BARCELONA EN COMU ………………………. Une gestion municipale alternative qui s’appuie sur les habitants

Barcelone fêtait, samedi 28 mai, le premier anniversaire de l’élection de l’équipe d’Ada Colau à la tête de la municipalité. Un anniversaire sous forme de bilan et aussi de fête populaire.

Une partie du public de cette fête du premier anniversaire, "365 jours en commun", le 28 mai à Barcelone.

Une partie du public de cette fête du premier anniversaire, « 365 jours en commun », le 28 mai à Barcelone.

Il y a un an, le 24 mai 2015, à l’issue des élections municipales, l’Espagne voyait la victoire de listes de citoyens, en dehors des partis, dans plusieurs grandes villes, et non des moindres : Madrid, Barcelone, Zaragoza, Valencia, Cadix, Santiago de Compostela, A Coruña, Badalona…

A Barcelone, la liste Barcelona en Comú (Barcelone en Commun), menée par Ada Colau, était arrivée en tête avec 11 sièges (sur 41) et 25 % des voix. Ada Colau avait été investie, le 13 juin (par 21 voix sur 41), pour un mandat de quatre ans, avec l’appui du PSC (Parti Socialiste Catalan), d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) et de la Cup (Candidatura d’Unitat Popular).

Depuis, les élus se sont mis au travail. Un certain nombre de chantiers sont en marche, conformément au programme élaboré avant les élections par Barcelona en Comú avec des milliers de citoyens dans une démarche de démocratie participative.

« Certains pensaient que nous ne gagnerions pas les élections », a déclaré la maire Ada Colau, samedi 28 mai 2016 ; « puis ils ont pensé que nous ne pourrions pas gouverner. Nous l’avons fait. Aucun parti traditionnel, en minorité comme nous le sommes, ne pourrait gouverner. Si nous y parvenons c’est parce que nous nous appuyons sur les habitants » (en catalan, on dit « la gent » : les gens).

Ada Colau, maire de Barcelone (au centre) et Susana Segovia, membre de la coordination générale de Barcelona en Comu.

Ada Colau, maire de Barcelone (au centre) et Susana Segovia, membre de la coordination générale de Barcelona en Comu.

En effet, à Barcelone, l’équipe municipale entretient régulièrement le dialogue, en public, avec les habitants, sur les multiples sujets liés aux compétences de la municipalité.

La fête de ce samedi 28 mai, au parc de l’Estació del Nord, était un exemple de ce dialogue. Les élus ont d’abord participé à quatre tables rondes, sur l’Economie des biens communs, les Droits sociaux, la Démocratie ouverte et Une ville pour la vie. Ils ont exposé leur action, puis ont répondu aux questions des participants.

Même si, comme partout, une partie relativement modeste de la population participe à ce genre de débat, les Barcelonais peuvent discuter en direct, avec leurs élus, de questions comme la pollution urbaine, les transports publics, le partage de l’espace public entre automobiles, motos, vélos, et piétons ou encore trottinettes, la pression du tourisme, le logement…

Et les élus rendent des comptes, expliquent leur action et débattent des moyens d’avancer. Sans oublier à aucun moment que le programme municipal a été élaboré par les citoyens.

Deuxième phase de la fête, avant le concert, une rencontre plénière avec les habitants. Susana Segovia, membre de la coordination générale (l’instance dirigeante) de Barcelona en Comú, a souligné le fait que l’action municipale « est un combat de tous les jours » et se situe dans un « cycle long » : « Barcelona en Comú est ce qu’elle est parce qu’elle se nourrit du combat des habitants. »

Puis Ada Colau a fait un tour d’horizon d’un certain nombre de dossiers municipaux et répondu aux questions, très concrètes, du public. En voici un condensé :

Pollution, mobilité, circulation urbaine : la municipalité réfléchit à une meilleure répartition de l’espace urbain, notamment en faveur des piétons ; la réduction de la vitesse autorisée est à l’étude ; on cherche aussi les moyens de faciliter l’arrivée des habitants de la périphérie vers Barcelone pour réduire le trafic automobile par une meilleure connexion des transports en commun.

La municipalité, bien que minoritaire dans les instances de gestion du port de Barcelone, a obtenu de celles-ci la définition d’un plan d’action contre la pollution. « Ce n’est pas assez, mais c’est un début », commente Janet Sanz Cid, adjointe au maire chargée de l’Environnement et de l’Urbanisme.

Concernant les transports publics, la mairie, avec l’Aire Métropolitaine de Barcelone et la Generalitat (gouvernement de Catalogne), a mis cette année 18 M€ pour stabiliser les tarifs et réduire les tarifs sociaux. « C’est très coûteux mais nous allons continuer ; nous devons aussi investir », dit Mercedes Vidal Lago, conseillère municipale chargée de la Mobilité.

La municipalité subit la pression des syndicats des transports, qui ont organisé des grèves à plusieurs reprises. « Nous avons discuté et nous avons amené des améliorations aux conditions de travail des employés des transports publics », explique Ada Colau. « Il y eu des avancées, mais il y a aussi des limites budgétaires. »

Tourisme : La pression du tourisme est devenue très forte, à Barcelone, à tel point que le développement des locations entre particuliers vide le centre de ses habitants et fait monter les prix des loyers. La municipalité a décidé de « redonner la priorité aux habitants » ; elle lutte contre les locations illégales.

Crise des réfugiés : Barcelone s’est déclarée « cité refuge » et a triplé les ressources dédiées à l’accueil de réfugiés. La ville est consciente des limites de son action, ce domaine étant avant tout de la compétence de l’État.

Barcelone "cité refuge".

Barcelone « cité refuge ».

Logement : Le programme municipal prévoit, en quatre ans de mandat, 8 000 nouveaux logements sociaux dont 4 000 à construire (moitié par la municipalité, moitié par ses partenaires) et 4 000 à récupérer du parc existant (retour au public de logements privatisés, amendes sur les logements vides, cession à la ville de logements saisis par les banques à l’issue d’expropriations des propriétaires victimes de la crise immobilière…)

Fournisseurs d’eau et d’énergie : La municipalité se bat pour que les compagnies qui fournissent eau, électricité et gaz respectent la loi concernant les droits de base des usagers. Elle regrette que la Generalitat essaie de freiner son action.

Revenu de base : La ville étudie ce sujet, bien qu’il soit en priorité du domaine de la Generalitat.

Vendeurs ambulants : La situation des vendeurs ambulants, très nombreux à Barcelone, pour la plupart dans l’illégalité et souvent sans papiers, divise l’opinion publique. La municipalité, dit Ada Colau, a pris le problème dans sa globalité ; elle reconnaît que ces personnes ont besoin de vivre, en même temps elle est tenue d’appliquer la loi. La ville, par conséquent, intervient pour faire cesser les ventes illégales ; en même temps, elle s’occupe des immigrés sans papiers et mène une politique sociale d’insertion et de formation.

Prostitution : Comme pour les vendeurs ambulants, la municipalité a une approche globale de la question. D’une part elle est à l’origine d’un groupe de coordination entre les différentes institutions et la police pour lutter contre le trafic de personnes ; d’autre part, avec ses services sociaux, elle accompagne les prostitué(e)s.

Clause sociale : Des contrats sont passés entre la ville et les sociétés avec lesquelles elle travaille (fournisseurs, sociétés de transport…) pour qu’elles respectent certaines règles sociales concernant leur personnel. D’autre part, la ville, dans les contrats avec ses fournisseurs, privilégie les petites et moyennes entreprises plutôt que « celles qui s’installent dans les paradis fiscaux ».

A Barcelone, »ciudad desigual » (ville des inégalités), dit Gerardo Pisarello (premier adjoint au maire, chargé du Travail, de l’Économie et de la Planification stratégique), l’action de la municipalité montre que le slogan de Margaret Thatcher, « il n’y a pas d’alternative » (au libéralisme économique), ne tient pas : « Les alternatives se mettent en marche à Barcelone et dans plusieurs villes d’Espagne et d’Europe. »

Maki, représentant de Nuit Debout, salue l'expérience barcelonaise.

Maki, représentant de Nuit Debout, salue l’expérience barcelonaise.

L’exemple de Barcelone, que de nombreux participants à Nuit Debout en France, ne désavoueraient pas, montre ce qui est possible. Il montre aussi que pour y parvenir il y a un grand travail de débat, d’organisation, de sensibilisation de l’opinion publique…

Ph.C.

En savoir plus : Barcelona en Comù / Mairie de Barcelone

Lire aussi sur ce blog « Barcelona en Commun : demandez le programme ! » (juin 2015).

Egalement sur ce blog, un article sur le mémoire de Master 2 de Laurent Rosello : « De l’activisme au municipalisme, l’expérience de Barcelona en Comu ».

Un article récent (02/07/2016) d’Enric Durán dans Gazette Debout, « De la voie institutionnelle à la révolution intégrale », compare la stratégie de prise du pouvoir d’une certaine gauche, à l’instar de Podemos, de Syriza ou des gauches d’Amérique Latine, aux expériences de reconstruction de la société par le bas, celles des Zapatistes, des Kurdes du Rojava ou de la Coopérative Intégrale Catalane. Il classe la démarche des « villes du changement », comme Barcelone, dans le premier lot.

Sur la révolution intégrale, lire sur ce blog : « Révolution intégrale : Plutôt que d’essayer de réformer la société, ils veulent en construire une autre. »

Sur la stratégie de Podemos, lire : « Podemos : de la rue aux institutions ».

« Barcelone en commun » : demandez le programme !

Capture Site Ada ColauIssue de la plate-forme citoyenne « Guanyem » (Gagnons), la liste Barcelona en Comú (Barcelone en Commun), menée par Ada Colau, était arrivée en tête des élections municipales à Barcelone le 24 mai, avec 11 sièges (sur 41) et 25 % des voix.

Samedi 13 juin, Ada Colau a été investie maire de Barcelone, pour un mandat de quatre ans, par 21 voix sur 41, avec l’appui du PSC (Parti Socialiste Catalan), d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) et de la Cup (Candidatura d’Unitat Popular).

Il nous a semblé intéressant de rappeler le programme sur lequel la liste d’Ada Colau a été élue. D’abord par l’originalité de ce programme municipal mais aussi pour prendre date. Il sera en effet intéressant, dans quelques mois ou un an par exemple, de faire le point sur sa mise en pratique.

Ce programme a été élaboré au deuxième trimestre 2014 par des milliers de citoyens dans une grande démarche de démocratie participative. Il ne s’agit pas, insistent ses auteurs, « de promesses électoralistes mais d’un engagement ferme qui guidera notre action à la mairie. »

Ce programme comprend en fait deux niveaux, le programme d’action municipale et les programmes d’action pour chacun des dix districts (arrondissements) de Barcelone.

Au cours de la première année de mandat seront élaborés un Plan de gestion municipale et des Plans de gestion de district, qui seront soumis au vote des assemblées respectives (Conseil municipal et Conseils de district).

Barcelona en Comú s’est engagée à mettre en action, dans les premiers mois du mandat, un « Plan de Choc » qui comprend un certain nombre de mesures (« parmi lesquelles beaucoup n’ont pas de coût financier » et ne demandent que « du courage politique et du sens commun »). Ce plan sera complété en interaction avec les citoyens.

Barcelona en Comú entend donner la priorité à l’intégration et à la cohésion, « afin de faire de Barcelone un exemple pour les autres villes du monde ». Cela pour prendre le contre-pied de la politique de ses prédécesseurs de Convergència i Unió (CiU), qui, selon Barcelona en Comú, « favorisait la marchandisation en faveur d’intérêts privés n’ayant rien à voir avec le bien commun ».

Le Plan de Choc comporte quatre axes d’action :

– Créer des emplois dignes, en diversifiant le modèle productif ;

– Garantir les droits sociaux de base ;

– Revenir sur des privatisations et les projets contraires au bien commun ;

– Auditer l’institution et mettre fin aux privilèges.

Mais plus précisément, comment y parvenir ? Voyons cela dans le détail :

Créer des emplois dignes…

Cela d’abord à partir d’un programme de formation et de création indirecte d’emplois durables dans : la réhabilitation énergétique du logement ; la prévention et la gestion durable des déchets ; soutien au tissu commercial de proximité ; aide aux personnes, en particulier les enfants, les personnes âgées et les personnes dépendantes ; appui à l’économie coopérative.

Puis en veillant à garantir les droits de base des travailleurs municipaux et ceux des organismes travaillant avec la municipalité.

Garantir les droits sociaux de base

Le droit au logement : face aux expulsions de locataires (en moyenne 15 par jour à Barcelone, 80 % pour cause d’impayés des loyers), la municipalité entend mettre tout son poids pour éviter ces expulsions et favoriser le relogement. Cela passera par la négociation avec les institutions financières qui pratiquent des expulsions et/ou disposent de logements vacants ; par l’appui aux travailleurs sociaux dans la mise en place des aides aux familles menacées d’expulsion ; l’incitation à la cession de logements vacants à la municipalité pour élargir le parc de logements sociaux ; l’étude d’un droit de préemption qui permettrait à la municipalité de se porter acquéreur d’immeubles en dessous du prix du marché.

Le droit à l’alimentation : du fait de la « crise », un enfant sur cinq, à Barcelone, est menacé de pauvreté. En 2013, on a évalué à 2 800 le nombre d’enfants en situation de malnutrition. En 2014-2015, 4 639 demandes de bourse pour la cantine ont été rejetées du fait des barèmes établis par la précédente municipalité.

Barcelona en Comú s’engage à garantir le droit à l’alimentation à tous les enfants se situant en dessous du seuil de pauvreté. Cela par divers moyens (révision des barèmes de bourses de cantine, renforcement des services de cantine, renforcement des réseaux de distribution d’aliments).

Le droit aux fournitures de base : on estime que 10 % des foyers de Barcelone se trouvent dans la précarité énergétique et ne peuvent faire face aux factures d’électricité, d’eau, de gaz. Barcelona en Comú envisage de réaliser un audit des compagnies distributrices d’énergie, d’évaluer l’origine et la destination de leurs bénéfices et de négocier avec elles pour les amener à contribuer à l’accès de tous aux fournitures de base.

Elle se battra par ailleurs pour des tarifs de l’eau plus justes et étudiera le passage de la gestion de l’eau en régie publique.

Elle envisage d’imposer aux entreprises de distribution de l’électricité des taxes pour occupation de l’espace public et étudiera des projets pilote de distribution d’énergies renouvelables.

Elle créera un fonds spécifique d’urgence (5 millions d’euros) pour lutter contre la pauvreté énergétique.

Capture Site Barcelona en ComuLe droit à la santé : que tous puissent accéder aux soins et à la carte de santé (qui conditionne l’accès aux soins et à leur remboursement partiel), ainsi qu’aux soins d’urgence ; mettre en place un accompagnement des personnes les plus vulnérables.

La municipalité fera par ailleurs pression sur la Generalitat (l’assemblée et le gouvernement de la région autonome de Catalogne) pour que soit remise en question la politique de privatisations et de réductions de droits dans le domaine de la santé.

Le droit à la mobilité : pour lutter contre la pollution, il s’agit de faire en sorte que le transport public soit « plus économique et plus efficace » que l’usage des véhicules privés. La ville de Barcelone, qui souhaite infléchir la politique tarifaire, devra travailler avec le Generalitat, qui est majoritaire dans l’Autorité de Transport Métropolitain.

Le droit à un revenu municipal complémentaire : en 2014, 5 000 Barcelonais ont été exclus du Revenu minimum d’insertion ; Barcelona en Comú envisage de supprimer la pension de 100 € par mois dont bénéficient les moins de 16 ans en situation de vulnérabilité, annoncée par la CiU et que la nouvelle équipe qualifie d’assistanat. A sa place celle-ci envisage de créer un Revenu municipal pour toutes les familles en dessous du seuil de pauvreté, pour parvenir, en complément des prestations déjà reçues, à un niveau de 60 % du revenu moyen des Barcelonais, soit environ 600 €.

De plus, la municipalité proposera l’instauration, dans toute la Catalogne, d’un Revenu garanti de citoyenneté.

Revenir sur des privatisations et les projets contraires au bien commun

Il s’agit d’en finir avec l’utilisation des finances publiques, municipales en l’occurrence, dans des projets qui ne sont pas tournés vers l’intérêt public.

Par exemple : moratoire sur l’ouverture d’hôtels et d’appartements à usage touristique, dans l’attente d’un audit ; retrait de la participation dans des projets privés d’affaires ; arrêt ou réexamen de l’extension de grandes zones commerciales ; arrêt ou réexamen des processus de privatisations contraires au bien commun ; remise en cause de concessions discutables.

Faire la transparence et mettre fin aux privilèges

Auditer l’institution municipale et ses comptes, mettre fin aux mauvaises pratiques, générer des institutions moins bureaucratiques et avec davantage d’implication des citoyens.

Quelques projets de mesures concrètes :

. Réduire les indemnités des conseillers, supprimer les véhicules officiels et les indemnités injustifiés.

. Auditer les principaux outils publics de promotion économique et sociale de Barcelone (dont la Foire de Barcelone).

. Réviser les subventions injustifiées (comme les 16 M€ du circuit de Montmeló).

. Revoir et élargir les espaces participatifs qui permettront de mettre en œuvre ce Plan de Choc dans chaque district.

Tous les détails sur le site de Barcelona en Comú (en catalan et en castillan) : Site de Barcelona en Comu

Ou dans le pdf (en catalan) : pla-de-xoc-cat

* * * *

A côté de ce programme à court terme, le programme dessiné par les citoyens avec Barcelona en Comú définit un certain nombre d’objectifs classés de diverses façons et notamment par thématiques : elles sont nombreuses, de l’Action sociale et communautaire à l’Urbanisme en passant par l’Écologie, l’Éducation, l’Immigration, la Fiscalité…

On les retrouvera sur le site (en catalan ou en castillan) : Le programme par thématiques

Voir l’article de Mediapart du 13 juin (les propositions) : Ce que préparent les mairies « indignées » en Espagne.

Et un autre article de Mediapart (l’historique, daté du 06/11/2014) : Guanyem Mediapart article_467277

Lire sur ce blog « Barcelona en Comu : une gestion municipale alternative qui s’appuie sur les habitants » (mai 2016).

Lire aussi sur ce blog un article sur le mémoire de Master 2 de Laurent Rosello : « De l’activisme au municipalimse, l’expérience de Barcelona en Comu ».

Sur la stratégie de Podemos, lire : « Podemos : de la rue aux institutions ».