligne, pour voir que tous les engagements de RTE sont respectés. Ils l’ont été jusqu’ici. Il reste à faire des mesures contradictoires de champ électromagnétique pour voir si ce qui a été dit est respecté. »

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Ligne souterraine en courant continu : une première

Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, et le premier ministre français, Manuel Valls, ont inauguré, le 20 février à Montesquieu-des-Albères, la nouvelle ligne THT. Le président de la Généralité, Artur Mas, les a rejoints au déjeuner.

La ligne souterraine de Baixas à Santa Llogaïa est, souligne RTE, une « première mondiale » par sa longueur : 64 km de ligne enterrée en courant continu de 320 KV (1).

La ligne parcourt 33 km en France et 31 en Espagne, en tranchée, essentiellement le long de l’autoroute et de la ligne de train à grande vitesse. La partie sous le massif des Albères passe en tunnel, sur 8,5 km.

De part et d’autre du tracé enterré (à Baixas et à Santa Llogaïa d’Álguema, au sud de Figueres), deux stations de conversion ont été aménagées pour transformer le courant alternatif en courant continu, et inversement.

Aux deux extrémités de ce tronçon, la ligne se poursuit en aérien : de Santa Llogaïa à Bescanó, on compte pas moins de 110 pylônes ! La ligne doit ensuite relier Bescanó à Santa Coloma de Gramenet, près de Barcelone, où les oppositions sont fortes. En France, le projet a impliqué le doublement de la ligne en aérien La Gaudière-Baixas (par le massif des Corbières).

RTE et REE avaient constitué, pour réaliser le chantier Baixas-Santa Llogaïa, une société filiale commune, Inelfe. Le coût annoncé du projet est de 700 M€ : 350 pour les stations de conversion, 230 pour la partie en tranchée, 110 pour la partie en tunnel, et 10 de frais généraux. Le financement a été réalisé notamment par un prêt de la Banque Européenne d’Investissement (350 M€) et une subvention de l’Union européenne (225 M€).

Après des tests, la mise en service est prévue en juin 2015.

1) Voir la présentation du projet par Inelfe.

Santé : des suspicions mais pas assez d’études

Les lignes à très haute tension émettent des champs magnétiques à très basse fréquence, dont on connaît mal les effets. Cela d’autant moins que ce domaine a fait l’objet de peu d’études et que les scientifiques sont partagés.

Selon la Commission européenne, un champ magnétique de 100 µT (micro teslas) serait la limite à ne pas dépasser. RTE se veut donc rassurant : le champ magnétique d’une ligne est de 3 µT à 50 m de distance. Mais selon certaines chercheurs, le taux maximum où le champ magnétique ne présente aucun danger serait de 0,2 µT (Sciences et Avenir mai 2002).

Des études épidémiologiques ont montré qu’il pouvait y avoir une association entre une forte exposition aux champs magnétiques et la leucémie de l’enfant.

Le Centre international de recherche sur le cancer, en 2001, a estimé que les champs magnétiques à très basse fréquence étaient peut-être cancérogènes, sans pouvoir être plus affirmatif.

En 2007-2008 le Criirem (Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électro-magnétiques) a réalisé une étude, à la demande du Collectif anti-THT Cotentin-Maine. Elle met en évidence (sur 1 900 dossiers) divers désagréments constatés sous les lignes, dont des problèmes de santé : troubles du sommeil, de la mémoire, de l’audition, maux de tête, irritabilité, état dépressif. Ou encore des problèmes de croissance et d’agressivité chez les animaux d’élevage.

Baixas P1040555 2* * * *

L’interconnexion méditerranéenne

L’interconnexion France-Espagne se situe dans le cadre plus large de la mise en boucle des réseaux autour de la Méditerranée dans l’objectif de faciliter l’essor d’un « marché euro-méditerranéen de l’énergie » comme « espace de libre-échange homogène ». Ainsi est favorisée l’interconnexion entre la France et l’Espagne vers le Maghreb, mais aussi entre la France, l’Italie et ce même Maghreb ou encore vers la Grèce et ses voisins.

Déjà une ligne sous-marine de 400 KV relie l’Italie à la Sicile et deux lignes sous-marines relient l’Espagne au Maroc. Il y a aussi un projet Espagne-Algérie.

Dans ce même contexte, un projet de câble sous-marin Espagne-France par le Golfe de Gascogne est envisagé à l’horizon 2020 et, plus localement, un projet de câble sous-marin 320 KV de Fos-sur-Mer à Gruissan (Aude) à l’horizon 2017 : ce dernier sera relié à La Gaudière (1).

L’interconnexion méditerranéenne concerne aussi le gaz, avec par exemple le gazoduc Tarifa-Maroc, le gazoduc MedGaz, qui passe sous la mer entre la côte algérienne (Beni Saf) et Almería (mis en service en 2011), et le projet MidCat, qui pourrait relier Hostalric (province de Gérone) à Barbaira (Aude), si les freins français (apparemment d’EDF, de GDF-Suez et du gouvernement) se relâchent.

Qui dit interconnexion dit commerce. Et cela d’Europe vers le Maghreb et du Maghreb vers l’Europe à partir notamment du gaz algérien et des projets de centrales thermiques à gaz.

1) Autre projet en cours, à partir de La Gaudière, le doublement de la ligne 400 KV vers Rueyres (Aveyron). Voir site Plateau Survolté.

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Échanges commerciaux et physiques : la France bénéficiaire

Le solde d’échanges contractuels import-export d’électricité entre la France et l’Espagne est bénéficiaire pour la France en 2014, à hauteur de 3,6 TWh (1) : cette année-là, l’Espagne à acheté 6,5 TWh à la France et lui a vendu 2,9 TWh.

Les échanges physiques quant à eux (transport réel d’électricité) se sont élevés à 2,5 TWh de la péninsule ibérique vers la France et à 5,7 TWh de la France vers la péninsule ibérique, soit un solde positif de 3,2 TWh pour la France.

Au total, la France, en 2014, a importé des pays voisins 27 TWh et a exporté 92 TWh, soit un solde positif (échanges contractuels) de 65 TWh (environ 8 % de la production française). Son solde import-export est négatif avec l’Allemagne ; il est positif avec tous ses autres voisins.

L’Espagne, pour sa part, a en 2014 un solde positif d’échanges physiques avec ses partenaires à hauteur de 3,5 TWh (1,2 % de la production espagnole) : en détail, solde positif avec le Maroc (5,8 TWh), le Portugal (0,7 TWh) et l’Andorre (0,2 TWh) et négatif avec la France (3,2 TWh).

Avec le Maroc, les échanges physiques, toujours en 2014, sont presque entièrement dans le sens Espagne-Maroc (à 99,5%). Avec le Portugal, les flux sont de 6,4 TWh du Portugal vers l’Espagne et de 7,1 TWh dans l’autre sens. (2)

1) TWh : Téra Watt/heure (1 TWh = 1 000 GWh = 1 000 000 MWh = 1 000 000 000 kWh).

2) Voir, page 16 de ce rapport, la carte des échanges physiques de la péninsule ibérique, qui situe les quantités échangées sur chaque ligne transfrontalière.

A Santa Llogaïa d'Alguema, près de Figueres, cette station de conversion change le courant continu en courant alternatif et vice-versa.

A Santa Llogaïa d’Alguema, près de Figueres, cette station de conversion change le courant continu en courant alternatif et vice-versa.

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L’interconnexion : pour la sécurité ou pour le commerce ?

La volonté de l’Union européenne d’aller vers une interconnexion totale des réseaux de transport d’électricité des États membres va de pair avec la libéralisation du secteur de l’électricité mise en place à partir de 1996.

La nouvelle ligne Baixas-Bescanó permettra de doubler le niveau d’interconnexion entre la France et l’Espagne, qui passera de 3 à 6 %.

Selon Inelfe, l’interconnexion, en augmentant les possibilités d’échanges entre la péninsule ibérique et la France (et vice-versa), va sécuriser l’approvisionnement des deux côtés des Pyrénées, créer une concurrence et permettre un resserrement des prix de l’électricité de la péninsule, qui sont supérieurs à ceux du reste de l’Europe.

Inelfe fait valoir que le poids des énergies renouvelables en Espagne donne à la production espagnole d’énergie une grande variabilité. D’où, selon elle, l’intérêt de l’interconnexion pour compenser l’irrégularité de la production.

Autre argument en faveur de l’interconnexion, la nécessité d’alimenter la ligne TAV (1) espagnole.

L'interconnexion était aussi censée alimenter le TAV (TGV espagnol). En fond, la station de conversion de Santa Llogaïa.

L’interconnexion était aussi censée alimenter le TAV (TGV espagnol). En fond, la station de conversion de Santa Llogaïa.

Ces arguments ont été repris par le rapport du Cesi (Centro elettrotecnico sperimentale italiano), commandé par Mario Monti pour évaluer le projet Baixas-Bescanó et remis en avril 2008.

Le Collectif « Non à la THT » conteste les arguments de ce rapport sur plusieurs points.

Le collectif considère que l’offre d’électricité est suffisante en Espagne face aux situations de pointe, du fait d’une tendance à la baisse de la consommation. Et que par conséquent l’interconnexion n’est pas justifiée.

Il y a, dans la région de Gérone, un léger déficit de production d’électricité. Il est en cours d’être comblé. D’ailleurs, la région de Barcelone, toute proche, est en excédent de production. REE envisage aussi de réduire les goulots d’étranglement sur le territoire espagnol, notamment en Catalogne.

Au Portugal, toutefois, la puissance installée est insuffisante. Pour le collectif, ce pays doit régler lui-même ce problème et si interconnexion il devait y avoir avec la France, elle devrait alors se situer à l’Ouest des Pyrénées et non à l’Est.
Sur le sujet de l’éolien, dont l’irrégularité de production est pointée du doigt par le Cesi, les opposants font remarquer que cette irrégularité est gérée, en Espagne même, par la complémentarité avec les centrales hydrauliques et thermiques à gaz.

Pour le collectif, l’interconnexion ne se justifie donc vraiment pas. D’ailleurs, il estime que l’électricité nucléaire française, dont la réponse à la demande ne peut pas être instantanée, n’est pas adaptée au besoin éventuel de sécurisation de l’offre.

En conclusion, le Collectif « Non à la THT » considère que l’interconnexion n’est pas justifiée par les besoins de la consommation mais qu’au contraire sa vraie raison est la facilitation du commerce de l’électricité. Et que la libéralisation du marché ne vise pas à mutualiser l’énergie mais à faire des profits.

Ce n’est pas la demande d’électricité, dit-il, qui est la principale source de congestion des réseaux, c’est le commerce transfrontalier. Il y a donc selon lui concurrence entre les deux objectifs, commerce et sécurité d’approvisionnement, qui ne sont pas conciliables.

Promesses non tenues

Dans un article du Monde Diplomatique d’octobre 2011, « Enquête sur une industrie contestée. L’ouverture du marché de l’électricité ou l’impossible victoire du dogme libéral », le journaliste Tristan Coloma estime que la libéralisation du marché européen de l’électricité, contrairement à ses promesses, n’a pas fait baisser les prix à la consommation, au contraire. Certes, elle a favorisé la concurrence entre les sociétés de production mais avec un effet pervers, qui est la forte concentration de ces entreprises, par fusion et acquisition, ce qui tend à créer une situation de monopole.

L’ouverture du marché n’a pas non plus, selon lui, incité les producteurs à investir dans de nouveaux moyens de production.

Bescano.

Bescano.

Pour Tristan Coloma, l’électricité n’est pas une denrée adaptée à une approche de marché classique pour plusieurs raisons : diversité des sources d’énergie et importantes différences de coût entre les moyens de production, non élasticité à court terme de la demande aux prix, impossibilité de stockage. Il critique aussi la construction des prix sur les marchés de gros lesquels, selon lui, n’ont « aucune cohérence pour servir de référence au marché » et de plus sont facilement manipulables.

Les tenants du système de marché, bien sûr, ne seront pas d’accord avec cette vision.

Le secteur de l’électricité est un monde complexe à appréhender pour le simple citoyen. Mais celui-ci est tout à fait apte à savoir s’il veut faire confiance « au marché » pour réguler le système ou s’il préfère s’en remettre à une maîtrise publique indépendante de tout intérêt commercial ou financier.

1) TAV : tren de alta velocidad, TGV en France.

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Réaction d’Albert Cormary : Pas de miel sous une ligne haute tension

Albert Cormary (Sigean, Aude), à la lecture du témoignage d’Albert Serra, nous fait part de sa réaction concernant l’impact d’une ligne sur les abeilles :

« J’ai un passé d’apiculteur et une année, à la fin des années 80, j’avais trouvé un excellent emplacement pour le romarin, pas très loin de chez moi, dans les environs de Prat de Cest. L’endroit était bien orienté, abrité, accessible, sans herbe, beaucoup de romarin en fleur autour et il faisait beau. Seul détail qui m’avait échappé, au pied d’un pylône de ligne HT. Cette année-là, un rucher situé à 5 km de là dans une situation assez similaire m’a donné 80 kg de miel par ruche. C’est rare mais pas exceptionnel. Celui de Prat de Cest, pas un gramme. Les abeilles se sont montrées extrêmement agressives, comme jamais. Sitôt retirées de là, elles ont repris un comportement normal.

Je ne sais pas si c’était l’impact des champs électriques ou le grésillement des isolateurs mais le fait est là, il y avait bien un effet biologique de la ligne électrique.

Depuis, je ne crois plus aux discours minimisant les conséquences des ondes. Chez nous il n’y a pas de Wifi et, hasard, le portable ne passe pas. En déplacement, nous ne nous servons de cet engin qu’avec parcimonie ! »

Eau/assainissement du Grand Narbonne : trois ans pour faire un choix

La communauté d’agglomération du Grand Narbonne est en pleine réflexion sur la gestion de l’eau et de l’assainissement et le choix du mode de gestion (régie publique, délégation de service public ou système mixte). Gérard Kerfyser, vice-président de l’agglo délégué à la Politique de l’Eau (maire d’Armissan), nous a fait part de l’état de cette réflexion.

Ce volet Grand Narbonne complète notre dossier sur l’eau et l’assainissement «Vers une réappropriation… publique du bien public».

Gérard Kerfyser, vice-président du Grand Narbonne délégué à la politique de l'eau.

Gérard Kerfyser, vice-président du Grand Narbonne délégué à la politique de l’eau.

«Nous sommes dans la même problématique que les agglomérations de Montpellier, Béziers, Carcassonne», dit Gérard Kerfyser, faisant référence à notre dossier. «L’objectif est clair, mais le chemin pour y parvenir est tortueux.»

Il retrace l’historique de l’agglomération du Grand Narbonne, créée le 26 décembre 2012, et de son élargissement progressif pour atteindre aujourd’hui 39 communes. L’état des lieux, au départ, pour la gestion de l’eau et de l’assainissement, est le suivant : 10 communes étaient en délégation de service public (DSP), 7 en régie et 1 (Coursan) en régie pour l’eau et en DSP pour l’assainissement.

L’agglo a pris en charge la régie des 8 communes concernées et, pour cela, a mis en place un Centre technique à Coursan. Il gère les astreintes, les interventions et la partie administrative de la régie.

«On s’est dit : il faut voir comment peser sur le prix de l’eau», explique G. Kerfyser. Pour cela, l’agglo a procédé «de façon empirique», en augmentant le poids de la régie à la faveur de l’élargissement à de nouvelles communes. De 2008 à 2010, les services de l’eau de Marcorignan, Armissan et Névian, qui étaient jusque là en DSP, sont passés à la régie de l’agglo.

«Nous avons mis en concurrence les deux systèmes», poursuit le vice-président du Grand Narbonne : «Cela afin que les délégataires comprennent que nous savions faire en régie, mais aussi pour que la régie soit performante et responsable devant les consommateurs.»

En 2008, l’agglo a commencé à harmoniser le prix de l’eau pour les communes en régie.

Petit à petit, de nouvelles communes sont entrées dans l’agglo. Un deuxième centre technique a été créé en 2011 à Mirepeisset, avec 6 agents techniques et 1 agent administratif. Celui de Coursan compte aujourd’hui 7 agents techniques et 5 agents administratifs,

En 2015, la communauté d’agglomération compte 17 communes en DSP pour l’eau et l’assainissement, 1 en régie pour l’eau et en DSP pour l’assainissement, et 21 en régie pour l’eau et l’assainissement, dont 10 en prestation de service : celle-ci, assurée par Veolia (4 communes), Saur (1) et BRL (5), concerne surtout la gestion des stations d’épuration, ce qui coûte 800 000 € par an à l’agglo.

Notons que si le nombre de communes en régie est majoritaire, ces communes, de petite taille, ne pèsent qu’environ 20 % de la consommation de l’agglomération.

L’harmonisation du prix de l’eau s’est faite progressivement, pour les communes en régie. A ce jour, 15 communes sur 21 sont sur le même prix, qui est de 4,20 €/m³ TTC. Pour les autres communes (certaines en régie, d’autres en DSP), le prix varie de 2,22 € à 5,96 €/m³.

Se faire une opinion à l’occasion de l’arrivée à échéance de contrats

La gestion de la régie de l’eau et de l’assainissement par le Grand Narbonne s’est traduit, pour celui-ci, par des répercussions financières : l’agglo a assumé la poursuite de la gestion communale en terme de remboursement des emprunts, d’harmonisation des amortissements, de régularisations avec l’Agence de l’Eau. «Cela explique que le prix de l’eau est encore élevé», dit G. Kerfyser. L’agglo a dû prendre en charge les réseaux et les stations d’épuration, «qui n’étaient pas toujours dans un état terrible». Elle a créé neuf stations d’épuration (1). «Les petites communes, souvent, avaient peu investi, par manque de moyens ; l’agglo, c’est aussi la solidarité.»

Travaux sur les réseaux. (Photo Grand Narbonne)

Travaux sur les réseaux. (Photo Grand Narbonne)

En dix ans, le Grand Narbonne a investi 86 M€ dans l’eau et l’assainissement, ce qui représente environ la moitié de ses investissements et 55 % de son endettement (2). Le rythme de l’investissement commence à ralentir, à hauteur de 6,7 M€ par an.

La réflexion de l’agglomération, aujourd’hui, arrive à un point important, avec la fin prochaine de certains contrats. Gérard Kerfyser pose le débat : «Les questions que nous nous posons, c’est : quel est le meilleur mode de gestion ? Quelle est la taille critique ? Nous cherchons un modèle pertinent.» Pour cela, l’agglo va confier à un cabinet d’études une étude comparative sur DSP et régie. Parallèlement, ses services techniques sont en train de réaliser une évaluation fine du parc, réseaux et stations d’épuration, et de son état.

Quatre contrats en DSP qui arrivent à échéance, sur deux communes (Sigean et Salles-d’Aude), seront relancés pour une courte durée, trois ans, cela pour se laisser le temps de «se faire une opinion».

Les contrats de neuf autres communes (eau et assainissement) et celui de Coursan (assainissement) arrivent à échéance en 2017-2018. Ceux de Narbonne, Gruissan et Fleury-d’Aude en 2024.

Le moment va donc arriver de choisir une orientation générale. «A ce jour», dit Gérard Kerfyser, «nous ne savons pas si nous allons passer tout en régie, tout en DSP ou quelque chose de mixte. Pour passer en régie, nous n’avons pas aujourd’hui le personnel, en nombre et en qualification. Cela entraînerait donc une explosion des frais de fonctionnement. Il faut voir aussi que le coût de l’eau, en régie, est très variable, selon les investissements, l’état des réseaux, le rendement (aujourd’hui, le taux moyen de pertes est de 25 %).»

«Quand on parle de l’eau, on voit souvent l’eau qui coule au robinet. Il faut s’en faire une image différente. Le consommateur paie l’ensemble du cycle de l’eau, du captage à l’assainissement.»

«Nous réalisons aussi un travail important de sécurisation, qui consiste à pouvoir faire appel à plusieurs ressources sur une même commune, au cas où l’une d’elles serait défaillante. Narbonne dépend du champ captant de Moussoulens (3) ; nous avons sécurisé l’approvisionnement de la ville par l’alimentation à partir de BRL ; nous faisons régulièrement des simulations de crise. Cette sécurisation a un coût. Nous faisons la même chose pour le Sud Minervois.»

(Photo Grand Narbonne)

(Photo Grand Narbonne)

«Le but principal est de maîtriser le prix de l’eau, pour éviter qu’il augmente. Le consommateur a tendance à vouloir que l’eau soit gratuite. On peut aussi se demander si le principe du budget annexe (4) est pertinent : il doit être équilibré en dépenses et recettes, plus les subventions d’investissement, mais l’agglo ne peut pas apporter de subvention d’équilibre. Mais il faut voir que la réglementation peut évoluer. On trouve dans l’eau, par exemple, des traces d’atrazine (5) ; on peut aussi, un jour, nous demander de rechercher les traces de médicaments ; tout cela entraîne des frais. Est-il pertinent que le consommateur prenne tout à sa charge ? De plus, la consommation d’eau est en baisse (d’environ 8 % en 2013) et donc les recettes aussi, alors que les contraintes, pour assurer la qualité de l’eau, sont en hausse. Nous disons nous-mêmes : économisez l’eau ; mais il y a un effet pervers qui est la difficulté à équilibrer le budget.»

«Pour l’instant, nous n’avons pas de modèle assuré, que ce soit pour les grandes villes ou pour les petites», conclut Gérard Kerfyser. «Nous faisons pression sur les industriels. Mais il y a des exemples qui disent que la régie est plus compliquée à gérer, pour une petite ville notamment ; la DSP, cela peut être un service rendu. Il y a plusieurs types de DSP, la gestion, les travaux concessifs… C’est très complexe, il faut bien voir tout cela avant de décider. Dans trois ans, nous aurons notre premier rendez-vous important ; si une solution est avérée, on pourra envisager plus sereinement le choix pour Narbonne.»

On le voit, le Grand Narbonne n’a pas arrêté ses choix en matière de mode de gestion de l’eau et de l’assainissement. La réflexion se poursuit. Gérard Kerfyser, qui se dit «ouvert pour expliquer tout cela aux citoyens», insiste sur la technicité du sujet. L’étude comparative entre les deux systèmes devrait permettre au Grand Narbonne d’avoir des éléments pour se positionner.

Ph.C.

1) Le Grand Narbonne fait valoir qu’autour de l’étang de Bages-Sigean, la plupart des stations ont été renouvelées et que la qualité bactériologique de l’eau s’en ressent.

2) L’endettement du Grand Narbonne, expliquait récemment le président Jacques Bascou, est «tout à fait maîtrisé» : Il s’élève à 113 M€, soit un ratio de 2,8 années de budget, contre 4,5 années pour la moyenne des communautés d’agglomération de la même taille.

3) Sur la commune de Moussan, dans la nappe alluviale du fleuve Aude.

4) Le budget eau et assainissement du Grand Narbonne est d’un peu plus de 20 M€, soit autant que le budget principal (le budget consolidé est de 160 M€).

5) Un insecticide utilisé en viticulture, aujourd’hui interdit.

Photo Jebulon (Wiki Commons), jardins de la Alcazaba, Almeria.

Photo Jebulon (Wiki Commons), jardins de la Alcazaba, Almeria.

La situation en 2015 (1)

Sur les 39 communes de la Communauté d’agglomération du Grand Narbonne, 21, pas les plus peuplées, sont en régie publique à la fois pour l’eau et l’assainissement : Armissan, Bizanet, Bize, Caves, Feuilla, Fraïsse-des-Corbières, Ginestas, Marcorignan, Mirepeisset, Montredon-des-Corbières, Moussan, Névian, Ouveillan, Pouzols, Raissac, Sallèles-d’Aude, Saint-Nazaire, Sainte-Valière, Villedaigne, Vinassan et Mailhac.

Coursan est en régie publique pour l’eau et en DSP (délégation de service public) pour l’assainissement (Veolia).

Les autres communes, 17 au total, sont en DSP pour l’eau et l’assainissement avec Veolia (Argeliers, Fleury, Leucate, Narbonne, Peyriac-de-Mer, Port-la-Nouvelle, Portel, Salles, Sigean, Ventenac-Minervois), BRL (Bages, La Palme, Roquefort, Saint-Marcel, Treilles) et Saur (Cuxac-d’Aude).

Gruissan est en DSP pour l’eau avec BRL et pour l’assainissement avec Veolia.

L’eau provient de multiples captages : puits et forages dans la nappe alluviale de l’Aude (en particulier à Moussoulens), de la Cesse ; forages en milieu karstique (Les Mailloles, à Moussan ; Croix blanche à Montredon) ; eau de l’Orb qui transite par l’usine de traitement de Pech de Labade (Fleury) pour alimenter les communes du littoral (avec projet de raccordement à l’eau du Rhône via le réseau Aqua Domitia ; les travaux devraient démarrer début 2015) ; et plusieurs autres prélèvements…

L’assainissement est assuré par 26 stations d’épuration.

1) Fin 2017, les communes d’Argeliers, Ventenac, Saint-Marcel, Cuxac sont passées en régie. Caves est passée en DSP. Les communes du secteur compris entre Bages et Leucate ont signé une nouvelle DSP jusqu’en 2030 avec BRL pour l’eau et Veolia pour l’assainissement.

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Une réaction d’Albert Cormary : « un raisonnement très timoré face aux industriels »

Albert Cormary (Sigean) nous fait part de sa réaction à cet article. Il fait notamment référence au passage où Gérard Kerfyser dit « Pour passer en régie, nous n’avons pas aujourd’hui le personnel, en nombre et en qualification. Cela entraînerait donc une explosion des frais de fonctionnement… » :

« Autrement dit, faire face à ses responsabilités, ça coûte. Comme si en face des dépenses, il n’y avait pas de recettes, même si elles sont en baisse !

Je me suis toujours méfié des discours prétendant que la régie était forcément moins chère que la DSP. Tout dépend des niveaux d’investissement, de l’état des réseaux, etc. Le tout est de savoir ce que l’on veut : un service optimisé ou un service a minima. Le premier coûtera toujours plus cher que le second mais en régie il sera forcément moins cher (pas de rémunération de l’actionnariat, maîtrise des coûts annexes).

A vrai dire, j’ai du mal à suivre le raisonnement très timoré de M. Kerfyser devant les industriels de la chose. Sur la question du personnel, la loi est claire, la collectivité est tenue de reprendre celui affecté préalablement au service. Le hic, c’est qu’une situation de rente comme celle de Veolia à Narbonne a suscité des embauches en corollaire aux contrats et il y a des postes non justifiés. De plus, on a vu dans des cas précédents que le délégataire avait tendance à refourguer des salariés dont il voulait se séparer pour cause d’incompatibilité avec le travail.

Pour l’atrazine présente en grande quantité au forage des Mailloles à Moussan, la politique de l’agglo vis-à-vis du public est assez étrange. Les premières analyses étaient alarmistes. Les suivantes, alors que les taux n’avaient pas baissé, tendaient à banaliser la chose. Autrement dit, on tente de faire passer la poussière sous le tapis alors qu’il aurait été préférable d’informer la population et de chercher des solutions. Il en existe qui peuvent être mises en œuvre sur toute l’étendue des périmètres de protection, consistant à faire passer les cultures en bio. C’est courant en Allemagne et a déjà été fait en France. Mais ce serait reconnaître que les viticulteurs ont une responsabilité.

Quant à l’inclusion citoyenne, M. Kerfyser a du chemin à faire. Il a refusé de venir en débattre au Café des Possibles… »

Inondations de la Berre : que faire ?

La Berre à Ripaud.

La Berre à Ripaud.

Dans ce dossier :

. Une demande de protection.

. Comment protéger les uns sans inonder les autres ?

. Endiguer, une illusion ?

. Le cas de la Réserve Africaine de Sigean.

. Quel entretien des cours d’eau ? La dynamique de l’eau.

. Les obligations des propriétaires ; l’action des syndicats d’aménagement hydraulique.

. Polémique et politique.

Dans les derniers jours de novembre 2014, suite à des pluies localement très importantes comme il s’en produit régulièrement dans nos régions méditerranéennes, en particulier en automne, nos rivières et fleuves côtiers ont débordé, et notamment l’Agly, la Berre, l’Orbieu, l’Orb, le Lez…

A la suite de ces inondations, deux types de discours ont ressurgi. L’un qui demande davantage de protection des hommes et des activités humaines. L’autre qui estime qu’il faut « nettoyer » davantage les cours d’eau. Ce débat a pris une dimension notable dans la vallée de la Berre, en particulier autour du devenir de la très médiatisée Réserve Africaine de Sigean, mais pas seulement.

Dans ce dossier, nous essayons de poser les éléments du débat et d’y voir plus clair.

Une partie, importante, des riverains de la Berre est remontée contre les inondations et contre ceux qui, à leur avis, ne prennent pas assez en compte cette question. Avant d’aborder différents points de vue, précisons ce qui suit :

Ce qui frappe dans les inondations, c’est l’importance des dégâts qu’elles font. L’une des causes de ces dégâts est la formation d’embâcles (1). Ceux-ci se forment d’autant plus facilement que la crue trouve, sur les rives ou dans le lit du cours d’eau, des bois morts, roseaux et autres végétaux à emporter. Certains incriminent aussi l’accumulation de graviers, qui, rehaussant le lit de la rivière, accroîtrait les dégâts.

Cela pose la question : qui est responsable de l’entretien des cours d’eau ? Nous ajouterons une autre question, quel est l’entretien idéal (entre le trop peu et le trop, entre la nature « sauvage » et son artificialisation) ?

Rappelons le principe de l’entretien des cours d’eau non domaniaux (voir plus loin) : il incombe, a priori, aux propriétaires des parcelles en bordure du cours d’eau ; mais dans les faits, les pouvoirs publics ont pris le relais des propriétaires. Pour ce qui concerne le bassin versant de la Berre, c’est le SIAH (Syndicat intercommunal d’aménagement hydraulique) du Bassin de la Berre et du Rieu, qui a pris en charge cette tâche… et qui fait l’objet de critiques.

Le souci d’être protégés

Michel Malquier, président de l'Association de Défense des Riverains de la Berre et du Rieu.

Michel Malquier, président de l’Association de Défense des Riverains de la Berre et du Rieu.

Le 22 décembre dernier avait lieu, dans les locaux de la Réserve Africaine de Sigean, l’assemblée générale de l’Association de Défense des Riverains de la Berre et du Rieu. Son président, Michel Malquier, a exposé les objectifs de l’association : obtenir le nettoyage du lit de la Berre et l’amélioration de la protection des riverains ; que cessent les procédures judiciaires contre les opérations privées d’entretien (plusieurs riverains de la Berre ont été cités en justice par l’administration qui leur reproche des interventions inappropriées).

Michel Malquier estime par ailleurs qu’il n’y a « pas moyen de discuter » avec le SIAH de la Berre et du Rieu et il demande la démission de son président.

La situation s’est en effet tendue entre certains riverains et le SIAH, voire avec l’administration : l‘association de défense a saisi la Commission européenne, au sujet du PPRI (Plan de prévention du risque inondation) de la Berre, pour « manquement à la directive européenne » sur la gestion du risque inondation (elle estime que ce PPRI ne prend pas suffisamment en compte le risque). La commune de Durban a porté plainte contre « x » au Parquet pour mise en danger de la vie d’autrui par rapport à ce qu’elle considère comme une mauvaise gestion du risque inondation sur son territoire (voir plus loin).

Christian Gaillard, le maire de Durban, présent lors de l’AG de l’association présidée par Michel Malquier, demande que l’on donne « la priorité à l’activité humaine : viticole, économique, la Réserve Africaine, les habitations, le hameau du Lac… » et il invite les personnes concernées à ne pas se diviser.

L'assemblée générale de l'Association de Défense des Riverains de la Berre et du Rieu, le 22 décembre.

L’assemblée générale de l’Association de Défense des Riverains de la Berre et du Rieu, le 22 décembre.

Par ailleurs, une pétition du nouveau Collectif Citoyen des Riverains de la Berre et du Rieu (devenu récemment association), demandant l’instauration d’un dialogue entre toutes les parties concernées, a recueilli plus de 6 000 signatures.

Ce collectif dénonce lui aussi « le mauvais entretien des cours d’eau ». Il demande un nettoyage régulier, un enrochement ou autres ouvrages protecteurs dans les traversées des villages et zones d’activité jusqu’à la Réserve Africaine, la suppression des zones d’extension des eaux dans les traversées des villages et sur les zones d’activités agricoles, touristiques, sportives ou culturelles (mais, ces zones étant exclues, reste-t-il des sites où pourraient être aménagées des zones d’extension des eaux ?), la création de bassins de rétention.

Le collectif demande aussi la modification du statut du SIAH pour permettre « une représentation paritaire des élus, des riverains, des viticulteurs et des entreprises ».

Tout en disant qu’il ne sait pas ce qu’il faut faire techniquement, le maire de Sigean, Michel Jammes (divers droite), demande pour sa part que « tout le monde se mette autour d’une table pour trouver des solutions ». Il est conscient de la nécessité de tenir compte des intérêts de tous les résidents de sa commune, qu’il s’agisse des quartiers bas du village, de la zone du Pavillon, de Villefalse, de l’Auberge, du Hameau du Lac, des viticulteurs ou encore de la Réserve Africaine. « On ne peut pas inonder les uns pour protéger les autres », admet-il.

Villefalse, vu de la rive droite.

Villefalse, vu de la rive droite.

Michel Jammes regrette que « les demandes des Sigeanais soient toujours rejetées » par le SIAH de la Berre et du Rieu (où il siège, avec deux autres délégués de la commune de Sigean). « La discussion est assez fermée depuis des années », dit-il. « Quand on répond de manière ferme et définitive que l’on ne peut pas nettoyer la Berre… Je ne dis pas que c’est la solution, mais il faut en discuter. »

Concernant le secteur du Pavillon, cet ancien camping transformé en résidences permanentes (voir plus loin), il est conscient du risque (inondation, incendie), dont il est responsable en tant que maire, mais, dit-il, « il n’est pas en mon pouvoir d’obliger (les habitants du Pavillon) à partir, ni même de racheter les terrains de ceux qui le voudraient. »

Ces diverses montées au créneau pour demander nettoyage de la Berre et protection des riverains ont amené de nombreux élus du secteur, en particulier les maires des communes des Corbières Maritimes et les élus du Grand Narbonne, à montrer qu’ils étaient sensibilisés par le problème et qu’ils se sentaient solidaires des sinistrés, sans toutefois rentrer dans les détails techniques.

De leur côté, le préfet de l’Aude et la sous-préfète de Narbonne sont venus sur le terrain. Ils ont promis d’étudier le dossier de près de manière globale et, concernant la Réserve Africaine, sont ouverts à la possibilité de travaux (voir plus loin).

Sigean : toute la plaine est dans le lit majeur de la Berre

Sur le secteur de la basse plaine de la Berre, protéger tout le monde de toutes les crues semble une illusion. Il faut avoir en tête la topographie du cours de la Berre en aval de Portel. Le cours naturel de ce fleuve côtier passait autrefois par les abords du village de Sigean et aboutissait à l’étang de Bages-Sigean près de Port-la-Nouvelle. Au XVIIe siècle, la rivière a été détournée (2), par la construction de la digue de l’Espinat (entre Villefalse et Sigean), pour fertiliser, avec ses dépôts alluviaux, la plaine du Lac, pour la culture du blé.

La crue de 1999 dans la basse vallée de la Berre (la crue en bleu clair, le bleu foncé étant les étangs). On devine Villefalse dans le coude de la Berre au centre des trois branches. Branche de gauche, l'amont, sous Portel ; branche de droite, l'ancien lit, au nord de Sigean et jusqu'au Pavillon, tout à fait à droite ; branche du haut, le lit actuel, par le Hameau du Lac, et la large déverse en rive droite, dans la plaine du Lac.

La crue de 1999 dans la basse vallée de la Berre (la crue en bleu clair, le bleu foncé étant les étangs). On devine Villefalse dans le coude de la Berre au centre des trois branches. Branche de gauche, l’amont, sous Portel ; branche de droite, l’ancien lit, au nord de Sigean et jusqu’au Pavillon, tout à fait à droite ; branche du haut, le lit actuel, par le Hameau du Lac, et la large déverse en rive droite, dans la plaine du Lac.

Se sentant protégés par la digue, les Sigeanais ont construit dans l’ancien lit de la Berre, au nord du village. Ajoutons à cela l’aménagement du camping Le Pavillon. Mais depuis sa construction, la digue a été submergée deux fois, la crue de 1999 étant la plus mémorable. Cette année-là, quelque 300 constructions de l’agglomération sigeanaise ont été inondées.

Compte tenu du risque de rupture de la digue, qui serait catastrophique pour Sigean, le SIAH de la Berre et du Rieu a décidé de reconstruire la digue, sans la rehausser. Les travaux étaient en cours lors de la crue de novembre 2014. Les bas quartiers de Sigean et du Pavillon ont été inondés, mais vu l’importance de la crue, elle serait de toutes façons passée par dessus la digue.

La crue de 1999 faisait partie des crues dites centennales (avec probabilité de retour tous les cent ans, mais ce n’est qu’une moyenne statistique : il peut y avoir deux crues « centennales » très rapprochées dans le temps). Son débit maximal en aval de Portel a été d’un peu plus de 1 000 m³/s. La crue de fin novembre 2014 a atteint dans ce même secteur un débit maximal instantané de 880 m³/s (données de la station de Portel le 30 novembre ; le débit moyen journalier de ce même 30 novembre étant de 344 m³/s).

On a calculé (cf. Dossier d’enquête publique du confortement de la digue de l’Espinat, ISL Ingénierie) que la crue de 1999, avec un débit de 1 000 m³/seconde environ en aval de Portel, s’était écoulée de la manière suivante : par la digue de l’Espinat (et donc vers Sigean), environ 220 m³/s ; 520 m³/s par surverse en rive droite de la Berre entre Pech Maho et le Hameau du Lac ; le reste, 250 m³/s, passant par le lit de la Berre entre le Hameau du Lac et la Réserve Africaine, avec plusieurs surverses en rives gauche (vers la Réserve) et droite.

On comprend que l’importante masse d’eau qui arrive lors des crues, même celles de moyenne importance, ne saurait se contenter du passage dans le lit mineur. D’autant qu’au niveau de la plaine du Lac, la pente n’est que de 0,3 %.

La Berre entre le Hameau du Lac et la Réserve Africaine.

La Berre entre le Hameau du Lac et la Réserve Africaine.

Si l’on protégeait davantage Sigean, en remontant le niveau de la digue de l’Espinat, ce village serait à l’abri des grandes crues (en n’oubliant pas toutefois le risque de rupture de la digue) mais alors c’est davantage d’eau qui passerait par le lit actuel, avec donc des risques d’inondation accrus pour les zones de Villefalse, l’Auberge, le Hameau du Lac et la Réserve Africaine.

Si l’on protégeait davantage la Réserve Africaine, c’est le Hameau du Lac et l’Auberge qui seraient plus exposés.

La solution, parfois suggérée, d’endiguer toute la vallée est peu raisonnable : il faut bien que l’eau sorte quelque part ; toutes les zones concernées sont situées dans le lit majeur de la Berre (de l’ancien lit et du nouveau lit). Il semble bien que les habitants de la commune de Sigean soient condamnés à se partager les crues, au moins les plus importantes, quitte à réduire les habitations en zone inondable ou à les aménager pour les mettre hors d’eau lorsque c’est possible.

Autre moyen de réduire l’impact des crues, l’entretien du cours d’eau. Nous avons sur ce sujet demandé l’avis de Jacques Chabaud, le directeur du SMMAR (voir plus loin).

Ph.C.

1) Embâcle : accumulation végétale (troncs, branchages, roseaux…) lors des crues.

2) Mais il semble qu’un ouvrage existait déjà à cet endroit, sous le nom de « païssère du Pla ». Son entretien serait attesté en 1573.

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Le Pavillon a été inondé, en novembre, avec 80 centimètres d'eau, et les habitants ont dû être évacués pendant trois jours.

Le Pavillon a été inondé, en novembre, avec 80 centimètres d’eau, et les habitants ont dû être évacués pendant trois jours.

Pavillon : un camping, devenu village, en zone inondable

Le Camping du Pavillon, à Sigean (sur la route de Port-la-Nouvelle), est devenu, au fil des ans, un village de « mobil homes » de moins en moins mobiles, et quelques caravanes. Après avoir racheté le camping il y a trente ans, un promoteur (Grand Bleu Promotion) l’a morcelé et vendu par parcelles. Aujourd’hui, quelque 450 copropriétaires y détiennent une parcelle ; une centaine de personnes y vivent en permanence. Cela malgré le risque d’inondation : en 1999, la dernière grande crue, 35 personnes seulement vivaient en permanence au Pavillon ; malgré le risque constaté, on a continué à laisser l’habitat permanent se développer.

Les risques d’inondation, au Pavillon, sont liés à la proximité de l’étang (remontées marines), au ruisseau du Rieu, dont l’embouchure dans l’étang est toute proche (mais des travaux semblent avoir supprimé ce risque) et à la Berre : l’ancien lit du fleuve avait ici son embouchure, lui aussi, et lorsque les crues ne sont pas arrêtées par la digue de l’Espinat, elles débouchent là, directement ou par les canaux.

Le 29 novembre 2014, c’est la Berre qui a inondé le Pavillon. L’eau est montée à 80 centimètres et les habitants ont dû être évacués pendant trois jours. Le préfet, après avoir hésité à autoriser la réouverture de la zone, l’a finalement autorisée.

Le quartier du Pavillon reste exposé au risque d’inondation, en particulier lors des grandes crues de la Berre. Mais en ces temps de loyers chers et de précarisation sociale, il est difficile de supprimer d’un coup de baguette magique quelques dizaines de logements.

Le "camping" du Pavillon, à Sigean. Une centaine de personnes y vivent en permanence.

Le « camping » du Pavillon, à Sigean. Une centaine de personnes y vivent en permanence.

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Réserve Africaine :

Une demande d’autorisation de travaux en préparation

Lorsqu’on parle des inondations de la Berre à Sigean, il est souvent question de la Réserve Africaine. Celle-ci, en effet, communique beaucoup et évoque régulièrement son possible départ.

Il est vrai que ce parc animalier génère 92 emplois permanents (plus une trentaine pendant les six mois de saison « estivale ») avec 330 000 visiteurs par an et un chiffre d’affaires de quelque 10 M€.

Située en rive gauche de la Berre, à 2 km de son débouché dans l’étang, la Réserve est inondée au niveau du Pont Saint-Joseph (face au Hameau du Lac). Là, la Berre fait un coude et le courant arrive droit vers la Réserve. Une levée de terre avait été édifiée pour protéger la rive gauche mais la grande crue de 1999 l’a emportée. Cette digue de terre, toutefois, n’empêchait pas totalement les inondations, l’eau remontant juste avant le pont. Mais elle en réduisait la force, et donc les dégâts.

La Berre entre le Hameau du Lac et la Réserve Africaine : en face, l'enrochement réalisé rive gauche en 2007.

La Berre entre le Hameau du Lac et la Réserve Africaine : en face, l’enrochement réalisé rive gauche en 2007.

Une partie du parc est aussi inondée par le ruisseau de la Bernadette, qui vient de Portel.

« La Réserve a toujours été inondée », disent les habitants du Hameau du Lac. Lorsqu’on fait remarquer à Gabriel de Jesus, responsable communication du parc, que son entreprise s’est installée en zone humide inondable (une zone humide indispensable pour une partie des animaux), il souligne qu’en 1974, lorsque la Réserve a été créée, elle était protégée : « Sans cela, la Mission Racine n’aurait pas donné son aval à l’ouverture. » Ce qui ne l’a pas empêché de s’étendre en direction de la Berre dans les années 1990.

Après des inondations en 2003, 2005 et 2006, le SIAH de la Berre et du Rieu a réalisé des travaux en 2007 à l’emplacement de l’ancienne digue. Il a procédé à un enrochement de la berge, avec une hauteur inférieure de 1 m 30 à celle de la digue précédente, pour être au même niveau en rive gauche et en rive droite et ainsi éviter un débordement du côté du Hameau du Lac. Cet ouvrage n’a pas totalement barré le passage aux crues de 2009, 2011, 2013 et 2014.

Ce qui fait dire à Gabriel de Jesus « avant, nous n’étions pas inondables ; on nous a rendus inondables. »

Il poursuit : « Le Hameau du Lac n’a jamais été inondé », ce que démentent les habitants du hameau. Au moins une maison, disent-ils, était régulièrement inondée jusqu’à ce que la digue rive gauche cède, en 1999.

En 2006, le SIAH avait proposé à la Réserve d’aménager sur ses terrains un canal pour évacuer les crues, ce qu’elle aurait refusé. « Nous ne restons pas les bras ballants », dit Gabriel de Jesus, qui explique que la Réserve a réalisé un canal, créé des « barrages fusibles » (lorsque des embâcles se forment sur les clôtures, les grillages se relèvent si la pression de l’eau est trop forte) et aménagé des abris en points hauts pour les animaux.

Mais n’est-il pas possible de relocaliser en partie la Réserve sur des terrains plus élevés ? En effet, la Réserve Africaine a racheté une centaine d’hectares de foncier, non inondables, où il serait certainement possible d’abriter les animaux. Gabriel de Jesus, lui, ne parle que des 18 ha du parc. La dernière inondation, dit-il, « a inondé le parc aux trois-quarts ». Note de la rédaction : à la lecture de cet article, M. de Jesus nous demande de préciser que « la crue a inondé aux trois-quarts les 300 ha de la Réserve Africaine ».

Lors d’une rencontre en préfecture, le 18 décembre, le préfet a proposé à la Réserve d’effectuer des travaux de protection en étant elle-même maître d’ouvrage (donc à ses frais). Celle-ci devra déposer une demande d’autorisation de travaux (elle est en préparation), qui donnera lieu à enquête publique avant éventuelle déclaration d’intérêt général. La Réserve souhaite « reconstruire la digue comme avant », dit Gabriel de Jesus ; en fait, elle voudrait rehausser la rive sur un kilomètre ; il n’est pas sûr, loin de là, que le préfet l’y autorise ; et les habitants du Hameau du Lac n’ont pas l’intention d’accepter n’importe quoi.

« Si rien n’est fait avant l’automne, époque des crues, nous aurons à prendre une décision », dit Gabriel de Jesus. « 9 inondations en 15 ans, ça suffit. Mais nous voulons rester à Sigean, nous gardons espoir. » Ce discours de la Réserve Africaine n’est pas nouveau, certains disent qu’il ne change pas depuis vingt ans.

Le Hameau du Lac, vu de l'enrochement côté Réserve Africaine.

Le Hameau du Lac, vu de l’enrochement côté Réserve Africaine.

Annulation du PPRI

Approuvé en 2007, le PPRI (Plan de prévention du risque inondation) de la Berre a ensuite été invalidé en 2013 suite à une action en justice de la Réserve. Ce PPRI considérait le territoire de la Réserve Africaine comme champ d’expansion des crues. La procédure judiciaire se poursuit, actuellement au niveau européen.

La Réserve Africaine a par ailleurs intenté un procès au SIAH pour les dommages subis en 1999. Elle a gagné au tribunal administratif ; le syndicat a gagné en appel ; la Réserve a déposé un recours en Conseil d’État, en cours.

La Réserve a engagé un autre recours pour les dommages liés aux travaux de 2007. Elle a été déboutée au tribunal administratif et peut faire appel.

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Quel entretien des cours d’eau ?

Dans la vallée de la Berre, de nombreux riverains dénoncent un manque d’entretien du cours d’eau, qui aggraverait les effets des inondations. Pour leur part, les agriculteurs, à travers notamment le Syndicat des Vignerons de l’Aude, disent en substance : « Nous voudrions entretenir les cours d’eau mais on nous en empêche ».

Frédéric Rouanet, président du Syndicat des Vignerons de l’Aude, nous a expliqué : « Nous on veut nettoyer, mais on nous l’interdit. Par exemple, un propriétaire n’a pas le droit de descendre avec son matériel dans la rivière. Pour intervenir, il faut demander des autorisations, qui entraînent des études ; cela dure un temps fou et on n’obtient pas toujours l’autorisation. Nous, on demande quelque chose de beaucoup moins complexe à gérer. »

L'arenal P1040402 2Le 23 décembre a eu lieu, à l’initiative de ce syndicat, une opération « sauvage » de curage du Barrou à l’entrée de Durban pour enlever les graviers amoncelés sous le pont. Ce ruisseau, en novembre, avait inondé les maisons voisines.

Les obligations du propriétaire

Que dit la loi ? Elle distingue les cours d’eau domaniaux (en partie navigables ou flottables) des autres. Sur les cours d’eau domaniaux, il revient à l’État d’intervenir (dans le département de l’Aude, seul le fleuve Aude est domanial, en aval de Quillan).

Pour les autres cours d’eau, c’est-à-dire la grande majorité, la loi sur l’eau (article L 215-14 du Code de l’Environnement) dit que les propriétaires sont responsables de l’entretien (la propriété d’une parcelle va jusqu’au milieu du ruisseau ou de la rivière la bordant). Ainsi, les propriétaires sont « tenus à un entretien régulier du cours d’eau » pour le maintenir « dans son profil d’équilibre, permettre l’écoulement naturel des eaux et contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. »

Certaines interventions, en fonction de l’importance des travaux, donnent lieu à déclaration ou demande d’autorisation (décret 93-743 du 29 mars 1993).

C’est le cas, par exemple, des forages, prélèvements d’eau, rejets, épandages d’effluents ou de boues, ouvrages dans le lit mineur ou dans le lit majeur…

Ou, plus couramment, de la consolidation et la protection des berges par des techniques autres que végétales vivantes (déclaration entre 20 mètres et 200 m ; demande d’autorisation au-delà). Ou des « installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d’un cours d’eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d’alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens (demande d’autorisation à partir de 200 m² de frayères ; déclaration en-deçà). La construction de digues est soumise à autorisation.

Si le propriétaire ne s’acquitte pas de l’obligation d’entretien régulier, la commune, le groupement de communes ou le syndicat compétent peut y pourvoir d’office à la charge de l’intéressé.

On verra plus loin que les pouvoirs publics ont en fait pris le relais des propriétaires, très généralement défaillants (vraisemblablement par ignorance de leurs obligations, par manque de temps ou en raison des difficultés techniques liées à ces travaux). Les pouvoirs publics n’interviennent pas, d’ailleurs, à la charge des propriétaires comme le permettrait la loi, mais sur budgets publics. Pour ce qui est du bassin versant de la Berre, l’intervenant est le SIAH (Syndicat intercommunal d’aménagement hydraulique) du Bassin de la Berre et du Rieu. L’ensemble des syndicats audois sont fédérés au sein du SMMAR (Syndicat Mixte des Milieux Aquatiques et des Rivières).

Un partenariat se met en place entre SMMAR et Syndicat des Vignerons (mise à jour)

Nous avons relevé cette déclaration de Jacques Chabaud (directeur du SMMAR) qui intervenait le 7 mars, lors d’un colloque d’ECCLA : « Si des propriétaires riverains veulent s’investir dans l’entretien des cours d’eau », a-t-il dit, « on peut les aider, en prenant en compte tout ce qui se passe sur le cours de la rivière » (dans son ensemble).

Une collaboration entre le SMMAR et le Syndicat des Vignerons de l’Aude est d’ailleurs en train de se mettre en place (L’Indépendant du 15/04/2015) : le syndicat, en présence de 60 vignerons, a accueilli une intervention de Jacques Chabaud, directeur du SMMAR, qui a présenté l’action des syndicats de rivière et expliqué les grands principes d’entretien des cours d’eau et les droits et devoirs des propriétaires riverains.

Syndicat et SMMAR envisagent de réaliser ensemble un travail d’information et de conseil des vignerons. Un guide sera prochainement diffusé par le syndicat et des formations seront proposées. Par ailleurs, « des opérations légales, conjointes et coordonnées de nettoyage seront lancées ».

Le dialogue est donc possible et même, au-delà, une véritable collaboration technique, dans l’intérêt des propriétaires riverains comme dans l’intérêt collectif, et dans le respect de la réglementation sur les cours d’eau.

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Albert Cormary :

«Le karma d’une digue, c’est de céder»

Albert Cormary : "L'endiguement n'a jamais été une solution. En 1999, le merlon a cédé; cette année, il l'aurait fait aussi avec davantage de dégâts.

Albert Cormary : « L’endiguement n’a jamais été une solution. En 1999, le merlon a cédé; cette année, il l’aurait fait aussi avec davantage de dégâts.

L’attitude face aux inondations évolue, estime Albert Cormary. Habitant au Hameau du Lac, il est porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts pour le Narbonnais et adhérent d’Eccla (Écologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois).

« Au XIXe », dit-il, « on n’entretenait pas forcément les cours d’eau ; autrefois aussi on construisait dans les zones inondables, comme par exemple à Canet-d’Aude, à Coursan, dans le faubourg de Béziers… L’étalement urbain n’a pas arrangé les choses. »

Mais, poursuit-il, « il y a aussi un élément important, c’est la mémoire des inondations : on oublie très vite. A Sigean, des gens qui avaient eu 1,80 m d’eau chez eux en 1999, ont agrandi leur maison deux ans après… en rez-de-chaussée. Aux Garrigots à Cuxac, les premiers qui ont construit sont les enfants des propriétaires ; ils ont ignoré des faits qu’ils connaissaient. Le terrain de la Réserve Africaine de Sigean était sous l’eau en 1965 ; elle a ouvert huit ans après. »

« La perception des conséquences des inondations aussi a évolué : certaines choses que l’on supportait il y a des décennies, on ne les supporte plus. A Sigean en 2014 le traumatisme est beaucoup plus important qu’en 1999 alors qu’il n’y a pas eu, comme il y avait eu cette année-là, de mise en danger des personnes. Il n’y a pas eu en 2014 un courant aussi violent qu’il y a quinze ans. A ce moment-là, on n’avait pas cherché de responsable ; aujourd’hui, deux associations et un collectif contre les inondations se sont créés et on cherche les responsabilités. Peut-être sommes-nous dans une situation où le burn-out, le chômage, l’angoisse de l’avenir amènent à avoir un autre comportement. »

Revenant à l’entretien des cours d’eau, Albert Cormary souligne l’évolution : « Autrefois, on pouvait couper tout le bois, prendre les graviers que l’on voulait sans réfléchir ; bien sûr, il y avait des incidences. Aujourd’hui, on demande de respecter la ripisylve (1), de nettoyer mais pas trop parce que la végétation tient les berges et sert d’habitat à la faune. »

« Le gravier », explique-t-il, « a un rôle important d’alimentation des nappes phréatiques. Sigean est en partie alimenté en eau par la nappe qui accompagne la Berre, à 18 m de profondeur ; elle était peu productive jusqu’à ce que l’on arrête la carrière de Villefalse : le niveau de l’eau est alors remonté. »

« Avec les a-secs estivaux, il n’y a pas de frayères dans les rivières mais le gravier est souvent humide ; il alimente la ripisylve en eau et si on l’enlève on assèche. Certes, lorsque des bancs se forment il faut les enlever mais il ne faut pas faire n’importe quoi n’importe où. »

Autre aspect, « le prélèvement de matériaux dans les rivières réduit la sédimentation sur les plages, ce qui est l’une des causes de l’érosion des côtes. »

«La quadrature du cercle»

Pour Albert Cormary, « la gestion des rivières, c’est la quadrature du cercle : c’est une recherche d’équilibre entre le débit solide et le débit liquide ; il faut que l’eau s’écoule, voire déborde, mais pas trop vite afin de ne pas entraîner trop de matériaux. L’eau acquiert de l’énergie avec la vitesse : la densité de l’eau boueuse, qui charrie aussi du gravier, des galets, de gros cailloux, n’est pas de 1 (densité de l’eau) mais de 1,2 à 1,5. »

L’un des moyens de freiner l’eau est de garder une partie des arbres : « La Berre est entretenue, il y a un programme, qui n’est certainement pas parfait. Il avance par tronçons, d’aval en amont et le temps de revenir au départ ça a repoussé. Dans la partie médiane de la Berre, vers Gléon et Durban, l’entretien avait été fait il y a trois ou quatre ans. Après la crue de fin novembre, on voit des arbres couchés mais pas arrachés ; ce qui montre qu’il y a eu une assez bonne maîtrise de la vitesse d’écoulement qui fait que les arbres n’ont pas été arrachés. Aujourd’hui, il faut reprendre l’entretien pour enlever ce qui menace de partir et favoriser les repousses. »

«L’endiguement n’a jamais été une solution»

Sur la question des inondations de la Berre dans la zone du Lac, Albert Cormary constate que « les maisons les plus basses du Hameau du Lac n’ont jamais été inondées sauf une, qui ne l’est plus depuis l’aménagement de l’enrochement » (en 2007 rive gauche près du Pont Saint-Joseph, au niveau de la Réserve Africaine). « Le quartier de l’Auberge a été inondé cette année, mais avec 30 centimètres d’eau, beaucoup moins qu’en 1999, où il y avait eu 1 m 80. »

« L’ouvrage qui existait avant 1999 avant le Pont Saint-Joseph n’était pas une digue mais un merlon, une levée de terre. En 1999 elle a cédé. Elle a été réaménagée en 2007 de manière à limiter l’érosion tout en déversant. Si l’on construit là une digue plus haute, l’eau montera et se déversera rive droite : une maison du Hameau du Lac et le quartier de l’Auberge seront sans doute plus inondés qu’avant ; mais aussi quatre ou cinq maisons du Hameau du Lac, qui n’ont jamais été inondées, le seront. Pour réellement évacuer les crues, il faudrait doubler le lit de la rivière. Mais l’endiguement n’a jamais été une solution : le karma (2) d’une digue, c’est de céder. En 1999, le merlon a cédé ; cette année il l’aurait fait aussi, avec davantage de dégâts que ceux qui ont été constatés. »

Propos recueillis par Ph.C.

1) Végétation arbustive et arborée sur la rive.

2) Karma : le devenir, la destinée.

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Jacques Chabaud (SMMAR) :

«On ne peut pas lutter avec une pelle mécanique contre l’équivalent de centaines de bulldozers»

Jacques Chabaud : "On dit que l'entretien n'est pas fait. Avant, les propriétaires ne le faisaient pas. Maintenant que les syndicats se sont substitués à eux, l'entretien est fait."

Jacques Chabaud : « On dit que l’entretien n’est pas fait. Avant, les propriétaires ne le faisaient pas. Maintenant que les syndicats se sont substitués à eux, l’entretien est fait. »

Nous avons rencontré Jacques Chabaud, le directeur du Syndicat Mixte des Milieux Aquatiques et des Rivières (SMMAR) de l’Aude, qui fédère les syndicats de bassin, afin de rentrer un peu plus dans les aspects techniques de l’entretien des cours d’eau.

. « Les syndicats intercommunaux et le SMMAR ont été créés pour pallier la déficience des propriétaires riverains. »

. « Curer le lit des rivières ne sert à rien et au contraire accélère le creusement des lits ».

. « La végétation tient les berges et freine l’écoulement des crues. On enlève les arbres morts. »

. Un projet de relocalisation de vignoble.

Quelle est l’origine de l’action du SMMAR ?

Jacques Chabaud : « On constate en cherchant dans les archives que les inondations sont des événements récurrents, qui remontent à la nuit des temps. Elles ont été plus ou moins importantes. On a dit que la crue récente de l’Aude, de novembre 1999, était « la crue du siècle ». Elle a eu, à l’exutoire des Basses Plaines, une pointe de débit à 4 000 m³/s ; c’est cent fois le débit moyen de l’Aude.

On a trouvé la trace d’une crue qui, à la fin du XIVe siècle, serait montée à 12 000 m³/s. Elle a fait une cinquantaine de victimes dans le quartier de Bourg à Narbonne et elle est à l’origine du changement de cours de l’Aude (1).

Il faut être très humbles face aux phénomènes naturels, contre lesquels on ne pourra jamais se prémunir entièrement. La meilleure façon de lutter contre les inondations, c’est de ne pas s’installer dans les zones inondables. Le département de l’Aude est urbanisé à 15 ou 20 % en zone inondable et les cultures sont le plus souvent situées dans les endroits plats, les plus fertiles… mais inondables.

On ne peut pas empêcher les phénomènes naturels, mais on peut les prévenir. En 1999, le président du Conseil général Marcel Rainaud et le préfet, constatant l’ampleur des dégâts, ont fait réaliser des études et ont mis au point une politique de prévention pour pallier les déficiences des propriétaires riverains. En effet, l’immense majorité d’entre eux n’assurent pas leur obligation d’entretenir les cours d’eau sur leur propriété. Comme la loi les y autorise, les pouvoirs publics se sont donc substitués à eux, d’autant plus que ce non respect de leurs obligations par les propriétaires impacte la société civile.

C’est ainsi qu’ont été créés, au début des années 2000, les syndicats intercommunaux, un par bassin, fédérés au sein du SMMAR, que j’ai eu l’honneur de mettre en place. Nous avons programmé un plan d’action qui visait notamment à entretenir et restaurer les cours d’eau.

Pour qu’un établissement public puisse intervenir avec de l’argent public sur du foncier privé, il faut mener une enquête publique aboutissant, si tout va bien, à une déclaration d’intérêt général par arrêté préfectoral qui autorise le syndicat à intervenir en lieu et place des riverains.

Nous avons mis en place des plans de gestion des cours d’eau, sur 8 à 15 ans. Ils définissent les travaux, tranche par tranche, en particulier la gestion de la ripisylve. En une dizaine d’années, nous avons engagé 12,5 M€ de travaux, dans tout le département, sur 2 000 km de cours d’eau à raison de 100 à 250 km par an.

Ces plans de gestion sont définis par chaque conseil syndical, qui regroupe les communes du bassin, avec un débat démocratique entre les élus, y compris pour le bassin de la Berre. Et le syndicat ne peut pas faire autre chose que ce que le préfet autorise. Avant, seules les communes qui en avaient les moyens menaient une action. Désormais, tout le département est couvert, avec un raisonnement global à l’échelle de chaque bassin versant. C’est une structuration propre à l’Aude et qui nous est enviée au plan national. »

Que dit la loi par rapport aux obligations des propriétaires et à leur possibilité d’intervenir sur un cours d’eau ? Quelles sont les pratiques préconisées ?

J.C. : « Le Code de l’Environnement, articles L215-14 et L215-21, définit, pour les cours d’eau non domaniaux, les obligations des propriétaires riverains d’entretenir les cours d’eau dans le respect de leur fonctionnement naturel. Rien n’est interdit, la loi définit un certain nombre de pratiques, dont certaines nécessitent une demande d’autorisation.

Le curage fait partie des dispositifs techniques mais il peut avoir une incidence sur le fonctionnement naturel du cours d’eau, d’où la nécessité de respecter le Code de l’Environnement.

Pour prendre l’exemple de la Berre, ce fleuve côtier a un débit moyen annuel de 1 m³/s. Mais une crue à période de retour centennale peut atteindre 1 000 m³/s. Le climat méditerranéen avec ses fortes pluies très concentrées localement, la pente (la source est située à 420 m d’altitude et 52 km de l’embouchure) provoquent ces crues importantes dont la force tractrice est égale à celle de centaines de bulldozers. Comment lutter ? Pas avec une pelle mécanique, c’est une illusion et ce n’est certainement pas la solution.

Il faut plutôt utiliser l’énergie du cours d’eau, lui permettre de se dissiper dans les zones où il n’y a pas d’enjeu, plutôt que de vouloir la dompter : on n’y arrivera jamais.

Comment faire passer mille fois plus d’eau en curant le cours d’eau ? Il faudrait rayer de la carte le lit moyen de la Berre, les cultures et les habitations de Durban, Portel et Sigean en grande partie.

Berre P1040353 2Curer ne sert à rien. C’est aussi nuisible : nous avons mené des études sur le problématique du transport de solides, dans les secteurs de la Berre, l’Orbieu et la Haute vallée de l’Aude. Elles montrent que, de manière générale, depuis 50 à 100 ans la quasi-intégralité de nos cours d’eau s’incisent, se creusent. Le rabaissement moyen du lit est de 2,50 à 3 m pour l’Orbieu et pour l’Aude en haute vallée. C’est dû essentiellement à l’extraction de matériaux jusqu’au début des années 1990 (la loi sur l’Eau y a mis fin). Si l’on enlève une partie des matériaux déposés (galets et graviers), la vitesse du cours d’eau s’accélère et on a un phénomène d’incision jusqu’à la roche mère. Quand la rivière n’a plus de galets pour dépenser son énergie elle va attaquer sur les côtés.

La conséquence, c’est que l’énergie, renforcée par la pente, grignote les berges lorsque le cours d’eau est incisé. Les berges sont alors de plus en plus abruptes et la végétation a tendance à s’effondrer, formant des embâcles, ce qui aggrave les problèmes.

Chaque fois que l’on augmente la vitesse du cours d’eau, notamment par la construction de digues, on déstabilise son fonctionnement.

Curer ne permet donc pas de se protéger. On l’a fait il y a 30 ou 40 ans en exploitant les carrières : il n ‘y avait pas moins d’inondations.

Le curage peut aussi être nuisible pour l’eau potable lorsque les puits sont en bord de rivière : si on abaisse le niveau du cours d’eau, on rabaisse la nappe qui alimente le village ; c’est le cas à Durban qui puise son eau dans la Berre.

Il faut donc bien raisonner l’extraction, ne pas modifier le fonctionnement naturel du cours d’eau en créant des déséquilibres ; c’est pour ça qu’il y a des plans de gestion, débattus par les élus : on intervient où c’est utile. »

Et par rapport à la végétation, quelles sont les préconisations ?

J.C. : « Le constat, c’est que la meilleure protection, quantitative et qualitative, c’est le système racinaire, qui maintient la berge, avec des essences équilibrées (pas d’espèces invasives, pas trop de peupliers par rapport aux saules…). La main de l’homme à tendance à créer un déséquilibre.

L’illusion est que l’on se protège si l’on rase les arbres : la canne de Provence les remplace ; or, elle ne tient pas les berges et par contre elle donne de l’étanchéité aux embâcles.

Tronc taillé P1040428 2Les arbres freinent l’écoulement. Ils ont d’autres avantages : ils font de l’ombrage, qui abaisse la température de l’eau en été ; ils ont une action filtrante, auto-épuratrice (qui favorise la potabilité de l’eau).

Il faut trouver un équilibre : on enlève les arbres morts, les arbres penchés, ceux qui menacent de s’effondrer avec une partie de la berge. Sur les bancs de graviers où la végétation repousse, on dessouche les arbres les plus gros pour permettre à l’énergie de l’eau de reprendre les galets vers les endroits où il y a un déficit dû à l’incision. C’est ça le fonctionnement naturel du cours d’eau.

On dit que l’entretien n’est pas fait. Avant, il ne l’était pas, les propriétaires riverains ne le faisaient pas ; aujourd’hui, il est fait par le SMMAR, qui se substitue à eux. Des riverains, qui n’ont rien fait, voudraient aujourd’hui que ce soit fait, mais avec l’argent des autres. On n’empêche pas de faire, l’État empêche de faire n’importe quoi. »

Quelle action peut-on avoir par rapport aux zones habitées ou agricoles ?

« La meilleure façon de se protéger est de ne pas s’installer en zone inondable. Après 1999, toute la zone artisanale de Durban a été relocalisée hors d’eau, même si aujourd’hui des bâtiments sont à nouveau utilisés ; nous avons aussi proposé une relocalisation des maisons d’habitation inondées : deux ou trois propriétaires ont refusé, ils doivent accepter le risque.

A Sigean, la digue de l’Espinat permet de dévier les crues inférieures à un niveau de période de retour de 20 ans ; au-delà, l’eau passe et inonde des maisons de Sigean et la zone du Pavillon. Ces zones sont en danger, il faut anticiper le risque.

La seule façon de protéger totalement Sigean, ce serait de rehausser la digue de l’Espinat. Il faudrait en même temps prendre des mesures compensatoires du côté de Villefalse, avec une digue spécifique. Il a été impossible de trouver un accord.

La digue de l'Espinat en travaux. Les palplanches ont tenu le coup lors de la crue de novembre.

La digue de l’Espinat en travaux. Les palplanches ont tenu le coup lors de la crue de novembre.

Pour ce qui est de la Réserve Africaine, c’est un établissement classé agricole et non pas classé comme recevant du public. Il était donc impossible au SIAH de la Berre et du Rieu de porter un projet concernant un seul propriétaire et une seule habitation. Il n’aurait pas obtenu la déclaration d’intérêt général.

Le préfet a accordé récemment à la Réserve d’intervenir sur sa propre maîtrise d’ouvrage (sous réserve d’acceptation du projet par l’administration) : on revient au principe du Code de l’Environnement selon lequel le propriétaire doit se protéger.

Il faut aussi évoquer la proposition conjointe du SMMAR et de la Chambre d’agriculture, dans le cadre de leur partenariat : nous proposons aux viticulteurs qui le souhaitent de déplacer des vignes pour qu’elles ne soient plus en zone inondable ; certaines ont été replantées deux ou trois fois en dix ans, en partie avec de l’argent public ; il est de bon sens de replanter ailleurs. Nous déterminerons avec l’État les zones les plus fréquemment impactées, ouvertes à cette mesure (cela dans tout le département, mais il n’est pas question de racheter tout le cordon cultivé le long des rivières). Les anciennes vignes deviendront des espaces de liberté pour que les rivières dépensent leur énergie sans faire de dégâts. En parallèle, nous allons alimenter la réflexion pour équiper en irrigation des îlots structurés en zone non inondable.

Cette mesure sera volontaire. Si les viticulteurs ne jouent pas le jeu, ils ne pourront pas chercher un responsable lors de la prochaine crue. Un premier projet concernera l’Orbieu pour environ 60 ha, et la Berre pour environ 30 ha ; puis il y en aura certainement un pour l’Argent Double. »

Propos recueillis par Ph.C.

1) Avant cette crue de 1316, l’Aude avait deux bras : l’un au sud, qui traversait Narbonne vers les étangs (à peu près selon le tracé actuel du canal de la Robine) ; l’autre, au nord, par Moussan et Coursan jusqu’à l’étang de Vendres. La crue de 1316, en déposant des millions de mètres cubes de limon et de graviers, a comblé le bras sud, le fleuve adoptant définitivement un seul débouché, celui du nord. Voir à ce sujet une note de la DREAL.

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En 1999, 26 ponts avaient cédé ; depuis, aucun

La crue de 1999, en raison de la formation de nombreux embâcles, avait emporté 26 ponts en une nuit, dans tout le département. A chaque rupture de pont, des vagues importantes se créent et causent de graves dégâts en aval.

Depuis lors, au cours des inondations suivantes, aucun pont n’a cédé, ce qui est un des moyens d’évaluer l’action du SMMAR et des syndicats intercommunaux fédérés en son sein.

Par ailleurs, l’action du SMMAR et des syndicats a permis de restaurer 2 000 km de ripisylve, de construire quatre ouvrages de rétention, les digues de Cuxac-d’Aude, de réaménager des remblais, de relocaliser 30 habitations, d’élaborer 140 PPRI (Plans de prévention du risque inondation) et 210 PCS (Plans communaux de sauvegarde).

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Christian Gaillard (Durban) :

Des questions sur la gestion de l’argent public

Christian Gaillard pointe du doigt les aménagements réalisés à Durban et met en question la gestion de l'argent public.

Christian Gaillard pointe du doigt les aménagements réalisés à Durban et met en question la gestion de l’argent public.

Le maire actuel de Durban, élu en 2008, critique les travaux réalisés dans cette commune après 1999. Il pointe aussi ce qu’il estime être une mauvaise utilisation de l’argent public.

A Durban, après les inondations de 1999, explique le maire actuel, Christian Gaillard, divers travaux ont été entrepris par le SIAH de la Berre et du Rieu. L’enrochement de la rive gauche près de l’ancien camping n’avait pas bougé lors de la crue : il a été supprimé ; le lit de la rivière a été recalibré et canalisé avec la création d’un lit mineur, par apport de terre, et d’un lit majeur : les crues suivantes ont tout emporté ; au niveau de la passerelle en métal, une île a été aménagée en aire de pique-nique : elle a été emportée ; le stade a été reconstruit dans le lit de la Berre « alors qu’il y avait de la place pour le faire ailleurs » ; au niveau du camping, un pont submersible a été construit à la place du gué, avec des barrières pliables sous la force de l’eau : en 2005-2006, des embâcles se sont formés, les barrières n’ont pas plié et les maisons proches ont été inondées.

Christian Gaillard qualifie d’« apprentis sorciers » les auteurs de ces aménagements.

Il constate aussi qu’à chaque crue des graviers se déposent dans la traversée de Durban, rehaussant le lit de la Berre, notamment au niveau du pont en béton qui conduit au stade et, encore plus, au niveau du gué du camping ou encore sous le pont du Barrou. « On a mesuré jusqu’à 2,30 m d’épaisseur de gravier dans le lit de la Berre. » Et le réseau pluvial, qui se retrouve sous l’eau lors des crues, n’évacue plus.

Durban. La Berre au niveau du gué du camping (on aperçoit le gué, sous l'eau, au milieu en hauteur de la photo). Là, des graviers se sont accumulés.

Durban. La Berre au niveau du gué du camping (on aperçoit le gué, sous l’eau, au milieu en hauteur de la photo). Là, des graviers se sont accumulés.

Il note aussi que « en 1987, avec une crue de 5 m, il n’y avait pas eu de problème ; aujourd’hui, avec une crue de 1 m, nous sommes inondés. »

Le maire estime que « depuis des années, le SIAH laisse tout à l’abandon » et qu’il y a mise en danger de la population lors des crues. Et aussi des équipes de secours (« en novembre 2014, il n’y a pas eu de victime mais les pompiers ont dû prendre de gros risques pour sortir les occupants d’une voiture emportée par le flot »). Il a donc porté plainte, contre « x », en décembre dernier au Parquet du tribunal de Narbonne pour mise en danger d’autrui.

Christian Gaillard conteste aussi plus généralement les travaux du SIAH concernant le cours de la rivière : « Il y a des travaux énormes sur la ripisylve qui ne servent à rien. Le lit de la Berre n’est plus entretenu : entre Ripaud et Durban les arbres poussent au milieu ; il y a un ensablement gigantesque. Tenir compte des grenouilles d’accord, mais il faut d’abord s’occuper des humains. » Il ajoute : « Chaque rivière est un cas particulier ; il ne devrait pas y avoir les mêmes règles partout. »

Il note par contre « deux points positifs » : le PPRI (Plan de prévention du risque inondation), « même s’il a été annulé », interdisant de reconstruire dans le lit (« ce que la DDE avait laissé faire ») et les PCS (Plans communaux de sauvegarde), « qui permettent des actions pour mettre les gens en sécurité. »

Dans la traversée de Durban, le pont qui mène au stade.

Dans la traversée de Durban, le pont qui mène au stade.

C’est en 2008 que Christian Gaillard et son équipe ont été élus, battant Régis Barailla (PS, maire depuis 1971), après avoir contesté sa gestion notamment en ce qui concerne les inondations. « On me présente parfois à droite, je me sens à gauche de la gauche », dit Christian Gaillard : « Je ne suis pas encarté ; j’ai toujours été syndiqué ; j’ai des principes, comme le non-cumul des mandats et j’ai moi-même baissé les indemnités du maire. » Il dénonce « une certaine façon de gérer les affaires publiques » et, concernant les inondations, « des travaux irresponsables, avec des montants très élevés financés par l’argent public. En 1999, je n’étais pas élu, je n’ai pas pu constater le bien fondé du montant exorbitant des travaux. Aujourd’hui, je m’interroge : par exemple, en août 2014, le SIAH a réalisé des travaux à Villesèque en aval du Domaine de Bonnafous ; pour creuser un petit canal de 1 m de large sur 1,50 m de haut, cela a coûté 13 000 €. Ce montant pose question. » La crue de novembre a d’ailleurs détruit le résultat de ces travaux, note C. Gaillard.

Plus généralement, le maire de Durban dénonce le fonctionnement du SIAH de la Berre et du Rieu, où la minorité n’arrive pas à se faire entendre, selon lui (voir ci-après). Il estime qu’une commune comme Port-la-Nouvelle est sur-représentée, ce qui lui permet de « faire la pluie et le beau temps ». Christian Gaillard estime en effet que le maire de Port-la-Nouvelle, Henri Martin (UMP), soutient le président du SIAH, Jean-Claude Montlaur, maire d’Albas (PS). Christian Gaillard y voit un lien avec l’alliance entre Henri Martin et Jacques Bascou (PS) à la communauté d’agglomération du Grand Narbonne.

Ph.C.

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La représentativité dans les syndicats intercommunaux

Les maires de Sigean et Durban critiquent la façon dont sont prises les décisions au SIAH (Syndicat intercommunal d’aménagement hydraulique) de la Berre et du Rieu et estiment que le conseil syndical n’est pas réellement représentatif des communes les plus concernées.

Le nombre de représentants de chaque commune au conseil syndical est fonction, selon les statuts modifiés en 2005, de la contribution pondérée de la commune au financement du syndicat, elle même fixée en fonction de trois critères : la superficie, la population et le potentiel fiscal de la commune, chacun de ces critères pesant respectivement pour 15 %, 15 % et 70 %.

De ce fait, Port-la-Nouvelle a 4 délégués, Sigean 3 et chacune des autres communes 1.

La participation financière totale des communes au budget du SIAH en 2011 a été de 113 000 €.

« La représentativité », dit Jacques Chabaud, directeur du SMMAR, « est fonction de la participation financière des communes. C’est le principe de la solidarité ; c’est un choix politique du président Rainaud et du préfet. ».

Christian Gaillard, le maire de Durban, considère que les communes les plus touchées par les inondations (Durban, Villeneuve-des-Corbières, Saint-Jean-de-Barrou et Sigean) ne sont pas suffisamment représentées.

Le président du SIAH, Jean-Claude Montlaur, fait remarquer que « toutes les communes à risque, Durban, Cascastel, Sigean et Portel, sont représentées au bureau » (de même qu’Albas, Fontjoncouse, Port-la-Nouvelle et Roquefort). « S’ils (les opposants) veulent la majorité il faut qu’ils la prennent » (par le vote) : début janvier, Jean-Claude Montlaur a été réélu à la présidence par 13 voix contre 7 à l’adjoint au maire de Sigean, Didier Milhau.

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Jean-Claude Montlaur :

«Nous faisons ce que nous pouvons, consciencieusement, et nous sommes droits dans nos bottes»

Jean-Claude Montlaur : les critiques démontrent "une attitude politique, démagogique et non pas une approche pragmatique d'élus qui se concertent pour voir ce que l'on fait avec l'argent public."

Jean-Claude Montlaur : les critiques démontrent « une attitude politique, démagogique et non pas une approche pragmatique d’élus qui se concertent pour voir ce que l’on fait avec l’argent public. »

Recherchant le dialogue mais tout de même quelque peu énervé par les critiques qui lui sont faites, le président du SIAH (Syndicat intercommunal d’aménagement hydraulique) du Bassin de la Berre et du Rieu, Jean-Claude Montlaur, conseille aux élus qui sont en désaccord avec la majorité du syndicat de participer davantage à ses travaux :

« Dire on ne fait rien, y a qu’à… c’est facile ; ces gens devraient plutôt s’impliquer au syndicat, ils y ont leur place. Je n’ai jamais vu le maire de Durban, ni son adjoint, à une réunion ; ni le maire de Sigean. Autant venir dire les choses en face plutôt que de déléguer. ».

Il faut dire que le maire de Durban, estimant ne pas être entendu par le syndicat, a décidé en 2012 de ne plus y siéger. Le délégué de Durban au SIAH est un conseiller municipal. Sigean a trois délégués, dont le maire.

La chaise vide, «pas la meilleure façon de défendre les populations»

Jean-Claude Montlaur poursuit : « Serge Marty (1), adjoint au maire de Durban, parle de démocratie participative ; je ne connais, dans le système démocratique français, que la démocratie représentative : les personnes élues aux élections municipales représentent l’ensemble de la population de leur commune et sont censées défendre les intérêts de chacun. Pratiquer la politique de la chaise vide, en tant qu’élu, ce n’est pas la meilleure façon de défendre les électeurs et les populations à risque. Quand il y a des soucis, on vient sur le lieu de décision, on discute, on vote et on agit. »

Certes, sans être assuré d’obtenir gain de cause : la commune de Durban a demandé à ce que les berges de la Berre, dans la traversée du village, soient entièrement protégées par un enrochement. « Nous avons demandé aux experts des études de faisabilité », explique Jean-Claude Montlaur. « Il est apparu que le ratio coût-bénéfice était trop élevé, en tenant compte du fait qu’il n’y a pas, à Durban, de risque pour la population. Et les financeurs, UE, État, Région, Département, qui prennent en charge 80 % de nos investissements, se sont alignés sur la conclusion des experts. »

Panneau travaux P1040305 2Le président du SIAH explique la manière dont sont prises les décisions : « Comme dans tous les syndicats de bassin de l’Aude, les décisions sont prises à l’unanimité du conseil d’administration. D’abord, le technicien de rivière recense sur le terrain les points à améliorer, tout en tenant compte des directives européennes qui nous encadrent ; en fonction de l’argent que nous avons, nous travaillons en commission pour établir une programmation sur l’année ; elle doit être validée par une commission départementale où siègent le SMMAR, l’État, le Conseil général, tous les financeurs. »

En vertu de ce principe, le nettoyage de la rivière « est fait, tous les trois ans, de la source à l’embouchure, soit 40 km de ripisylve, ce qui fait 80 km aller-retour. Aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de passer tous les ans. Et puis, avant de crier haro sur le baudet, il ne faut pas oublier que la Berre est un fleuve non domanial, qu’il incombe donc aux propriétaires riverains, y compris les communes, de l’entretenir ; le syndicat se substitue à eux pour les opérations d’envergure mais la loi ne lui fait aucune obligation. »

Pour répondre au maire de Durban sur le coût, jugé excessif, des travaux du SIAH, Jean-Claude Montlaur précise : « Ce n’est pas moi qui établis le cahier des charges ; nous travaillons par appel d’offres et la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) vise ces appels d’offre et vérifie la régularité de toutes les opérations. »

Durban, Sigean : réponses techniques

Quant aux éléments techniques concernant la commune de Durban (voir ci-dessus les critiques émises par Christian Gaillard), le président du SIAH déclare : « Que la présence de graviers ait une responsabilité dans les inondations il faut le démontrer. Toutes les études du SIAH ont conclu que ces affirmations n’étaient pas confirmées. Par ailleurs, la directive européenne interdit de toucher au lit des rivières sans autorisation de la police de l’eau (la DDTM). (…) A Durban, après l’inondation de 1999, Lionel Jospin est venu et a annoncé un guichet ouvert : des maisons ont été délocalisées, les deux qui ont refusé sont toujours inondées ; l’ancienne municipalité et la nouvelle auraient dû détruire les ateliers relais, qui sont toujours utilisés ; cette zone aurait dû être décaissée pour constituer une zone d’expansion des crues. »

Pour ce qui est du stade, « la municipalité de l’époque s’est battue pour qu’il reste là ; de ce fait, il sert de zone d’expansion des crues et les vestiaires ont été construits sur pilotis. »

Le pont submersible pour accéder au camping « a été demandé par la précédente municipalité. Les services de l’Équipement ont étudié un pont à barrières amovibles. A la crue suivante, celles-ci n’ont pas fonctionné et la municipalité a demandé que le pont soit démonté. Mais malgré le retour à un passage à gué, les maisons et les ateliers relais, qui auraient dû être délocalisés, ont été inondés en 2014. Ce n’est pas la faute au pont (supprimé), ni au mauvais entretien ; ce sont les rivières qui font les inondations, vu les masses d’eau qui arrivent il y aura toujours des inondations, quoi que l’on fasse. »

Jean-Claude Montlaur donne ensuite des précisions sur la digue de l’Espinat, à Sigean : « C’était un gruyère, elle menaçait de céder à la prochaine inondation, causant de gros dégâts. Avec l’État nous avons cherché des solutions. Les études ont envisagé toutes les possibilités, dont une rehausse, qui aurait noyé les environs de Villefalse et aval d’un mètre supplémentaire. Le rachat de propriétés impliqué par cette solution amenait le coût total du projet à 4 M€. Nous avons donc préféré une reconstruction à la même hauteur que précédemment, mais en plus solide, avec des palplanches au cœur de la digue, qui ont montré leur solidité lors de la crue de novembre (le projet choisi s’élève à 1,8 M€). Il y aura, comme avant, un déversement lors des grandes crues : c’est au maire de Sigean à gérer par des alertes et des évacuations. »

Ce dossier de l’Espinat illustre, dit le président du SIAH, le principe de solidarité auquel tient le syndicat : ces travaux incombaient à la commune de Sigean ; le SIAH a négocié avec le maire de l’époque, Roger Combes, une maîtrise d’ouvrage du SIAH, qui a permis d’apporter 80 % de subventions des financeurs publics ; Sigean a pris à sa charge 10 % et le SIAH 10 %. « Il y a dans le syndicat des communes très peu concernées par ces travaux, mais elles ont joué la solidarité. » D’autant que la part du SIAH, 180 000 €, pèsera sur son budget pour quelque temps.

Une attitude «politique et non pragmatique»

Jean-Claude Montlaur regrette l’attitude des gens qui critiquent le plus durement l’action du SIAH, qu’il estime « démagogique et politique » : « C’est un règlement de comptes avec Montlaur et avec le Parti Socialiste, sur le canton de Durban, qui tient de la persécution, plus qu’une approche pragmatique d’élus qui se concertent pour voir ce que l’on fait avec l’argent public. » Il pense aussi qu’une « masse d’intérêts particuliers n’a jamais fait l’intérêt général. »

« Nous jouons la solidarité », conclut-il. « Nous faisons ce que nous pouvons, nous sommes droits dans nos bottes : nous n’avons pas de leçon à recevoir, nous faisons le travail consciencieusement. »

Ph.C.

1) Serge Marty est aussi le vice-président de l’Association citoyenne des riverains de la Berre, du Rieu et affluents.

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Une vigne à Pech Maho, au lieu-dit "l'Arenal", le bien nommé.

Une vigne à Pech Maho, au lieu-dit « l’Arenal », le bien nommé.

A Pech Maho, un nouveau terroir s'est créé. Le vigneron s'en passerait certainement.

A Pech Maho, un nouveau terroir s’est créé. Le vigneron s’en passerait certainement.

Vigne végétalisée P1040390 2Si vous souhaitez donner votre avis sur un ou plusieurs points de ce dossier, vous pouvez laisser un commentaire (cliquer ci-dessous sur « poster un commentaire »).

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Mise à jour (24/09/2015) : un audit annoncé

Le préfet de l’Aude fait savoir que « suite aux nombreuses interrogations des collectivités et des riverains concernant l’entretien et la gestion de la Berre, il a obtenu de Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, la réalisation d’un audit par le Conseil général de l’Environnement et du Développement durable. » (L’Indépendant du 24/09/2015).

Un audit qui devrait être remis d’ici la fin de l’année.

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Mise à jour (16/04/2016) : l’audit est sorti

Les conclusions de l’audit viennent d’être rendues (L’Indépendant du 16/04/2016). Elles préconisent, entre autres, le possible déplacement de maisons de Durban et du camping Le Pavillon de Sigean, l’enlèvement de sédiments dans le lit de la Berre en certains points des communes de Portel et Villesèque et la relocalisation d’une partie de la Réserve Africaine de Sigean sur des terrains non inondables qu’elle détient dans son prolongement, sur la commune de Peyriac-de-Mer.

L’audit est consultable sur le site du Conseil général de l’environnement et du développement durable ou directement ici en PDF : Rapport CGEDD 1

Quartiers «prioritaires» : après «Charlie», allons-nous enfin «vivre ensemble» ?

Après les attentats contre Charlie Hebdo, allons-nous enfin « vivre ensemble », comme semble le souhaiter une partie des manifestants des 10 et 11 janvier ? Mohamed Mechmache était le 7 février à Narbonne pour parler des futurs « conseils citoyens » liés à la Politique de la ville. Cette expérience de « démocratie participative » est-elle une usine à gaz technocratique de plus ou un moyen d’avancer réellement vers la fin de l’exclusion ?
Voir en fin d’article une mise à jour, sur la constitution des « forums-conseils citoyens ».

Samir Boumediene (collectif des associations narbonnaises) et Sabrina Drljevic'-Pierre, chargée du développement territorial à ACLEFEU.

Samir Boumediene (collectif des associations narbonnaises) et Sabrina Drljevic’-Pierre, chargée du développement territorial à ACLEFEU.

Présentée par François Lamy, ministre délégué à la Ville du gouvernement Ayrault, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a été votée le 21 février 2014. Elle vise à réduire les écarts entre les « quartiers prioritaires » et les autres.

L’une des mesures de cette loi est la création, dans ces quartiers prioritaires, de « conseils citoyens ». Sur la base de la démocratie participative, ces conseils doivent être des partenaires de la mise en place de la politique de la ville, à partir des contrats de ville.

A Narbonne, la dynamique des conseils citoyens se met en place peu à peu. Elle est impulsée par un collectif d’associations : ABP 21, AMPG (Association audoise d’aide matérielle et morale à la population gitane), association des habitants de Razimbaud, Cellule de Veille Citoyenne de Saint-Jean-/Saint-Pierre, Centre social Nelson Mandela, CIDFF (Centre d’information sur les droits des femmes et des familles), CCLE (Collectif contre les exclusions), Collectif des Jeunes 11, L’Arche, Maison de quartier Ernest Ferroul, Maison des Potes. Cela avec l’appui de l’agglo du Grand Narbonne et de la préfecture.

Ce collectif d’associations avait invité, le 7 février, à une rencontre en présence de Mohamed Mechmache (à l’origine d’ACLEFEU et auteur avec Marie-Hélène Bacqué d’un rapport sur la politique de la ville), de Nicky Tremblay (coprésidente avec Mohamed Mechmache de la coordination nationale « Pas sans nous »), et de Sabrina Drljevic’-Pierre (chargée du développement territorial à ACLEFEU, Association collectif liberté égalité fraternité ensemble unis).

Qu’autant d’associations narbonnaises se mobilisent ensemble, « ce n’est pas banal, c’est rare », a souligné Samir Boumediene (de L’Arche). « Nous voulons construire une force pour contribuer à mieux vivre dans nos quartiers. »

30 ans, et plus, d’exclusion et de mépris

La mobilisation des habitants « des quartiers » n’est rien de nouveau mais « nous n’avons pas eu les réponses que nous attendions », dit Mohamed Mechmache. Il rappelle : il y a 30 ans, la marche pour l’égalité et contre le racisme « avait été une démarche non-violente. Les pouvoirs publics n’ont pas su saisir la main tendue ». En 2005, la lutte sociale des banlieues a pris « une expression un peu plus violente. On nous a traités d’émeutiers, on a attribué la faute aux parents, au Rap… sans que les responsables politiques se posent la question de savoir s’ils ne s’étaient pas trompés. Leur seule réponse a été l’état de siège. On s’est dit « il faut donner la parole à ceux qui ne l’ont pas » et on a fait un tour de France en ouvrant un cahier de doléances. Il a reçu plus de 200 000 doléances et a abouti à 120 propositions ». Reçues, encore une fois, avec un certain mépris.

Mohamed Mechmache

Mohamed Mechmache

Et puis, dix ans après, a lieu l’attentat contre Charlie Hebdo : « On arrive à un stade au-dessus avec ce drame que nous condamnons tous. Alors, on nous parle du vivre ensemble, que nous demandons depuis trente ans. » Le fond du problème, pour Mohamed Mechmache, reste là : « L’exclusion amène à la radicalisation, au populisme, à tous les extrêmes. »

La politique de la ville et les conseils citoyens sont un espoir pour que ça change, mais Mohamed Mechmache reste prudent. Pour lui, tant que la justice sociale ne sera pas prioritaire il n’y aura pas de vrai changement.

Tout est à construire

A la différence des conseils de quartier, mis en place et dirigés par les élus municipaux, les conseils citoyens s’inscrivent dans la démocratie participative et donnent, en tout cas, dans leurs principes, la parole aux habitants des quartiers prioritaires. Les conseils doivent être constitués d’habitants du quartier (désignés par tirage au sort), d’associations et d’acteurs locaux (commerçants, professions médicales et para-médicales…). Ces conseils doivent travailler, avec les élus et les techniciens, à la « co-construction » des contrats de ville, nouveau cadre d’intervention des pouvoirs publics dans les quartiers prioritaires. Ces derniers doivent être signés d’ici le 30 juin.

Nicky Tremblay

Nicky Tremblay

Le mouvement des conseils citoyens est donné mais il manque un décret d’application, souligne Nicky Tremblay, d’où encore un certain flou dans les modalités de mise en place. La coordination « Pas sans nous », dit-elle, est une sorte de syndicat des quartiers qui a été constitué pour défendre le point de vue de ses habitants. En effet, dit Mohamed Mechmache, « on est en train de se battre avec la ministre de la Ville pour que la loi soit appliquée. » Nicky Tremblay poursuit : « Il y a un timing de malades. Mais pour l’instant le dialogue est là et on travaille sur le fond. (…) Pour qu’une démocratie existe, il faut établir un rapport de forces, ce qui ne veut pas dire qu’il doit être violent, mais avec des contre-pouvoirs et une force de proposition. Pour l’instant, on n’en est pas à la co-décision mais la collectivité ne pourra pas ne pas nous entendre. Pour eux, la participation c’est nous consulter, pour nous c’est construire ensemble. »

Le débat dans le public

Le débat dans le public

« Si on décide à notre place de projets et qu’on vient nous les montrer, cela ne nous intéresse pas », dit Mohamed Mechmache. « Ceux qui décident ne vivent pas là où nous vivons. Nous ne sommes pas contre les élus, ni contre les techniciens, mais nous avons une expertise d’usage qui nous permet de discuter. »

« On nous oublie », dit Christine Sanchez, une habitante de Saint-Jean/Saint-Pierre (2), « le quartier où il fait bon vivre » : dans ce quartier, « il n’y a pas d’espace pour que les enfants jouent ; il n’y a plus de cabinet médical. On ne nous demande pas de quoi nous avons besoin, nous ne sommes pas des citoyens. Et pourtant, nous aimons notre quartier, nous sommes des visionnaires : nous visionnons ce qu’il faut construire ; il suffit de nous le demander. » Cette ignorance des citoyens par les élus, dit-elle, elle aussi, « à force, ça fait le jeu des extrêmes. »

Les habitants des quartiers populaires n’ont rien contre les élus mais ils attendent une vraie politique de lutte contre l’exclusion. « Nous sommes une partie de la solution, pas le problème », dit Mohamed Mechmache. Avec les conseils citoyens, « une brèche est ouverte, il faut y aller ».

A Narbonne, le collectif d’associations entend passer à la vitesse supérieure pour la mise en place des conseils citoyens. Il est vrai que le temps est compté.

Ph.C.

1) Actuellement, Sylvia Pinel, plus précisément ministre du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité.

2) Nous reprenons ce témoignage pour son intérêt. Il faut savoir que Christine Sanchez est candidate (Front de Gauche) aux Départementales mais, lors de ce débat, elle n’a pas mis en avant cette candidature.

Narbonne : une confusion entre comités de quartier et conseils citoyens

La Ville de Narbonne a mis en place, tout récemment, des comités de quartier qu’elle appelle « conseils citoyens ». Cela sur l’ensemble des quartiers de la ville et pas forcément sur les quartiers prioritaires (d’ailleurs, ces « conseils citoyens » ne coïncident pas avec l’aire des quartiers prioritaires, ceux-ci sont mélangés à d’autres quartiers dans un même conseil). Ces « conseils » sont composés d’habitants (en partie volontaires, en partie tirés au sort), associations, collectifs existants et professionnels. Ils visent à « faire des propositions sur tout sujet d’intérêt collectif relatif à la vie du quartier ».

Sur son site internet, la Ville de Narbonne annonce également la mise en place de « conseils citoyens politique de la ville » dans les trois quartiers prioritaires, Narbonne Est, Narbonne Ouest et Narbonne centre. Ils seront, dit-elle, mis en place par l’État, la Communauté d’Agglomération du Grand Narbonne et la Ville de Narbonne.

Rappelons simplement que la loi dit que les conseils citoyens politique de la ville doivent être créés à l’initiative des habitants, avec l’appui technique de partenaires (collectivités locales et État) mais pas par ces derniers. Toute la question est là : s’ils veulent représenter réellement la population des quartiers prioritaires, les conseils citoyens devront réellement émaner de leurs habitants, venir d’en bas et non pas être créés d’en haut.

L’agglo fait appel à candidatures sans concertation

Une information mise en ligne le 17 février sur le site internet du Grand Narbonne (retirée depuis) lance un appel à candidatures pour la constitution des conseils citoyens à Narbonne. Cela sans avoir consulté les associations des quartiers, qui jusque là étaient en contact avec l’agglo. Celle-ci a d’ailleurs annulé une réunion avec les associations prévue en décembre et jusqu’ici non re-programmée.

L’appel à candidatures lancé par l’agglo est limité au 4 mars, c’est-à-dire à une échéance très proche. De plus, à part la mise en ligne, il ne lui a été fait aucune publicité et aucune autre information (communiqué de presse, tracts, affichage, réunion publique, contact avec les associations…) n’a été faite. Comme on le sait, les habitants des quartiers prioritaires consultent régulièrement le site internet du Grand Narbonne !

La « nouvelle forme de participation et d’expression citoyenne » que veut mettre en place l’Etat et que relaient la communauté d’agglomération et la ville de Narbonne a décidément bien du mal à sortir de la démarche bureaucratique.

Ph.C.

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ACTUALISATION

Une habitude difficile à perdre : décider d’en haut

Depuis cet article, publié le 8 février, peu de choses ont évolué jusqu’à la tenue, les 7, 8 et 10 avril, de réunions publiques, dans chacun des trois quartiers « politique de la ville » de Narbonne, destinées à boucler la composition des conseils citoyens (appelés à Narbonne « Forums citoyens », voir ci-dessous).

Alors qu’elle avait entamé un travail préparatoire avec les associations de quartier, la communauté de communes du Grand Narbonne, de façon étonnante, n’y a pas donné suite.

Récemment, les services de l’État, de l’agglo et de la ville ont procédé à un tirage au sort, d’après la liste électorale, des habitants destinés à siéger aux forums citoyens. Ils ont aussi fait appel aux habitants volontaires.

Lors de la réunion du quartier Narbonne Ouest, le 10 avril à la Maison des Services de Saint-Jean/Saint-Pierre, les représentants du sous-préfet, de l’agglo et de la ville ont expliqué la procédure : 30 citoyens et 30 citoyennes ont été tirés au sort sur liste électorale. Mais, à la date de la réunion, seuls deux ou trois avaient répondu à la sollicitation et aucun n’était présent à la réunion. Pour compléter la liste, les personnes volontaires ont été invitées à se manifester. Elles aussi seront tirées au sort. Il doit y avoir au total (entre personnes tirées au sort sur liste électorale et volontaires tirés au sort) 10 représentants des habitants. Se joindront à eux 5 représentants des « acteurs » du quartier (associations, commerçants, etc.), eux aussi tirés au sort.

Une mise en place difficile donc. Le débat, à la Maison de Services, a mis en évidence les réticences des habitants du quartier (une quarantaine de présents dont un certain nombre de représentants associatifs).

D’abord, la confusion entre « conseils citoyens » et « forums citoyens » a semé le trouble : la municipalité s’étant approprié le nom de « conseils citoyens » pour ses anciens conseils de quartier, les autorités ont décidé que les conseils citoyens « politique de la ville » s’appelleraient « forums citoyens » à Narbonne alors que partout ailleurs on parle de conseils citoyens.

La question de fond – à quoi vont servir les forums citoyens ? – a occupé une importante partie de la soirée. Le forum, explique la présentation qui a été faite, est une assemblée qui doit participer à la « co-construction » du Contrat de ville. Celui-ci, financé par l’État, l’agglo, la commune mais aussi des organismes comme la Caf, s’organise en quatre axes : emploi et développement économique ; cadre de vie et renouvellement urbain ; cohésion sociale ; valeurs républicaines et citoyenneté. Chacun des trois forums citoyens de Narbonne devra, avant le mois de juin, donner son avis sur les projets du Contrat de ville… dont les orientations ont déjà été tracées par les institutions. On voit que ça commence mal : en fait de co-construction, les forums devront se prononcer sur un mécanisme déjà en route, auquel ils n’ont pas contribué. Le temps de se mettre en place ils auront d’ailleurs très peu de temps pour approfondir le sujet.

Plusieurs des participants ont critiqué la procédure de mise en place des forums, avec des délais trop courts et sans réelle concertation avec les associations de quartier. Ils font remarquer que, dans les quartiers prioritaires, de nombreux habitants ne sont pas inscrits sur les listes électorales. « Les associations vous avaient proposé à l’automne de participer à l’organisation des conseils », dit Samir Boumediene, membre du collectif des associations. « Nous vous avons proposé d’aller ensemble à la rencontre des habitants ; pourquoi vous êtes-vous privés de cette aide ? »

Ils sont par ailleurs sceptiques sur le caractère consultatif de l’avis des forums : cet avis sera-t-il vraiment pris en compte ?

Le secrétaire général de la sous-préfecture, Cédric Bouet, s’est pour sa part interrogé sur la représentativité des forums par rapport à l’ensemble des habitants du quartier. Il est vrai (même si M. Bouet ne l’a pas exprimé ainsi) que le système en soi pose problème : comment 15 personnes, en partie tirées au sort, en partie volontaires, peuvent-elles représenter tout un quartier ? Rien dans l’esprit des forums-conseils citoyens ne prévoit une large consultation du quartier, même si rien ne l’interdit.

Il y avait un moyen d’avoir une certaine représentativité des quartiers : associer étroitement les associations existantes à la mise en place des forums-conseils citoyens. Ces associations sont nées de ces quartiers et elles en sont une émanation vivante même si elles ne prétendent pas en être les représentantes exclusives.

Ph.C.

Le magazine Friture Mag publie, le 18 mai, un article du Collectif (national) Pas Sans Nous intitulé : « Vive inquiétude sur la mise en place des conseils citoyens ». Lire l’article.

Zones humides : il y en a certainement (encore) une près de chez vous

La moitié des zones humides du monde entier ont disparu au XIXe siècle à cause de l’artificialisation, de la transformation des milieux, de la canalisation des cours d’eau. D’où une importante perte de biodiversité.

C’est ce qu’a expliqué Francis Morlon, directeur de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) de l’Aude, lors d’une soirée, le 23 décembre à l’Assoc’Epicée (Narbonne).

Des zones humides, il y en a un peu partout, notamment dans notre région avec les étangs et les cours d’eau. Il a aussi été question de zones humides, aux combats emblématiques, de Sivens et Notre Dame des Landes.

Mais qu’est-ce qu’une zone humide ?

Francis Morlon, directeur de la LPO de l'Aude.

Francis Morlon, directeur de la LPO de l’Aude.

C’est, dit Francis Morlon, une zone avec une présence d’eau, permanente ou temporaire, courante ou stagnante, salée, douce ou saumâtre, naturelle ou artificielle. Les dunes, les lagunes, les salins, les forêts, les prairies et même les vignes peuvent être des zones humides.

Ces zones ont plusieurs intérêts : elle jouent un rôle important dans le traitement physico-chimique de l’eau ; elles servent d’éponge lors des crues ; elles sont aussi des lieux de vie (stationnement, nidification), très actifs notamment dans la période estivale ; elles sont aussi des lieux de loisirs pour les humains.

Face à leur disparition progressive, un traité international, la Convention de Ramsar (une ville d’Iran), a été adopté en 1971. Son titre officiel est « Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau ». Cette convention est à l’origine d’un inventaire mais aussi de directives transcrites en droit européen et en droit national (dont une partie de la Loi sur l’eau en France).

Les États signataires de la convention s’engagent notamment à inventorier les zones humides et à les prendre en compte lors d’aménagements et dans la gestion de l’agriculture.

Dans le Narbonnais, les vastes étangs sont reconnus comme site Ramsar (il y a environ 250 sites Ramsar dans le monde). Ils abritent une importante population d’oiseaux (jusqu’à 20 000 en hiver) ; la pêche traditionnelle doit y être préservée.

Ces étangs sont menacés par la pollution, surtout agricole (en particulier les herbicides) mais aussi industrielle : la société Languedoc Micron Couleurs de Malvesi (près de Narbonne), spécialisée dans la fabrication et le négoce de pigments, a cessé la fabrication en 2008 ; pourtant on trouve encore du cadmium dans les sédiments des étangs. L’usine Areva (traitement du minerai d’uranium), également à Malvesi, est aussi une menace pour les mares, canaux, et le canal de la Robine qui va jusqu’aux étangs : des débordements de diverse nature ont eu lieu en 2004, 2006 et 2009.

L’urbanisation en zone inondable (aujourd’hui, en général, on remblaie les sols pour pouvoir construire) réduit les zones humides.

Autre menace, celle de la gestion des crues de l’Aude. L’aménagement de la basse vallée, avec en particulier le canal de dérivation de Coursan, sécurise certes les habitations riveraines, mais il annule la capacité des milieux naturels à absorber la crue et réduit les zones humides. Sans parler du risque de rupture de digues.

Dans la basse vallée de l’Aude, de nombreux canaux agricoles ont été fermés par ces aménagements. Conséquence : l’étang de Campignol, qui était alimenté par ces canaux en eau douce, perd peu à peu sa roselière ; elle s’étendait sur une dizaine d’hectares et il n’en reste plus qu’une ceinture autour de l’étang. La biodiversité (notamment la pêche de l’anguille) en pâtit.

L’autre « menace » sur ces étangs est « naturelle » : c’est la remontée du niveau de la mer.

L’agrandissement du port de Port-la-Nouvelle

Des études sont en cours (sous la responsabilité de la Région) sur l’impact du projet d’extension du port de Port-la-Nouvelle. L’extension concerne d’une part la zone d’activité terrestre, d’autre part le bassin du port.

La Région doit trouver 20 ha de dunes pour compenser les superficies qui seront détruites par le projet. Comme il n’y a pas de dunes à vendre dans l’Aude, elle devra les acheter ailleurs (à Listel ?).

Il est à craindre que la nouvelle jetée du port entraîne une accumulation de sable d’un côté et un creusement de l’autre. Les salines de Port-la-Nouvelle sont ainsi menacées.

L’extension de la jetée permettrait par contre, en renforçant le courant, de désensabler le Grau naturel qui fait communiquer l’étang de Bages avec la mer.

Ph.C.

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Port-la-Nouvelle : un particulier condamné à remettre en état une zone humide

Le Tribunal Correctionnel de Narbonne, en date du 22/08/2017, a condamné un particulier qui avait remblayé une zone humide près de sa maison. Voir le communiqué d’ECCLA.

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Journées mondiales des zones humides

Les journées mondiales des zones humides ont lieu chaque année en février, avec de nombreuses animations locales, en Languedoc-Roussillon et dans toute la France.

Zones humides 2http://www.zones-humides.eaufrance.fr/agir/ramsar-et-la-journee-mondiale-des-zones-humides

Béziers, laboratoire de l’extrême droite

Le Collectif narbonnais de Lutte contre le Racisme, la Xénophobie et les Discriminations avait invité, vendredi 16 janvier à Narbonne, plusieurs citoyens biterrois à un débat intitulé « Vivre dans une ville gérée par l’extrême droite ». Ces témoignages ont apporté une sorte de bilan de la gestion municipale de Robert Ménard, dix mois après son élection, et une analyse du processus en cours.

Marie Rennes : "Nous avons pris l'initiative de ce débat suite au rapprochement entre les maires de Narbonne et de Béziers."

Marie Rennes : « Nous avons pris l’initiative de ce débat suite au rapprochement entre les maires de Narbonne et de Béziers. »

« Nous avons pris l’initiative de ce débat », explique Marie Rennes, membre du collectif narbonnais, après avoir vu le rapprochement entre les deux maires de Narbonne et Béziers. L’attitude de Didier Mouly, estime le collectif, de « dérouler le tapis rouge à Robert Ménard », revient à « lui donner une légitimité, à montrer que c’est un maire comme les autres ».

Le témoignage des Biterrois montrera que Robert Ménard n’est pas vraiment un maire comme les autres.

Pour ce qui est de son bilan, les intervenants mettent en avant des faits concrets et illustrent le climat qui règne désormais à Béziers.

Un maire pas vraiment comme les autres

Il y a ce qu’Yvan Vialettes, délégué CGT à la mairie et responsable régional CGT des agents territoriaux, appelle une « chasse aux sorcières » au sein des équipes municipales, qui a atteint (par licenciement, mutation ou rupture de contrat) les directeurs de la médiation, de la police municipale, de la culture, de l’informatique, pourtant « des gens compétents ».

Yvan Vialettes (CGT territoriaux) et (à d.) Alain Renouard (ex-directeur de la médiation).

Yvan Vialettes (CGT territoriaux) et (à d.) Alain Renouard (ex-directeur de la médiation).

Il y a aussi des propos envers l’ensemble du personnel municipal, le maire leur annonçant qu’il allait « les mettre au boulot » et déclarant qu’il saisirait l’Ordre des Médecins pour sanctionner les médecins qui donnent trop d’arrêts de travail aux agents.

Mais le plus significatif est certainement la nouvelle orientation de l’action municipale vers le sécuritaire, avec des conséquences sur les autres lignes budgétaires, et dans un sens anti-social.

Alain Renouard, qui était directeur de la prévention-médiation au Pôle sécurité publique de la ville de Béziers, a été licencié et à ce titre il a saisi le Tribunal administratif (voir plus loin). « Nous étions dans l’échange, le travail sur l’humain, le contact », dit-il. « Très rapidement je me suis aperçu que ce n’était pas leur tasse de thé : ils partent du principe de mettre en avant d’abord le répressif. » Effectivement, la médiation a été rattachée à la police municipale et le nouveau maire, comme il l’avait annoncé, renforce la police municipale, dont il veut doubler les effectifs.

Priorité aux services de police

Il n’y a pourtant pas, à Béziers, une insécurité énorme, dit Yvan Vialettes, « mais Ménard a décrété que oui ». Les policiers municipaux sont équipés de gilets pare-balle, dotés de chevaux et d’une brigade canine. « Habituellement, les policiers municipaux font figure de garde-champêtres vis-à-vis de la Police Nationale. Ici, c’est l’inverse. »

« Cette politique a un coût énorme », poursuit le syndicaliste : doublement des effectifs, véhicules supplémentaires, armement pour circuler la nuit, recherche d’un nouveau bâtiment. Il l’évalue entre 2 et 4 M€ sur l’exercice, soit 8 points de fiscalité. Le maire, dit Yvan Vialettes, veut financer le coût de la police par la suppression de 200 emplois dans les autres services municipaux. Or Béziers, avec 1 680 employés municipaux, est dans la moyenne nationale avec pourtant des services au public, comme les ordures ménagères, assurés par la ville et non par le privé.

Cette priorité donnée à la police a des conséquences sur les autres actions de la ville, qui a « une situation budgétaire catastrophique », avec des emprunts élevés, et qui est, pour sa population, la 4e ville la plus pauvre de France.

Par exemple, l’épicerie sociale a été fermée (et ses 7 salariés ont été mutés).

« On veut faire des économies partout, il y a une pression sur l’encadrement. Les budgets ont été votés mais on les ratiboise. »

Le nettoyage, poursuit Yvan Vialettes, est concentré sur les quartiers les plus aisés de l’hyper-centre-ville ; ailleurs, il est négligé.

A g., Aimé Couquet (élu municipal Front de Gauche).

A g., Aimé Couquet (élu municipal Front de Gauche).

Aimé Couquet, conseiller municipal (élu Front de Gauche, membre du PCF), craint par ailleurs une baisse du budget d’investissement de la ville.

Tout cela, disent les intervenants, apporte à Béziers une ambiance déplorable. Chez les employés municipaux dont « beaucoup vivent dans une certaine terreur ». Et dans la population.

Hélène Fargier, qui intervenait pour l’Association Biterroise Contre le Racisme (ABCR), note l’ambiance d’islamophobie : dans les quartiers où la population musulmane est relativement présente, les gens ont peur d’être stigmatisés. Même s’il y a très peu de cas véritables d’agression raciste, ils craignent qu’ils se multiplient.

Une politique libérale, « anti-pauvres »

Pour les intervenants, l’action du maire de Béziers est socialement orientée. Les arrêtés qui ont fait du bruit (interdiction de cracher dans les rues, d’étendre du linge aux fenêtres, d’installer des paraboles, interdiction pour les mineurs de 13 ans de sortir seuls les soirs d’été ou de vacances scolaires après 23 h), « c’est de la provocation », estime Aimé Couquet.

« Tous ces arrêtés n’ont jamais été appliqués. Le grand problème de Ménard c’est de faire de la communication. Il brosse les gens dans le sens du poil ; il y a à Béziers une partie de la population, notamment des personnes âgées, qui a peur parce qu’il y a dans la ville des gens avec une autre couleur de peau et qui ne vivent pas de la même façon. Pourtant, il n’y a pas plus d’insécurité qu’ailleurs, et il n’y en a pas moins depuis l’arrivée de Robert Ménard. »

Sur le fond, celui-ci est accusé d’objectifs anti-sociaux. Aimé Couquet rappelle que Robert Ménard, fin 2012, un peu plus d’un an avant les municipales, avait promis de « vider le centre-ville des pauvres, des Maghrébins et des Gitans ».

L’une de ses premières mesures en tant que maire a été de réduire le budget du CCAS (Centre communal d’action sociale) de 400 000 € (soit 10%). L’ancien maire, Raymond Couderc, avait d’ailleurs peu de temps avant déjà réduit ce budget du même montant.

Pour Yvan Vialettes, la « politique anti-pauvres » du maire va « dans la même logique que la politique ultra-libérale de Manuel Valls : économies de personnel, réduction de la dépense publique.

Les déçus de l’UMP plus les voix d’extrême droite

Pour Aimé Couquet, « l’arrivée de Ménard à la mairie est la conséquence des 19 ans de Couderc. Ménard a pris en main les déçus de l’UMP et il y a ajouté les voix d’extrême droite sur un discours anti-social et sécuritaire. » Il a fait de Béziers « un véritable laboratoire de l’extrême droite, en se faisant élire avec l’appui du Front National alors que le FN n’avait jamais eu à Béziers de tradition organisée ni de militants. »

Aux élections européennes, le vote FN a Béziers n’a pas été plus fort qu’ailleurs. Il est vrai toutefois qu’il y a, dans la ville, un vote FN d’une partie des rapatriés d’Afrique du Nord, depuis 30 ans. Des rapatriés qui ont toujours été flattés par l’UMP : le député Élie Aboud ne manque pas d’aller s’incliner chaque année au cimetière sur la stèle en l’honneur des quatre membres de l’OAS condamnés à mort par les tribunaux après la guerre. Cette année, il était accompagné de Robert Ménard.

Yvan Vialettes souligne que si au départ Robert Ménard est arrivé à la mairie sans équipe et a fait preuve « de peu de professionnalisme et d’une méconnaissance de la fonction publique territoriale », il s’est ensuite structuré. En particulier en engageant comme directeur de cabinet André-Yves Beck, lié au Bloc Identitaire et qui a été chargé en communication et conseiller du maire d’Orange, Jacques Bompard, et conseiller de son épouse, Marie-Claude Bompard, maire de Bollène. « André-Yves Beck considère Le Pen comme un gauchiste », note Y. Vialettes.

De g. à d., Roger Grangeaud (Collectif narbonnais de Lutte contre le Racisme), Didier Ribo (En Vie à Béziers) et Hélène Fargier (ABCR).

De g. à d., Roger Grangeaud (Collectif narbonnais de Lutte contre le Racisme), Didier Ribo (En Vie à Béziers) et Hélène Fargier (ABCR).

Didier Ribo, qui intervenait pour le « contre-journal » En Vie à (de) Béziers, note les liens de Robert Ménard et de son épouse, Emmanuelle Duverger, avec le mouvement Civitas et avec l’Opus Dei.

« Robert Ménard », poursuit-il, « a réussi à fédérer une galaxie de groupuscules qui étaient en désaccord séculaire. Aujourd’hui, il réussit à Béziers un rassemblement beaucoup plus large que le Rassemblement Bleu Marine. Seul Franco, en Espagne, l’avait réussi dans un autre contexte mais avec la même logique : celle du rassemblement autour du chef. »

Par ailleurs, estime Didier Ribo, Robert Ménard manie une idéologie ultra-libérale, mais il n’y a pas que cela : il a refusé la venue à Béziers d’Orchestra (qui voulait créer une plate-forme logistique et un magasin) « pour faire alliance avec les petits commerçants et les petits patrons de Béziers ». « Il y a un mélange » (de tactiques) : « il cherche à « asseoir un vote de classe en s’adressant à ces catégories sociales qui ont été malmenées », justement par la politique libérale.

« Cette organisation classiste rentre dans la thématique d’extrême droite de la troisième voie entre PS et UMP ».

Une volonté de ne pas quitter le terrain

Les intervenants de cette soirée de vendredi ont par ailleurs souligné le mouvement de fond qui a amené Robert Ménard a remporter les élections municipales de Béziers. Les votes cumulés de la droite et de l’extrême droite ont dépassé 70 % des suffrages exprimés. On a parlé du discours sécuritaire qui a pu séduire des populations âgées ou fragilisées par la situation économique. Alain Renouard constate que les jeunes de La Devèze ont voté massivement Ménard « en désespoir de cause, pas par conviction » : ces jeunes, dit-il, « sont allés de déception en déception face aux promesses non tenues des gouvernements de gauche et de droite. Quand on parle avec eux, ils disent qu’ils n’ont qu’une ambition : travailler. Mais on ne leur donne pas de réponse. Il y a 50 % de chômeurs parmi eux. »

Robert Ménard ne leur apportera pas davantage de réponse : « On sait », poursuit Alain Renouard, « que le Front National c’est du populisme, qui consiste à dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre. » « Ménard, pour gagner, a sali la ville. BFM-TV est arrivée en croyant que La Devèze était un coupe-gorge. Aujourd’hui, y mettre des policiers armés, c’est inadapté, c’est une provocation qui aura l’effet inverse. On peut se demander d’ailleurs si ce n’est pas volontaire. A La Devèze, parmi 23 000 habitants, il y a une trentaine d’individus qui mettent la pagaille, ce n’est pas une raison pour stigmatiser une population.»

Alain Renouard, qui se dit « plutôt de la droite modérée », « n’accepte pas une municipalité qui stigmatise les populations, même si elle le fait de façon très subtile. » Et, dit-il, chez les gens de droite modérée il y a aussi des ennemis du Front National.

Pour Yvan Vialettes, un sursaut des Biterrois est possible : « Aux élections professionnelles de la fonction publique, la CGT, un des rares syndicats à affronter Ménard, a gagné 10 % de voix. Il y a encore l’idée que les syndicats vont faire pour nous mais il faut faire changer la peur de camp. »

Il rappelle que lors de la manifestation du 8 janvier, après l’attentat contre Charlie Hebdo, Robert Ménard a été hué par une partie des manifestants après avoir parlé de « lente infiltration (de l’ennemi) dans nos quartiers… ».

« L’affrontement avec le FN, c’est de cap à cap (tête contre tête) », dit Yvan Vialettes. « Il faut être sur le terrain, là où il croit que ça va être facile pour lui. »

Ph.C.

ABCR : 100 % des enfants roms scolarisés

Créée il y a 24 ans, l’Association Biterroise Contre le Racisme suit notamment la scolarisation des enfants roms, avec une salariée permanente. Résultat : 100 % des enfants roms de Béziers sont scolarisés, maternelle comprise.

Ce n’est pas grâce à la mairie ni à l’équipe précédente, explique Hélène Fargier : « Raymond Couderc ne nous donnait rien ; il avait même refusé de scolarises les enfants roms et nous avons dû le traîner au Conseil d’État pour qu’il applique la loi. Robert Ménard ne nous finance pas davantage. »

« Ce n’est pas la municipalité qui nous frappe, c’est le gouvernement austéritaire Hollande-Valls. » En effet, ce qui inquiète l’association, c’est la suppression par l’État (Direction de la Cohésion Sociale) et l’Agglo de leur subvention ainsi que la diminution de moitié de celle de la Région Languedoc-Roussillon. Pour l’instant, l’association tient grâce à une rallonge du Conseil général et à une soirée de solidarité animée par Daniel Villanova.

Elle espère pouvoir maintenir l’emploi de sa salariée et ainsi poursuivre son action auprès de la population rom.

« L’image que tu donnes de Béziers, ce n’est pas la nôtre »

Didier Ribo a expliqué la décision d’un groupe de militants, notamment du Parti de Gauche mais en majorité encartés nulle part, de créer un « contre-journal » pour faire face au message de haine du journal municipal (Le Journal de Béziers) et montrer que tous les Biterrois n’adhèrent pas à la politique du maire.

Le second numéro de ce journal sur internet, En Vie à (de) Béziers, paraîtra le 5 février.

L’équipe a aussi un projet de coopérative pour créer des contre-événements culturels et s’opposer à la tactique de Robert Ménard qui a invité à Béziers Philippe de Villiers et Eric Zemmour et compte inviter Alain Soral.

En Vie à (de) Béziers, qui a fait l’objet récemment d’une tentative de piratage informatique, a accueilli plus de 2 000 visites en dix jours.

Alain Renouard : requête au Tribunal Administratif

Ancien directeur de la prévention-médiation (contractuel de la fonction publique), Alain Renouard a été licencié par le maire de façon étrange. Il a en effet reçu pas moins de quatre lettres de licenciement successives, avec des motivations différentes : d’abord une lettre lui signifiant qu’il n’allait pas dans le sens de l’idéologie du maire ; une deuxième lettre mettant en cause ses diplômes ; la troisième évoquait la réorganisation du service ; la dernière, finalement, a choisi le motif du licenciement économique, motif qui n’existe pas dans les collectivités territoriales.

Alain Renouard, qui conteste bien entendu ce licenciement, a saisi le Tribunal Administratif d’une requête en abus de pouvoir.

L’action sur les symboles

Après avoir annoncé qu’elle allait rebaptiser l’École Nelson Mandela en École Yves Rouquette, la mairie a finalement renoncé à changer le nom de cette école. C’est l’École La Chevalière qui prendra le nom du poète occitan biterrois, récemment décédé, que Robert Ménard, dans Le Journal de Béziers de janvier, qualifie de « mon ami ». Yves Rouquette n’est plus là pour en attester.

La rue Frederik de Klerk, du nom du dernier président blanc de l’Afrique du Sud qui a mis en œuvre les réformes menant à la fin de l’apartheid (prix Nobel de la Paix 1993 en même temps que Nelson Mandela), devait aussi être rebaptisée mais ce sujet ne semble plus à l’ordre du jour. Recul de Robert Ménard ?

Là où celui-ci ne recule pas c’est sur le changement de nom de la rue du 19 mars 1962. Elle deviendra prochainement la rue Commandant Denoix de Saint-Marc, du nom de ce putschiste d’Alger, qualifié de « héros français » par le même Journal de Béziers.

« Trente ans d’immigration galopante »

Sur le site Français de Souche, Robert Ménard fait le lien entre la terreur des attentats islamistes et « trente ans d’immigration galopante ».

Le Journal de Béziers, de façon moins directe, va dans le même sens.

Grand Narbonne : logement, transports urbains, TGV…

Les élus de la Communauté d’agglomération du Grand Narbonne ont effectué, mercredi 14 janvier, un tour d’horizon des grands dossiers lors d’un petit déjeuner de presse. Au menu notamment, le Programme Local de l’Habitat, le Plan de Déplacement Urbain ou encore l’organisation de réunions publiques au sujet de la gare et du tracé TGV.

De g. à d., Magali Vergnes,  vice-présidente (agriculture, viticulture, oenotourisme, fonds européens), Jacques Bascou, président du Grand Narbonne, et Henri Martin, vice-président (grands projets, commande publique).

De g. à d., Magali Vergnes, vice-présidente (agriculture, viticulture, oenotourisme, fonds européens), Jacques Bascou, président du Grand Narbonne, et Henri Martin, vice-président (grands projets, commande publique).

Logement : un PLH en gestation

La préparation du PLH (Programme Local de l’Habitat) du Grand Narbonne, qui s’étalera de 2015 à 2021, a donné lieu à une étude qui a permis de dresser un diagnostic, en particulier sur les centres villes de Narbonne, Coursan et Cuxac.

Plusieurs constats sur la situation du logement dans le territoire de l’agglomération ont été dressés :

« – Un territoire qui a connu une forte croissance démographique.

– Une dynamique démographique remise en question par la crise immobilière avec le repli de la construction neuve.

– Une mutation de la structure des ménages ayant pour enjeu le développement d’une offre adaptée aux petits ménages et aux personnes âgées.

– Des niveaux de vie bas chez les jeunes ménages et une pauvreté concentrée sur Narbonne.

– Un parc ancien important avec un fort pourcentage de vacance et un besoin généralisé d’améliorations thermiques. Des phénomènes d’inconfort voire d’indignité observés.

– Des besoins réels en logements locatifs, un enjeu
majeur de confortement du parc locatif social. »

Ces constats donneront lieu à des mesures et des préconisations qui restent à définir.

L’action dans les centres anciens sur les logements vacants est une piste, mais il y en a d’autres, que le président de l’agglo, Jacques Bascou, a évoquées : « Nous avons sollicité l’Établissement public foncier régional qui peut agir sur le foncier, des programmes de logement, voire du stationnement. »

Concernant le logement social, une réunion est prévue la semaine prochaine avec les bailleurs sociaux et l’État pour voir quels programmes peuvent être mis en œuvre.

A Narbonne, une 2e phase de réhabilitation des logements de l’OPHA (Office public de l’habitat de l’Aude) est prévue.

Par ailleurs, a dit Jacques Bascou, la politique du logement ne se limite pas au logement social. Autre idée, la recherche de la mixité est aussi un objectif, pour éviter de « faire des ghettos ».

Les actions du PLH seront présentées à la fin de ce premier trimestre 2015.

A noter la position d’Henri Martin, 3e vice-président du Grand Narbonne (délégué aux grands projets) et maire de Port-la-Nouvelle, pour qui « il faut arrêter de parler de logement social ». Il préfère parler d’adaptation de l’offre pour répondre à la demande et en particulier aux besoins des familles modernes. Henri Martin suggère aussi de « déverticaliser (le logement) pour éviter le frottement ».

Christian Lapalu, 4e vice-président du Grand Narbonne, rappelle pour sa part que 70 % des habitants de l’Aude répondent aux critères donnant droit au logement social.

Ph.C.

Plan de déplacement urbain : une priorité

Le Plan de déplacement urbain du Grand Narbonne viendra en discussion au cours de l’année 2015. C’est, pour l’agglo, « une priorité » dans l’esprit de renforcer la cohésion entre les communes de la jeune agglomération : elle est née en 2006 et a fait l’objet d’agrandissements successifs en 2010 et 2011.

L’un des objectifs, faciliter les déplacements pour permettre à tous d’accéder aux services.

La politique du transport public, dans l’agglo (Narbonne et villages), est liée au contrat de DSP (délégation de service public) en cours, avec Keolis. Signé en 2007, ce contrat s’achève le 31/08/2016. L’organisation actuelle ne répond pas, estime l’agglo, aux besoins. « Nos prédécesseurs n’avaient pas anticipé », dit Jacques Bascou. « En attendant, des avenants ont été signés, mais ils ont leur coût. »

Pour le président du Grand Narbonne, l’objectif, sur les transports, n’est pas forcément d’être à l’équilibre. La priorité, pour lui, c’est le service public, qui peut justifier un financement public. La renégociation du contrat de DSP, à la fin de l’année, sera-t-elle l’occasion de réfléchir à une régie publique ? Elle serait un meilleur moyen de garantir le bon usage des deniers publics.

Dans l’immédiat, l’agglo lance un appel d’offres pour une étude de terrain sur la demande des usagers en matière de transport. Le réseau est surtout fréquenté par les scolaires ; l’agglo veut améliorer notamment le service rendu aux salariés sur le trajet domicile-travail.

L’Union locale CGT a organisé, le 2 février à Narbonne, une réunion publique au cours de laquelle elle a suggéré le passage de la gestion des transports publics soit en régie publique soit en société d’économie mixte. Dans les deux formules, ce sont les élus qui ont la charge d’orienter la politique des transports.

Ph.C.

Avril-mai : des réunions publiques sur le TGV

RFF (Réseau Ferré de France) est en train de préparer une série de dix réunions publiques qui auront lieu, dans le Grand Narbonne, du 13 avril au 17 mai. Elles auront pour sujet la présentation du tracé et l’emplacement de la gare (deux sites possibles « du côté de Montredon »).

L’enquête d’utilité publique est prévue cette année, pour un démarrage des travaux en 2016 et une mise en service en 2020.

Pour le Grand Narbonne, la construction de la ligne nouvelle doit être mise en cohérence avec le Plan de déplacement urbain de l’agglomération et les projets économiques.

Henri Martin : « Nous n’étions pas prêts à accueillir Sime Darby »

On se souvient du projet d’héberger, sur le port de Port-la-Nouvelle, le groupe malaisien Sime Darby, qui comptait importer de l’huile de palme et la transformer sur place. Projet qui avait été abandonné fin 2012, officiellement à cause de la crise économique.

Henri Martin, vice-président du Grand Narbonne et maire de Port-la-Nouvelle, revient sur ce projet pour illustrer les processus d’accueil des entreprises par la collectivité. « Pour Sime Darby », dit-il, « nous n’étions pas prêts au niveau de la préparation du terrain et de l’enquête publique. » Les délais nécessaires au déroulement de ce processus administratif auraient découragé l’investisseur.

Grand Port : bientôt les enquêtes publiques ?

Henri Martin s’est étonné que l’enquête publique pour l’extension en mer du port de Port-la-Nouvelle n’ait pas eu lieu cet été, « période la plus propice pour consulter la population » : la ville de Port-la-Nouvelle abrite 6 000 habitants permanents mais jusqu’à 35 000 en été.

Cette enquête publique pourrait avoir lieu l’été prochain.

Une autre enquête publique, celle concernant l’aménagement de la plate-forme nord, devrait démarrer également cette année.

Eau/assainissement en régie publique ?

Vers une réappropriation… publique du bien public

Le Lez à Castelnau. Photo Hugo Soria (Wikicommons). http://commons.wikimedia.org/wiki/GNU_Free_Documentation_License

Le Lez à Castelnau. Photo Hugo Soria (Wikicommons).
http://commons.wikimedia.org/wiki/GNU_Free_Documentation_License

Le captage, le traitement et la distribution de l’eau (brute et potable) ainsi que le traitement des eaux usées (assainissement) sont, en France, largement gérés par les sociétés privées, au premier rang desquelles les multinationales de l’eau Veolia (groupe Veolia Environnement) et Lyonnaise des Eaux (groupe Suez Environnement) ou encore Saur.

Cette gestion par le privé se fait selon la règle de la « délégation de service public » (DSP). La DSP (1) donne lieu à un contrat, de durée variable mais souvent pour de nombreuses années, entre la collectivité territoriale (la gestion de l’eau est aujourd’hui une compétence des communautés d’agglomération et non plus des communes) et une société privée.

En France, à l’instar de Paris notamment, de nombreuses communes reviennent à la régie publique même si la délégation de gestion au privé reste la grande majorité des cas (contrairement aux États-Unis ou à la Suisse, où la gestion de l’eau est – encore – largement publique). On constate en effet, lors d’un retour en régie publique, qu’il est possible d’abaisser le prix de l’eau pour les usagers dans des proportions importantes, de l’ordre de 20 voire 30 ou 40 %.

La régie publique directe présente plusieurs atouts par rapport à la DSP.

Elle est plus économique pour les usagers parce que :

. La régie, contrairement aux sociétés privées, ne fait pas de bénéfices et n’a pas d’actionnaires à rémunérer.

. Elle n’a pas de frais de communication, de prospection, de siège

. Elle ne paie pas les taxes sur les sociétés.

En outre, la régie permet, au plus près du pouvoir de décision des élus, une maîtrise de la politique de l’eau et de l’assainissement, avec – en principe – plus de transparence, avec une meilleure gestion des équipements et installations et une meilleure prise en compte de l’intérêt public et de la préservation des biens publics : ressource en eau, cours d’eau, milieux humides…

L’enjeu économique et l’enjeu environnemental sont importants mais l’enjeu politique n’est pas le moindre : les citoyens souhaitent de plus en plus que l’on décide démocratiquement de l’usage d’un bien public primordial qu’est l’eau plutôt que d’en faire un bien marchand pour le profit des sociétés privées et des intérêts financiers.

Les partisans de la régie publique font aussi valoir que l’eau est, après l’armement et le BTP, le 3e secteur le plus corrompu. « Que font nos gouvernants pour moraliser cela ? », demande le collectif Carpe (Béziers). « Ou trempent-ils aussi dans cette corruption ? Ceci expliquerait cela. »

Dans la série d’articles qui suit, nous faisons le point sur la gestion de l’eau et de l’assainissement dans plusieurs agglomérations de la région Languedoc-Roussillon :

« Communauté d’Agglomération Béziers-Méditerranée : un enjeu politique, économique et environnemental »

« Carcassonne Agglo : changement fin 2017 ? »

« Grand Narbonne : trois ans pour faire un choix »

« Montpellier Agglomération : l’eau en régie mais pas l’assainissement »

Philippe Cazal

1) DSP : la délégation de service public repose sur un ou plusieurs contrats passés par une personne morale de droit public (commune, collectivité territoriale) pour confier la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou plus généralement privé dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d’exploitation du service. (http://www.marche-public.fr/Marches-publics/Definitions/Entrees/Delegation-service-public-DSP.htm)

. Voir  sur Rue 89 l’interview de Jean-Luc Touly, président de l’Acme (Assocation pour un contrat mondial de l’eau) (3 min.).

. Et une petite video (4 min.) sur le site d’Attac.

. Sur la proposition du gouvernement concernant la tarification sociale de l’eau, voir le site Pas de roses sans épines !

. Voir l’article (20/05/2015) d’eauxglacées.com sur la bataille juridique et constitutionnelle autour des coupures d’eau : Eaux Glacées

. Le CESE (Conseil économique, social et environnemental) de l’Aude s’est prononcé, en 2014, en faveur d’une gestion de l’eau en régie publique au niveau départemental. Lire le rapport : Saisine-CESE-avril-2014-

 

Béziers Agglo : un enjeu politique, économique et environnemental

Dossier eau et assainissement en régie publique

Les contrats avec les sociétés privées pour la fourniture de l’eau et l’assainissement dans la communauté d’agglomération de Béziers arrivent à échéance au 31/12/2015. Dans cette perspective, l’Agglomération délibérera très prochainement, en février, pour choisir soit le maintien en DSP (délégation de service public aux sociétés fermières), soit le passage en régie publique, soit une solution hybride.

Pour sa part, le collectif Carpe se mobilise pour demander aux élus d’opter pour la régie publique directe, seul moyen selon lui de maîtriser la gestion de l’eau dans l’intérêt des citoyens. Il organise une réunion publique le vendredi 6 février à 18 h 30 à la Mam (Médiathèque André Malraux).

Le chantier de l'extension de la station d'épuration de Béziers-Plaine de Saint-Pierre, en décembre 2014. Photo CABM.

Le chantier de l’extension de la station d’épuration de Béziers-Plaine de Saint-Pierre, en décembre 2014. Photo CABM.

Actuellement, dans la CABM (Communauté d’agglomération Béziers-Méditerranée), l’eau (captage, distribution) et l’assainissement (traitement des eaux usées) sont gérés en délégation de service public, pour certaines communes par le groupe Suez-Lyonnaise des Eaux (Béziers, Boujan, Corneilhan, Espondeilhan, Lignan, Sérignan, Servian, Valras-Plage), pour d’autres par la Scam (Cers, Sauvian) et Ruas (Bessan).

Dans deux communes seulement, Lieuran et Villeneuve-les-Béziers, eau et assainissement sont gérés en régie publique (par les services de l’agglo).

La gestion publique recouvre des enjeux économiques (prix de l’eau, maîtrise des investissements) et environnementaux (gestion de la ressource d’une part, des effluents d’autre part). Mais l’enjeu politique n’est pas le moindre : les citoyens souhaitent de plus en plus que l’on décide démocratiquement de l’usage d’un bien public primordial qu’est l’eau plutôt que d’en faire un bien marchand pour le profit des multinationales.

Négocier en position de force

A Béziers, un débat est né entre commune et communauté d’agglomération sur l’opportunité de négocier dès à présent avec les sociétés fermières ou d’attendre l’échéance des contrats. Le maire de Béziers, Robert Ménard, a estimé qu’en négociant d’ores-et-déjà il serait possible d’obtenir une baisse du prix de l’eau de 5 % tout de suite (la ville de Béziers est l’une des communes de France où l’eau est la plus chère, à 4,68 €/m³). L’Agglomération, tout en faisant remarquer que la politique de l’eau est une compétence de l’agglo et non des communes, pense au contraire qu’il est plus judicieux de négocier au moment du renouvellement éventuel du contrat. Plusieurs cas montrent d’ailleurs qu’il est possible d’obtenir des rabais de l’ordre de 30 %.

Le collectif Carpe, pour sa part, estime que pour négocier en position de force il faut se préparer bien à l’avance et y compris commencer à organiser la régie publique potentielle.

Carpe (Collectif pour le retour en régie publique de l’eau) est un collectif de citoyens et de mouvements politiques : Attac, Front de Gauche, Parti de Gauche, Ensemble, PCF, EELV.

Pour mettre en évidence le rapport de forces entre collectivités territoriales et sociétés fermières, ce collectif cite l’interview du maire d’Antibes, Jean Leonetti (UMP), dans Midi Libre du 9 décembre (article signé Arnaud Gauthier). A Antibes en effet, la ville a obtenu en 2012, en renégociant son contrat avec la Lyonnaise, une diminution de 43 % du prix de l’eau potable (qui est aujourd’hui l’une des moins chères de France, à 1,50 €/m³).

Rompre un contrat avant son échéance, explique Jean Leonetti, n’est pas possible car les contrats prévoient, dans cette éventualité, des indemnités très importantes. Il faut donc attendre l’échéance pour négocier mais l’important, souligne-t-il, c’est de prendre les choses en main en faisant appel à un bureau d’études et en faisant travailler les services techniques en interne pour effectuer une étude technique et financière. Ce diagnostic précis de la situation permet de connaître l’état des installations et des réseaux, les besoins en investissement et à partir de là de réaliser une simulation du fonctionnement en régie. Ainsi, on connaît le vrai prix de l’eau et, sur ces bases, on peut négocier.

La commune d’Antibes est allée jusqu’à préparer l’organisation pour le passage en régie : « Il ne faut jamais faire de menaces que l’on ne peut pas exécuter », dit Jean Leonetti à Arnaud Gauthier.

L’élu antibois relativise la concurrence entre sociétés d’exploitation : « Quand il y a Veolia sur un territoire, il n’y a pas la Lyonnaise et s’il y a la Lyonnaise, il n’y a pas Veolia. Le seul vrai concurrent, c’est la régie publique. » Il ajoute : « Ce n’est pas parce qu’il y a une seule société présente que l’on doit se laisser imposer un prix. »

Les élus ne sont pas forcément en position de force dans la négociation, en particulier parce qu’ils disposent rarement d’une bonne connaissance des éléments techniques. Les sociétés fermières proposent souvent des aménagements du prix de l’eau dans l’immédiat, tout en incluant dans le contrat des mécanismes qui l’augmenteront plus tard. Ou encore elles se rattrapent en incluant dans le contrat un coût pour le renouvellement des équipements en sachant qu’il sera difficile de contrôler si le renouvellement est fait ou pas. Par ailleurs, le prix de l’eau est souvent la partie émergente de l’iceberg, l’assainissement pouvant être très rentable pour les sociétés.

Autant de raisons, pour Carpe, de renforcer la maîtrise publique, la seule susceptible d’apporter une plus grande transparence.

Décision de la CABM en février

La CABM, sur ce dossier, a mis en place un groupe de travail et a fait appel à un cabinet d’études, Service Public 2000, qui a dessiné plusieurs scénarios : le premier consisterait à regrouper tous les contrats en une seule DSP, donc avec un seul délégataire ; le second diviserait les appels d’offres en trois zones géographiques, pour trois DSP séparées ; avec le troisième scénario, on passerait en régie publique de l’eau, globalement pour l’eau et l’assainissement, mais sur le principe d’une régie avec marchés publics, qui ferait travailler des prestataires de services privés, par appels d’offres.

La restitution du travail de Service Public 2000 devait avoir lieu ce mois-ci, le groupe de travail devant rendre un avis en janvier ou février prochains. Le conseil d’agglomération doit se prononcer sur le choix d’un scénario en février, pour une entrée en application au 1er/01/2017.

Le troisième scénario, celui d’une régie « avec marché public en exploitation globale » semble attirer l’intérêt d’un certain nombre d’élus. Il permettrait de conserver la maîtrise des décisions au niveau de l’agglo tout en commanditant, pour une durée limitée, une partie du travail à des entreprises privées. L’eau (globalement, de l’approvisionnement à l’assainissement) pourrait ainsi passer tout de suite en régie en allant chercher, à travers les marchés publics, une expertise que les services de l’agglo n’ont pas encore ou pas suffisamment. Cette formule, toutefois, n’est pas la régie directe et laisse une large de manœuvre aux sociétés privées.

Carpe estime que la seule formule conforme à l’intérêt public est la régie directe et que si la CABM veut envisager un passage en régie elle doit établir un rapport de forces plus net, notamment en préparant l’organisation de la régie.

Le débat sur le prix de l’eau, estime le collectif, est un faux débat : « C’est de la démagogie pure ». « Le prix de l’eau est certes exorbitant à Béziers ; il faut faire quelque chose. Mais le plus important, c’est de mettre en place une maîtrise publique de l’eau, pour avoir une gestion démocratique. »

Le collectif organise une réunion publique, vendredi 6 février à 18 h 30 à Béziers (Médiathèque André Malraux, Place du Champ de Mars). Il compte y inviter les élus.

Philippe Cazal

Le chantier de l'extension de la station d'épuration. Photo CABM.

Le chantier de l’extension de la station d’épuration. Photo CABM.

Nouvelle station d’épuration et enjeux environnementaux

Le traitement des eaux usées dans l’agglomération de Béziers est réalisé actuellement à travers 9 stations d’épuration, la plus importante étant celle de Béziers-Plaine de Saint-Pierre (en aval de la ville au bord de l’Orb).

Cette station, actuellement en limite de capacité, reçoit les eaux usées de Béziers, Villeneuve-les-Béziers et Sauvian. Elle fait l’objet de travaux d’agrandissement, programmés par la CABM sous la présidence de Raymond Couderc, pour recevoir les eaux usées de Cers, Corneilhan et Lignan ; l’extension devrait être opérationnelle début 2016. D’une capacité de 130 000 équivalents habitants (on compte la population, les entreprises et les services publics) la station passera à une capacité de 219 000 équivalents habitants.

Les travaux sont confiés à la société Degrémont, filiale de Suez Environnement, pour un montant de 24 M€. Ces travaux, explique le site internet de l’agglo, devraient permettre à la nouvelle station d’apporter un meilleur traitement des effluents et de mieux préserver le milieu aquatique de l’Orb ; et la mise en place d’une filière de valorisation des boues « performante et sans nuisances pour les riverains, grâce à une solution thermique ».

Le site de la ville de Béziers parle, pour le traitement des eaux usées, du choix d’une « technique membranaire pour la finition des traitements, qui permet d’aller au-delà des objectifs réglementaires ».

L’important investissement dans cette station pourrait entraîner un coût élevé de l’assainissement dans l’agglomération, que l’on soit en DSP ou en régie publique. Pour le collectif Carpe, la légitimité des choix techniques, avec une concentration du traitement des eaux usées et des rejets pratiquement en un seul lieu, est à discuter. Par exemple, est-il judicieux de construire des kilomètres de canalisations pour raccorder de nouvelles communes à la station ?

La situation actuelle pose des problèmes environnementaux : certains systèmes de relevage des eaux usées sont très anciens et connaissent des dysfonctionnements (avec sortie des effluents vers l’Orb). Une bonne partie du réseau des eaux usées de Béziers est en réseau unique pour les eaux pluviales et les eaux usées. Les eaux de pluie arrivent donc à la station, ce qui, lors des gros orages, ne lui permet pas de fonctionner correctement.

Les méthodes biotechnologiques (à base de microbes), utilisées par la station d’épuration, permettent d’éliminer les pollutions organiques mais pas les produits chimiques, dont l’usage ménager est croissant, ni les pesticides (agricoles). Ces polluants non éliminés se retrouvent dans l’Orb et dans les boues recyclées en épandage agricole.

La station reçoit par ailleurs les eaux usées d’origine industrielle des entreprises (Capiscol, Mercorent…). Le réseau d’égout entre le Capiscol et la station serait fortement corrodé par les acides, d’où des fuites dans la nature.

La nouvelle station et les travaux sur le réseau permettront-ils d’améliorer cette situation ? La concentration du rejet des polluants en aval de Béziers dans l’Orb fait de ce fleuve un égout à ciel ouvert, sans vie aquatique. La modernisation des techniques de traitement suffira-t-elle à résoudre cet important problème ou, au contraire, la concentration des effluents en un seul lieu va-t-elle l’aggraver ?

Ph.C.

Carcassonne Agglo : changement fin 2017 ?

Dossier eau et assainissement en régie publique

Le contrat de DSP de la Lyonnaise des Eaux à Carcassonne arrive à échéance dans deux ans. Quel sera le choix de l’agglo ?

Dans la communauté d’agglomération de Carcassonne, l’eau et l’assainissement sont gérés majoritairement en régie si l’on se fie au nombre de communes (42 pour l’eau, 38 pour l’assainissement), mais c’est la DSP (délégation de service public) qui l’emporte si l’on regarde le nombre d’abonnés, Carcassonne étant en DSP avec la Lyonnaise des Eaux pour l’eau et l’assainissement.

La Lyonnaise gère en DSP 15 autres communes pour l’eau et 14 pour l’assainissement et Veolia 15 pour l’eau et l’assainissement.

5 communes n’ont pas de réseau collectif d’assainissement.

Pour le détail, voir http://www.carcassonne-agglo.fr/IMG/pdf/RPQS_Eau_2013.pdf et http://www.carcassonne-agglo.fr/IMG/pdf/RPQS_Assainissement_2013.pdf

Le lac d'Aude (Les Angles). Photo Chevaux de la Tramontane (Wiki Commons).

Le lac d’Aude (Les Angles). Photo Chevaux de la Tramontane (Wiki Commons).

Pour la communauté d’agglomération de Carcassonne, l’intégration de la compétence eau et assainissement est récente (2009) et le passage, en 2013, de 23 communes à 73 a changé la donne. On se trouve donc dans une période de transition.

De la régie directe à la régie contrôlée

L’agglo a repris en régie la gestion de plusieurs communes rurales, au fur et à mesure de l’arrivée à échéance de contrats de DSP. Une régie toute relative puisque Carcassonne Agglo passe des contrats, par appel d’offres, avec les sociétés privées qui gèrent eau et assainissement en prestation de services (c’est le principe de la « régie contrôlée »). Avec quelle vision à long terme ? Passer plus globalement, sur la plupart ou toutes les communes, en régie directe ? Ou bien au contraire passer complètement en DSP avec une ou plusieurs sociétés fermières ?

Le contrat principal, celui de Carcassonne, arrive à échéance au 31/12/2017 (la Lyonnaise des Eaux est en contrat avec la ville de Carcassonne depuis plus de cinquante ans). Dans cette perspective, l’agglo devrait ouvrir une réflexion début 2015. Cela sans idée préconçue, a dit son président Régis Banquet (La Dépêche du 16/09/2014), et avec trois pistes de réflexion : « la délégation de service public, la régie directe et un système mixte entre les deux. »

Le Collectif carcassonnais pour une gestion publique de l’eau (1) se bat, depuis quelques années, pour le passage en régie. Il avait fait pression pour un référendum d’initiative populaire sur cet important sujet et avait obtenu de Jean-Claude Perez, lors de la campagne des municipales à Carcassonne, un engagement à aller vers une gestion en régie. Le collectif a récemment rencontré (le 18 novembre) le président de Carcassonne Agglo, Régis Banquet, et le vice-président chargé de l’eau, Roland Combettes, pour leur exposer son point de vue.

Les représentants du collectif ont insisté sur la nécessité de ne pas attendre 2017 pour prendre une décision car « une gestion en régie, cela se prépare dans la durée ».

Prendre dès maintenant la bonne direction

Pour ce mouvement, la perte de la notion de régie directe dans un certain nombre de communes, même si elle est temporaire, a un inconvénient : elle entraîne une perte de compétences au niveau des employés communaux. Il vaudrait mieux, dit-il, fédérer toutes les petites régies publiques communales afin de constituer les prémices d’une régie publique au niveau de l’agglo.

Les responsables de Carcassonne Agglo ont mis en évidence, lors de cette entrevue, une difficulté qu’ils rencontrent actuellement avec le mécontentement des usagers au sujet des modalités de paiement. Alors que les usagers pouvaient payer mensuellement, lorsque l’eau était gérée par une société privée sur leur commune, le paiement se fait actuellement une ou deux fois par an. Le blocage viendrait du Trésor Public, selon lequel une mensualisation serait impossible. « La loi permet la mensualisation au Trésor Public », dément Marie Guérard, du collectif, « nous l’avons vérifié ». Et elle pointe la régression des moyens des services de l’État, suite à la RGPP (révision générale des politiques publiques) (voir ci-dessous).

Réduire les moyens de l’État, c’est donner moins de moyens au service public… et donc favoriser le passage en gestion par des sociétés privées, dont l’objectif principal n’est pas le service du public mais la réalisation de bénéfices.

Le collectif note par ailleurs que la Commission consultative des services publics locaux de Carcassonne Agglo, mise en place le 30 avril 2014 conformément à la loi du 12/07/2010, n’a jamais été réunie à ce jour. Il souhaite que cette commission fonctionne ; il souhaite aussi en faire partie.

Carcassonne Agglo a prévu de consulter, à partir de début février 2015, les habitants de toutes les communes de l’agglomération, lors de réunions publiques, pour qu’ils puissent dire « quelle agglo ils veulent ». Le Collectif pour une gestion publique de l’eau entend se mobiliser à cette occasion. Il faut, dit-il, dans l’intérêt des habitants de l’agglo, passer en régie publique directe et il faut s’y préparer dès maintenant.

« Les multinationales de l’eau, » dit le collectif, « se sont bâti un empire à partir des profits de l’eau, en se diversifiant tous azimuts. La gestion en régie, c’est la seule façon de limiter leur emprise sur notre société. »

Ph.C.

1) Le Collectif carcassonnais pour une gestion publique de l’eau est composé d’associations (Attac, Indecosa…), de partis (PC, EELV…), de syndicats (CGT, Confédération Paysanne…) et de citoyens.

Photo Carcassonne Agglo.

Photo Carcassonne Agglo.

 

Cri d’alarme du Collectif Carcassonnais (18 juillet 2015)

Le Collectif Carcassonnais pour une gestion publique de l’eau lance un cri d’alarme sur les dérives de la gestion de l’eau. Pour en savoir plus : site du collectif

La « circulaire de la honte »

La régression des moyens des services de l’État est à l’origine de ce que le collectif appelle « la circulaire de la honte » : un courrier du 3 juin 2013 envoyé par le directeur général des finances publiques (DGFIP) à ses services régionaux et départementaux dont l’objet est la « concertation avec les collectivités locales pour maîtriser l’augmentation des charges de la DGFIP découlant de la ré-internalisation de la gestion de certains services publics locaux ».

Le passage de services publics en régie peut en effet entraîner un accroissement de la charge de travail pour les centres des finances publiques. La DGFIP souhaite que cela ne se traduise pas par un transfert de charges vers l’État et propose donc aux collectivités territoriales, en contrepartie, de lui préparer en quelque sorte le travail.

Elle estime aussi que le coût de recouvrement des redevances, qu’une société privée en DSP fait peser sur les usagers, ne doit pas, lors d’un passage en régie, être transféré à l’État.

La DGFIP conseille à ses représentants locaux de bien faire prendre conscience aux collectivités territoriales des conséquences que représente pour elles un passage en régie, dont certains « coûts cachés ». Le Collectif carcassonnais craint que cette attitude de la DGFIP se traduise par une pression sur les collectivités territoriales pour les amener à rejeter le choix de la régie.

Au sujet de cette circulaire, le syndicat Solidaires Finances (http://www.solidairesfinances.fr/useruploads/files/130704_CTM_27_juin.pdf) estime que « les périmètres ministériels ne résultent jamais du hasard mais sont le reflet d’une vision de l’État dans une période donnée. (…) Aujourd’hui, continuer à réduire (l)es effectifs et (l)es moyens (du ministère de l’Économie et des Finances), continuer à « rationaliser ses organisations », c’est décider de minimiser la portée de ses activités, c’est faire le choix de sacrifier ses missions sur l’autel de la prétendue compétitivité et de la bien réelle austérité et pérenniser le désengagement de l’État dont les premières victimes sont les habitants de ce pays. »

Montpellier Agglomération : l’eau en régie mais pas l’assainissement

Dossier Eau et assainissement en régie publique

Avec le changement de conseil d’agglomération, suite aux dernières élections, la politique de Montpellier Agglomération en matière de gestion de l’eau et de l’assainissement a changé. L’eau va passer en régie publique… mais pas l’assainissement. René Revol explique pourquoi.

Le Lez en amont du Pont de la Concorde (entre Montpellier et Castelnau). Photo Sebjarod (Wikicommons)

Le Lez en amont du Pont de la Concorde (entre Montpellier et Castelnau).
Photo Sebjarod (Wikicommons)

Il a fallu les élections municipales et communautaires en mars 2014 pour que Montpellier Agglomération change de vision en matière de politique de l’eau.

Auparavant, les associations locales, regroupées au sein du collectif Eau Secours 34 (1), ont durement bataillé pour se faire entendre auprès des élus de l’agglo, en vain.

Montpellier Agglomération avait refusé d’expliquer ses choix pour la DSP (délégation de service public) et avait préféré organiser, début 2013, une pseudo-consultation publique, avec un panel de 25 usagers cooptés, plutôt que d’écouter les arguments des associations citoyennes.

Un semblant de débat public avait ensuite eu lieu le 25 juillet 2013, avec un minimum de publicité et donc un public assez réduit, filtré en outre par des vigiles qui avaient empêché des membres du collectif d’entrer.

Aux élections municipales, le candidat Philippe Saurel (sans étiquette), qui parmi ses promesses de campagne avait évoqué le passage en régie publique, a été élu à la mairie de Montpellier. Il a ensuite été élu à la présidence de Montpellier Agglomération. Peu après, René Revol, maire de Grabels (membre du Front de Gauche), qui siégeait déjà à l’ancien conseil d’agglomération et qui s’était battu pour la régie publique, a été élu vice-président du nouveau conseil d’agglomération, président délégué de la commission Eau et Milieux aquatiques.

Dans cette logique, Montpellier Agglomération votait, le 7 mai 2014, le passage de la gestion de l’eau en régie publique, à partir du 1er/01/2016, un an après la fin du contrat de DSP.

Cette régie devrait être une « régie à personnalité morale et autonomie financière », ce qui permet la présence au conseil d’administration de 50 % d’élus représentants des usagers et des salariés. Une orientation qui convient à Eau Secours 34.

Un Comité de suivi de mise en œuvre de la régie publique de l’eau a été constitué en mai. Il regroupe des élus, des associations, des organisations syndicales et des experts.

L’assainissement en DSP pour 7 ans

Ce processus de passage en régie n’est toutefois pas complet : mi-octobre 2014, suite à un appel d’offres, le conseil d’agglomération votait une délégation de service public pour sept ans à Veolia pour l’assainissement concernant le secteur de la station d’épuration Maera (que Veolia gérait déjà) ainsi que pour les réseaux amenant les effluents à Maera. Les secteurs Est et Ouest de l’agglo sont octroyés en DSP à Alteau.

Montpellier Agglomération ne remplit donc sa promesse qu’à moitié. Pourquoi ?

Eau Secours 34 est par ailleurs opposé au projet de site de potabilisation de l’eau du Rhône de Valedeau, dont le budget est estimé à 75 M€. Selon le collectif, une étude du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) préconise plutôt de mieux exploiter l’eau du Lez, de continuer à inciter les économies d’eau (déjà réelles avec une baisse de la consommation) et à lutter contre les fuites. Ce qui éviterait une dépense importante pour la collectivité.

René Revol, vice-président de Montpellier Agglomération, président délégué de la commission Eau et Milieux Aquatiques, nous a répondu au téléphone, le 22 décembre, sur ces deux points : voir ci-dessous.

Philippe Cazal

1) Eau Secours 34 est membre de la CRAUE, Coordination Rhône-Méditerranée des Associations des Usagers de l’Eau.

 

Le Comité citoyen de suivi de la mise en œuvre de la régie publique, installé le 25 juin 2014. Photo Montpellier Agglo.

Le Comité citoyen de suivi de la mise en œuvre de la régie publique, installé le 25 juin 2014.
Photo Montpellier Agglo.

René Revol : « Passer en régie publique, ça ne tombe pas du ciel »

. L’eau sera gérée par Montpellier Agglomération en régie publique à partir du 1er/01/2016. Pourquoi pas dès la fin du contrat, au 1er/01/2015 ?

. René Revol, président délégué de la commission Eau et Milieux aquatiques de Montpellier Agglomération : « Nous sommes arrivés à l’agglo en avril (2014), avec une DSP en cours de renouvellement. Nous avions 18 mois, légalement, pour passer en régie. On bat des records : nous avons obtenu de négocier un avenant d’un an maximum qui fait que le délégataire assure le service jusqu’au 31/12/2015. Le préfet a validé, le 7 octobre, cet avenant. Le 30 octobre, le conseil d’agglomération a déclaré sans suite la DSP pour motif d’intérêt général : aucune jurisprudence ne met en cause ce type de décision. Aujourd’hui, nous sommes passés à la phase de préparation de la régie : nous avons recruté un directeur, une directrice administrative et financière, un directeur des ressources humaines. Au premier trimestre 2015 nous allons préparer les statuts, négocier le transfert du personnel, régler les questions de patrimoine.

Cette régie de l’eau devrait être (ce sera décidé en février), une régie avec personnalité morale (1), c’est la tendance dominante actuellement. »

René Revol (à g.) et Philippe Saurel, président de Montpellier Agglo, le 28 août 2014, lors de l'inauguration de la nouvelle canalisation d'assainissement à Grabels. Photo Montpellier Agglo

René Revol (à g.) et Philippe Saurel, président de Montpellier Agglo, le 28 août 2014, lors de l’inauguration de la nouvelle canalisation d’assainissement à Grabels. Photo Montpellier Agglo

. Pourquoi l’agglomération a-t-elle conservé la DSP pour l’assainissement ?

. René Revol : « Après réflexion, nous avons déduit que nous n’avions pas la force de faire passer en régie les deux, eau et assainissement, à la fois.

Nous avons négocié, cet été, la DSP en trois marchés, pour 7 ans : d’une part, le secteur Est et Ouest de l’agglomération, qui recouvre 18 communes sur 31, sur des bassins versants plus petits et nombreux, avec 13 stations d’épuration ; cela demande un travail très local, dans la dentelle. Nous avons constaté que la société Alteau, qui n’avait concouru que pour ce marché, était, pour cela, la plus pertinente en qualité et en prix. Nous l’avons retenue.

Deuxième et troisième DSP, celle du réseau d’assainissement en collecte qui débouche à la station Maera ; et celle de la station elle-même, qui est le plus gros morceau de l’assainissement (elle reçoit les effluents de 80 % de la population de l’agglomération). Cette distinction avait été faite par l’équipe précédente à l’agglo.

Nous avons retenu Veolia pour ces deux DSP parce que Veolia présentait une offre beaucoup plus pertinente sur les odeurs et qu’elle investira 10 M€ sur la période de la DSP, investissement qui reviendra à l’agglo en fin de contrat, sans pénalités.

En outre, l’agglo pourra investir 70 M€ dans trois à quatre ans pour l’optimisation de Maera, ce qui réglera définitivement l’optimisation de la station sans que le débit des rejets soit augmenté. La capacité d’absorption et de traitement de la station en seront accrus.

Veolia proposait quatre à cinq fois plus de capteurs d’odeurs que les autres candidats, avec un contrôle par l’agglo et des pénalités financières s’ils ne respectent pas ce qui est prévu.

Question prix, il y avait très peu de différence sur le lot Maera entre les trois compétiteurs, la Nantaise des Eaux, Suez et Veolia. Sur le réseau de collecte, il y en avait un peu plus, Saur étant moins cher. Au cours de la négociation nous avons constaté un déficit qualitatif (avec un taux de curage insuffisant), plus de précision du curage chez Veolia et une mesure directe de l’encrassement.

L’offre Saur présentait par ailleurs une offre financière pas bien stabilisée, qui amenait à avoir des doutes.

Enfin, Veolia remet la totalité du système d’information à l’agglomération dans trois ans. »

. Cette DSP de sept ans se fait-elle dans l’esprit de passer en régie en 2021 ?

. René Revol : « C’est mon vœu. Si les gens qui dirigeront l’agglomération-métropole en 2021 souhaitent passer en régie publique ils n’auront aucun obstacle, aucune pénalité. Et nous détenons le système d’information. Le contrôle de la clientèle nous l’aurons puisque nous aurons la facturation de l’eau à travers la régie de l’eau. »

. Sept ans c’est long. Un contrat de DSP plus court n’était-il pas possible ?

. René Revol : « Le précédent contrat avait une durée de 25 ans ! Il est assez rare de voir des DSP de moins de 7 ans et dans ce cas le prestataire offre la gestion sans envisager d’investissements.

Le règlement de la DSP nous interdisait de reporter le contrat ; nous avons été obligés de prendre le règlement de nos prédécesseurs.

Et puis, avec le passage de l’eau en régie nous avons un défi à relever. Ce passage se fait en très peu de temps ; Paris, par exemple, a mis six ans pour passer en régie publique. Il faut transférer le personnel, vérifier le réseau, choisir le statut, se préparer juridiquement notamment pour avoir la capacité à passer des marchés ; ça ne tombe pas du ciel.

L’eau c’est assez stratégique ; techniquement, c’est plus facile que l’assainissement où il y a des métiers industriels que la collectivité ne connaît pas. Nous allons d’abord réussir la régie publique de l’eau, nous allons montrer que ce n’est pas simplement une position idéologique, que le service public peut être moderne, dynamique et utile.

Le 1er janvier 2016 nous allons pouvoir baisser le prix de l’eau, dans des proportions raisonnables pour conserver une capacité d’investissement. »

. Le projet de l’usine de potabilisation de Valedeau serait-il un investissement cohérent ?

. René Revol : « Valedeau, c’est une hypothèse de sécurisation de la ressource dans le schéma directeur 2013. L’étude Agglo-BRGM, sur la ressource karstique du Lez, a été rendue publique le 18 décembre. Elle dit que l’on pourrait augmenter le prélèvement à la source du Lez sans diminuer son débit de renouvellement naturel, même avec l’option du réchauffement climatique. C’est une option à privilégier, par rapport au recours à l’eau du Rhône.

Mais le 26 juin, nous étions près de la cote minimale du Lez et nous avons basculé à l’eau du Rhône pendant deux mois. Pour le moment cela fonctionne comme ça, il n’y a pas besoin d’usine supplémentaire et c’est un sujet où il faut y regarder à deux fois. »

Propos recueillis par Ph.C.

1) L’agglomération, plutôt que de gérer directement un service public, peut créer une régie à personnalité morale et autonomie financière à cet effet. Notamment pour apprécier la qualité du service dispensé et son coût. Cette régie a alors son propre conseil d’administration et fonctionne de façon autonome, tout en dépendant directement de la communauté d’agglomération.

Audit 2013 : la DSP contraire à l’intérêt public

Le 10 avril 2013, la société d’études Service Public 2000 avait présenté les résultats de l’audit technique et financier que Montpellier Agglomération lui avait commandé, conformément à la loi. Thierry Ruf, élu de Jacou siégeant au conseil d’agglomération, avait, sur le site d’Eau Secours 34, commenté les grandes conclusions de ce rapport.

Cet audit met alors en évidence d’une part le mauvais état du réseau de distribution d’eau potable, dû à des taux de réparation des fuites et de renouvellement des réseaux très insuffisants. On a donc un réseau vieillissant et mal entretenu. « Ce n’est pas ce qu’on attend d’une entreprise délégataire de service », dit Thierry Ruf.

Deuxième constat, un « escamotage des comptes d’exploitation » :

Avec une « surfacturation du service par le délégataire » : le délégataire présente dans les comptes une dépense de 14 M€ pour l’eau potable par an alors que l’auditeur l’estime à 11 M€, soit 3 M€ de trop.

Avec par ailleurs le remboursement en 25 ans du droit d’entrée : le délégataire avait versé, en 1989, 250 MF de droit d’entrée, qu’il a récupéré à hauteur de 4 M€ de remboursement par an jusqu’en 2011, soit un remboursement global de 100 M€, équivalant à 670 MF : c’est, commente, Thierry Ruf, un taux d’intérêt très important pour ce droit d’entrée qui revient à un prêt à la ville de Montpellier (l’agglomération est née en 2001), remboursé par les usagers de l’eau.

Si l’on additionne les 3 M€ de surfacturation, les 4 M€ de remboursement du droit d’entrée et le 1 M€ de marge annuelle déclaré par les comptes, le délégataire réalise en fait, à l’époque de l’audit, 8 M€ de marge et non 1 M€ comme annoncé.

Il faut ajouter à cela 2 M€ de taxe d’occupation du domaine public, là encore payée par les usagers de l’eau et non par l’entreprise.

Conclusion, estime Thierry Ruf, on a une société privée qui prend le marché public de l’eau en 1989, et qui rend 25 ans après un réseau dégradé, par manque d’investissements, tout en ayant encaissé l’argent des usagers. C’est environ un tiers de la facture aux usagers qui aurait dû servir à ces investissements et qui a en fait été compris dans le bénéfice du délégataire.

Ph.C.

Erosion de nos plages : l’Homme face aux « forces de la mer »

L’artificialisation du littoral, plus que le changement climatique ou d’autres facteurs, est la cause principale de la disparition progressive des plages du Languedoc-Roussillon ou d’ailleurs. C’est l’un des points qui ressort de l’intervention de Hugues Heurtefeux, de l’EID Méditerranée (1) le 22 novembre près de Narbonne lors des 2es Rencontres Naturalistes de l’Aude (2).

Le lido languedocien, un milieu fragile. Photos EID.

Le lido languedocien, un milieu fragile. Photos EID.

On cite souvent, comme facteurs d’érosion des plages, le manque d’apports alluviaux, dû aux barrages sur les fleuves et rivières du bassin versant, principalement le Rhône et la Durance. Ou le changement climatique et ses effets sur le niveau de la mer. Mais l’artificialisation semble être la cause principale d’érosion.

Cela parce que, comme souvent, l’Homme a cru pouvoir maîtriser la nature. Or les systèmes sableux, plages et dunes, explique Hugues Heurtefeux, sont des « systèmes fragiles, souvent instables et incertains ». Vouloir tout contrôler en figeant le paysage est donc vain (« c’était le temps de la vision fixiste et linéaire du trait de côte et de l’opposition entre les techniques douces et les techniques dures »).

L’intervenant de l’EID, qui propose de « redonner un espace de liberté à la dune » (c’est le titre de son intervention), explique que, dans le fonctionnement naturel des côtes à lido, la mer a tendance à emporter en hiver le sable des plages et des dunes et à le ramener en été vers la plage, modelant constamment les plages. On a ainsi une « succession d’états d’équilibre instable ».

Variations saisonnières (A, été ; B, hiver). R. Paskoff, 1998.

Variations saisonnières (A, été ; B, hiver). R. Paskoff, 1998.

 

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L’intervention de l’Homme, par l’aménagement de divers ouvrages (digues, enrochements, épis), vient casser cet équilibre instable. Ces ouvrages mis en place selon des « techniques dures », que Hugues Heurtefeux compare à « des forteresses face à la mer », s’avèrent des forteresses bien fragiles, aux effets négatifs.

On constate plusieurs phénomènes comme l’accentuation de l’érosion en aval des ouvrages, l’accentuation de la vitesse du courant à leur extrémité, l’accentuation des phénomènes de réflexion (les vagues, réfléchies plus fortement par les ouvrages, réduisent la reconstruction de la plage), l’affouillement des fonds au pied de ces ouvrages, l’accentuation des courants de retour.

Les techniques dures (ici les épis), au lieu de protéger la plage, accentuent l'érosion. Photo EID.

Les techniques dures (ici les épis), au lieu de protéger la plage, accentuent l’érosion.
Photo EID.

Les ouvrages artificiels, dit l’intervenant, devraient donc être limités aux cas de figure où il convient de « protéger des zones à enjeux où la valeur économique des biens est supérieure à celle des ouvrages nécessaires à leur protection ». A condition aussi d’entretenir ces aménagements, ce qui coûte souvent bien plus cher que leur construction.

Des techniques douces

L’EID propose une alternative, celle des techniques douces qui ont été mises en œuvre notamment pour la reconstitution de la Flèche de la Gracieuse, dans le golfe de Fos (Port-Saint-Louis-du-Rhône). Sur ce site, à partir de 1988, on a mis en place un maillage de lignes de ganivelles (petites haies de piquets) pour favoriser l’accumulation sableuse d’origine éolienne. Avec succès : au bout de cinq ans, la dune s’est fixée et étendue, la végétation s’est développée. « Le trait de côte est toujours mobile mais le réservoir de sable que constitue la dune accompagne sa mobilité de façon à ce que le corps de la flèche sableuse garde une épaisseur suffisante pour continuer à jouer ce rôle de brise-lames naturel protégeant l’entrée du port de Fos-sur-Mer. »

La dune de la Flèche de la Gracieuse en 1998. Photo EID.

La dune de la Flèche de la Gracieuse en 1998. Photo EID.

Ces techniques peuvent être utilisées pour fermer des brèches dans les cordons dunaires, reconstituer les systèmes dunaires côtiers ou encore lutter contre l’ensablement.

Pour assurer leur succès il faut notamment positionner les ouvrages en tenant compte du recul du trait de côte, les entretenir et les protéger, par exemple d’une fréquentation excessive (piétinement).

L’EID travaille aussi sur les techniques de re-végétalisation, pour compléter et pérenniser ces aménagements.

La notion « d’espace de liberté nécessaire à l’expression des processus littoraux » est de plus en plus admise. Elle est mise en œuvre à L’Espiguette (Le Grau-du-Roi) et l’a été, à partir de 2008, de manière importante, sur le lido de Sète à Marseillan (recul de la route côtière, reconstitution du cordon dunaire).

Contre "les forces de la mer", la lutte est inégale. Photo EID.

Contre « les forces de la mer », la lutte est inégale. Photo EID.

Plutôt que de vouloir « lutter contre les forces de la mer » comme le proposait Victor Hugo en 1846 devant la Chambre des Pairs, il semble plus sage et plus efficient d’accepter les fonctionnements naturels et d’adapter nos comportements en tenant compte de leurs lois.

Philippe Cazal

1) Hugues Heurtefeux est responsable du Pôle Littoral à l’EID Méditerranée (Entente Interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen). L’EID, service public, est un outil commun aux conseils généraux des PO, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard, des Bouches-du-Rhône et du Var et à la Région Languedoc-Roussillon.

Plus connue par sa mission de démoustication, l’EID a aussi un service d’études et de conseil sur la connaissance et la gestion du littoral (géomorphologie, écologie et gestion des risques).

2) Les 2es Rencontres Naturalistes de l’Aude ont eu lieu le 22 novembre au Domaine du Grand Castélou (Narbonne), propriété du Parc Naturel Régional de la Narbonnaise, à l’initiative de la LPO (Ligue de protection des oiseaux) Aude et de la Fédération Aude Claire avec l’appui, notamment, du Conseil général de l’Aude et de la Ville de Narbonne.

L’agrandissement du port de La Nouvelle

Lors du débat qui a suivi cette intervention, un participant a évoqué les travaux d’aménagement prévus pour agrandir le port de Port-la-Nouvelle. Travaux dont on peut craindre les effets sur les plages au nord et au sud de la ville.

La Région, maître d’ouvrage de ce projet, s’est voulue rassurante, lors du débat public tenu de décembre 2012 à avril 2013. Elle a déclaré qu’elle ferait en sorte de minimiser les effets du projet sur l’environnement, sans dire toutefois comment elle comptait s’y prendre.

Ph.C.

Un entretien coûteux

Sur les plages entre Le Grau-du-Roi et Les Saintes-Maries-de-la-Mer, 113 ouvrages lourds (type épis ou digues en enrochement) ont été réalisés de 1961 à 1997 (46 dans le Gard, 67 dans les Bouches-du-Rhône).

Leur coût actualisé pour le Gard s’élève à 1,8 M€ d’investissement et 2,9 M€ d’entretien (pour 36 épis). Le coût actualisé pour les ouvrages des Bouches-du-Rhône est de 9,4 M€ en investissement.

Photo EID.

Photo EID.